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04/06/2024 | FRANCE | N°22/05222

France | France, Tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer, Contentieux général, 04 juin 2024, 22/05222


R E P U B L I Q U E F R A N C A I S E
Au nom du Peuple Français


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOULOGNE SUR MER

(1ère Chambre)


JUGEMENT

*************


RENDU LE QUATRE JUIN DEUX MIL VINGT QUATRE


MINUTE N° :
DOSSIER N° RG 22/05222 - N° Portalis DBZ3-W-B7G-75HVV
Le 04 juin 2024


DEMANDERESSE

Mme [K] [L]
née le 10 Mars 1975 à [Localité 8], demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Delphine SAGNIEZ DELCLOY, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-
MER, avocat postulant et Me Angélique CREPIN, avocat au barr

eau d’AMIENS, avocat plaidant


DEFENDEURS

S.A.R.L. AGENCE DU BEFFROI, agissant sous l’enseigne ORPI, SARL immatriculée au RCS de BOULOGNE SU...

R E P U B L I Q U E F R A N C A I S E
Au nom du Peuple Français

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOULOGNE SUR MER

(1ère Chambre)

JUGEMENT

*************

RENDU LE QUATRE JUIN DEUX MIL VINGT QUATRE

MINUTE N° :
DOSSIER N° RG 22/05222 - N° Portalis DBZ3-W-B7G-75HVV
Le 04 juin 2024

DEMANDERESSE

Mme [K] [L]
née le 10 Mars 1975 à [Localité 8], demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Delphine SAGNIEZ DELCLOY, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-
MER, avocat postulant et Me Angélique CREPIN, avocat au barreau d’AMIENS, avocat plaidant

DEFENDEURS

S.A.R.L. AGENCE DU BEFFROI, agissant sous l’enseigne ORPI, SARL immatriculée au RCS de BOULOGNE SUR MER sous le n° 518 471 016, dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Me Vincent DEBLIQUIS, avocat au barreau d’ARRAS, avocat plaidant

M. [D] [M]
né le 20 Mai 1970 à [Localité 5] (62), demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Fabienne ROY-NANSION, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER, avocat plaidant

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Le tribunal était composé de Madame Pascale METTEAU, Première Vice-présidente désignée en qualité de juge unique en application des dispositions de l’article 803 du Code de procédure civile.

Le juge unique était assisté de Madame Catherine BUYSE, Greffier.

DÉBATS - DÉLIBÉRÉ :

Les débats ont eu lieu à l’audience publique du : 02 avril 2024.

A l’issue, les conseils ont été avisés que le jugement serait rendu le 04 juin 2024 par mise à disposition au greffe en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile issue de l’article 4 de la loi du 20 août 2004.

En l’état de quoi, le tribunal a rendu la décision suivante.

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 10 août 2021, Mme [K] [L] a signé un mandat de vente exclusif avec la société Agence du beffroi, portant sur son bien à usage d'habitation sis [Adresse 4] à [Localité 7]. Le mandat était valable pour une durée de 12 mois, révocable au 3ème mois, révocation intervenue par courrier recommandée avec accusé réception en date du 18 octobre 2021.

Une promesse de vente sous condition suspensive de vente a été régularisée entre Mme [K] [L] et M. [D] [M], respectivement les 4 novembre et 30 octobre 2021, par l'intermédiaire de la société Agence du beffroi pour un prix de vente de 160 000 euros, hors honoraires de négociation fixés à la somme de 14 520 euros.

Un acompte de 14 000 euros devait être séquestré dans les 15 jours suivant la régularisation de la promesse de vente, avec une réitération de la vente au plus tard le 30 janvier 2022, sans condition suspensive d'obtention d'un crédit. Une clause pénale de 30 000 euros a été insérée à l'acte.

Un avenant à la promesse de vente a été signé par M. [M] le 28 février 2022, mentionnant le versement d'un acompte de 10 000 euros, avenant que Mme [L] a refusé de signer. Elle a adressé, le 24 mars 2022, un courrier recommandé avec accusé réception à M. [M], pour l'informer qu'elle entendait user de la clause de la promesse selon laquelle, à défaut de versement de l'acompte dans le délai prévu, le vendeur était libre de se prévaloir de la résolution de plein droit de la promesse. La SARL Agence du beffroi a adressé à Mme [L] un courrier recommandé avec accusé réception reçu le 28 mars 2022 pour l'informer que M. [M] renonçait à acquérir le bien et qu'elle se réservait le droit de solliciter le montant de sa commission.

