__________________________________________________________________________________________________
T.J de Créteil - Pôle Social - GREJUG04 /
N° RG 22/01077 - N° Portalis DB3T-W-B7G-T3E3
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE CRÉTEIL
Pôle Social
JUGEMENT DU 11 JUILLET 2024
___________________________________________________________________________
DOSSIER N° RG 22/01077 - N° Portalis DB3T-W-B7G-T3E3
MINUTE N° Notification
Copie certifiée conforme délivrée aux parties par LRAR
Copie certifiée conforme délivrée par lettre simple ou par le vestiaire aux avocats
Copie exécutoire délivrée à la CPAM du Rhône par LRAR
___________________________________________________________________________
PARTIES EN CAUSE :
DEMANDERESSE
La société [4] GRAND EST, dont le siège social est sis [Adresse 1] - [Localité 2]
représentée par Me Nathalie VIARD-GAUDIN, avocat au barreau de LYON, substituée par Me Carole YTURBIDE
DEFENDERESSE
La caisse primaire d’assurance maladie du Rhône, sise [Adresse 5] - [Localité 3]
dispensée de comparution
DEBATS A L’AUDIENCE PUBLIQUE DU 30 AVRIL 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL:
PRESIDENTE : Mme Manuela DE LUCA, juge
ASSESSEURES : Mme Céline EGRET-FOURNIEZ, assesseure collège salarié
Mme Paulette STRAGLIATI, assesseure collège employeur
GREFFIERE : Mme Karyne CHAMPROBERT
Décision contradictoire et en premier ressort rendue au nom du peuple français après en avoir délibéré le 11 juillet 2024 par la présidente, laquelle a signé la minute avec la greffière.
__________________________________________________________________________________________________
T.J de Créteil - Pôle Social - GREJUG04 /
N° RG 22/01077 - N° Portalis DB3T-W-B7G-T3E3
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [X] [K], salarié de la société [4] GRAND EST (ci-après “la société [4]”), exerçant en qualité d’agent de sécurité polyvalent, a été victime d’un accident du travail le 8 décembre 2021 survenu dans les circonstances suivantes telles que décrites dans la déclaration d’accident du travail établie le 20 décembre 2021 par son employeur :
« Activité de la victime lors de l’accident : en surveillance
Nature de l’accident : CHUTE ESCALIERS-glissade-trébuchement ».
Il y est précisé concernant le siège et la nature des lésions : « MEMBRES INFERIEURS : CHEVILLE, GENOU » et « ENTORSE, FOULURE A DROITE».
Le certificat médical initial établi le 9 décembre 2021 fait état d’une « Tendinopathie du pied gauche suite une hyper sollicitation ».
Ces éléments ont été transmis à la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône qui a pris en charge d’emblée cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels par décision notifiée à l’employeur le 14 janvier 2022.
La société [4] a saisi, le 23 juin 2022, la commission médicale de recours amiable de la caisse afin de contester la décision de prise en charge de l’ensemble des soins et arrêts de travail prescrits à Monsieur [X] [K] suite à l’accident du travail dont il a été victime le 8 décembre 2021.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 7 novembre 2022, la société [4] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Créteil sur rejet implicite de la commission médicale de recours amiable.
L'affaire a été appelée en dernier lieu à l'audience du 30 avril 2024.
Par conclusions écrites soutenues oralement à l’audience, la société [4], régulièrement représentée par son conseil, demande au tribunal, à titre liminaire, de faire injonction à la caisse de communiquer au médecin-conseil de l’employeur les pièces médicales du dossier de Monsieur [X] [K]. Elle demande à titre principal de juger inopposable à son égard l’ensemble des soins et arrêt de travail prescrits à Monsieur [X] [K] à la suite de son accident du 8 décembre 2021. A titre subsidiaire, elle sollicite la mise en œuvre d’une expertise médicale judiciaire sur pièces, aux frais de la caisse, afin de déterminer les soins et arrêts directement et uniquement imputables à l’accident du 8 décembre 2021. Elle sollicite dans ce cadre qu’il soit ordonné à la caisse de communiquer les éléments médicaux du dossier du salarié à son médecin-conseil le Docteur [C].
Au soutien de sa demande d’inopposabilité formulée à titre principal, la société [4] entend faire valoir que le certificat médical initial fait état de lésions différentes de celles déclarées par le salarié et que la caisse ne justifie pas de la continuité des symptômes et des soins au regard notamment du certificat médical initial qui constate des lésions différentes de ce qui a été initialement déclaré.
La caisse primaire d’assurance maladie du Rhône est dispensée de comparaître conformément à sa demande formulée par courrier reçu au greffe le 17 avril 2024. Dans ses écritures régulièrement communiquées à la société demanderesse, elle demande au tribunal de confirmer l’opposabilité de la prise en charge des soins et arrêts de travail consécutifs à l’accident du travail du 8 décembre 2021 et ses conséquences pécuniaires, et de débouter la société [4] de l’intégralité de son recours, y compris de sa demande subsidiaire d’expertise médicale judiciaire.
La caisse soutient que la non transmission, au stade amiable, au médecin-conseil de l’employeur, du rapport médical du salarié n’est pas sanctionnée par l’inopposabilité de la décision initiale de prise en charge de l’accident par la caisse. Elle relève par ailleurs que la matérialité de l’accident n’est pas contestée et que le médecin-conseil de la caisse, dont l’avis s’impose à elle, s’est prononcé en faveur du bien-fondé des certificats médicaux de prolongation confirmant ainsi l’imputabilité des arrêts de travail prescrits à l’affection dont est atteint l’assuré. Elle ajoute que l’employeur ne démontre pas l’existence d’une cause étrangère de nature à renverser la présomption d’imputabilité. Elle s’oppose par ailleurs à la demande d’expertise médicale judiciaire en soutenant que l’employeur ne rapporte pas de commencement de preuve permettant de mettre en doute l’imputabilité des arrêts prescrits à l’assuré.
A l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré au 11 juillet 2024 par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande d’injonction de communiquer, au médecin-conseil de l'employeur, le rapport médical prévu à l'article L. 142-6 du code de la sécurité sociale
La société [4] soutient qu'au moment de l'introduction du recours préalable obligatoire devant la commission médicale de recours amiable, le rapport médical mentionné à l'article L. 142-6 du code de la sécurité sociale n'a été transmis par la caisse au médecin-conseil mandaté par la société, empêchant ce dernier de faire valoir ses arguments, en violation du principe du contradictoire. Elle en déduit que l'inobservation du contradictoire en phase amiable, qui a empêché l'employeur d'obtenir une issue amiable, justifie le prononcé, à l’encontre de la caisse, d’une injonction de communiquer ledit rapport.
La caisse primaire d'assurance maladie du Rhône ne conteste pas l'absence de transmission, par la commission médicale de recours amiable, au médecin-conseil mandaté par la société, du rapport médical mentionné à l'article L. 142-6 précité. Elle entend toutefois faire valoir que les exigences du procès équitable ne s'appliquent aux recours préalables obligatoires devant une commission dépourvue de tout caractère juridictionnel. Elle soutient ainsi que la société demanderesse ne peut bénéficier de l'inopposabilité des arrêts et soins litigieux pour non communication des pièces médicales en phase amiable alors même qu'aucune sanction n'est prévue par les textes et que l'employeur dispose par ailleurs d'un recours effectif devant le tribunal.
L'article R. 142-8 du code de la sécurité sociale pose le principe du recours préalable obligatoire devant la commission médicale de recours amiable notamment pour les contestations de nature médicale formées par les employeurs dans le cadre de litiges relatifs à l'application des législations et réglementations de sécurité sociale.
La procédure suivie devant cette commission est régie par les articles R. 142-8-1 à R. 142-8-7 du code de la sécurité sociale.
Ainsi, selon l'article R. 142-8-3 alinéa 1er, « Lorsque le recours préalable est formé par l'employeur, le secrétariat de la commission médicale de recours amiable notifie, dans un délai de dix jours à compter de l'introduction du recours, par tout moyen conférant date certaine, le rapport mentionné à l'article L. 142-6 accompagné de l'avis au médecin mandaté par l'employeur à cet effet. Le secrétariat informe l'assuré ou le bénéficiaire de cette notification ».
L'article L. 142-6 du code de la sécurité sociale auquel renvoie l'article R. 142-8-3 dispose que : « Pour les contestations de nature médicale, hors celles formées au titre du 8° de l'article L. 142-1, le praticien-conseil du contrôle médical du régime de sécurité sociale concerné transmet, sans que puisse lui être opposé l'article 222-13 du code pénal, à l'attention exclusive de l'autorité compétente pour examiner le recours préalable, lorsqu'il s'agit d'une autorité médicale, l'intégralité du rapport médical reprenant les constats résultant de l'examen clinique de l'assuré ainsi que ceux résultant des examens consultés par le praticien-conseil justifiant sa décision. A la demande de l'employeur, ce rapport est notifié au médecin qu'il mandate à cet effet. La victime de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle est informée de cette notification ».
Il résulte de ces dispositions que dès l'exercice d'un recours amiable, l'employeur a le droit de demander et d'obtenir la communication à son médecin-conseil du rapport médical mentionné à l'article L. 142-6 précité.
Il doit cependant être rappelé qu'aucune sanction du non-respect des règles ainsi édictées n'est prévue par les dispositions régissant la phase administrative amiable devant la commission médicale de recours amiable qui est une phase administrative pré-contentieuse.
L'irrégularité procédurale observée à ce stade ne rend donc pas la décision initiale de la caisse et l'ensemble des soins et arrêts de travail prescrits au titre de l'accident du travail inopposables à l'employeur dès lors que ce dernier peut valablement faire valoir ses droits à l'expiration du délai de rejet implicite de quatre mois prévu à l'article R. 142-8-5 du code de la sécurité sociale et obtenir, en application de l'article R. 142-16-3 du même code, la communication du rapport médical à son médecin-conseil dans le cadre d'un recours contentieux devant le tribunal, auquel doivent s'appliquer les exigences du procès équitable dont sa composante essentielle qui est le principe du contradictoire.
Au stade contentieux, la communication du rapport médical peut intervenir suivant les modalités définies aux articles L. 142-10 et R. 142-16-3 du code de la sécurité sociale. L'employeur doit en effet solliciter la mise en œuvre d'une expertise afin d'être en mesure de se faire communiquer le rapport médical mentionné à l'article L. 142-6 dans les conditions de l'article R. 142-16-3.
Le juge dispose à ce stade d'un pouvoir souverain quant à l'appréciation de la nécessité d'ordonner une expertise.
Il s’ensuit que l’examen de la demande subsidiaire d’expertise judiciaire doit donc précéder la demande d’injonction de communiquer formulée à titre liminaire qui fera donc l’objet des développements qui suivront.
Sur la demande principale tendant à l’inopposabilité des soins et arrêts de travail
La société [4] soutient qu’il existe une incohérence entre ce qui est rapporté dans la déclaration d’accident du travail et les lésions décrites par le certificat médical initial, ce qui révèle une discontinuité manifeste des symptômes et des soins dès le premier jour d’arrêt de travail du salarié. Elle ajoute que les lésions décrites dans le certificat médical initial laissent présumer l’existence d’une pathologie antérieure évoluant pour son propre compte.
L'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, dispose qu'est « considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise ».
Il résulte de ce texte que la présomption d'imputabilité, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit, s'applique aux lésions initiales, à leurs complications, à l'état pathologique antérieur aggravé par l'accident, pendant toute la période d'incapacité précédant la guérison complète ou la consolidation, et postérieurement, aux soins destinés à prévenir une aggravation, et plus généralement à toutes les conséquences directes de l'accident.
Ainsi, et sans que la caisse n'ait à justifier de la continuité de symptômes et de soins à compter de l'accident initial, l'incapacité et les soins en découlant sont présumés imputables à celui-ci sauf pour l'employeur à rapporter la preuve de l'existence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec l'accident, ou d'une cause postérieure totalement étrangère, auxquels se rattacheraient exclusivement les soins et arrêts de travail postérieurs.
Sauf à inverser la charge de la preuve, ce n'est donc pas à la caisse de prouver que les soins et arrêts de travail pris en charge sont exclusivement imputables à l'accident du travail, mais à l'employeur de justifier que ceux-ci sont exclusivement imputables à une cause totalement étrangère au travail de l'assuré.
En l'espèce, la caisse verse aux débats le certificat médical initial établi le 9 décembre 2021, soit le lendemain de l’accident, mentionnant une « Tendinopathie du pied gauche suite une hyper sollicitation » et prescrivant un arrêt de travail jusqu'au 16 décembre 2021.
La caisse justifie que la situation de Monsieur [K] a été contrôlée par son médecin-conseil qui a estimé que l'arrêt de travail transmis à la caisse, en lien avec l'accident du travail du 8 décembre 2021, était justifié.
La caisse a par la suite soumis l'ensemble des arrêts de travail prescrits à son assuré à son médecin-conseil afin de confirmer qu'ils étaient justifiés par l'accident du travail initial, sans quoi l'organisme de sécurité sociale n'aurait pas accédé à une telle prise en charge.
