TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
LOYERS COMMERCIAUX
30C
N° RG 23/08772 - N° Portalis DBX6-W-B7H-YKU3
Minute n° 24/00057
EXPERTISE
Grosse délivrée
le :
à
JUGEMENT RENDU LE PREMIER AOUT DEUX MIL VINGT QUATRE
Par devant Nous, Myriam SAUNIER, Vice-Présidente, Juge déléguée aux Loyers Commerciaux, en exécution des articles L 145-56 et R 145-23 du code de commerce, assistée de Céline DONET, Greffier.
Le Juge des Loyers Commerciaux,
A l’audience publique tenue le 05 Juin 2024 les parties présentes ou régulièrement représentées ont été entendues et l’affaire a été mise en délibéré au 01 Août 2024, et le jugement prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile
ENTRE :
Société INCITE BORDEAUX METROPOLE TERRITOIRES, dont le siège social est sis [Adresse 1]
représentée par Maître Sébastien LEGRIX DE LA SALLE de la SELAS DS AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, plaidant et Maître Frédéric GODARD-AUGUSTE de la SELAS DS AVOCATS, avocats au barreau de BORDEAUX, postulant
ET :
S.A.R.L. AM RETAIL immatriculée au RCS de Toulon sous le numéro 503 055 436., dont le siège social est sis [Adresse 6]
représentée par Maître Frédéric AMSELLEM, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant et Maître Alexandra BLUET, avocat au barreau de BORDEAUX, postulant
Qualification du jugement : contradictoire et susceptible d’appel dans les conditions de l’article 272 du code de procédure civile
EXPOSE DU LITIGE
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par acte sous seing privé du 12 juin 2014, la société d’économie mixte INCITE BORDEAUX METROPOLE TERRITOIRES a donné à bail commercial à l’EURL NOMAAD, pour une durée de neuf ans à compter du 15 août 2014, un local situé [Adresse 2] à [Localité 4], moyennant un loyer annuel initial de 7.000 euros hors taxes et hors charges pour l’exploitation d’un fonds de commerce de vente de vêtements et accessoires de mode.
Le fonds de commerce a été cédé le 02 septembre 2022 à la SARL AM RETAIL.
Le 03 février 2023, le bailleur a fait signifier au preneur un congé avec offre de renouvellement du bail à compter du 15 août 2023, contenant une proposition de payer un loyer renouvelé déplafonné annuel de 23.000 euros hors taxes et hors charges.
Le 07 février 2023, le preneur a notifié au bailleur son accord sur le renouvellement du bail, et son opposition sur le montant du nouveau loyer proposé.
Après notification par lettre recommandée avec accusé de réception d’un mémoire préalable le 17 juillet 2023, la société d’économie mixte INCITE BORDEAUX METROPOLE TERRITOIRES a, par acte du 08 janvier 2024, fait assigner la SARL AM RETAIL devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Bordeaux en vue de la fixation du prix du bail renouvelé à compter du 15 août 2023.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
A l’audience, la SEM INCITE, soutenant son mémoire notifié par lettre recommandée avec accusé de réception signé le 04 avril 2024 et déposé au greffe le 29 mars 2024, sollicite du juge des loyers commerciaux de:
A titre principal :fixer le loyer du bail renouvelé à la somme annuelle de 23.000 euros hors taxes et hors charges à compter du 15 août 2015,condamner la société AM RETAIL à lui régler la différence entre le loyer ainsi fixé et le loyer effectivement versé depuis le 15 août 2023 et ce, dans un délai de 8 jours,condamner la société AM RETAIL à lui régler les intérêts légaux sur le trop perçu de loyers, conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil, à compter du 15 août 2023,à titre subsidiaire :ordonner une mesure d’expertise avec pour objet la détermination de la valeur locative du bail renouvelé,juger que la consignation des sommes à valoir sur les honoraires de l’expert est à la charge de la société AM RETAIL,fixer le montant du loyer provisionnel dû à la somme annuelle de 7.361euros pendant la période de la procédure,en tout état de cause :condamner la société AM RETAIL au paiement des dépens de l’instance, et à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,débouter la société AM RETAIL de l’ensemble de ses demandes.
