TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE DRAGUIGNAN
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Chambre 1
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DU 19 Juillet 2024
Dossier N° RG 21/02976 - N° Portalis DB3D-W-B7F-JCZ5
Minute n° : 2024/391
AFFAIRE :
[X] [O] C/ CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENCE COTE D’AZUR
JUGEMENT DU 19 Juillet 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
PRÉSIDENT : Madame Virginie GARCIA, Vice-Présidente, statuant à juge unique
GREFFIER : Madame Nasima BOUKROUH,
DÉBATS :
A l’audience publique du 14 Mars 2024
A l’issue des débats, les parties ont été avisées que le jugement serait prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2024 prorogé au 19 Juillet 2024
JUGEMENT :
Rendu après débats publics par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort
copie exécutoire à : Me Luc COLSON
Expédition à Me Marie-laure MAIRAU-COURTOIS
Délivrées le
Copie dossier
NOM DES PARTIES :
DEMANDERESSE :
Madame [X] [O]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Marie-laure MAIRAU-COURTOIS, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, avocat postulant et assistée par Me Gaël COLLIN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
D’UNE PART ;
DÉFENDERESSE :
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENCE COTE D’AZUR
[Adresse 5]
[Localité 4]
représentée par Me Luc COLSON, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
D’AUTRE PART ;
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EXPOSE DU LITIGE
Madame [X] [O] est titulaire d’un compte bancaire n°[XXXXXXXXXX03] ouvert auprès de la CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENCE COTE D'AZUR.
Au cours de l’année 2019, elle a effectué plusieurs opérations d’investissements par l’intermédiaire d’une plateforme en ligne dénommée Cyrte BV.
Ainsi, elle s’est rendue au sein de son agence gestionnaire du CREDIT AGRICOLE située à [Localité 1] et a demandé à l’établissement bancaire d’effectuer trois virements, les 31 juillet, 2 et 8 août 2019, pour un montant total de 29.129,32 euros au bénéfice de la société hongroise Expert Fac Plus Kft, sur un compte ouvert dans une banque hongroise dénommée K&H Bank Zrt.
Ayant pris connaissance qu’il s’agissait d’une escroquerie, elle a, par courrier du 7 octobre 2019, sollicité du CREDIT AGRICOLE qu’il lui rembourse la somme de 29.129,32 euros, ce que la banque a refusé, suivant courrier du 27 octobre 2019.
Le 13 octobre 2019, Madame [X] [O] a porté plainte auprès du Procureur de la République pour des faits d’escroquerie.
Par courrier du 3 mars 2021, elle a mis en demeure l’établissement bancaire de lui rembourser cette somme, requête à laquelle le CREDIT AGRICOLE a refusé de donner une suite favorable.
Faisant valoir que la CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENCE COTE D'AZUR a manqué à son devoir de conseil, n’a pas décelé les anomalies apparentes présentes dans le fonctionnement de son compte, et n’a pas rempli son devoir général de vigilance et de mise en garde en effectuant trois virements d’un montant total de 29.129,32 euros à sa demande verse un bénéficiaire étranger, Madame [X] [O], suivant acte du 30 décembre 2021, l’a faite assigner devant le tribunal judiciaire afin d’obtenir l’indemnisation de son préjudice, résultant d’une perte de chance de n’avoir pas réalisé ces investissements au profit de plateformes frauduleuses.
Dans ses conclusions du 3 octobre 2023, elle demande au tribunal de :
Vu l’article 1231-1 du Code civil,
Vu l’article 1104 du Code civil,
Vu la jurisprudence citée et les références produites,
-DECLARER que le Crédit Agricole n’a pas décelé les anomalies apparentes présentes dans le fonctionnement du compte de Madame [X] [O] ;
-DECLARER que le Crédit Agricole n’a pas rempli son devoir général de vigilance ;
-DECLARER que les irrégularités et légèretés coupables du Crédit Agricole ont causé à Madame [X] [O] un important préjudice.
En conséquence,
-CONDAMNER le Crédit Agricole au paiement de dommages et intérêts d’un montant de 20.000 euros au bénéfice de Madame [X] [O] en réparation de son préjudice financier ;
-DEBOUTER le Crédit Agricole de ses demandes, fins et conclusions ;
Concernant l’exécution provisoire,
-DEBOUTER le Crédit Agricole de sa demande tendant à écarter l’exécution provisoire de droit du jugement à venir ;
Concernant les frais irrépétibles :
-DEBOUTER le Crédit Agricole de sa demande au titre de l’article 700 ou la FIXER à une plus juste proportion ;
-CONDAMNER le Crédit Agricole à 2.900 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’à tous les dépens de la présente instance.
Dans ses conclusions du 8 mai 2023, la CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENCE COTE D'AZUR demande au tribunal de :
Vu l’article 1241 du Code civil,
Vu l’article 1937 du Code civil,
Vu l’article L133-18 du code monétaire et financier,
Vu l’article L561-15 du code monétaire et financier,
Vu la convention de compte particulier applicable,
Vu l’ensemble des pièces versées aux débats,
A TITRE PRINCIPAL
-CONSTATER que Madame [O] s’est présentée en personne pour procéder aux ordres de virement, signés de sa main,
-CONSTATER que Madame [O] de sa propre initiative, a décidé de faire des investissements spéculatifs à l’étranger, sans en informer préalablement la banque,
-JUGER que les trois ordres de virement ne présentaient aucune anomalie, ni matérielle, ni intellectuelle, décelable pour un employé de banque normalement diligent,
-JUGER que la CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENCE COTE D'AZUR tiers aux opérations et simple dépositaire des fonds, tenue par un devoir de non-ingérence, n’avait pas à interférer dans les affaires de sa cliente et ses choix d’investissement,
-JUGER que l’établissement bancaire n’a commis aucun manquement à son devoir de vigilance ou de conseil,
A TITRE SUBSIDIAIRE
-JUGER que Madame [O] a manifestement commis une faute à l’origine de son propre dommage,
-JUGER que Madame [O] n’apporte pas la preuve qu’au moment des faits, la simple mise en garde de la banque aurait suffi à ce qu’elle renonce aux opérations d’investissement auxquelles elle croyait,
-JUGER que Madame [O] n’apporte pas la preuve du caractère réel et certain de la prétendue perte de chance subie en lien direct avec les agissements de la CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENCE COTE D'AZUR,
En conséquence,
-JUGER n’y avoir lieu à exécution provisoire,
-DEBOUTER Madame [X] [O] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
-CONDAMNER Madame [X] [O] au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, avec distraction au profit de Maître Luc COLSON, avocat aux offres de droit,
-CONDAMNER Madame [X] [O] aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétention, il est renvoyé aux conclusions visées ci-dessus conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 11 janvier 2024.
MOTIFS
Sur l'objet du litige
En vertu de l'article 4 alinéa 1er du code de procédure civile, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
Il en résulte que l'opinion formulée par les parties sur un point de droit ne constitue pas un terme du litige.
Dès lors, il n'y a pas lieu à statuer sur les demandes visant à voir dire, juger ou constater l'opinion des parties sur la qualification juridique de faits ou d'actes de nature à nourrir les moyens et arguments en débat.
Sur la responsabilité de la banque
Sur la faute de la banque
Madame [X] [O] reproche à la CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENCE COTE D'AZUR d’avoir manqué à son devoir de vigilance qui constitue une véritable exception au principe de non-ingérence. Elle soutient qu’une vigilance adéquate du banquier sur le fonctionnement de son compte aurait permis de constater la présence d’anomalies, notamment s’agissant du nombre de virements, du pays destinataire, de leurs montants ainsi que de leurs fréquences.
La CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENCE COTE D'AZUR affirme avoir simplement respecté les ordres de virement donnés par sa cliente, en respectant son devoir de non-ingérence, au regard du caractère normal des virements, autorisés par la cliente en personne, qui ne présentaient aucune anomalie décelable par un employé normalement diligent, notamment au regard de l’identité du donneur, de l’état du compte, du montant des virements et de l’origine licite des fonds.
Selon l’article 1937 du code civil, « Le dépositaire ne doit restituer la chose déposée qu’à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir ».
En vertu de l’article 1231-1 du code civil, « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure ».
Le banquier, en vertu du mandat dont il est investi, doit procéder à l’exécution des ordres de paiement des fonds reçus de son client au profit de tiers, dans le respect du principe de non-ingérence, lui imposant de ne pas intervenir dans les choix de ses clients.
Ce principe est tempéré par le devoir de vigilance et de surveillance auquel est tenu le banquier, en sa qualité de professionnel, et qui lui incombe pour déceler les anomalies apparentes, matérielles ou intellectuelles.
Le devoir de vigilance est apprécié en fonction de critères tenant à l’identité du donneur d’ordres, au montant des virements au regard de l’état du compte, à leur fréquence d’exécution et à leur destination.
Il est constant que les opérations consistant en des ordres de virement du compte bancaire de Madame [X] [O] vers des comptes bancaires ouverts et détenus par des personnes morales à l’étranger, quand bien même seraient-ils inhabituels compte tenu de l’importance de leur montant, ne présentent pas pour autant un caractère anormal ou le signe d’un fonctionnement anormal du compte susceptible d’engager la responsabilité de la banque qui n’aurait pas alerté son client concernant ce fonctionnement, dans la mesure où les ordres de virement ont été effectués au guichet de la banque par le titulaire du compte lui-même.
En l’espèce, le nombre de virements effectués, trois sur une période de neuf jours, ne présente pas une anomalie apparente, alors même qu’une fois exécutés, le solde du compte de Madame [X] [O] demeurait créditeur à hauteur de 5.420,16 euros.
La Hongrie, pays du compte destinataire des virements, membre de l’Union européenne, ne caractérise pas le caractère anormal de l’opération. Par ailleurs, la mention d’un destinataire inhabituel ne constitue pas une anomalie intellectuelle de fonctionnement du compte.
Au demeurant, Madame [X] [O], titulaire du compte, s’est déplacée au sein de son agence, afin de transférer les fonds déposés sur son compte bancaire, et la présence de la cliente dans les locaux de l’établissement bancaire pour y effectuer les opérations est nécessairement de nature à rassurer le banquier quant à leur régularité.
Dès lors, le fonctionnement anormal et inhabituel du compte bancaire de Madame [X] [O] par rapport au fonctionnement usuel du compte n’est pas caractérisé, et la banque, qui ne pouvait soupçonner un quelconque caractère anormal voire frauduleux de ces opérations, n’a pas manqué à son devoir de vigilance.
Madame [X] [O] sera par conséquent déboutée de sa demande.
Sur les mesures de fin de jugement
Madame [X] [O] qui succombe sera condamnée aux dépens. En revanche, l’équité commande de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Enfin, aucun élément ne vient justifier que le jugement ne soit pas assorti de l’exécution provisoire de plein droit.
PAR CES MOTIFS,
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire rendu en premier ressort par mise à disposition au greffe,
DEBOUTE Madame [X] [O] de l’ensemble de ses demandes.
REJETTE les demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE Madame [X] [O] aux dépens.
DIT que le présent jugement est assorti de l’exécution provisoire de droit.
La greffière La juge