En produisant un certificat médical initial prescrivant un arrêt de travail, la caisse bénéficie de la présomption d'imputabilité à l'accident initial des arrêts de travail et des soins prescrits postérieurement à l'assuré. Cette présomption s'étend à toute la durée de l'incapacité jusqu'à la guérison ou la consolidation, y compris s'il survient une nouvelle lésion dès lors qu'elle est reconnue en lien avec l'accident initial, et ce sans que la caisse n'ait à justifier de la continuité des symptômes et des soins par la production des certificats médicaux de soins, arrêts et prestations servis à Monsieur [K] postérieurement à son premier arrêt de travail.
La demande d’inopposabilité des soins et arrêts prescrits ne peut donc aboutir du seul constat, par la société demanderesse, d’une incohérence entre les termes de la déclaration d’accident du travail et les lésions décrites dans le certificat médical initial.
Sur la demande d'expertise médicale judiciaire
Conformément aux dispositions de l'article 146 du code de procédure civile, une mesure d'instruction ne peut pas être ordonnée pour pallier la carence d'une partie dans l'administration de la preuve. Une mesure d'expertise ne peut en conséquence être ordonnée qu'à la condition que l'employeur apporte des éléments médicaux de nature à accréditer l'existence d'une cause totalement étrangère à l'accident initial et qui serait à l'origine exclusive des prescriptions litigieuses.
En l'espèce, la société [4] ne conteste pas la matérialité de l'accident dont a été victime son salarié le 8 décembre 2021, ni la décision initiale de prise en charge au titre de la législation professionnelle de cet accident. Elle ne conteste que l'imputabilité à l'accident des soins et arrêts de travail de prolongation prescrits à Monsieur [K] au titre de l'accident, arguant qu'il s'agit d'une difficulté médicale et sollicite à ce titre que soit ordonnée une mesure d'expertise médicale judiciaire.
Elle relève à ce titre une contradiction entre la déclaration d’accident du travail et le certificat médical initial qui semble conforter selon elle l'idée qu’il existe un état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte.
Force est néanmoins de constater que la société [4] se trompe en invoquant l’existence d’une incohérence manifeste entre les termes de la déclaration d’accident du travail et du certificat médical initial. La déclaration d’accident du travail mentionne en effet, comme siège des lésions, les membres inférieurs. Le qualificatif « droite » ne se rapporte qu’à la « foulure » mentionnée et n’exclut en rien l’existence de lésions du côté gauche.
Aucun élément d'ordre médical propre à la situation de Monsieur [K] susceptible de constituer un commencement de preuve d'une cause extérieure au travail qui justifierait le recours à une expertise n’est donc apporté en l’espèce par l’employeur, étant rappelé que l'expertise médicale doit trancher un différend d'ordre médical quant à l'état de santé de l'assuré, ce qui suppose que la partie qui la sollicite apporte des éléments objectifs, propres à la situation du salarié intéressé, permettant à tout le moins de douter du diagnostic posé par le médecin-conseil de la caisse.
Dès lors, la société [4] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l'existence d'une cause totalement étrangère au travail ou d'un état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte et ne verse aux débats aucun élément susceptible de constituer un commencement de preuve en ce sens, de nature à remettre en cause l'appréciation du médecin-conseil de l'organisme de sécurité sociale.
Il n'y a pas lieu de pallier la carence de la société demanderesse dans l'administration de la preuve en ordonnant une mesure d'expertise, ainsi que le rappellent les dispositions de l'article 146 du code de procédure civile susvisé.
Il s'ensuit que la décision de la caisse de prendre en charge l'ensemble des soins et arrêts prescrits à Monsieur [K] est bien fondée et opposable à la société [4].
Dans la mesure où le tribunal ne fait pas droit à la demande d’expertise judiciaire qu’il estime mal fondée, aucune injonction de communiquer ne sera faite à la caisse.
Sur les mesures accessoires
En application de l'article 696 du code de procédure civile, il convient de condamner la société [4] aux dépens de l'instance dès lors qu'elle succombe.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal,
DÉCLARE opposables à la société [4] l'ensemble des soins et arrêts de travail pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône suite à l’accident du travail survenu le 8 décembre 2021 au préjudice de Monsieur [X] [K] ;
DÉBOUTE la société [4] de sa demande d'expertise médicale judiciaire et d’injonction de communiquer ;
CONDAMNE la société [4] aux dépens.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE