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05/06/2024 | FRANCE | N°21/02589

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, 6ème chambre civile, 05 juin 2024, 21/02589


6EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND



TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
6EME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 05 Juin 2024
61B

RG n° N° RG 21/02589

Minute n°






AFFAIRE :

[F] [S], [L] [X] épouse [K]
C/
L’Association pour le Développement, l’Insertion, et l’Accompagnement des Personnes Handicapées








Grosse Délivrée
le :
à Avocats : Me Saad BERRADA
la SELAS DS AVOCATS




COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Lors des débats en juge rapporteur :

Mad

ame Louise LAGOUTTE, vice-président,
Madame Fanny CALES, juge,

Lors du délibéré et de la mise à disposition :

Madame Louise LAGOUTTE, vice-président,
Madame Marie-Aude DEL BOCA, vice-président,
Madam...

6EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
6EME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 05 Juin 2024
61B

RG n° N° RG 21/02589

Minute n°

AFFAIRE :

[F] [S], [L] [X] épouse [K]
C/
L’Association pour le Développement, l’Insertion, et l’Accompagnement des Personnes Handicapées

Grosse Délivrée
le :
à Avocats : Me Saad BERRADA
la SELAS DS AVOCATS

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Lors des débats en juge rapporteur :

Madame Louise LAGOUTTE, vice-président,
Madame Fanny CALES, juge,

Lors du délibéré et de la mise à disposition :

Madame Louise LAGOUTTE, vice-président,
Madame Marie-Aude DEL BOCA, vice-président,
Madame Fanny CALES, juge,

greffier présente lors des débats et de la mise à disposition : Madame Elisabeth LAPORTE,

DEBATS:

A l’audience publique du 03 Avril 2024,

JUGEMENT:

Contradictoire
En premier ressort
Par mise à disposition au greffe

DEMANDERESSES

Madame [F] [S]
née le [Date naissance 3] 1948 à [Localité 13]
de nationalité Française
[Adresse 8]
[Localité 7]

représentée par Me Saad BERRADA, avocat au barreau de BORDEAUX

Madame [L] [X] épouse [K]
née le [Date naissance 4] 1980 à [Localité 11]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 9]

représentée par Me Saad BERRADA, avocat au barreau de BORDEAUX

DEFENDERESSE

L’Association pour le Développement, l’Insertion, et l’Accompagnement des Personnes Handicapées venant au aux droits de l’Association Sésame autisme Aquitaine gérant le Foyer d’accueil médicalisé “ [12]”
[Adresse 10]
[Localité 6]

représentée par Maître Frédéric GODARD-AUGUSTE de la SELAS DS AVOCATS, avocats au barreau de BORDEAUX

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le [Date décès 1] 2014, Madame [D] [X], souffrant d’autisme et d’épilepsie, décédait au sein du Centre [12], foyer d’accueil médicalisé au sein duquel elle était hébergée dans le cadre d’un contrat de séjour depuis 2003.

Contestant les conditions d’accueil au sein du Centre et les circonstances entourant le décès de Madame [X], Mesdames [S] (mère de la défunte) et [K] (soeur de la défunte) assignaient l’Association pour le Développement, l’insertion et l’accompagnement des personnes handicapées (“ l’ADIAP”, venant aux droits de l’association SESAME AUTISME AQUITAINE) par acte du 19 avril 2018 devant le président du Tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de voir ordonner la réalisation d’une mesure d’expertise médicale en référé.

Par ordonnance du 16 juillet 2018, le président du tribunal judiciaire de Bordeaux ordonnait la réalisation d’une mesure d’expertise médicale confiée au docteur [Y] [P] avec pour mission notamment de déterminer si les conditions d’accueil et de surveillance dont avaient bénéficié [D] [X] durant son séjour au sein du Centre [12] étaient en lien direct et certain avec son décès.

Le 08 janvier 2019, l'expert judiciaire a déposé son rapport d'expertise définitif.

Par acte d'huissier délivré le 19 mars 2021, Mesdames [S] et [K] ont fait assigner devant le présent tribunal l’ADIAPH pour voir indemniser leurs préjudices.

Par ordonnance du 27 avril 2022, le juge de la mise en état, sur saisine de l’ADIAPH, a écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription et dit que les demandes formées par Mesdames [S] et [K] étaient recevables.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 février 2024 et l’affaire a été appelée à l’audience du 03 avril 2024 au cours de laquelle elle a été retenue puis mise en délibéré par mise à disposition au greffe à la date de ce jour, les parties en ayant été informées selon les modalités de l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

PRETENTIONS DES PARTIES

Par conclusions responsives et récapitulatives notifiées par voie électronique le 12/06/2023, Mesdames [S] et [K] demandent au tribunal de :
- condamner l’ADIAPH à verser à Madame [S] la somme de 11 300 € au titre des frais d’obsèques,
- condamner l’ADIAPH à verser à Madame [S] la somme de 30 000 € au titre du préjudice d’affection,
- condamner l’ADIAPH à verser à Madame [K] la somme de 25 000 € au titre du préjudice d’affection,
- de condamner l’ADIAPH à verser à Madame [S] la somme de 25 000 € au titre du préjudice moral,
- de condamner l’ADIAPH à verser à Madame [K] la somme de 25 000 € au titre du préjudice moral,

- de dire que les intérêts des sommes allouées porteront eux-mêmes intérêts
- condamner l’ADIAPH à rembourser les frais de recouvrement d’huissier pour l’exécution de la décision,
- ordonner l’exécution provisoire,
- condamner l’ADIAPH à verser la somme de 5000 € au titre des frais irrépétibles;
- condamner l’ADIAPH au paiement des frais d’expertise 1092 €,
- condamner l’ADIAPH aux entiers dépens.

Au terme des conclusions responsives notifiées par voie électronique le 01/06/2023, l’ADIAPH demande au tribunal de :
- débouter Mesdames [S] et [K] de l’ensemble de leurs demandes,
- condamner solidairement Mesdames [S] et [K] à payer la somme de 2 000 euros au titre des l’article 700 du CPC,
- condamner Mesdames [S] et [K] aux dépens.

Pour l’exposé des moyens venant au soutien de ces demandes, il est renvoyé aux conclusions écrites des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

1- Sur la responsabilité contractuelle de l’ADIAPH et la demande en réparation du préjudice d’affection et des frais d’obsèques

Au terme de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

En l’espèce, Mesdames [S] et [K] affirment d’une part que le foyer médicalisé au sein duquel était prise en charge Madame [X] au titre d’un contrat d’accueil régulier, a manqué à son obligation de sécurité de moyen.
Elles font valoir qu’au vu du profil pathologique de Madame [X], il était astreint à une obligation de sécurité renforcée au titre duquel plusieurs fautes pourraient dès lors être relevées à savoir :
- le défaut d’une surveillance spécifique,
- les changements de personnel très fréquents,
- l’absence d’organisation de rondes plus régulières,
- l’absence d’oeilleton pour vérifier la situation des hébergés dans leur chambre.
Elles font état des changements opérées au sein de l’établissement suite à l’intervention de l’ARS notamment concernant la surveillance, la mise en place d’oeilleton ou de caméras.

D’autre part, elles font valoir le manquement à l’obligation contractuelle d’aviser sans délai les famille des hébergés en cas de maladie, accident grave ou décès, prévue par le réglement du foyer.

S’agissant des conditions d’intervention du décès, l’ADIAP maintient l’absence de faute imputable au foyer dans les conditions d’accueil et de surveillance de Madame [X].
L’ADIAP fait valoir l’absence d’incident justifiant de modifier la surveillance en place, le droit à l’intimité des patients expliquant notamment l’absence d’oeilleton, et la présence du personnel de soin habituel le jour du décès, ces derniers ayant mis en place tous les moyens nécessaires pour tenter de réanimer Madame [X] lors de la constatation de son état de détresse respiratoire. S’agissant du délai, l’ADIAP conteste tout retard fautif dans l’information de la famille.

En l’état, les conclusions du rapport d’expertise retiennent que la cause la plus probable du décès de Madame [X] était un état de mal épileptique ou crise d’épilepsie grand mal et donc une mort soudaine inattendue et totalement aléatoire suite à une crise d’épilepsie. À ce titre, et vu les symptomes présentés lors de la découverte du corps, le Dr [Y]-[P] concluait en ce que Madame [X] était déja décédée lors de la découverte du corps à 8h25, et ce bien que le médecin du SAMU est procédé au constat de décès à 9h30.

Il n’est relevé d’ailleurs aucun élément inhabituel ou facteur déclenchant la veille de son décès ayant justifié de mettre en place une surveillance renforcée, étant précisé que le personnel en fonction le jour des faits intervenait habituellement ou régulièrement dans la structure.

D’autre part, selon le rapport d’expertise, les conditions de surveillance habituelle en place lors du décès, à savoir : les rondes de surveillance toutes les 2 heures par une équipe de nuit composée d’un surveillant et d’un aide-soignant, et la vérification de l’absence de bruit ou lumière dans les chambres (les portes étant fermées conformément au droit à l’intimité des patients), étaient suffisantes et aucun manquement aux règles de surveillance prévues par le règlement du foyer ne pouvait être caractérisé.

Ainsi, malgré les éléments invoqués par les demanderesses, aucun manquement contractuel à l’obligation de sécurité de moyen n’a pu être relevé objectivement par l’expertise.

S’agissant des modifications réalisées a posteriori notamment dans les surveillance ou la mise en place d’oeilleton ou de caméra, la volonté d’amélioration suite à l’intervention de l’accident tragique survenu le [Date décès 2]/2014 ne saurait être analysée en une reconnaissance de défaut de surveillance lors des faits antérieurs.
De plus, l’absence d’oeilleton et d’ouverture des portes pendant les rondes, lors des faits, ne peut être qualifié de fautive au vu des autres mécanismes de surveillance mis en place et du respect nécessaire du droit à l’intimité des hébergés dans un centre spécialisé et de l’absence d’évènement particulier la veille pouvant avoir justifié de renforcer la surveillance de [D] [X].

En tout état de cause, vu le cause identifiée du décès et son caractère aléatoire et soudain, il n’est pas possible d’établir un lien de causalité direct et certain entre la présence ou non d’oeilleton ou l’ouverture de la porte lors des rondes nuit, et la survenance du décès.

Enfin, s’agissant du retard dans l’information de la famille s’agissant du décès, il est constant que cette information n’a été faite qu’à 14h30, le décès ayant été constaté médicalement à 9h30. Néanmoins, les circonstances de découverture de [D] [X], les premiers soins délivrés, la nécessaire intervention du médecin du SAMU, et les obligations d’enquête et les vérifications réalisées par les services de gendarmerie déplacés sur les lieux suite à ce décès en institution, justifient du délai d’information de la famille, qui ne saurait être alors qualifié de fautif.

Par conséquent, et faute de pouvoir qualifier la réalité d’un manquement contractuel de la part de l’ADIAPH venant aux droits de l’association SESAME AUTISME AQUITAINE, gérant le foyer d’accueil médical [12] que ce soit en lien avec la survenue du décès de madame [X] ou avec le délai d’information de ce décès, il convient de débouter Mesdames [S] et [K] de leurs demandes en réparation du préjudice d’affection et des frais d’obsèques.

2- Sur la responsabilité délictuelle de l’ADIAPH et la demande en réparation du préjudice moral

En vertu de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En l’espèce, les demanderesses invoquent les conditions abruptes de l’information du décès de leur fille et soeur, sans “explication ou empathie” et font valoir l’absence de soutien apporté par la suite par l’équipe du foyer. Elles se fondent sur les conclusions du rapport d’expertise qui exposent que la gestion de la crise a totalement été manquée par l’équipe d’alors, ceci ayant pu générer une douleur morale propre autre que celle d’avoir perdu un membre de leur famille. Ces éléments sont néanmoins contestés par l’ADIAPH.

Il apparait nécessaire de soulever que l’annonce du décès à la famille a été faite par une équipe de professionnelles du foyer, constituée de Madame [R] chef de service et Madame [W], infirmière, et que celles-ci se sont déplacées au domicile de Madame [S] pour l’informer du décès de sa fille. Aucun reproche n’était alors formulé par Madame [S] lorsqu’elle sera entendue en suivant par les services de gendarmerie.

S’agissant des conclusions du rapport d’expertise qui relève que l’annonce du décès a été abrupte, il apparait que le docteur [Y]-[P] se contente de reprendre les déclarations de Madame [S].

En tout état de cause, si certains propos tenus a posteriori ont pu manquer de délicatesse, ou n’étaient pas opportuns, et que la souffrance de Mesdames [S] et [K] du fait de la perte d’un être cher est manifeste et compréhensible, il n’est pas en l’état possible de caractériser une faute au sens des dispositions précitées, imputable au personnel du foyer médicalisé s’agissant des conditions d’annonce du décès de [D] [X].

Par conséquent, la demande formée au titre de la réparation du préjudice moral sea rejetée.

3- Sur la capitalisation des intérêts

Vu le rejet des demandes de dommages et intérêts, la demande au titre de la capitalisation des intérêts est devenue sans objet.

4- Sur les autres dispositions du jugement

Succombant à la procédure, Mesdames [S] et [K] seront condamnées aux dépens, dans lesquels seront inclus les frais antérieurs à l'engagement de l'instance relatifs à l’instance de référé expertise ayant préparé la présente instance.

Il n’y a pas lieu à condamner l’ADIAPH à prendre en charge les frais d’exécution de la décision.

D’autre part, vu les circonstances du litige, et pour des considérations d’équité, il convient de rejeter les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ailleurs, rien ne justifie d’écarter l’exécution provisoire de droit prévue par l’article 514 du code de procédure civile.


PAR CES MOTIFS

Le Tribunal,

REJETTE la demande tendant à condamner l’ADIAPH à verser à Madame [S] la somme de 11 300 € au titre des frais d’obsèques ;

REJETTE la demande tendant à condamner l’ADIAPH à verser à Madame [S] la somme de 30 000 € au titre du préjudice d’affection ;

REJETTE la demande tendant à condamner l’ADIAPH à verser à Madame [K] la somme de 25 000 € au titre du préjudice d’affection ;

REJETTE la demande tendant à condamner l’ADIAPH à verser à Madame [S] la somme de 25 000 € au titre du préjudice moral ;

REJETTE la demande tendant à condamner l’ADIAPH à verser à Madame [K] la somme de 25 000 € au titre du préjudice moral ;

REJETTE la demande de Mesdames [S] et [K] au titre des frais irrépétibles;

REJETTE la demande de l’ADIAPH au titre des frais irrépétibles ;

CONDAMNE Mesdames [S] et [K] aux dépens, qui comprendront ceux de l’instance ayant donné lieu à l’ordonnance de référé du 16/07/2018 ainsi que le coût de l’expertise judiciaire ;

DIT n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de droit de la présente décision ;

REJETTE les autres demandes des parties.

Le jugemetn a été signé par Louise LAGOUTTE, président et Elisabeth LAPORTE, greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : 6ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/02589
Date de la décision : 05/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-05;21.02589 ?
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