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18/06/2024 | FRANCE | N°22/09930

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, 7ème chambre civile, 18 juin 2024, 22/09930


N° RG 22/09930 - N° Portalis DBX6-W-B7G-XL2L

7EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND



TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
7EME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 18 Juin 2024
54G

N° RG 22/09930
N° Portalis DBX6-W-B7G-XL2L

Minute n° 2024/





AFFAIRE :

Association [5]
Association ECOLE [6] (Intervenant Volontaire),
C/
S.A.S. SMS nouvellement dénommée AQUIO









Grosse Délivrée
le :
à
Avocats :
la SELAS ADALTYS AFFAIRES PUBLIQUES
la SELARL EMMANUEL LAVAUD
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COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Lors des débats et du délibéré :
Madame Anne MURE, Vice-Présidente
Madame Alice VERGNE, Vice-Présidente,
Madame Sandrine PINAULT, Juge

Lors des débats et du pro...

N° RG 22/09930 - N° Portalis DBX6-W-B7G-XL2L

7EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
7EME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 18 Juin 2024
54G

N° RG 22/09930
N° Portalis DBX6-W-B7G-XL2L

Minute n° 2024/

AFFAIRE :

Association [5]
Association ECOLE [6] (Intervenant Volontaire),
C/
S.A.S. SMS nouvellement dénommée AQUIO

Grosse Délivrée
le :
à
Avocats :
la SELAS ADALTYS AFFAIRES PUBLIQUES
la SELARL EMMANUEL LAVAUD

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Lors des débats et du délibéré :
Madame Anne MURE, Vice-Présidente
Madame Alice VERGNE, Vice-Présidente,
Madame Sandrine PINAULT, Juge

Lors des débats et du prononcé :
Monsieur Eric ROUCHEYROLLES, Greffier

DEBATS :

à l’audience publique du 12 Mars 2024,
Délibéré au 21 Mai 2024, prorogé au 04 Juin et 18 Juin 2024.

JUGEMENT :

Contradictoire
En premier ressort
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe

DEMANDERESSES

[5]
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Maître Emmanuel LAVAUD de la SELARL EMMANUEL LAVAUD, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

Association ECOLE [6] (Intervenante Volontaire)
[Adresse 1]
[Localité 7]

représentée par Maître Emmanuel LAVAUD de la SELARL EMMANUEL LAVAUD, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

DEFENDERESSE

S.A.S. SMS - SOCIETE MACONNERIES SERVICES nouvellement dénommée AQIO
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 2]

représentée par Maître Xavier HEYMANS de la SELAS ADALTYS AFFAIRES PUBLIQUES, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
*****************************

EXPOSE DU LITIGE

Aux termes d'un acte d'engagement du 6 juillet 2017 à effet du 19 juillet 2017, l'ASSOCIATION DE [5] ([5]) a confié à la SARL SOCIETE MACONNERIES SERVICES (SMS) le lot gros œuvre de la construction d'un bâtiment destiné à abriter une école de chiens guides à [Localité 7].

L’ordre de service n° 1 a été délivré le 27 octobre 2017 pour une fin de travaux le 27 novembre 2018. Des inondations et intempéries ont entraîné un arrêt de chantier de décembre 2017 au 30 avril 2018, où les travaux du lot gros oeuvre, intégrant une surélévation des bâtiments de 20 cm, ont débuté suite à l’ordre de service n° 2 du 27 avril 2018. Fin juin 2018, le lendemain du coulage d’une dalle, un affaissement important s’est produit. Les travaux ont été interrompus mi-juillet 2018 puis suspendus par ordre de service à compter du 29 octobre 2018.

Le maître d’ouvrage a alors suspendu le paiement des situations et la société SMS n’a pas repris les travaux, ensuite confiés à une entreprise tierce.

Saisi par la société SMS d’une demande de provision au titre d’un solde de factures impayé et d’une demande d’expertise, le juge des référés a, par ordonnance du 16 décembre 2019 confirmée par la cour d’appel le 8 décembre 2020, alloué une provision à hauteur de 67 299,92 euros correspondant au décompte établi par le maître d’oeuvre et visé, pour s’en remettre, par le propre conseil de l'association [5]. Le juge des référés a également fait droit à la demande d’expertise judiciaire, confiée à Monsieur [R], et rejeté la demande reconventionnelle du maître d’ouvrage en indemnisation de ses préjudices, en présence d’une contestation sérieuse.

Parallèlement, l’association [5] a assigné la société SMS devant le tribunal de grande instance de BORDEAUX par acte du 5 juillet 2019 en vue de voir juger que la résiliation du contrat aux torts de l’entreprise notifiée par le maître d’ouvrage le 13 juin 2019 est fondée et réparer ses préjudices.

N° RG 22/09930 - N° Portalis DBX6-W-B7G-XL2L

Suivant ordonnance du juge de la mise en état du 14 février 2020, il a été ordonné un sursis à statuer dans l’attente du dépôt de son rapport et le retrait de l’affaire du rôle.

Après dépôt du rapport de l’expert le 9 novembre 2022, l’affaire a été rétablie sur conclusions de reprise d’instance notifiées le 27 décembre 2022 par l’association [5] et par l’association ECOLE [6] ([6]), locataire des locaux litigieux et intervenante volontaire.

Suivant dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 février 2024, les associations [5] et [6] demandent de :
- dire et juger fondée la résiliation unilatérale du contrat par l’[5] aux torts exclusifs de la société SMS, devenue la société AQIO ;
- condamner la société SMS, devenue la société AQIO, à verser la somme de 539 803,86 euros à l’association [5] en réparation de son entier préjudice ;
- condamner la société SMS, devenue la société AQIO, à verser la somme de 270 348,90 euros à l’association [6] en réparation de son entier préjudice ;
- débouter la société SMS, devenue la société AQIO, de l’intégralité de ses demandes ;
- condamner la société SMS, devenue la société AQIO, au paiement de la somme de 10 000 euros à chacune des deux concluantes sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens par application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, et dont distraction au bénéfice de Maître Emmanuel LAVAUD en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Par dernières écritures notifiées par voie électronique 15 février 2024, la SAS AQIO, nouvelle dénomination de la société SMS, demande de :
- rejeter l’ensemble des demandes adverses,
- à titre reconventionnel,
- prononcer la résiliation du marché liant la société AQIO à l’association [5] aux torts de cette dernière à la date du 29 mai 2019,
- condamner l’association [5] à payer à la société AQIO une indemnité de 557 373,38 euros TTC à parfaire,
- condamner l’association [5] à payer à la société AQIO les intérêts dus sur les sommes qu’elle sera condamnée à payer au titre des réclamations 7 et 8, ainsi qu’au titre de la réclamation calculés sur la base d’un intérêt de 8 % conformément aux dispositions du CCAP, outre 40 euros au titre de l’indemnité forfaitaire,
- condamner l’association [6] à payer à la société AQIO une somme de 10 000 euros pour procédure abusive,
- condamner les défenderesses à payer à la société AQIO une indemnité de 8 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance en ce compris les frais d’expertise.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 1er mars 2024.

MOTIFS

Sur la résiliation du contrat

Les associations [5] et [6] demandent de voir dire fondée la résiliation unilatérale notifiée par l’association [5] par courrier de son conseil le 13 juin 2019, au motif principal que la société SMS a manqué à son obligation de résultat avant réception du seul fait de l’apparition de désordres en cours d’exécution, sans qu’une immixtion fautive du maître d’ouvrage, à défaut de compétence notoire et d’acte positif d’immixtion, ou qu’une acceptation des risques, non justifiée par la partie adverse, puisse lui être reprochée, et au motif subsidiaire que la défenderesse a commis des manquements graves par ses fautes d’exécution, son inertie à réagir aux multiples demandes de mai à octobre 2018 et son refus abusif de reprendre le chantier en mai 2019.

La société AQIO réplique que la résiliation du contrat doit être prononcée aux torts de l’association [5] au 29 mai 2019, date à laquelle elle-même a fait application de l’article 22.1.3.1 de la norme NF P 03-001, contractualisée par l’article 3 du CCAP, en se prévalant d’une résiliation aux torts du maître d’ouvrage après mise en demeure du 11 mars 2019 d’avoir à justifier d’une garantie de paiement et à régler ses situations restées impayées. Elle ajoute avoir elle-même valablement suspendu toute exécution du contrat en l’absence de tels paiements alors qu’elle avait multiplié les démarches pour qu’il soit mis fin à l’arrêt de chantier, en recherchant des modalités de reprise des désordres survenus, à la fois superficiels et non imputables à son activité mais à l’immixtion fautive du maître d’ouvrage et à son acceptation des risques, lorsqu’il a unilatéralement décidé fin 2017 de la suppression du rabattement des nappes prévu au CCTP VRD, ce qui a entraîné une humidité excessive des sols et la dégradation prématurée du Biocofra puis l’affaissement de la dalle.

Aux termes de l’article 1224 du code civil, la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.

L’article 1226 du même code dispose que le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. La mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat. Lorsque l'inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent. Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l'inexécution.

En application de ces dispositions, l’article 14 du CCAP prévoit en l’espèce que “Le contrat pourra être résilié par le maître d’ouvrage en cas de manquement grave par le Titulaire à l’une de ses obligations au titre du contrat, et, notamment, dans les cas suivants :
. non-exécution d’une ou plusieurs obligations contractuelles (...).
La résiliation ne pourra prendre effet qu’après une mise en demeure de la Société, par lettre recommandée avec accusé de réception, restée infructueuse pendant un délai de 15 jours. Cette lettre recommandée devra indiquer les motifs de la résiliation.
Dans ces cas non limitatifs, le maître d’ouvrage pourra résilier le présent marché sans indemnité pour le Titulaire qui subit en outre une pénalité non libératoire égale à 5 % du montant contractuel du marché. Cette résiliation se réalise aux frais et risques du titulaire défaillant. En conséquence, tout surcoût engendré par la passation d’un marché de substitution sera mis à la charge de celui-ci”.

Pour prétendre avoir elle-même résilié le contrat la liant à l’association [5], préalablement au maître d’ouvrage qui y a procédé le 13 juin 2019 au visa de ces stipulations contractuelles, la société AQIO soutient y avoir procédé le 29 mai 2019 conformément à l’article 22.1.3.1 de la norme NF P 03-001 contractualisée par l’article 3 du CCAP. Toutefois, l’article 3 du CCAP, qui précise les pièces du marché, mentionne la seule “Norme NF P 03-001", sans précision de date, de telle sorte qu’il n’est pas démontré que ce soit la norme de 2000 ou encore celle de 2017, visées par la société AQIO dans ses écritures, que les parties auraient entendu contractualiser. A défaut de justifier de la contractualisation de l’une ou l’autre de ces normes, le moyen doit donc être écarté, étant par ailleurs observé qu’en tout état de cause, il n’a nullement été fait usage d’une telle possibilité de résiliation par la société SMS par l’intermédiaire de son conseil dans son courrier du 29 mai 2019, celui-ci indiquant seulement que l’entrepreneur est fondé “à solliciter la résiliation du marché” ou à “obtenir la résiliation pour faute de l’[5]” ou encore que “A défaut d’accord amiable répondant aux exigences minimales de la société SMS d’ici le 7 juin [son conseil a] d’ores et déjà reçu mandat de saisir le tribunal de grande instance d’une action au fond afin d’obtenir la résiliation du marché aux torts de l’[5]” et que “A défaut d’accord d’ici le 7 juin sur ces exigences minimales, la société SMS saisira le juge d’une action au fond en vue d’obtenir la résiliation du marché aux torts de l’[5]”, l’ensemble ne caractérisant nullement un acte de résiliation unilatérale au 29 mai 2019.

Il convient donc de vérifier le bien-fondé de la résiliation notifiée par le conseil de l’association [5] le 13 juin 2019, par l’examen des motifs avancés dans ce courrier comme justifiant la résiliation aux torts exclusifs de la société AQIO, après mise en demeure notifiée le 17 mai 2019, restée infructueuse, d’avoir à justifier dans un délai de 15 jours d’une organisation et d’un planning pour la reprise des travaux notifiée par ordre de service du 25 mars 2019.

Il ressort de l’examen de ce courrier du 13 juin 2019 que la résiliation a été justifiée par la maîtrise d’ouvrage par les graves désordres relevés par le contrôleur technique, le maître d’oeuvre et le BET CUBE INGENIEURS à compter de mai 2018 et par l’absence de réponse technique et de solution aux demandes faites par ces derniers et par le maître d’ouvrage, y compris après une dernière mise en demeure du 17 mai 2019.

L’expert judiciaire a conclu que les désordres d’affaissements et de fissurations des dallages allégués par la société [5], non contestés dans le cadre de ses opérations et avérés, avaient pour cause un vice dans l’exécution, la plate-forme étant trop humide pour la mise en place du Biocofra et le béton ayant ensuite été coulé par des températures trop élevées, alors qu’un béton retardé ou la mise en place d’une cure auraient évité les déshydratations qui ont entraîné les fissurations. Les fissures sur les voiles et montantes au niveau de chaque linteau par ailleurs constatées par l’expert sont dues, suivant les analyses de la société SOCOTEC INFRASTRUCTURE qui a réalisé les investigations, reprises par Monsieur [R], au manque d’ancrage des filants inférieurs et à l’absence des barres HA12 à 45 ° prévues aux angles rentrants, caractérisant également un vice dans l’exécution.

La défenderesse soutient toutefois que ces désordres ne peuvent lui être imputés, en présence d’une immixtion fautive du maître d’ouvrage qui, assisté du maître d’oeuvre de l’opération, a décidé de la suppression du rabattement des nappes initialement prévu, sans en informer la société SMS, cette cause étant directement à l’origine de la destruction prématurée du Biocofra comme ayant entraîné une humidité résiduelle de la plate-forme. Toutefois, aucune compétence notoire du maître d’ouvrage lui-même n’est alléguée ni démontrée, de sorte que le moyen est inopérant. De même, c’est en vain que la défenderesse invoque une acceptation délibérée des risques par le maître d’ouvrage, en l’absence de toute argumentation factuelle à ce titre.

La société AQIO n’est pas plus fondée à affirmer que l’expert judiciaire n’aurait fait aucune démonstration des causes des désordres d’affaissement et de fissurations observés. En effet, elle-même rapporte que le béton a été livré les 7, 15 et 21 juin 2018, puis coulé du 13 juin au 3 août suivants, par des températures maximales de 31.6 ° C le 21 juin 2018, où la dalle du bâtiment B a été coulée, 30.9 ° C le 28 juin 2018 pour la dalle du bâtiment A et 36.7 ° C pour le bâtiment C, sans utilisation de béton retardé, pourtant indispensable au vu des températures supérieures à 25 ° C tel que rappelé par Monsieur [R] ; ce phénomène de retrait des bétons du fait d’un coulage par fortes températures a été également retenu comme cause des désordres dans son rapport du 27 février 2019 par le BET ETBA missionné par la société AQIO elle-même. En outre, cette dernière rappelle dans ses propres conclusions que c’est l’humidité résiduelle de la plate-forme qui a causé la destruction prématurée du Biocofra et entraîné les fissurations et affaissements : ayant accepté ce support, la société SMS, homme de l’art qui ne pouvait ignorer la grande sensibilité à l’eau du Biocofra, est tenue de supporter les conséquences dommageables des désordres survenus du fait de cette humidité excessive, comme l’a pertinemment rappelé l’expert judiciaire.

L’analyse de Monsieur [R] quant aux échanges entre les parties, corroborée par les pièces versées aux débats, montre par ailleurs que, si les éléments relevés par le contrôleur technique et le BET structures avant juin 2018 ont donné lieu à justification par la société SMS et levée des “réserves” opposées à ce titre, aucune réponse n’a toutefois été apportée par la défenderesse aux comptes-rendus et mises en demeure adressés à compter du 29 juin 2018, quant aux solutions à proposer pour remédier à la différence de niveau de 35 mm relevée sur le plancher béton et à l’affaissement local de la dalle du rez-de-chaussée et pour contrôler l’état et l’épaisseur du Biocofra sous la dalle et, ainsi, la hauteur du vide sanitaire indispensable pour pallier le risque lié à la présence d’argiles gonflantes, ce jusqu’au 5 octobre 2018 où la société SMS a indiqué au BET CUBE INGENIEURS, d’une part qu’elle considérait que les affaissements et fissures étaient liés à la présence d’argiles gonflantes et qu’elle avait procédé, la veille, à une déclaration de sinistre auprès de son assureur, d’autre part que l’exécution de l’angle n’était pas conforme aux règles de l’art et qu’une demande de réparation était faite à son sous-traitant.

Il est donc suffisamment démontré que, pendant quatre mois après l’affaissement partiel de la dalle béton réalisée par elle, la société SMS n’a apporté aucune réponse aux multiples demandes du maître d’oeuvre et du BET structures destinées à vérifier la pérennité de l’ouvrage par l’analyse du sol sous dalle et à remédier aux désordres d’affaissement dont la société SMS était à l’origine exclusive.

En l’absence de solutions techniques apportées au 29 octobre 2018, le chantier a été suspendu. La pérennité du bâtiment a finalement été constatée par le BET ETBA le 27 février 2019 malgré les désordres observés, provenant selon lui d’un phénomène de retrait des bétons dû probablement aux gros écarts de température lors du coulage, après confirmation le 9 janvier 2019 par le géotechnicien ESIRIS, missionné par l’association [5], de l’absence de risque de gonflement. Conformément à l’analyse du BET ETBA, l’expert judiciaire conclut que les affaissements et fissures pouvaient donc être réparés par un traitement avec résines.

S’il est ainsi apparu fin février 2019 que les désordres ne présentaient finalement pas une gravité telle qu’il aurait été nécessaire de reprendre l’ensemble des travaux de gros-oeuvre réalisés par la société SMS, le cas échéant après démolition, de sorte qu’une rupture du lien contractuel pour manquement grave de l’entreprise pouvait être évitée, cette dernière a toutefois, dès le 11 mars 2019, par courrier adressé au maître d’ouvrage, subordonné la reprise de ses travaux au paiement de la somme de 174 996,25 euros au titre de ses situations de juillet et août 2018, faisant référence à l’absence de fourniture d’une garantie de paiement conforme à l’article 1799-1 du code civil ; par courrier adressé le même jour au BET CUBE INGENIEURS, la société SMS subordonnait cette reprise à ce paiement et à l’établissement d’un protocole d’accord sur la base d’une indemnisation de ses propres préjudices estimée à 130 000 euros HT, du traitement de l’aspect esthétique des reprises à la charge du maître d’ouvrage, de sa renonciation à tout recours envers la société SMS et de la fourniture d’une garantie de paiement, en contrepartie de la reprise des fissures, du traitement des trois linteaux et du nivellement des flaches de la dalle par la société SMS.
N° RG 22/09930 - N° Portalis DBX6-W-B7G-XL2L

C’est à juste titre que l’expert judiciaire conclut que le maître d’ouvrage ne pouvait accepter ces conditions, qualifiées de déraisonnables, à la reprise du chantier. En effet, à cette date, rien ne permettait de justifier la demande exorbitante de 130 000 euros en indemnisation de préjudices liés selon la société AQIO à des défauts de procédure, à un rallongement des délais, aux arrêts du chantier et à ses frais fixes, sans recours possible de la société SMS au titre de la réparation des désordres, alors que l’imputabilité à la défenderesse de l’ensemble de ceux-ci et du rallongement de l’arrêt de chantier de juin à octobre 2018, puis jusqu’à fin février 2019 en l’absence de données sur l’origine et l’ampleur des désordres, était établie.

Il est par ailleurs constaté que le 13 mai 2019, le maître d’ouvrage justifiait auprès du conseil de la société AQIO d’une garantie de paiement.

En outre, au regard des certificats de paiement validés par le maître d’oeuvre et des paiements intervenus, seule la somme de 113 070,61 euros restait due à cette date, et non celle de 174 996,25 euros.

Dès lors qu’il est toutefois établi que l’association [5], par le courrier adressé par son conseil le 9 mai 2019, subordonnait elle-même le paiement de la somme de 67 299,91 euros, suivant le décompte établi par le maître d’oeuvre, à la réparation complète des désordres par la société SMS conformément à l’ordre de service de reprise du 25 mars 2019, alors qu’elle ne contestait pas ne pas avoir payé ce solde de marché pour des travaux effectivement réalisés, il apparaît que chacune des parties a ainsi manqué à son obligation essentielle, celle de réaliser des travaux exempts de vice en apportant au besoin toute correction nécessaire, pour l’entreprise, et celle de payer le prix des travaux réalisés, pour le maître d’ouvrage.

La résiliation du contrat les liant sera en conséquence prononcée à leurs torts partagés à la date du 13 juin 2019 par application de l’article 1229 du code civil.

Sur les demandes d’indemnisation

A l’appui de sa demande en paiement d’une somme de 21 260,40 euros au titre de pénalités pour des retards de chantier du 14 septembre au 29 novembre 2019 et du 5 avril 2019 au 13 juin 2019, pour des retards de production de plans EXE et de remise de documents, pour non-respect des conditions de sécurité et pour absence à une réunion de chantier, l’association [5] vise pour seules pièces, d’une part le CCAP, qui, en son article 5, prévoit de telles pénalités dans différentes situations, telles qu’un non-respect des délais d’exécution ou de remise de documents, d’autre part un tableau établi par elle-même recensant ses demandes chiffrées. A défaut pour l’association [5] d’expliciter en fait sa demande et de produire, à l’appui, des pièces justificatives de ces événements ou, en tout état de cause, de les viser dans la discussion de ses conclusions au soutien de sa prétention, alors qu’il est par ailleurs rappelé que le contrat était rompu au 13 juin 2019 et qu’elle-même est responsable d’un décalage de trois mois et demi à l’ouverture du chantier puis partiellement responsable de l’absence de reprise du chantier après ordre de service du 25 mars 2019, la demande de ce chef sera rejetée par application de l’article 1353 du code civil.

L’association [5] est en revanche fondée à demander au visa de l’article 1231-1 du code civil la réparation des désordres ayant affecté les travaux de la société SMS, à laquelle ils sont entièrement imputables du fait des vices d’exécution qu’elle a commis, tel qu’analysé plus haut. Le coût de ces travaux est justifié à hauteur de la somme de 86 984,05 euros TTC, tel qu’il ressort de l’analyse de l’expert judiciaire à laquelle aucune contestation technique n’est opposée.

Par application de l’article 1353 du code civil, le maître d’ouvrage sera débouté de toute demande au titre d’une prétendue actualisation des prix par les autres entreprises intervenant sur le chantier, d’un coût de reprise de dégradations de l’ouvrage pendant l’arrêt de chantier et d’une augmentation du coût de la maîtrise d’oeuvre et de l’AMO, en l’absence, d’une part, de toute démonstration factuelle quant à leur existence et leur lien avec les manquements reprochés à la société SMS et, d’autre part, de toute pièce justifiant leur paiement par l’association [5].

Le maître d’ouvrage est responsable du retard de trois mois et demi à l’ouverture du chantier et de l’absence de reprise des travaux début 2019 ; il n’est pas démontré que le retard dû aux intempéries subies de décembre 2017 à avril 2018 devrait incomber à la défenderesse. Par ailleurs, la perte de loyers alléguée du fait du retard de chantier n’est pas prouvée. La demande de réparation d’un préjudice de jouissance sera en conséquence rejetée par application de l’article 1231-1 du code civil.

Il en sera de même de la demande au titre de la pénalité de 5 % contractuellement prévue en cas de résiliation du marché aux torts de l’entreprise, celle-ci étant prononcée aux torts partagés des parties.

L’indemnisation sollicitée par l’association [6] au titre de ses frais de conseil à la suite de sa mise en cause au cours des opérations d’expertise sera étudiée au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Elle sera par ailleurs déboutée de sa demande d’indemnisation de préjudices qu’elle dit liés au retard de chantier, relatifs au renouvellement de contrats de sécurité du bâtiment et de téléphonie dans ses anciens locaux et à la location de locaux pendant ce retard, non seulement à défaut de tout élément de preuve à ce titre, mais également pour fonder sa demande sur l’article 1231-1 du code civil alors qu’elle n’a jamais été liée contractuellement à la défenderesse, tel que rappelé par cette dernière.

La société AQIO est quant à elle fondée à demander reconventionnellement le paiement du solde de son marché, soit la somme de 45 770,69 euros correspondant à la différence entre les certificats de paiement validés par le maître d’oeuvre et les versements opérés par le maître d’ouvrage, y compris après condamnation à verser la provision de 67 992,92 euros, par application de l’article 1103 du code civil, sans qu’il y ait lieu de faire droit à la demande d’intérêts contractuels et d’indemnité forfaitaire, à défaut pour la société AQIO de fonder ses prétentions à ce titre sur des dispositions précises du CCAP.

Si le retard au démarrage du chantier, d’une durée de trois mois et demi, était imputable au maître d’ouvrage et si les travaux de gros-oeuvre, alors prévus pour s’achever au 27 novembre 2018, ont été suspendus en décembre 2017 pour cause d’intempéries, en acceptant “sans réserve” l’ordre de service n° 2 prévoyant un début des travaux de gros-oeuvre au 30 avril 2018, la société SMS s’est engagée à ne demander aucune indemnisation au titre du retard antérieur. Le retard de chantier ensuite subi de juillet 2018 à février 2019 lui étant entièrement imputable en raison de l’origine et de la cause des désordres alors relevés, et celui subi de mars à juin 2019 étant partiellement dû à ses propres manquements contractuels, elle n’est pas fondée à solliciter la réparation de préjudices au titre de ce retard. Etant partiellement responsable de la résiliation du contrat, elle ne peut pas plus être accueillie en sa demande de réparation à ce titre.

La société AQIO sera donc déboutée de sa demande indemnitaire par application de l’article 1231-1 du code civil, y compris à l’égard de l’association [6] à laquelle elle reproche un abus du droit d’agir, en l’absence de toute démonstration du préjudice matériel et moral allégué à ce titre et par application des articles 32-1 du code de procédure civile et 1240 du code civil.

Sur les demandes accessoires

Chaque partie succombant partiellement, elle conservera la charge de ses dépens et de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

CONSTATE l’intervention volontaire à titre principal de l’association ECOLE [6] ;

PRONONCE au 13 juin 2019, aux torts partagés des parties, la résiliation du contrat conclu suivant acte d’engagement à effet du 19 juillet 2017 entre l'ASSOCIATION DE [5] et la SARL SOCIETE MACONNERIES SERVICES, devenue SAS AQIO ;

CONDAMNE la SAS AQIO à payer à l'ASSOCIATION DE [5] la somme de 86 984,05 euros à titre de dommages et intérêts pour la reprise des désordres ayant affecté le gros-oeuvre ;

CONDAMNE l'ASSOCIATION DE [5] à payer à la SAS AQIO la somme de 45 770,69 euros au titre du solde de prix ;

REJETTE l’intégralité des demandes de l’association ECOLE [6] ;

DEBOUTE les parties pour le surplus ;

CONDAMNE chaque partie à supporter la charge de ses propres dépens.

La présente décision est signée par Madame Anne MURE, Vice-Présidente, et Monsieur Eric ROUCHEYROLLES, Greffier.

LE GREFFIER,LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : 7ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/09930
Date de la décision : 18/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs en accordant des délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-18;22.09930 ?
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