La société INCITE soutient, en application des articles L145-33 et L145-34 du code de commerce que le loyer du bail renouvelé le 15 août 2023 doit être déplafonné et fixé à la valeur locative des locaux en raison de la modification notable des facteurs locaux de commercialité caractérisée par l’accroissement de la population à [Localité 4] durant le bail écoulé, l’augmentation du nombre d’établissements commerciaux, et l’expansion économique du fait de ce flux de nouveaux arrivants en centre-ville. Elle expose que la [Adresse 5], située à proximité du centre historique de [Localité 4], est une rue animée et très fréquentée, empruntée tant par les touristes que par les bordelais, dans un quartier dans lesquels de nombreux commerces et restaurants se sont implantés au cours des dix dernières années, avec un constat de gentrification en cours. Elle ajoute que la rénovation du palais des sports, situé à proximité et qui accueille toutes sortes d’événements sportifs et scolaires, a eu un impact positif sur l’environnement des locaux et a insufflé une nouvelle dynamique au quartier. Elle indique que plusieurs immeubles ont fait l’objet de création ou de réhabilitation pour accueillir la population en augmentation croissante. Elle fait également valoir que la bonne desserte des locaux loués par les transports en commun, les locaux étant situés à 500 mètres d’une station de tramway, contribue à la densification et la mutation du quartier.
La société INCITE prétend que la valeur locative doit être fixée, au regard des caractéristiques du local bien situés, bénéficiant d’une belle visibilité, d’une taille importante et en très bon état, mais également compte tenu des clauses extrêmement favorables du bail, notamment la liberté de cession du fonds, et du fait des éléments de comparaison produits, à la valeur de 380 euros /m2. Elle propose de fixer la surface pondérée à 31m2 sur la base d’une surface utile de 110 m2, en appliquant un taux de pondération de 0,3 à la cave de 70m2, et un taux de 1 aux deux autres zones de 40 m2 chacune.
A l’audience, la SARL AM RETAIL, soutenant son mémoire notifié par lettre recommandée avec accusé de réception le 09 février 2024, demande au juge des loyers commerciaux de:
débouter la société INCITE BORDEAUX METROPOLE TERRITOIRES de ses demandes,subsidiairement si une expertise est ordonnée, juger que la société INCITE BORDEAUX METROPOLE TERRITOIRES devra en supporter les frais,condamner la société INCITE BORDEAUX METROPOLE TERRITOIRES au paiement des dépens qui comprendront les frais d’expertise judiciaire et à lui payer une indemnité de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La SARL AM RETAIL fait valoir que le bailleur ne justifie pas qu’il serait survenu une modification notable des facteurs de commercialité pendant la période du bail expiré. Ainsi, elle prétend que le palais des sports n’est pas une construction nouvelle et que sa présence ne peut justifier une modification notable des facteurs de commercialité pendant la période de référence du bail expiré. Elle ajoute que le parking situé à proximité existait lors de la conclusion du bail. Elle précise également que le palais des sports est un lieu où sont organisées des manifestations qui ont lieu en soirée, à un horaire où le commerce est fermé.
Elle soutient qu’aucun élément ne justifie d’une augmentation de la fréquentation des abords immédiats du local commercial.
Ainsi, selon la société AM RETAIL les éléments invoqués ne peuvent justifier d’augmentation du loyer dès lors qu’ils ne se sont pas produits avant l’année de référence, ou qu’ils sont trop éloignés du commerce, la zone de chalandise étant située dans un rayon de 300 mètres, soit en raison de leur absence d’impact sur le commerce.
Elle ajoute que les obligations respectives des parties n’ont pas évolué depuis son rachat du fonds de commerce par lequel elle a pris la suite du précédent locataire en conservant le bail en vigueur.
Elle prétend par ailleurs que le bailleur ne justifie pas des références locatives invoquées.
Au soutien de sa demande subsidiaire, étant toutefois rappelé qu’une expertise ne peut suppléer la carence du demandeur dans la preuve, elle expose que l’expertise ordonnée ne pourra l’être qu’aux frais du bailleur.
MOTIVATION
Sur la demande de fixation du montant du loyer du bail commercial
En application de l’article L145-33 du code de commerce, le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative et, à défaut d’accord, cette valeur est déterminée d’après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité et les prix couramment pratiqués dans le voisinage.
En vertu de l’article L145-34 du code de commerce, à moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1 à 4 de l'article L. 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques. A défaut de clause contractuelle fixant le trimestre de référence de cet indice, il y a lieu de prendre en compte la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires, calculée sur la période de neuf ans antérieure au dernier indice publié.
En cas de renouvellement postérieur à la date initialement prévue d'expiration du bail, cette variation est calculée à partir du dernier indice publié, pour une période d'une durée égale à celle qui s'est écoulée entre la date initiale du bail et la date de son renouvellement effectif.
Les dispositions de l'alinéa ci-dessus ne sont plus applicables lorsque, par l'effet d'une tacite prolongation, la durée du bail excède douze ans.
En cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1 à 4 de l'article L. 145-33 ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente.
En vertu de l’article R145-30 du code de commerce, lorsque le juge s'estime insuffisamment éclairé sur des points qui peuvent être élucidés par une visite des lieux ou s’il lui apparaît que les prétentions des parties divergent sur de tels points, il se rend sur les lieux aux jour et heure décidé par lui le cas échéant en présence d’un consultant.
Toutefois, s’il estime que des constatations purement matérielles sont insuffisantes, il peut commettre toute personne de son choix pour y procéder.
Si les divergences portent sur des points de fait qui ne peuvent être tranchés sans recourir à une expertise, le juge désigne un expert dont la mission porte sur les éléments de fait permettant l’appréciation des critères définis, selon le cas, aux articles R145-3 à R145-7, L145-34, R145-9, R145-10 ou R145-11, et sur les questions complémentaires qui lui sont soumises par le juge.
Toutefois, si le juge estime devoir limiter la mission de l’expert à la recherche de l’incidence de certains éléments seulement, il indique ceux sur lesquels elle porte.
En l’espèce, la société INCITE qui supporte la charge de la preuve de l’existence d’un motif de déplafonnement, produit au soutien de sa demande un article de presse justifiant de la rénovation du palais des sports en 2016, soit pendant la période du bail expiré, dont il résulte que celui-ci accueille des équipes professionnelles de basket et de volley, des associations de quartier et des établissements scolaires.
Elle produit également une « carte de chaleur » dont il résulte que la [Adresse 5] bénéficie d’une fréquentation journalière comprise entre 9500 et 18900 au 25 mars 2024.
L’existence de ces éléments factuels, dans l’environnement immédiat du commerce, n’est pas contestée par le preneur, lequel soutient toutefois l’absence de modification notable pour son commerce des facteurs locaux de commercialité, laquelle n’est, en l’état des éléments produits au débat, pas démontrée par la société bailleresse, qui se contente d’allégations sur l’évolution favorable de la commercialité.
Toutefois, et sans que cela ne consiste à pallier la carence de l’une des parties dans l’administration de la preuve, la bailleresse ayant produit quelques éléments relatifs à une modification substantielle apportée au quartier durant la période du bail écoulé, cette divergence des parties sur des éléments de fait justifie d’ordonner une expertise.
En conséquence, il convient d’ordonner une expertise judiciaire qui donnera des éléments d’appréciation sur l’existence ou non d’une évolution notable des facteurs locaux de commercialité, et sur la détermination de la valeur locative, expertise qui se fera aux frais avancés de la société INCITE, demanderesse à l’instance, et qui supporte à ce titre la charge de la preuve.
Durant le cours de l’expertise, il convient de fixer un loyer provisionnel au montant du loyer contractuel en cours (7.361 euros).
