TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
LOYERS COMMERCIAUX
30C
N° RG 22/06090 - N° Portalis DBX6-W-B7G-W6GX
Minute n° 24/00043
Grosse délivrée
le :
à
JUGEMENT RENDU LE TROIS JUILLET DEUX MIL VINGT QUATRE
Par devant Nous, Myriam SAUNIER, Vice-Présidente, Juge déléguée aux Loyers Commerciaux, en exécution des articles L 145-56 et R 145-23 du code de commerce, assistée de Céline DONET, Greffier.
Le Juge des Loyers Commerciaux,
A l’audience publique tenue le 15 Mai 2024 les parties présentes ou régulièrement représentées ont été entendues et l’affaire a été mise en délibéré au 03 Juillet 2024, et le jugement prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile
ENTRE :
Madame [H] [N]
née le 15 Octobre 1961 à [Localité 4], demeurant [Adresse 1]
Madame [K] [O]
née le 18 Janvier 0991 à [Localité 3], demeurant [Adresse 2]
représentées par Maître Patrick MAUBARET de la SCP D’AVOCATS INTER-BARREAUX MAUBARET, avocats au barreau de BORDEAUX,
ET :
S.A.S. AIDE A LOGEMENT MODERE, dont le siège social est sis [Adresse 2]
représentée par Maître Olivier MAILLOT de la SELARL CABINET CAPORALE - MAILLOT - BLATT ASSOCIES, avocats au barreau de BORDEAUX,
Qualification du jugement : contradictoire et en premier ressort
EXPOSE DU LITIGE
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par acte notarié du 31 janvier 2005, madame [I] [D] [M] veuve [L] a donné à bail commercial à la SARL COALA pour une durée de neuf ans un immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 3], moyennant un loyer annuel initial de 18.000 euros hors taxes et hors charges pour l’exploitation d’un fonds de commerce à usage d’hôtel, hôtel meublé ou location de studio ou appartement.
Le bail a été renouvelé par acte notarié du 29 avril 2015, le bien appartenant à madame [H] [E] épouse [N] et madame [K] [O] venant aux droits de madame [L] suite à une donation du 20 janvier 2012.
Par acte notarié du 27 juillet 2016, la société COALA a cédé son fonds de commerce, incluant le droit au bail, à la SAS AIDE A LOGEMENT MODERE.
Le 25 mars 2022, les bailleresses ont notifié au preneur un congé avec offre de renouvellement du bail à compter du 1er février 2023, contenant une proposition de payer un loyer renouvelé annuel de 66.000 euros hors taxes et hors charges.
Après notification par lettre recommandée avec accusé de réception d’un mémoire préalable le 13 mai 2022, madame [H] [E] épouse [N] et madame [K] [O] ont, par acte du 15 juillet 2022, fait assigner la SAS AIDE A LOGEMENT MODERE devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Bordeaux en vue de la fixation du prix du bail renouvelé à compter du 1er février 2023.
Par jugement du 11 janvier 2023, le juge des loyers commerciaux a constaté que le bail a été renouvelé à compter du 1er février 2023, que le montant du prix du bail doit être fixé à la valeur locative selon les modalités de l’article R145-10 du code de commerce, et avant dire droit, ordonné une mesure d’expertise confiée à monsieur [J].
L’expert a déposé son rapport le 10 juillet 2023.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
A l’audience, madame [H] [N] et madame [K] [O], soutenant leur mémoire notifié le 04 avril 2024 et déposé au greffe le 29 mars 2024, sollicitent du juge des loyers commerciaux, sous le bénéfice de l’exécution provisoire de droit, de :
fixer le loyer du bail renouvelé à compter du 1er février 2023 au montant annuel de 54.567 euros hors taxes et hors charges,condamner la SAS AIDE A LOGEMENT MODERE au paiement des intérêts au taux légal avec anatocisme sur la différence entre le loyer réglé et le loyer judiciairement fixé à compter de la signification de l’assignation (15 juillet 2022),condamner la SAS AIDE A LOGEMENT MODERE au paiement des dépens de l’instance, en ce compris les frais d’expertise judiciaire,condamner la SAS AIDE A LOGEMENT MODERE à leur payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Madame [H] [N] et madame [K] [O] soutiennent, en application de l’article R145-10 du code de commerce que les locaux loués pour un usage d’hôtel/hôtel meublé sont des locaux monovalents dont le loyer doit être fixée à la valeur locative déterminée selon les usages observés dans la branche d’activité considérée, excluant l’application des articles L145-33, R145-3 à R145-8 et ainsi tout abattement.
S’agissant de la détermination de la valeur locative, elles prétendent qu’il convient de retenir que la fourchette de pourcentage de recettes à appliquer pour ce type d’établissement non classé et situé en secondaire s’établit entre 21 et 25%. Ainsi, elles font valoir qu’au regard de la situation de l’établissement en plein centre-ville avec un accès et un attrait excellents, le pourcentage à retenir doit s’établir au taux médian de 23%, à appliquer au chiffre de recette de 237.250 euros.
A l’audience, la SAS AIDE A LOGEMENT MODERE, soutenant son mémoire notifié par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 mai 2024 et remis au greffe le même jour, demande au juge des loyers commerciaux de :
« constater que le bail se renouvellera le 1er février 2023 »,fixer le loyer commercial renouvelé à la somme annuelle hors taxes et hors charges de 26.900 euros,rejeter l’ensemble des demandes du bailleur,condamner madame [H] [N] et madame [K] [O] au paiement des dépens qui comprennent les frais d’expertise judiciaire,condamner madame [H] [N] et madame [K] [O] à lui payer une indemnité de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La SAS AIDE A LOGEMENT MODERE soutient que pour évaluer la valeur du loyer, s’agissant d’un hôtel situé en retrait des axes principaux, il convient d’écarter le taux médian dont l’application est sollicité par les bailleresses. La société preneuse expose qu’un taux plus bas de 18% doit être retenu compte tenu du nombre de chambres extrêmement réduit et de leur aménagement sommaire nécessitant des travaux de remise en état, et de la particularité de l’établissement résultant de sa vocation d’hébergement d’urgence temporaire et non touristique.
Elle ajoute que des abattements doivent être calculés à hauteur de 30% compte tenu de l’état général vétuste de l’immeuble, et à hauteur de 10% du fait de la présence dans le bail de clauses exorbitantes de transfert de charges de mise en conformité par obligation administrative sur le locataire. Elle soutient une erreur d’appréciation de l’article R145-8 du code de commerce par le bailleur, l’une des demandes d’abattement portant sur la vétusté du local, qui ne se heurte à aucune disposition légale.
S’agissant de la demande d’intérêts avec anatocisme, elle expose que les bailleresses ne visent aucun texte, l’article 1155 du code civil ayant été abrogé par l’ordonnance du 10 février 2016 sans être remplacé par aucun texte, et qu’en outre le point de départ des intérêts ne saurait être fixé au jour de l’assignation dès lors que le bail n’a été renouvelé qu’à compter du 1er février 2023.
MOTIVATION
Sur la demande de fixation du montant du loyer du bail commercial
L’article L145-36 du code de commerce prévoit que les éléments permettant de déterminer le prix des baux des terrains, des locaux construits en vue d’une seule utilisation et des locaux à usage exclusifs de bureaux sont fixés par décret en Conseil d’Etat.
En application de l’article R145-10 du code de commerce, le prix du bail des locaux construits en vue d’une seule utilisation peut, par dérogation aux articles L145-33 et R145-3 et suivants, être déterminé selon les usages observés dans la branche d’activité considérée.
En application de ce texte, la fixation de la valeur locative des établissements hôteliers prend en considération la recette théorique sur laquelle est appliquée un taux d’effort en intégrant tant des éléments positifs que des éléments négatifs lesquels incluent la mise à la charge du preneur de certains travaux, sans que cela ne relève de la mise en application de l’article R145-8 du code de commerce, étant au surplus relevé que la jurisprudence citée par les bailleresses pour s’opposer à la prise en compte de la clause exorbitante de droit commun et de l’état du local, portait non pas sur l’existence de charges exorbitantes de droit commun, mais sur la présence de travaux d’amélioration, ce qui est sans lien avec la situation soumise ici à l’appréciation du juge des loyers commerciaux.
En l’espèce, dans la précédente décision, il a déjà été statué sur la date de renouvellement du bail, et il a été constaté que le prix du bail renouvelé doit être fixé, compte tenu du caractère monovalent du local, à la valeur locative laquelle doit être déterminée au regard des éléments prévus par ce texte.
En application de cette méthode hôtelière, la recette théorique retenue par l’expert judiciaire, et non contestée par les parties, compte tenu de la caractéristique de l’hôtel qui n’est pas un hôtel de tourisme mais un hôtel de préfecture non conventionné, de son taux d’occupation de 100%, de son emplacement en centre-ville historique de [Localité 3], de son nombre réduit de chambres (13) présentant un aménagement sommaire et nécessitant pour certaines une remise en état, est de 237.250 euros, sur la base d’un prix journalier par chambre de 50 euros.
Il n’y a pas lieu d’affecter un abattement au titre de la vétusté, l’état du local ayant justement été englobée dans l’appréciation de l’expert au titre de l’état de l’immeuble pour déterminer la recette théorique d’hébergement et le taux d’effort appliqué. Il sera au surplus retenu que la vétusté alléguée relève, au regard des éléments exposés par l’expert d’un manque d’entretien des locaux par le locataire, sans qu’il ne soit apporté la preuve contraire, la seule production d’un devis de travaux à réaliser ne permettant pas d’imputer l’origine des désordres constatés.
En revanche, il existe dans le bail une clause qui met à la charge du preneur la réalisation des travaux de mise en conformité par obligation administrative, ce qui constitue une clause exorbitante du droit commun ayant une incidence lourde s’agissant d’une structure d’accueil du public, dont il doit être tenu compte, comme proposé par l’expert, dans la fixation du taux d’effort.
En l’espèce, compte tenu de la situation des locaux en centre-ville, de la gamme de l’établissement, de l’état du local, de l’existence de la clause exorbitante susvisée, le pourcentage proposé par l’expert de 20% apparaît pertinent.
Il convient par conséquent de fixer la valeur du loyer à compter du 1er février 2023 à la somme de 47.450 euros (237.250 euros X 20%).
La différence entre la somme due et la somme effectivement réglée portera intérêt au taux légal, non pas à compter de la date de l’assignation, date correspondant certes à la demande, mais date à laquelle le bail n’était pas encore renouvelé, mais à compter du 1er février 2023, date de renouvellement et à laquelle une demande avait été formée.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément à l’article 1343-2 du code civil.
Sur les frais du procès et l’exécution provisoire
- Dépens
En vertu de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
En l’espèce, l’expertise ayant été ordonnée dans l’intérêt commun des parties de voir fixer la valeur locative du local selon les modalités de l’article R145-10 du code de commerce, il convient de dire que les dépens, en ce compris les frais d’expertise, seront partagés par moitié entre elles.
- Frais irrépétibles
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. [...]. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations dire qu’il n'y a pas lieu à ces condamnations. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.
Chacune des parties étant par moitié tenue aux dépens, elles seront déboutées de leurs prétentions respectives formulées au titre des frais irrépétibles.
- Exécution provisoire
Conformément à l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.
En l’espèce, il convient donc de rappeler que l’exécution provisoire du jugement est de droit.
PAR CES MOTIFS
Le juge des loyers commerciaux,
Vu le jugement du 11 janvier 2023;
Fixe le prix du loyer du local situé [Adresse 2] à [Localité 3] au titre du bail conclu entre madame [H] [E] épouse [N] et madame [K] [O], bailleurs, et la SAS AIDE A LOGEMENT MODERE, preneur, renouvelé à effet du 1er février 2023 à la somme annuelle de 47.450 euros hors taxes et hors charges ;
Rappelle que les intérêts courent de plein droit au taux légal, à compter du 1er février 2023, sur la somme due au titre de la différence entre le loyer judiciairement fixé et le loyer réglé, avec capitalisation des intérêts échus pour une année au moins ;
Ordonne un partage par moitié des dépens, en ce compris les frais d’expertise judiciaire, et condamne madame [H] [E] épouse [N] et madame [K] [O] à en payer la moitié, et la SAS AIDE A LOGEMENT MODERE à en payer la moitié ;
Déboute madame [H] [E] épouse [N] et madame [K] [O] et la SAS AIDE A LOGEMENT MODERE de leurs demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rappelle que le présent jugement est assorti de l’exécution provisoire ;
La présente décision a été signée par Myriam SAUNIER, Vice-Présidente, et par Céline DONET, Greffier présent lors du prononcé.
LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE