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10/07/2024 | FRANCE | N°21/04600

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, 6ème chambre civile, 10 juillet 2024, 21/04600


6EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND



TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
6EME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 10 Juillet 2024
61B

RG n° N° RG 21/04600

Minute n°






AFFAIRE :

[N] [V], [W] [X] épouse [V]
C/
S.A. DECATHLON, Organisme CPAM DE LA GIRONDE








Grosse Délivrée
le :
à Avocats : Me Christine GIRERD
Me Dominique LAPLAGNE
la SELARL RACINE




COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Lors des débats en juge rapporteur :

Madame Louise LAGOUTTE, vice-pré

sident,
Madame Fanny CALES, juge,

Lors du délibéré et de la mise à disposition :

Madame Louise LAGOUTTE, vice-président,
Madame Marie-Aude DEL BOCA, vice-président,
Madame Fanny CALES, juge,

Gre...

6EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
6EME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 10 Juillet 2024
61B

RG n° N° RG 21/04600

Minute n°

AFFAIRE :

[N] [V], [W] [X] épouse [V]
C/
S.A. DECATHLON, Organisme CPAM DE LA GIRONDE

Grosse Délivrée
le :
à Avocats : Me Christine GIRERD
Me Dominique LAPLAGNE
la SELARL RACINE

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Lors des débats en juge rapporteur :

Madame Louise LAGOUTTE, vice-président,
Madame Fanny CALES, juge,

Lors du délibéré et de la mise à disposition :

Madame Louise LAGOUTTE, vice-président,
Madame Marie-Aude DEL BOCA, vice-président,
Madame Fanny CALES, juge,

Greffier présent lors des débats et de la mise à disposition : Madame Elisabeth LAPORTE,

DEBATS:

A l’audience publique du 15 Mai 2024,

JUGEMENT:

Contradictoire
En premier ressort
Par mise à disposition au greffe

DEMANDEURS

Monsieur [N] [V]
né le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 9]
de nationalité Française
[Adresse 7]
[Localité 4]

représenté par Me Dominique LAPLAGNE, avocat au barreau de BORDEAUX

Madame [W] [X] épouse [V]
née le [Date naissance 2] 1954 à [Localité 8] (33)
de nationalité Française
[Adresse 7]
[Localité 4]

représentée par Me Dominique LAPLAGNE, avocat au barreau de BORDEAUX

DEFENDERESSES

S.A. DECATHLON prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualités audit siège
[Adresse 5]
[Localité 6]

représentée par Maître Annie BERLAND de la SELARL RACINE BORDEAUX, avocats au barreau de BORDEAUX

CPAM DE LA GIRONDE prise en la personne de son directeur en exercice domicilié es qualités audit siège
[Adresse 10]
[Localité 3]

représentée par Me Christine GIRERD, avocat au barreau de BORDEAUX

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Monsieur [N] [V] (ci-après Monsieur [V]) expose avoir fait l'acquisition, le 15 juillet 2016, d'un fonds de jante pour vélo auprès du magasin DECATHLON de BORDEAUX-LAC.

Il indique avoir été victime d'une chute, le 17 mars 2017 et alors qu'il circulait à vélo, à la suite de la rupture de la jante arrière.

Il explique avoir été transporté aux services des urgences de la polyclinique BORDEAUX RIVE-DROITE où il a été constaté un traumatisme périnéal et scrotal avec hématome ainsi qu'une fracture de la dernière vertèbre sacrée.

Par courriers datés du 9 mai et 10 juillet 2017, Monsieur [V] a informé le magasin de sa chute et des conséquences qui en ont résulté, et sollicité l'indemnisation de ses préjudices.

M. [V] a restitué la jante au magasin DECATHLON où il l'avait acheté.

En mars 2018, l'assureur protection juridique de Monsieur [V] a adressé plusieurs courriers à la société DECATHLON et à son assureur la société AON, afin d'obtenir l'indemnisation du préjudice corporel de son assuré, en vain.

C'est dans ces conditions que par exploits d'huissier de justice du 14 et 21 juin 2018, Monsieur [N] [V] a saisi le Juge des référés du Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX afin qu'une expertise soit ordonnée pour évaluer son préjudice corporel.

Par ordonnance du 26 novembre 2018, le Juge des référés du Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX, saisi par Monsieur [V], a ordonné son expertise médicale et commis pour y procéder le docteur [P].

Par ordonnance de référé en date du 20 janvier 2020, le Juge des référés du tribunal judiciaire de BORDEAUX a fait droit à la demande de la société DECATHLON de voir déclarer les opérations d'expertises communes et opposables à la SAS MACH 1 et la société OROBICA CICLI SRL en leur qualité respective de vendeur et d'assembleur de la roue vendue à Monsieur [V].

L'Expert judiciaire a déposé son rapport le 18 mai 2021 et a fixé la date de consolidation des préjudices de Monsieur [V] au 10 octobre 2017.

Par exploits d'huissier de justice délivrés le 25 et 28 mai 2021, Monsieur [V] et son épouse Madame [W] [X] épouse [V] (ci-après Madame [V]) ont fait assigner au fond devant le Tribunal Judiciaire de BORDEAUX la société DECATHLON afin de la voir déclarer responsable de son accident du 17 mars 2017 et obtenir réparation de leurs préjudices et ce sur les fondements à titre principal de la responsabilité du fait des produits défectueux, à titre subsidiaire de la garantie légale des vices cachés et à titre infiniment subsidiaire de la responsabilité contractuelle, ainsi que, en qualité de tiers payeurs, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la GIRONDE (ci-après la CPAM de la GIRONDE).

Suivant conclusions d'incidents notifiées par voie électronique le 27 septembre 2022, la société DECATHLON a soulevé à l'encontre des consorts [V] une fin de non-recevoir tirée du défaut de leur qualité à agir contre elle sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux en ce qu'elle n'est pas le producteur de la jante, ainsi qu'une fin de non-recevoir tirée de la forclusion de leur action sur le fondement de la garantie des vices cachés en ce qu'elle a été intentée plus de 2 ans après l'assignation en référé du 26 novembre 2016, qui constituait le point de départ du délai.

Par ordonnance du 25 janvier 2023, le Juge de la mise en état a :
- Ecarté la fin de non-recevoir soulevée par la société DECATHLON et tirée du défaut de qualité pour agir et jugé que les demandes formées par les consorts [V] au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux pour défaut de sécurité de la jante, et ce dans les mêmes conditions que le producteur, étaient recevables ;
- Ecarté la fin de non-recevoir tirée de la forclusion de l'action et jugé que les demandes formées par les consorts [V] sur le fondement de la garantie légale des vices cachés étaient recevables
- Déclaré irrecevable la demande de la société DECATHLON de rejet des demandes des consorts [V] sur le fondement de la garantie des vices cachés ;
- Ordonné à la société DECATHLON à titre provisoire, de restituer à Monsieur [V] la jante qui lui a été vendue selon ticket de caisse du 15 juillet 2016 et ce sous astreinte provisoire de 30 euros par jours de retard, passé un délai de 15 jours après la signification de la décision, et ce durant un délai de 60 jours ;
- Réservé les demandes formées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Joint les dépens de l'incident aux dépens du fond ;

Suivant acte déclaratif à avocat notifié par voie électronique le 4 mai 2023, la société DECATHLON a déclaré ne pas être en mesure d'exécuter l'injonction de restitution de la jante prononcée par le Juge de la mise en état, ne l'ayant plus en sa possession.

La clôture est intervenue le 30 avril 2024 par ordonnance du juge de la mise en état du même jour et l'examen de l'affaire a été fixé à l'audience du 15 mai 2024.

Les parties ont été représentées à l'audience par leurs conseils respectifs.

L'affaire a été mise en délibéré au 10 juillet 2024.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 mai 2023, les consorts [V] demandent au Tribunal de :
- Condamner la société DECATHLON à verser à Monsieur [V] la somme de 33.464, 50 euros en réparation de son préjudice au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux ;
- Condamner la société DECATHLON à verser à Madame [V] la somme de 15.000 euros en réparation de son préjudice au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux ;
- Condamner la société DECATHLON à verser à Monsieur [V] la somme de 57, 94 euros au titre des vices cachés ;
- Condamner la société DECATHLON à verser à Monsieur [V] la somme de 800 euros en réparation de son préjudice moral au titre de la responsabilité contractuelle ;

- Assortir le montant des condamnations du taux à intérêt légal à compter du jugement à intervenir ;
- Condamner la société DECATHLON à verser aux époux [V] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner la société DECATHLON aux entiers dépens, avec recouvrement direct au profit de Maître Dominique LAPLAGNE, lesdits dépens comprenant les frais de procédure de référé, de l'expertise judiciaire et de l'action au fond ;

A l'appui de leur demande d'indemnisation des préjudices corporels de Monsieur [V], les consorts [V] font valoir au visa des articles 1245, 1245-1, 1245-3 et 1245-6 du Code civil, que la responsabilité de la société doit être engagée sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

A ce titre, ils exposent que la société DECATHLON doit être considéré comme le producteur de la roue et non comme un simple vendeur en ce qu'elle a acheté la roue en pièces détachées et sous-traité l'assemblage de la roue la société OROBICA et en ce qu'elle n'a pas désigné, dans le délai de 3 mois à compter de la demande d'indemnisation de Monsieur [V], le nom de son fournisseur ou producteur comme l'y oblige l'article 1245-5 du Code civil pour s'exonérer de sa responsabilité.

En outre, ils soutiennent que la chute de Monsieur [V] est due à la défectuosité de la jante arrière, caractérisée par le fait qu'elle se soit fracturée en pleine utilisation, ce qui a entraîné la chute de Monsieur et ses diverses blessures. Ils contestent le fait que la chute de Monsieur [V] puisse être à l'origine de la fracture de la jante. Ils contestent le moyen avancé par la société DECATHLON selon lequel Monsieur [V] aurait lui-même monté la roue à partir des pièces détachées achetées.

A l'appui de leur demande de dommages et intérêts formée pour l'indemnisation du préjudice sexuel par ricochet de Madame [V] les consorts [V] font valoir sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, que la responsabilité de la société DECATHLON doit être engagée en ce que Madame [V] subi un préjudice sexuel par ricochet.

A l'appui de leur demande de dommages et intérêts formée pour l'indemnisation du préjudice moral de Monsieur [V] à hauteur de la somme de 800 euros, les consorts [V] font valoir, au visa des articles 1104 et 1231-1 du Code civil, que la société DECATHLON a fait preuve de mauvaise foi dans l'exécution du contrat de vente de la jante en refusant de restituer la jante remise par celui-ci pour expertise et en ignorant ses demandes d'indemnisation, ainsi qu'en dissimulant la jante litigieuse.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 janvier 2024, la CPAM de la GIRONDE demande au Tribunal de :
- Juger la société DECATHLON responsable des préjudices subis par les consorts [V] ;
- Juger que le préjudice de la CPAM de la GIRONDE est constitué par les prestations versées dans l'intérêt de son assuré social, Monsieur [N] [V], correspondant à la somme de
8.269, 66 euros ;
- Condamner la société DECATHLON à lui verser la somme de 8.269, 66 euros au titre du remboursement des prestations, avec intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir
- Condamner la société DECATHLON à lui verser la somme de 1.191, 00 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions des articles 9 et 10 de l'ordonnance n°96-51 du 24 janvier 1996 ;
- Débouter la société DECATHLON de l'intégralité de ses demandes ;

- Condamner la société DECATHLON à lui verser la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens ;

La CPAM de la GIRONDE fait valoir à titre principal que la responsabilité de la société peut être recherchée sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux en ce que la jante souffre d'un défaut de sécurité, lequel a entraîné le bris de la jante.

A titre subsidiaire, elle fait valoir que la responsabilité de la société DECATHLON peut être recherchée sur le fondement de la garantie des vices cachés en ce que le vice grevant la jante existait nécessairement avant la vente compte tenu du délai qui s'est écoulé entre l'achat et la chute de Monsieur [V], qu'il est particulièrement grave en ce qu'il a causé la chute et qu'il a rendu la roue impropre à l'usage auquel elle était initialement destinée.

A titre infiniment subsidiaire, elle fait valoir que la responsabilité de la société DECATHLON peut être engagée sur le fondement de la responsabilité contractuelle en ce qu'elle a commis une faute en vendant un produit défectueux et en ce qu'elle n'a pas exécuté loyalement ses obligations en conservant la jante alors qu'elle devait la restituer à Monsieur et en s'abstenant de communiquer les résultats de l'expertise amiable.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 mars 2024, la société DECATHLON demande au Tribunal de :
A titre principal :
- Débouter les consorts [V] de l'ensemble de leurs demandes à l'encontre de la société DECATHLON ;
A titre subsidiaire :
- Limiter les sommes allouées à Monsieur [N] [V] au titre de l'indemnisation de ses préjudices en lien avec la chute du vélo du 17 mars 2017 comme suit :
* Déficit fonctionnel temporaire total : 150 euros
* Déficit fonctionnel temporaire partiel : 653, 75 euros
* Souffrances endurées : 4.000 euros
* Préjudice esthétique temporaire : 500 euros
* Préjudice esthétique définitif : 500 euros
- Débouter Monsieur [N] [V] de sa demande d'indemnisation de son préjudice sexuel et en cas de condamnation, limiter l'indemnisation à la somme de 3.000 euros ;
- Débouter Madame [W] [X] épouse [V] de sa demande d'indemnisation de son préjudice sexuel par ricochet et, en cas de condamnation, limiter l'indemnisation à la somme de 1.000 euros ;
- Débouter Monsieur [N] [V] de sa demande d'indemnisation de son préjudice moral à hauteur de 800 euros ;
- Débouter Monsieur [N] [V] de sa demande de restitution de la jante sous astreinte ;
- Débouter la CPAM de la GIRONDE de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société DECATHLON ;
- Réduire à de plus justes proportions les sommes allouées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et en cas de condamnation, limiter à 500 euros la somme accordée à la CPAM de la GIRONDE
- Ecarter l'exécution provisoire totale du jugement à intervenir et en cas de prononcé, limiter l'exécution provisoire à hauteur d'1/3 des condamnations ;

En tout état de cause :
- Condamner les consorts [V] et toute partie succombante à lui verser la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

La société DECATHLON fait valoir en premier lieu que sa responsabilité ne peut être engagée sur le fondement du fait des produits défectueux. Elle expose qu'elle n'est que le vendeur de la jante et que les sociétés OROBICA et MACH 1 en sont les véritables producteurs, en ce que la première a procédé à la fabrication finale du produit et la seconde a fourni les pièces détachées. Elle estime donc que sa responsabilité ne peut être engagée dès lors que le producteur et fournisseur sont identifiés et que les consorts [V] auraient du mieux diriger leur action.

En outre, elle estime que les circonstances de la chute de Monsieur [V] sont indéterminées en ce que, d'une part, il est impossible de déterminer sur le fondement d'une seule photographie si la jante était fracturée avant ou après la chute et, d'autre part, Monsieur [V] ne rapporte pas la preuve des conditions dans lesquelles il a procédé au montage de la roue, achetée en pièces détachées.

En second lieu, la société DECATHLON fait valoir que sa responsabilité ne peut pas d'avantage être engagée sur le fondement de la garantie des vices cachés.

À titre subsidiaire, si elle venait à être condamnée à indemniser les préjudices des consorts [V], la société DECATHLON demande à ce qu'ils soient ramenés à de plus justes proportions.

Sur le préjudice sexuel par ricochet allégué par Madame [V], la société DECATHLON sollicite le rejet de la demande d'indemnisation en ce que Madame ne subit pas personnellement une atteinte à ses organes sexuels ou génitaux ou une perte de libido, qu'il est impossible de présager du futur de sa vie sexuelle avec Monsieur et qu'en tout état de cause le préjudice sexuel de celui-ci n'est pas caractérisé. En cas de condamnation, elle sollicite que l'indemnisation soit limitée à la somme de 1.000 euros.

Concernant les prétentions de la CPAM de la GIRONDE, la société DECATHLON fait valoir que la Caisse ne démontre pas la réalité de sa créance en faisant état d'une notification définitive de débours non détaillés et qu'il lui appartient de justifier chaque acte médical et pharmaceutique effectué ainsi que leur cotation.

En outre, la société indique que l'imputabilité de la créance au manquement de cette dernière n'est pas démontrée en ce qu'il n'y aucun lien direct et certain entre l'accident et les dépenses de santé engagées, la concordance des dates étant à elle seule insuffisante.

MOTIFS

Sur la responsabilité de la S.A. DECATHLON au titre du fait des produits défectueux

A. Sur la qualité de la société DECATHLON

Selon l'article 1245-6 alinéa 1er du Code civil, si le producteur ne peut être identifié, le vendeur, le loueur, à l'exception du crédit-bailleur ou du loueur assimilable au crédit-bailleur, ou tout autre fournisseur professionnel, est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à moins qu'il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée.

En l'espèce, la société DECATHLON fournit des pièces tendant à établir qu'elle a acheté à la société MACH 1 des éléments et qu'un contrat confiait la réalisation d'article de sports à OROBICA. Il ne saurait néanmoins s'en déduire qu'elle était productrice de cette jante pour avoir commandé son assemblage à la société OROBICA.

Dès lors, la société DECATHLON ne saurait être considérée comme le producteur de la jante litigieuse et doit être considérée comme vendeur.

Cependant, il résulte du courrier de relance de Monsieur [V] du 10 juillet 2017 que celui-ci a mis en demeure la société DECATHLON de lui apporter une réponse sur sa demande d'indemnisation dans un délai de 10 jours sous peine d'être attraite en justice et de voir sa responsabilité recherchée.

Dès lors le délai de 3 mois prévu par l'article 1245-6 alinéa 1er du Code civil a commencé à courir à cette date, pour expirer au 18 octobre 2017.

Or, il ne résulte d'aucune pièce versée aux débats que la société DECATHLON a désigné les sociétés MACH 1 et OROBICA comme étant son fournisseur ou producteur de la jante litigieuse avant le 18 octobre 2017.

Le Juge des référés n'a déclaré les opérations d'expertises opposables aux sociétés MACH 1 et OROBICA que par ordonnance du 20 janvier 2020, soit bien après l'expiration du délai.

De même, il n'est pas possible de déduire de cette décision que les qualités de producteur et de fournisseur ont été reconnues à l'encontre de ces sociétés, l'appréciation de ces éléments relevant de la juridiction du fond.

Par conséquent, la responsabilité de la société DECATHLON peut être retenue en cas défectuosité du produit.

B. Sur la défectuosité du produit

Selon l'article 1245-3 du Code civil, un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.

La charge de la preuve de la défectuosité du produit pèse sur celui qui l'allègue.

En l'espèce, il résulte des différents certificats médicaux que Monsieur [V] a déclaré de manière répétée qu'il a chuté à vélo, ce qui est également indiqué par Madame [V] dans son attestation. La société DECATHLON ne conteste pas l'existence de cette chute.

Il y a donc lieu de considérer que cette chute est le fait générateur du dommage de Monsieur [V] et des préjudices qui en ont résulté, ce qui n'est au demeurant pas non plus contesté par la société DECATHLON

L'imputabilité de la chute à la défectuosité de la jante en revanche contestée par la société DECATHLON.

S'agissant de la défectuosité du produit, il résulte de la photographie de la roue versée aux débats que la jante est bien fracturée, mais ce seul élément ne peut suffire à prouver l'existence d'une défectuosité du produit.

En effet, d'une part, rien ne permet de déterminer l'origine et la temporalité de la photographie et ce faisant, de vérifier qu'il s'agit bien de la jante litigieuse, par comparaison avec le ticket de caisse et les factures versées par la société DECATHLON. D'autre part, il n'est pas possible de déterminer si la fracture de la jante est la cause ou la conséquence de la chute de Monsieur [V]. Enfin, il n'est pas possible de déterminer, après analyse du ticket de caisse, si la potentielle défectuosité de la jante est intrinsèque ou consécutive à un mauvais montage de la roue et de celle-ci sur le vélo, ni qui y a procédé entre la société DECATHLON et Monsieur [V].

En outre, Monsieur [V] reproche à DECATHLON d'avoir perdu la jante alors qu'il la lui avait remise pour qu'elle soit expertisée de manière amiable. Si, à travers la déclaration de sinistre qu'elle a fait à son assureur, la société DECATHLON reconnaît avoir été mise en possession de la jante, il ne résulte d'aucune pièce versée aux débats que cette remise devait conduire à l'expertise technique du produit.

La société DECATHLON, qui ne conteste pas ne plus avoir la jante en sa possession, allègue qu'en tout état de cause, le produit était inutilisable.

Or, l'on ne saurait déduire ni du caractère inutilisable d'un produit, ni de son absence de restitution, la preuve certaine d'une défectuosité.

Dès lors, l'absence d'organisation par DECATHLON d'une expertise de la jante et l'absence ultérieure de sa restitution ne suffisent pas à prouver l'existence de la défectuosité du produit.

La non-restitution, peut, tout au plus, caractériser une faute de la société DECATHLON dans ses relations post-contractuelles avec les consorts [V], occasionnant pour eux une perte de chance de voir la jante expertisée et de démontrer que la chute de Monsieur serait consécutive à une défectuosité du produit.

La preuve du caractère défectueux de la jante et par conséquent, de son rôle causal dans la chute de Monsieur [V], n'est donc pas rapportée.

Par conséquent, les consorts [V] doivent être déboutés de leurs demandes.

Sur la demande de restitution du prix de vente

1. Sur l'applicabilité du régime de la garantie des vices cachés

Selon l'article 1245-17 du Code civil, le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité.

Il est ainsi de principe que si le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, c'est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents.

En l'espèce, la demande formée au titre des vices cachés a pour objet la restitution du prix de vente de la jante et non pas la réparation des préjudices corporels des consorts [V]. Son objet est donc différent de celui de la demande formée au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Par conséquent, le régime de la garantie des vices peut s'appliquer et les consorts [V] sont fondés à former une demande à ce titre.

2. Sur le vice caché

Selon l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

La charge de la preuve du vice incombe à celui qui l'allègue.

En l'espèce, à l'instar du défaut de conformité, le vice de la jante ne saurait d'avantage être prouvé par le seul examen de la photographie aux débats, en l'absence d'expertise technique et par l'absence de restitution du produit par la société DECATHLON.

Par conséquent, la preuve d'un vice de la jante au moment de la vente n'est pas rapportée et les époux [V] doivent être déboutés de leur demande.

Sur la demande de dommage et intérêts formée au titre de la responsabilité contractuelle de la SA DECATHLON

Il résulte des termes de l'article 1104 du même Code que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

Il résulte enfin des dispositions de l'article 1231-1 que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

Les consorts [V] demandent à ce que la responsabilité de la société DECATHLON soit recherchée au titre de sa responsabilité contractuelle en qualité de vendeur, pour avoir exécuté le contrat de vente de mauvaise foi, en ignorant leurs demandes successives d'indemnisation, en en refusant de restituer la jante qui lui avait été remise pour expertise et en la dissimulant.

En l'espèce, il est constant qu'un contrat de vente a été conclu entre Monsieur [V] et la société DECATHLON le 15 juillet 2016 et exécuté en ce que Monsieur a été mis en possession de la roue et de la jante en contrepartie du paiement de la somme de 57, 94 euros.

Le défaut de restitution de la jante postérieur à l'exécution du contrat est susceptible de caractériser une faute au regard des dispositions de l'ordonnance du Juge de la mise en état du 25 janvier 2023.

Néanmoins, cette faute ne peut pas être rattachée à une mauvaise exécution du contrat.

Par conséquent, les consorts [V] doivent être déboutés de leur demande.

Sur les demandes formées par la CPAM de la GIRONDE

La responsabilité de la société DECATHLON n'étant pas établie à l'égard des demandeurs et la CPAM de la GIRONDE étant subrogée dans les droits de la victime, il y a lieu de la débouter de ses propres demandes.

Sur les frais du procès et l'exécution provisoire

A. Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du Code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En l'espèce, les consorts [V], parties perdantes seront condamnées aux dépens, ceux-ci comprenant les dépens de l'incident et les dépens du fond.

B. Sur les demandes au titre des frais irrépétibles

Aux termes de l'article 700 du Code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer 1° à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

En équité, il n'y a pas lieu de condamner les consorts [V] au paiement des frais irrépétibles.

3. Sur l'exécution provisoire

Selon l'article 514 du Code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

En l'espèce, il sera rappelé au dispositif que le présent jugement est exécutoire de plein droit à titre provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal,

DEBOUTE Monsieur [N] [V] et Madame [W] [X] épouse [V] de leurs demandes de dommages et intérêts formées sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux ;

DEBOUTE Monsieur [N] [V] et Madame [W] [X] épouse [V] de leur demande de restitution du prix de vente du fonds de jante formée sur le fondement de la garantie des vices cachés ;

DEBOUTE Monsieur [N] [V] et Madame [W] [X] épouse [V] de leur demande de dommages et intérêts formée sur le fondement de la responsabilité contractuelle ;

DEBOUTE la Caisse Primaire d'Assurances Maladie de la GIRONDE de l'ensemble de ses demandes

CONDAMNE Monsieur [N] [V] et Madame [W] [X] épouse [V] aux dépens, en ce compris les dépens de l'incident et les dépens au fond ;

REJETTE la demande d'indemnité formée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile par la S.A. DECATHLON ;

REJETTE les autres demandes des parties ;

RAPPELLE que le présent jugement est de plein droit exécutoire à titre provisoire.

Le jugement a été signé par Louise LAGOUTTE, président et Elisabeth LAPORTE, greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : 6ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/04600
Date de la décision : 10/07/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-10;21.04600 ?
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