Le 11 juillet 2022, Mme [L] a mis en demeure, par l'intermédiaire de son conseil, la société Agence du beffroi et M. [M] d'avoir à lui payer le montant de la clause pénale.

Par actes d'huissier du 4 octobre 2022, Mme [L] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Boulogne-Sur-Mer M. [M] et la SARL Agence du beffroi aux fins d'indemnisation de ses préjudices résultant de l'absence de réitération de la vente.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 13 juin 2023, Mme [L] demande au tribunal de :
-condamner M. [M] à lui régler la somme de 30 000 euros au titre de la clause pénale insérée dans le compromis de vente,
-à titre subsidiaire, le condamner à lui régler la somme de 30 000 euros en réparation de ses préjudices financiers et moraux,
-condamner la SARL Agence du beffroi, à lui régler la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices,
-condamner la SARL Agence du beffroi à lui remettre la somme de 10 000 euros séquestrée,
-ordonner que cette somme soit à déduire du montant de la condamnation prononcée à l'encontre de M. [M] dans le cadre de l'exécution de ladite décision,
-condamner M. [M] solidairement avec la SARL Agence du beffroi au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Au soutien de sa demande en paiement de la clause pénale, Mme [L], se fondant sur l'article 1231-5 du code civil, fait valoir que cette clause est acquise. Elle expose que M. [M] n'a jamais régularisé l'acte authentique et a menti sur sa solvabilité en mentionnant ne pas avoir besoin de souscrire un crédit tout en indiquant n'avoir pu réitérer la vente du fait d'un refus d'octroi de crédit. Elle reproche également une rétractation tardive, de pure opportunité procédurale, alors même que les dispositions de l'article D. 271-6 du code de la construction et de l'habitation n'ont vocation à s'appliquer qu'en cas de remise en main propre, modalité de remise que M. [M] ne démontre pas.

Au soutien de sa demande subsidiaire dirigée contre M. [M] à lui payer la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 1240 du code civil, Mme [L] fait valoir qu'elle a subi des préjudices financiers et moraux importants résultant de la non réitération de la vente sans justes motifs, considérant que le mensonge sur la solvabilité et la rétractation tardive constituent des fautes de nature à engager la responsabilité de M. [M], qui a sciemment immobilisé le bien, alors même qu'il se savait dans l'impossibilité de financer l'acquisition.

Au soutien de sa demande en paiement de dommages et intérêts dirigée contre la société Agence du beffroi, Mme [L] fait valoir l'inexécution des diligences contractuellement prévues au mandat. Elle estime que l'agence a manqué à ses obligations en ne s'assurant pas de la solvabilité de l'acquéreur qu'elle lui présentait, puis en ne l'informant pas du paiement partiel de l'acompte, ni de la nécessité pour l'acquéreur de recourir à un prêt qui a finalement été refusé. Elle reproche également à l'agence de ne pas avoir collaboré utilement avec le notaire et de ne pas l'avoir informée des carences de l'acquéreur, la poussant à déménager en janvier, inutilement. Elle affirme que l'agence aurait dû lui conseiller d'user de la faculté de résilier de plein droit le compromis, puisque l'acompte n'était pas payé comme convenu, et ainsi remettre son bien en vente au plus vite. Enfin, elle fait valoir que l'agence a commis une faute en ne s'assurant pas de la validité de la mention manuscrite reprise par M. [M] relative à la faculté de rétractation.

Mme [L] invoque un préjudice moral résultant d'un déménagement prématuré, l'obligeant à vivre plusieurs mois dans une maison vide de ses meubles, alors même qu'elle présente un handicap et n'a plus l'usage de ses jambes. Elle explique souffrir d'une dépression du fait de cette situation, aggravée par l'attitude menaçante de l'agence à son égard.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 septembre 2023, M. [M] sollicite :
-à titre principal, le rejet des prétentions de Mme [L] et sa condamnation à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-la condamnation de la société Agence du beffroi à lui restituer la somme de 10 000 euros, détenue en qualité de séquestre conventionnel, et sa condamnation avec Mme [L] in solidum aux dépens,
-à titre subsidiaire, la modération du montant de la clause pénale à la somme de 10 000 euros maximum, la condamnation de la société Agence du beffroi à payer le montant de la clause pénale avec la somme séquestrée et à lui restituer le surplus éventuel, et le rejet des autres demandes indemnitaires de Mme [L].

Pour s'opposer aux prétentions de Mme [L] et au soutien de sa demande de restitution de l'acompte, M. [M] fait valoir que la clause prévue à l'article D. 271-6 du code de la construction et de l'habitation posant la faculté de rétractation n'était pas régulière dans le compromis, de sorte que le délai de rétractation n'a jamais couru, lui permettant dès lors une rétractation régulière par lettre recommandée avec accusé de réception le 4 avril 2023. Il ajoute n'avoir jamais renoncé à son droit de rétractation, persuadé de pas en bénéficier eu égard à la clause qu'il a rédigée sans être contredit par l'agence. Il conteste que sa responsabilité délictuelle puisse être engagée pour des mentions figurant sur un contrat, compte-tenu de son anéantissement rétroactif suite à l'exercice du droit de rétractation.

Il relève que l'existence d'un préjudice subi par Mme [L] n'est pas démontrée. Il explique qu'elle a mis en œuvre, par courrier du 16 mars 2022, la clause de résolution de plein droit du compromis, en raison du défaut de paiement de la totalité de l'acompte, se trouvant alors libérée du compromis sans indemnité de part et d'autre selon ses propres termes. Il ajoute que Mme [L] a par la suite vendu son bien à un prix supérieur et qu'il ne peut être tenu pour responsable si l'agence avait insisté pour que Mme [L] déménage.

A titre subsidiaire, à l'appui de sa demande en modération de la clause pénale et se fondant sur l'article 1231-5 du code civil, il fait valoir qu'il a été victime, au même titre que Mme [L], de l'indélicatesse de l'agence immobilière.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 novembre 2023, la SARL Agence du beffroi sollicite :
-à titre principal, le rejet de l'ensemble des prétentions de Mme [L] et M. [M] et la condamnation de M. [M] à lui payer la somme de 14 520 euros à titre de commission,
-à titre subsidiaire, la condamnation de Mme [L] à lui payer la somme de 14 520 euros à titre de commission,
-en tout état de cause, la condamnation in solidum de Mme [L] et M. [M] au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure et demandes abusives et 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre principal, pour s'opposer à la demande de dommages et intérêts de Mme [L], la société Agence du beffroi fait valoir qu'aucune preuve de sa faute n'est rapportée, que la vente conclue était parfaite, suivant un compromis conforme à la loi, et que le défaut de réitération a résulté du revirement de l'acquéreur. Elle ajoute que Mme [L] n'a pas suivi ses conseils tendant à faire établir un procès-verbal de carence par le notaire, se privant elle-même de la faculté de disposer de son bien.

S'agissant de la condamnation à payer ou à restituer le séquestre, elle explique qu'en sa qualité de séquestre, elle ne peut qu'être enjointe, par le tribunal, suivant l'issue du litige, à restituer le séquestre à qui de droit.

A l'appui de sa demande en paiement de la somme de 14 250 euros dirigée contre M. [M], elle invoque le revirement de l'acquéreur à l'origine de la rupture des relations contractuelles, la privant de sa juste et équitable rémunération puisque la vente était parfaite.

A titre subsidiaire, elle indique justifier de sa demande de paiement de sa commission dirigée contre Mme [L] au motif qu'elle a rompu d'initiative le compromis, alors qu'en l'absence de condition suspensive, le compromis valait vente, grâce à ses diligences en sa qualité d'intermédiaire.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 avril 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande en paiement de la clause pénale :

Si Mme [L] demande l'application de la clause pénale insérée à la promesse de vente régularisée avec M. [M], ce dernier affirme avoir exercé la faculté de rétraction qui lui est offerte par l'article L. 271-1 du code de la construction et de l'habitation aux termes duquel "Pour tout acte ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation, la souscription de parts donnant vocation à l'attribution en jouissance ou en propriété d'immeubles d'habitation ou la vente d'immeubles à construire ou de location-accession à la propriété immobilière, l'acquéreur non professionnel peut se rétracter dans un délai de dix jours à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l'acte.
Cet acte est notifié à l'acquéreur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par tout autre moyen présentant des garanties équivalentes pour la détermination de la date de réception ou de remise. La faculté de rétractation est exercée dans ces mêmes formes.
Lorsque l'acte est conclu par l'intermédiaire d'un professionnel ayant reçu mandat pour prêter son concours à la vente, cet acte peut être remis directement au bénéficiaire du droit de rétractation. Dans ce cas, le délai de rétractation court à compter du lendemain de la remise de l'acte, qui doit être attestée selon des modalités fixées par décret."

L'exercice de la faculté de rétractation entraînant l'anéantissement rétroactif de l'acte, il convient, avant même d'examiner la demande d'application de la clause pénale, de statuer sur l'existence d'une rétractation, telle que prévue par l'article L. 271-1 du code de la construction et de l'habitation.

En l'espèce, il ne ressort d'aucune pièce que la promesse de vente a été adressée à M. [M] par lettre recommandée. La seule production par la SARL Agence du beffroi d'un courrier daté du 4 novembre 2021 indiquant adresser un exemplaire de la promesse signée à M. [M], sans que ne soit versé aux débats l'accusé de réception de ce courrier, ne permet pas de retenir un envoi par lettre recommandée et ne permet en aucun cas de déterminer la date de présentation de ce courrier au destinataire.

Au contraire, malgré le fait que Mme [L] fasse état d'une notification du compromis après que celui-ci a recueilli la signature de l'acquéreur et du vendeur, elle indique elle-même dans son courrier du 24 mars 2022 que le compromis a été "remis en main propre le 30/10/2021 non signé de ma main" à M. [M].

Il en découle que la remise du compromis à M. [M] a été faite, en main propre à ce dernier, par l'intermédiaire de l'agence immobilière, alors même que l'acte n'était pas signé par Mme [L] et aucune autre notification ou remise postérieure n'est justifiée. Ce mode de remise de l'acte incomplet est d'ailleurs confirmé par la mention manuscrite apposée par M. [M] sur le compromis de vente à savoir « Remis par l'Agence du Beffroi à [Localité 6] le 30 10 2021 et je déclare avoir Connaissance d'un délai de rétractation ne peut mettre accordé. J'achète ce Bien sans recourir à un Prêt. » alors qu'en outre, aucune des cases relatives aux modalités de communication du compromis de vente n'est cochée (ni celle précisant une remise en main propre, ni celle précisant l'envoi par accusé de réception).
Dans une telle hypothèse, l'article D. 271-6 du code de la construction et de l'habitation prévoit que “l'acte sous seing privé ou une copie de l'avant-contrat réalisé en la forme authentique remis directement à l'acquéreur non professionnel en application du troisième alinéa de l'article L. 271-1 reproduit les dispositions de l'article L. 271-2.”
Le bénéficiaire du droit de rétractation y inscrit de sa main les mentions suivantes : " remis par (nom du professionnel)... à (lieu)... le (date)... " et : " Je déclare avoir connaissance qu'un délai de rétractation de dix jours m'est accordé par l'article L. 271-1 du code de la construction et de l'habitation, et qu'il court à compter du lendemain de la date de remise inscrite de ma main sur le présent acte, soit à compter du... "."

Il appartient donc à l'acquéreur à l'acte d'indiquer de manière lisible et compréhensible les éléments relatifs aux conditions et aux modalités d'exercice du droit de rétractation.

Au regard de la mention reprise par M. [M] ci-dessus rappelée, ce dernier ne pouvait que croire être dépourvu de tout droit de rétractation.

Il est manifeste que M. [M] a opéré une confusion entre la mention prévue à l'article L. 313-42 du code de la consommation, aux termes de laquelle l'acquéreur renonce à la condition suspensive d'obtention du crédit et la mention prévue à l'article D. 271- 6 du code de la construction et de l'habitation précité.

La mention manuscrite requise pour garantir l'information à l'acquéreur de son droit de rétractation est donc totalement irrégulière.

Il en découle que le délai de rétractation n'a pas couru et que M. [M] a pu exercer ce droit, nonobstant le délai écoulé depuis la signature du compromis, par lettre recommandée avec accusé de réception le 4 avril 2023 adressée à Mme [L], lettre par laquelle il déclare exercer son droit de rétractation et qui satisfait aux exigences de l'article L. 271-1 du code de la construction et de l'habitation.

Mme [L] ne peut prétendre que M. [M] aurait renoncé à se prévaloir de son droit de rétractation en signant l'avenant le 28 février 2022 et qu'il n'aurait pas eu l'intention de se rétracter alors même qu'aucun élément ne permet de dire que ce dernier avait, avant l'exercice de ce droit, connaissance de la faculté qu'il avait de se rétracter.

Compte tenu de l'exercice par M. [M] de son droit de rétractation, Mme [L] n'est pas fondée en sa demande d'application de la clause pénale et la demande de ce chef doit, dès lors être rejetée.

Sur la demande de dommages et intérêts formulée par Mme [L] à l'encontre de M. [M] :

L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
L'article 1241 du code civil dispose que chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

Par l'effet de l'anéantissement rétroactif d'un contrat annulé, la responsabilité d'une des parties à ce contrat ne peut être recherchée que sur le fondement délictuel ou quasi délictuel.

Il appartient donc à Mme [L] pour fonder sa demande de dommages et intérêts de justifier d'une faute de M. [M], d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute invoquée et le préjudice allégué.

M. [M] a déclaré, dans le compromis, ne pas recourir à un prêt pour l'acquisition du bien. Or, le défaut de réitération de la vente résulte notamment de l'absence d'obtention par M. [M] d'un prêt comme ce dernier le reconnaît dans le document intitulé « annulation de compromis amiable». Il y indique avoir informé la société Agence du beffroi ne pas disposer du financement nécessaire.

En faisant une déclaration qu'il savait inexacte puisqu'il devait recourir à un prêt pour financer son acquisition, M. [M] a dès lors commis une faute, laquelle a induit Mme [L] en erreur notamment sur sa solvabilité.

Toutefois, cette faute est sans lien avec les préjudices subis par Mme [L] puisque d'une part Mme [L] s'est prévalue dans un premier temps de la résolution de la promesse pour défaut de paiement intégral de l'acompte prévu mais qu'en tout état de cause, M. [M] a régulièrement pu exercer sa faculté de rétractation. Par ailleurs, le grief de la rétractation tardive est inopérant puisqu'il ne peut être reproché à M. [M] de ne pas avoir exercé un droit dont il ignorait l'existence.

A titre surabondant, il sera souligné que le défaut de validité de la mention manuscrite relative à la faculté de rétractation permettait à M. [M], même en cas d'octroi d'un crédit, de renoncer à tout moment, sans motif, à l'acquisition.

En conséquence, la demande de dommages et intérêts de Mme [L] dirigée contre M. [M] sera rejetée.

Sur la demande en paiement de Mme [L] à l'encontre de l'agence immobilière :

L'article 1231-1 du code civil dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

En application des règles générales du mandat, l'agent immobilier n'est tenu que d'une obligation de moyen. En revanche, lorsqu'il intervient en qualité de rédacteur d'acte, et notamment d'un compromis, il est tenu d'une obligation de résultat.

Il est responsable envers son mandant à raison des dommages commis dans l'exercice de sa mission, procédant d'un manquement à ses obligations contractuelles et à son devoir de conseil, accessoire à l'obligation principale d'exécuter la prestation promise.

La responsabilité de l'agent immobilier peut être engagée notamment en cas d'omission de vérifier la solvabilité de l'acquéreur.

En l'espèce, la société Agence du beffroi était le seul professionnel impliqué dans la rédaction du compromis de vente ; elle devait dès lors en garantir son efficacité juridique. En particulier, le mandat de vente fixait les obligations contractuelles du mandataire qui devait procéder à l'encaissement de l'acompte versé sur le compte séquestre de l'agence, assister le futur acquéreur dans ses démarches, informer sur le suivi des démarches engagées par l'acquéreur, assurer un suivi avec le notaire pour l'organisation de la réitération authentique de la vente.

Or, il apparaît que :
-la mention manuscrite concernant le délai de rétractation n'a pas été valablement reproduite par M. [M] ; en sa qualité de professionnel, l'agence immobilière devait pourtant assurer la validité et l'efficacité juridique de la promesse régularisée et, en conséquence, se montrer vigilante quant à l'élaboration du compromis de vente et la rédaction manuscrite de cette clause ; tel n'a pas été le cas et une faute de l'agence immobilière est ainsi caractérisée,
- M. [M] affirme (sans en justifier) que sa banque lui a refusé le prêt immobilier sollicité pour l'achat de l'immeuble alors même que dans le compromis de vente, il a indiqué à deux reprises ne pas avoir besoin de recourir à un prêt ; une faute de nature à engager la responsabilité contractuelle de l'agence au titre du mandat a été commise en ce qu'elle n'a pas vérifié la solvabilité de l'acquéreur, ou à tout le moins alerté Mme [L], au titre de son devoir de conseil, sur les risques encourus en cas d'insolvabilité de l'acquéreur dans le cas où elle était dans l'incapacité de vérifier la solvabilité ; au surplus, le virement d'une partie seulement de l'acompte aurait dû alerter l'agence du risque d'insolvabilité de l'acquéreur : elle aurait ainsi pu en informer Mme [L], qui aurait pu dès le 20 novembre 2021, mettre en œuvre la clause résolutoire du compromis, l'agence manquant ainsi à son devoir de conseil,
-Mme [L] a déménagé l'essentiel de son mobilier illustrant sa méconnaissance des difficultés existantes pour la réalisation de la vente en janvier 2022 ; en dépit de l'obligation contractuelle prévue au mandat de suivre les démarches engagées par l'acquéreur et organiser la réitération de la vente chez le notaire, l'agence immobilière ne justifie pas d'un tel suivi ; la société Agence du beffroi ne justifie pas avoir transmis les éléments nécessaires à la vente au notaire pas plus qu'elle ne rapporte la preuve de ce qu'elle s'est assurée des démarches faites, notamment par l'acquéreur, pour assurer le financement de l'acquisition.

Il résulte de ce qui précède que la société Agence du beffroi a commis des fautes contractuelles de nature à engager sa responsabilité à l'égard de Mme [L].

Mme [L] justifie, photographies et attestations à l'appui, avoir déménagé de façon prématurée, l'obligeant à vivre de nombreux mois dans une maison vide de ses meubles. Elle justifie également qu'elle a souffert d'une dépression du fait de cette situation (lien de causalité établi par une attestation de son fils et la concomitance de son état dépressif avec les problèmes subis pour la vente de son immeuble).

Le comportement de la société Agence du beffroi, par son courrier du 18 mars 2022, la menaçant de poursuite judiciaire en paiement de sa commission alors que la vente n'avait pas été régularisée n'a pu qu'aggraver le préjudice moral dont a souffert Mme [L].

En conséquence, ce préjudice moral de Mme [L] sera évalué à la somme de 4 000 euros et la société Agence du beffroi condamnée à cette somme.

Sur les demandes de la société Agence du beffroi :

Dans le cadre d'une transaction immobilière, l'agent immobilier ne sera considéré comme ayant rempli sa mission que lorsque les formalités et facultés de rétractation auront été purgées et après levée de toutes les conditions suspensives. L'exercice d'une faculté, légale ou conventionnelle, anéantit l'opération et prive l'agent de son droit à rémunération.

Lorsque l'acquéreur a usé de la faculté de rétractation qui lui est offerte par l'article L. 271-1 du code de la construction et de l'habitation, l'agent immobilier ne peut prétendre à une rémunération.

Même s'il n'est pas débiteur de la commission, l'acquéreur ou le vendeur dont le comportement fautif a fait perdre celle-ci à l'agent immobilier, par l'entremise duquel il a été mis en rapport avec l'autre partie, doit réparation à cet agent immobilier de son préjudice, suivant les règles de la responsabilité civile extracontractuelle.

M. [M] a usé de sa faculté de rétractation, ce qui a eu pour effet d'anéantir l'opération et de priver la société Agence du beffroi de son droit à rémunération.
Le revirement de position allégué de M. [M] ne saurait constituer une faute puisque ce dernier disposait d'une telle faculté de rétractation, résultant de la négligence de l'agence elle-même. M. [M] n'a donc pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité envers la société Agence du beffroi.

Le grief à l'encontre de Mme [L] d'avoir rompu le compromis alors qu'il valait vente en l'absence de condition suspensive est inopérant. Il résulte des précédentes constatations que le compromis n'avait pas été purgé du droit de rétractation qui a, par la suite, été exercé. La volonté de Mme [L] de se libérer du compromis, cinq mois après sa signature, était légitime, d'autant que l'acquéreur ne disposait pas du financement et avait finalement indiqué renoncer à l'acquisition suivant le courrier de la société Agence du beffroi du 18 mars 2022. Aucune faute de Mme [L] n'est donc caractérisée.

En conséquence, la demande en paiement de dommages et intérêts de la société Agence du beffroi sera rejetée.

La société Agence du beffroi sollicite, par ailleurs, la condamnation in solidum de Mme [L] et M. [M] au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure et demande abusive.
Cette demande n'est motivée ni en droit ni en fait.
L'agence ne démontre pas l'existence d'un quelconque préjudice alors même que sa responsabilité contractuelle est engagée. Elle ne caractérise pas non plus de fautes qui auraient été commises dans le cadre de la présente instance.

En conséquence, cette demande de dommages et intérêts de la société Agence du beffroi sera rejetée.

Sur la demande de restitution du séquestre :

L'article 1956 du code civil dispose que le séquestre conventionnel est le dépôt fait par une ou plusieurs personnes, d'une chose contentieuse, entre les mains d'un tiers qui s'oblige de la rendre, après la contestation terminée, à la personne qui sera jugée devoir l'obtenir.

L'acompte séquestré dans la comptabilité de la société Agence du beffroi avait vocation à s'imputer sur le prix de vente en cas de réitération de celle-ci ou à garantir une condamnation éventuelle en cas de défaillance fautive de l'acquéreur.

A défaut de réitération de la vente ou de défaillance fautive de l'acquéreur entraînant sa condamnation, la restitution à M. [M] des sommes séquestrées sera ordonnée.

Sur les mesures de fin de jugement :

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

Partie perdante au procès, la société Agence du beffroi sera condamnée aux entiers dépens de l'instance.

L'article 700 du code de procédure civile dispose que dans toutes les instances le juge condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.

La SARL Agence du beffroi, partie condamnée aux dépens, sera condamnée à payer à Mme [L] une somme qu'il est équitable de fixer à 2 000 euros et sera déboutée de ses propres demandes de ce chef. Il n'est pas inéquitable de laisser à M. [M] la charge des frais qu'il a exposés. Ses demandes au titre des frais irrépétibles seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

REJETTE la demande en paiement de la clause pénale présentée par Mme [K] [L] ;

REJETTE la demande en paiement de dommages et intérêts présentée par Mme [K] [L] dirigée contre M. [D] [M] ;

CONDAMNE la SARL Agence du beffroi à payer à Mme [K] [L] la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

REJETTE la demande présentée par Mme [K] [L] tendant à libérer les fonds séquestrés à son profit ;

REJETTE la demande en paiement de la SARL Agence du beffroi à hauteur de 14 520 euros ;

DEBOUTE la SARL Agence du beffroi de sa demande de dommages et intérêts pour procédure et demandes abusives ;

CONDAMNE la SARL Agence du beffroi à restituer à M. [D] [M] la somme de 10 000 euros qu'elle détient à titre de séquestre conventionnel ;

CONDAMNE la SARL Agence du beffroi aux dépens ;

AUTORISE, si elle en a fait l'avance sans en avoir reçu provision, Me Roy Nansion à recouvrer directement les dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SARL Agence du beffroi à payer à Mme [K] [L] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE la SARL Agence du beffroi et M. [D] [M] de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer
Formation : Contentieux général
Numéro d'arrêt : 22/05222
Date de la décision : 04/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-04;22.05222 ?
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