N° RG 22/05617 - N° Portalis DBX6-W-B7G-W3H6
7EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
7EME CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT DU 30 Juillet 2024
50D
N° RG 22/05617
N° Portalis DBX6-W-B7G-W3H6
Minute n° 2024/
AFFAIRE :
[M] [U] née [C]
C/
COMMUNE DE [Localité 4]
Grosse Délivrée
le :
à
Avocats :
la SCP COULOMBIE - GRAS - CRETIN - BECQUEVORT - ROSIER
l’AARPI GRAVELLIER - LIEF - DE LAGAUSIE - RODRIGUES
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et du délibéré :
Madame Marie-Elisabeth BOULNOIS, Vice-Présidente,
statuant en Juge Unique.
Lors des débats et du prononcé :
Monsieur Eric ROUCHEYROLLES, Greffier
DEBATS :
à l’audience publique du 28 Mai 2024
JUGEMENT :
Contradictoire
En premier ressort
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe
DEMANDERESSE
Madame [M] [U] née [C]
née le 13 Février 1955 à [Localité 4] (GIRONDE)
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Maître Charlotte DE LAGAUSIE de l’AARPI GRAVELLIER - LIEF - DE LAGAUSIE - RODRIGUES, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
DEFENDERESSE
COMMUNE DE [Localité 4] prise en la personne de son Maire en exercice
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Clotilde GAUCI de la SCP COULOMBIE - GRAS - CRETIN - BECQUEVORT - ROSIER, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
Par acte authentique en date du 11 septembre 2018, la Commune de [Localité 4] a vendu à Madame [M] [C] épouse [U] une parcelle cadastrée ZE [Cadastre 3] moyennant la somme de 28.180 €.
Lors de travaux, Madame [U] s'est aperçue que son terrain était traversé par une canalisation d'alimentation en eau potable.
Elle s'est rapprochée de la Commune pour solliciter une indemnisation.
Madame [U] a fait dresser un procès-verbal de constat d'huissier le 18 août 2021.
Faute de solution amiable, elle a, par acte en date du 29 juillet 2022, fait assigner au fond devant le Tribunal judiciaire la Commune de [Localité 4] afin d'obtenir l'indemnisation d'un préjudice.
Suivant dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 janvier 2023, Madame [M] [C] épouse [U] demande au Tribunal de :
VU LES ARTICLES 1604 ET 1116 DU CODE CIVIL ;
JUGER que l'immeuble vendu n'est pas conforme aux prévisions contractuelles en ce qu'il
comporte une servitude non déclarée ;
JUGER si aucun acte de servitude n'a été signé par la Commune, que celle-ci a dissimulé à son acquéreur l'existence d'une canalisation en sous-sol du terrain et a commis une réticence dolosive ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
CONDAMNER la Commune de [Localité 4] à verser à Madame [U] une somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts ;
CONDAMNER la Commune de [Localité 4] à verser à Madame [U] une somme de 4.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Suivant dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 mars 2023, la Commune de [Localité 4], représentée par son Maire demande au Tribunal de :
Vu les dispositions des articles 1604, 1116, 1231-1 et 1240 du Code civil,
DEBOUTER Madame [U] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l’encontre de la Commune de [Localité 4],
CONDAMNER Madame [U] à verser la somme de 5 000 € à la Commune de [Localité 4] au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de l’instance, avec distraction au profit de la SCP CGCB & Associés au visa de l’article 699 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 juin 2023
MOTIFS :
Il résulte des articles 1604 et suivants du Code civil qu'il existe une obligation pour le vendeur de délivrer une chose conforme. L'article 1615 prévoit notamment que l'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel.
La délivrance suppose que l'acquéreur se voit remettre une chose répondant aux caractéristiques convenues avec le vendeur, quant aux éléments qui la composent et aux qualités qu'elle doit présenter.
En application de l'article 1217 code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :
refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;
poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;
obtenir une réduction du prix ;
provoquer la résolution du contrat ;
demander réparation des conséquences de l'inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.
L’acte de vente indique que le terrain n'est grevé d'aucune autre servitude que celles pouvant résulter de la situation naturelle des lieux, de la loi, de l'urbanisme et de tous règlements le régissant.
En l'espèce, il n'est pas contesté et corroboré par le constat d'huissier du 18 août 2021 et le courrier du SIAEPA du 13 décembre 2018 que la propriété de Madame [U] est traversée par une canalisation souterraine d'eau potable.
Certes, cette canalisation pourrait revêtir un caractère de servitude d'utilité publique conformément aux articles L.126-1 et e R.126-1 du Code de l'urbanisme. Cependant, il n'est pas contesté non plus que cette canalisation ne figurait pas au plan local d'urbanisme comme l'article L.126-1 du Code de l'urbanisme le prévoit et n'était pas établie en tant que servitude d'utilité publique, le certificat d'urbanisme du 23 mars 2018 délivré par la Commune de [Localité 4] et adressé au Notaire ayant procédé à la vente mentionnant que le terrain n'était grevé « d'aucune servitude d'utilité publique ».
Il en résulte que le terrain vendu à Madame [U] était affecté lors de la vente d'une servitude qui ne peut être qualifiée ni de naturelle ni de résultant de la loi, de l'urbanisme et de tous règlements le régissant.
Ainsi, le bien vendu n'est pas conforme à ce qui est stipulé. Peu importe que la Commune de [Localité 4] ait eu connaissance ou non de l'existence de cette canalisation, le défaut de délivrance conforme étant établi sans qu'il soit nécessaire de prouver sa connaissance par le vendeur. La responsabilité de la Commune de [Localité 4] est donc engagée de ce fait et elle sera tenue à réparation du préjudice en résultant.
Il résulte du courrier du SIAEPA en date du 13 décembre 2018 que la canalisation se situe sur une partie non constructible de la parcelle (définie par une distance de 15 mètres par rapport à l'axe de la voirie départementale) mais qu'il est recommandé de laisser libre de tout aménagement lourd (avec fondations) ou plantation d'arbre une bande de 1 mètre de part et d'autre de l'axe de la canalisation pour d'éventuelles interventions sur l'ouvrage.
Madame [U] soutient d'une part que la zone concernée de 15 mètres n'est pas interdite à la construction mais que sont interdits les excavations et les exhaussements et qu'elle subit de ce fait un préjudice car son bien s'en trouve déprécié et qu'elle ne peut en outre pas y installer par exemple un abri de voiture ou mettre des plantations.
La Commune de [Localité 4] fait valoir que la zone concernée est inconstructible et que Madame [U] ne justifie pas d'un préjudice.
En réalité, la zone est inconstructible et, effectivement, l'article 39 du règlement départemental de voirie prévoit que les excavations sont interdites en bordure du domaine public.
En tout état de cause, il résulte de la présence de la canalisation sur son terrain et du courrier du SIAEPA que Madame [U] est limitée dans les possibilités d'aménagement de son terrain, se devant de laisser libre l'accès à la canalisation sur une bande de 1 mètre de part et d'autre, alors que la canalisation est en bordure de son terrain côté route ce qui limite les possibilités de clôture ou plantation ou autre aménagement. Cette limitation entraîne en outre une dépréciation du terrain.
Il en résulte qu'elle subit un préjudice actuel et certain qui au regard de sa nature, de son ampleur et du coût d'achat du terrain de 28 180 euros sera justement réparé par l'octroi d'une somme de 3000 euros à titre de dommages et intérêts.
Si Madame [U] fait en outre valoir qu'elle subit un préjudice en ce que les services du SIAEPA devront pénétrer sur son terrain pour réaliser des travaux et que ces travaux pourront entrainer des déblais de terre et un préjudice esthétique, il ne s'agit actuellement que d'un préjudice hypothétique et non certain, alors que dans le cas où le SIAEPA occasionnerait fautivement des dégâts, elle pourra en demander réparation en temps utile, le SIAEPA s'engageant par ailleurs dans son courrier à toute remise en état et toute réparation d'éventuels dégâts. Elle sera en conséquence déboutée de toute demande de dommages et intérêts à ce titre.
La Commune de [Localité 4], partie perdante, sera condamnée aux dépens.
Au titre de l'équité, elle sera condamnée à payer à Madame [U] la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal,
CONDAMNE la Commune de [Localité 4] représentée par son Maire à payer à Madame [M] [C] épouse [U] la somme de 3000 euros à titre de dommages et intérêts.
CONDAMNE la Commune de [Localité 4] représentée par son Maire à payer à Madame [M] [C] épouse [U] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
DEBOUTE Madame [M] [C] épouse [U] du surplus de ses demandes.
CONDAMNE la Commune de [Localité 4] représentée par son Maire aux dépens.
RAPPELLE que l'exécution provisoire est de droit.
La présente décision est signée par Madame Marie-Elisabeth BOULNOIS, la Présidente, et Monsieur Eric ROUCHEYROLLES, Greffier.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,