Sur les frais du procès
- dépens
En vertu de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
En l’espèce, la procédure n’étant pas parvenue à son terme, les dépens seront réservés dans l’attente de la suite de la procédure.
- Frais irrépétibles
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. [...]. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations dire qu’'il n'y a pas lieu à ces condamnations. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.
Les dépens étant réservés, il convient également de réserver l’examen de la demande formée au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Le juge des loyers commerciaux,
Avant dire droit, sur la demande de fixation du prix du bail renouvelé le 15 août 2023 entre la société d’économie mixte INCITE BORDEAUX METROPOLE TERRITOIRES et la SARL AM RETAIL portant sur le local situé [Adresse 2] à [Localité 4], ordonne une mesure d’expertise confiée à monsieur [U] [M], demeurant CABINET [M] [Adresse 3] , pour y procéder, avec mission de:
1 - se rendre sur les lieux et les décrire, entendre toutes parties et sachant dont la technicité s’avérerait utile à la solution du litige, se faire remettre tous documents nécessaires par les parties ou par des tiers conformément à l’article 243 du code de procédure civile, recueillir des informations écrites ou orales de toutes personnes selon les modalités de l’article 242 du code de procédure civile,
2 - donner tous éléments de nature à vérifier, sur la période du bail expiré du 15 août 2014 au 15 août 2023, l’existence des critères de déplafonnement invoqués par le bailleur, à savoir : les facteurs locaux de commercialité
et évaluer la valeur locative en conformité avec les dispositions de l’article L 145-33 du code de commerce, en donnant, en toute hypothèse, le montant du loyer fixé selon les modalités contractuelles par application de l’article L 145-34,
3 - de manière générale, donner tout avis utile à la solution du litige,
Dit que l’expert devra établir un pré-rapport en communiquant ses premières conclusions écrites aux parties, en les invitant à présenter leurs observations, dans le délai de trois mois à compter de l’avis de consignation;
Dit que l’expert devra déposer son rapport définitif en double exemplaire dans le délai de six mois à compter de l’avis de consignation ;
Fixe à la somme de 2.500 euros la provision que le demandeur, la société d’économie mixte INCITE BORDEAUX METROPOLE TERRITOIRES, devra consigner par virement sur le compte de la régie du tribunal judiciaire de Bordeaux (cf code BIC joint) mentionnant le numéro PORTALIS (figurant en haut à gauche sur la première page de la présente décision) dans le délai de deux mois, faute de quoi l’expertise pourra être déclarée caduque, et ce à moins que cette partie ne soit dispensée du versement d’une consignation par application de la loi sur l’aide juridictionnelle, auquel cas les frais seront avancés par le Trésor ;
Dit que le juge des loyers commerciaux suivra les opérations d’expertise et statuera sur les incidents procédant, le cas échéant, sur simple requête, au remplacement de l’expert empêché ;
Dit que le preneur durant l’instance sera tenu au paiement du loyer contractuel en cours à la date du renouvellement (7.361 euros hors taxes et hors charges) ;
Rappelle, en application du troisième alinéa de l’article R 145-31 du code de commerce, qu’en cas de conciliation intervenue au cours d’une mesure d’instruction, l’expert commis constate que sa mission est devenue sans objet et en fait rapport au juge, mention en étant faite au dossier de l’affaire et celle-ci étant retirée du rôle, les parties pouvant demander au juge de donner force exécutoire à l’acte exprimant leur accord ;
Réserve l’examen des demandes au titre des dépens et de l’article 700 du code de procédure civile ;
Ordonne le sursis à statuer sur le surplus des chefs de demande jusqu’au dépôt du rapport d’expertise ;
Dit que dès le dépôt du rapport définitif, le greffe avisera les parties ou les avocats si elles sont représentées, de la date à laquelle l’affaire sera reprise et de celle à laquelle les mémoires faits après l’exécution de la mesure d’instruction devront être échangés, en application de l’article R 145-31 du code de commerce ;
La présente décision a été signée par Myriam SAUNIER, Vice-Présidente, et par Céline DONET, Greffier présent lors du prononcé.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE