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05/06/2024 | FRANCE | N°18/07405

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, 6ème chambre civile, 05 juin 2024, 18/07405


6EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND



TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
6EME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 05 Juin 2024
63A

RG n° N° RG 18/07405

Minute n°




AFFAIRE :

[T] [I], [A] [X], [O] [I], [U] [I] née [R], [Z] [X], [E] [X] née [N]
C/
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA GIRONDE, MAISON DE SANTE PROTESTANTE [24]




Grosse Délivrée
le :
à Avocats : la SELARL BENEDICTE DE BOUSSAC DI PACE
la SELARL COUBRIS ET ASSOCIES
la SCP LATOURNERIE - MILON - CZAMANSKI - MAZILLE




COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Lors des débats en juge rapporteur :

Madame Louise LAGOUTTE, vice-président,
Madame Fanny CALES, juge,

Lors du délibéré et de la mise ...

6EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
6EME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 05 Juin 2024
63A

RG n° N° RG 18/07405

Minute n°

AFFAIRE :

[T] [I], [A] [X], [O] [I], [U] [I] née [R], [Z] [X], [E] [X] née [N]
C/
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA GIRONDE, MAISON DE SANTE PROTESTANTE [24]

Grosse Délivrée
le :
à Avocats : la SELARL BENEDICTE DE BOUSSAC DI PACE
la SELARL COUBRIS ET ASSOCIES
la SCP LATOURNERIE - MILON - CZAMANSKI - MAZILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Lors des débats en juge rapporteur :

Madame Louise LAGOUTTE, vice-président,
Madame Fanny CALES, juge,

Lors du délibéré et de la mise à disposition :

Madame Louise LAGOUTTE, vice-président,
Madame Marie-Aude DEL BOCA, vice-président,
Madame Fanny CALES, juge,

greffier présente lors des débats et de la mise à disposition : Madame Elisabeth LAPORTE,

DEBATS:

A l’audience publique du 03 Avril 2024,

JUGEMENT:

Contradictoire
En premier ressort
Par mise à disposition au greffe

DEMANDEURS

Monsieur [T] [I]
né le [Date naissance 6] 1982 à [Localité 22] ([Localité 22])
de nationalité Française
[Adresse 8]
[Localité 17]

Madame [I] [T] et [A] [X]
née le [Date naissance 5] 1982 à [Localité 21] ([Localité 21])
de nationalité Française
[Adresse 8]
[Localité 17]

Monsieur [T] [I] et Madame [I] [T] et [A] [X] agissant tous deux tant à titre personnel qu’es qualités d’ayants droit de leur fils [L] [I] [X], né le [Date naissance 11]/2015 à [Localité 27] et décédé le [Date décès 4]/2015

Monsieur [O] [I]
né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 22] ([Localité 22])
de nationalité Française
[Adresse 18]
[Localité 23]

Madame [U] [I] née [R]
née le [Date naissance 2] 1960 à [Localité 13] ([Localité 13])
de nationalité Française
[Adresse 18]
[Localité 23]

Monsieur [Z] [X]
né le [Date naissance 12] 1954 à [Localité 19] ([Localité 19])
de nationalité Française
[Adresse 10]
[Localité 16]

Madame [E] [X] née [N]
née le [Date naissance 9] 1955 à [Localité 20] ([Localité 20])
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 16]

tous représentés par Maître Jean-Christophe COUBRIS de la SELARL COUBRIS ET ASSOCIES, avocats au barreau de BORDEAUX

DEFENDERESSES

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA GIRONDE prise en la personne de son directeur en exercice
[Adresse 26]
[Localité 14]

représentée par Maître Bénédicte DE BOUSSAC DI PACE de la SELARL BENEDICTE DE BOUSSAC DI PACE, avocats au barreau de BORDEAUX

MAISON DE SANTE PROTESTANTE [24] prise en la personne de son directeur en exercice
[Adresse 7]
[Localité 15]

représentée par Maître David CZAMANSKI de la SCP LATOURNERIE - MILON - CZAMANSKI - MAZILLE, avocats au barreau de BORDEAUX

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le [Date naissance 11]/2015 à 17H57, au sein de la clinique [24], [A] [X] donnait naissance à un enfant né à 41 semaines d’aménhorrées + 1 jour, [L] [W]. Le nouveau-né a été transféré au service de réanimation du centre hospitalier de [Localité 14] dans la nuit à 3h30 après avoir présenté un épisode de cyanose à H+5 et un épisode de convulsion à H+7. Il y était constaté des lésions neurologiques étendues. Compte tenu de ses atteintes neurologiques et de leur caractère irréversible, il était décidé, en réunion de concertation et avec l’accord de ses parents, un arrêt des thérapeutiques en privilégiant les soins de confort. Le 13 octobre 2015 [L] était extubé et décédait le jour même au côté de ses parents. Une autopsie du nourrisson était réalisée le 15 octobre 2015.

Saisie par les parents d’[L], la commission de Conciliation et d’indemnisation d’Aquitaine a ordonné une expertise médicale confiée au professeur [D], spécialisé en chirurgie gynécologique et obstétricale.

L’expert a rendu son rapport le 21 avril 2017 et a conclu à des fautesconcernant l’absence de déclenchement de la grossesse avant le 30 septembre compte tenu de l’hypertension artérielle chronique présentée par [A] [X], de la tardiveté de la décision de procéder une césarienne malgré les signes critiques dès le 30 septembre 2015 au matin ainsi que d’un défaut de surveillance de la glycémie du nouveau-né et dans sa prise en charge par l’équipe pédiatrique.

Le professeur [D] a retenu que la responsabilité du décès incombait à 50 % à l’équipe d’obstétriciens ayant pris en charge [A] [X] et à 50 % à l’équipe pédiatrique, considérant qu’il n’était pas possible de déterminer quelle était la cause déterminante des lésions neurologiques ayant conduit au décès du nourrisson entre l’asphyxie périnatale et l’hypoglycémie néonatale.

Par avis du 14 juin 2017, la Commission de Conciliation et d’indemnisation a retenu les fautes des praticiens salariés de la MSP [24] évoquées par le Pr [D] et a considéré que ces fautes étaient à l’origine d’une perte de chance de 90 % pour le nourrisson d’éviter une issue fatale.

Monsieur [T] [I], Madame [A] [X], parents d'[L], ainsi que ses quatre grands-parents, Monsieur [O] [I], Madame [U] [I], Monsieur [Z] [X] et Madame [E] [X] ont, par actes d'huissier délivrés les 8 et 10 aout 2018 fait assigner devant le présent tribunal la MSP [24] pour voir indemniser leur préjudice et le préjudice transmissible de [L] ainsi que, en qualité de tiers payeurs, la CPAM de la Gironde.

Par jugement en date du 7 juillet 2011, le présent tribunal a, avant dire droit, ordonné un expertise judiciaire confiée au Dr [J] à charge pour lui de s’adjoindre un sapiteur spécialisé en néonatalogie. Le tribunal a estimé que les différences de point de vue et de références utilisées par le professeur [D] d’une part et les spécialistes auxquels avait eu recours la MSP ne permettaient pas au tribunal de se prononcer sur chacune des fautes retenues par le docteur [D], de même que sur les causes de l’encéphalopathie présentée par [L] et sur le lien de causalité entre lesdites fautes et ces lésions. Une nouvelle expertise était en conséquence ordonnée pour éclaircir la juridiction, au regard des recommandations habituellement suivies par les praticiens français, sur la réalité des fautes discutées et sur le lien de causalité avec les troubles neurologiques présentés afin que le tribunal puisse apprécier notamment le taux de perte de chance lié à chacune des fautes susceptible d’être retenue.

Le 7/12/2021, le professeur [J] a rendu son rapport rédigé avec le concours du professeur [G], spécialisé en pédiatrie.

Au terme ce ce rapports, les experts retiennent que la prise en charge de Madame [X] et du nouveau-né ont été conformes aux données acquises de la science ainsi qu'aux recommandations de bonnes pratiques et ce tant au plan obstétrique qu'au plan pédiatrique. Les experts considèrent qu’aucune erreur, imprudence, ou négligence n'est susceptible d'avoir eu un lien de causalité avec le dommage. Ils retiennent que le jeune [L] a vraisemblablement été victime d'un accident vasculaire cérébral anténatal et d'une anoxo-ischémie anténatale. Ils estiment qu'aucun élément ne permettait d'anticiper cet évènement ou même le risque de sa survenance et qu’il s'agit d'un accident rarissime. Les experts considèrent que rien ne permettait de l'anticiper ni d’éviter l'issue tragique subie et ce même avec la prise en charge conforme aux bonnes pratiques dont ont bénéficié la mère et l'enfant.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Au terme de leurs conclusions responsives et récapitulatives notifiées par voie électronique le 26 juin 2023, Monsieur [T] [I], Madame [A] [X], parents de [L], ainsi que Monsieur [O] [I], Madame [U] [I], Monsieur [Z] [X] et Madame [E] [X], ses grands-parents, demandent au tribunal de :
À TITRE PRINCIPAL:
- ordonner une contre-expertise confiée à un gynécologue-obstétricien, un pédiatre et un radio pédiatre, avec pour mission notamment d'analyser les I.R.M. et de préciser si au vu des séquelles présentées [L] est décédé d'un AVC ou si d'autres séquelles ont joué un rôle dans la survenue du décès
À TITRE SUBSIDIAIRE :
- juger que la MSP [24] a commis des manquements de nature à engager sa responsabilité et notamment un défaut d'information à l'origine d'une perte de chance très importante d'éviter le décès d'[L]
- condamner la MSP [24] à indemniser les préjudices selon les modalités suivantes :
* préjudice successoral : 21 390 €
* préjudices patrimoniaux des parents, Monsieur [T] [I] Madame [A] [X]: 1906 € au titre des frais d'obsèques, 1170 € au titre des frais de psychologue pour Monsieur [I] et 242,21 € au titre des frais de déplacement
* préjudices extrapatrimoniaux des parents : 65 000 € à chacun
* préjudices d'impréparation 10 000 € à chacun
* préjudices extrapatrimoniaux des quatre grands-parents, Monsieur [O] [I], Madame [U] [I], Monsieur [Z] [X] et Madame [E] [X] :17 000 euros à chacun
- dire que ces sommes porteront intérêts à compter de l'assignation
- dire n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire
- déclarer le jugement commun à l'organisme social
- débouter la MSP [24] de toute demande plus ample au contraire
- condamner la défenderesse à verser aux demandeurs une indemnité globale de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire
- rejeter la demande formée à l'encontre des requérants au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Au terme de ses conclusions récapitulatives notifiées le 26 juin 2023, la CPAM de la Gironde demande au tribunal de :
Vu les dispositions de l’article L.1142-1 du Code de la santé publique et L.376-1 du Code de la sécurité sociale,
- DECLARER la CPAM DE LA GIRONDE recevable et bien fondée en ses écritures, demandes, fins et prétentions ;
- CONSTATER que la CPAM DE LA GIRONDE s’en remet à justice sur la demande de contre-expertise ainsi que sur la responsabilité de LA MSP [24] ;
Si le Tribunal jugeait la MAISON DE SANTE PROTESTANTE [24] responsable de l’accident dont a été victime [L] [W],
- DECLARER que le préjudice de la CPAM DE LA GIRONDE est constitué par les sommes exposées dans l'intérêt de son assuré social, [L] [I] [X], à hauteur de la somme de 38.332 € ;
- CONDAMNER la MAISON DE SANTE PROTESTANTE [24] à verser à la CPAM DE LA GIRONDE la somme de 38.332 € en remboursement des prestations versées pour le compte de son assuré social ;
- CONDAMNER la MAISON DE SANTE PROTESTANTE [24] à verser à la - CPAM DE LA GIRONDE la somme de 1.162 € au titre de l'indemnité forfaitaire en application des dispositions des articles 9 et 10 de l'Ordonnance n°96-51 du 24 janvier 1996 ;
- DECLARER que ces sommes seront assorties des intérêts au taux légal ;
- FAIRE application des dispositions de l'article 1343-2 du Code Civil ;
- CONDAMNER la MAISON DE SANTE PROTESTANTE [24] à verser à la CPAM DE LA GIRONDE la somme de 1.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile outre les entiers dépens ;
- DIRE N ’ Y AVOIR LIEU à écarter l’exécution provisoire de droit.

En défense, dans ses conclusions responsives notifiées par voie électronique le 10/07/2023, la MSP [24] demande au tribunal de :
- A titre principal, débouter les consorts [X] [I] de leur demande d'organisation d'une contre-expertise.
- A titre subsidiaire, Débouter les consorts [X] [I] et la CPAM de la Gironde de l'intégralité de leurs demandes dirigées contre la MAISON DE SANTE DE PROTESTANTE [24].
- En tout état de cause, condamner la partie qui succombera à payer à la Maison de Santé Protestante [24] une indemnité de 5000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens avec distraction au profit de SCP LATOURNERIE MILON MAZILLE par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Pour l’exposé des moyens venant au soutien de ces demandes, il est renvoyé aux conclusions écrites des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de contre expertise et les fautes reprochées à la MSP [24]

Sur l'objectivité du professeur [J] et ses liens avec le médecin conseil de la MSP [24]

Les requérants soutiennent que le professeur [J], qui a d'emblée indiqué lors de la première réunion d'expertise aux parties et à leur médecin conseil qu'il considérait qu'il n'y avait eu aucune faute dans la prise en charge obstétrique de Mme [X], a manqué d'objectivité. Ils soutiennent que le professeur [J] à des liens de proximité avec le professeur [F], médecin-conseil de la MSP [24], dont il a totalement validé l'analyse. Ils affirment en effet qu'ils ont collaboré à de nombreux articles et revues, ce qui témoigne d'une certaine proximité.

La MSP [24] soutient de son côté que le professeur [F], médecin chef du service obstétrique du CHU de [Localité 14] a participé à plus de 500 articles, dont certains seulement coécrits avec le professeur [J]. Elle soutient qu'il n'existe en France que 50 professeurs spécialisés en obstétrique qui sont nécessairement amenés à se croiser ou travailler ensemble. La MSP [24] soutient néanmoins que les professeurs [J] et [F] n'ont jamais travaillé dans un même service ou dans un quelconque lien de subordination. Elle affirme que le professeur [J] est capable d'avoir un raisonnement autonome, quelles que soient ses relations avec le professeur [F]. La MSP [24] soutient l'inverse que les conclusions concordantes des professeurs [J], chef du service gynécologie obstétrique à l'hôpital [25] et celles du professeur [F], dont la compétence n'est plus à démontrer, sont avant tout le signe de conclusions fiables.

Les requérants produisent plusieurs documents faisant apparaître une collaboration des professeurs [J] et [F] à plusieurs reprises pour des articles de gynécologie-obstétrique ou des études publiées dans des revues spécialisées. Si ces éléments traduisent une collaboration entre ces deux professionnels, dans une spécialité pointue rassemblant un nombre limité de spécialistes, aucun intérêt personnel du professeur [J] ou aucune collusion d'intérêt n'est à suspecter, rien ne permettant de caractériser un conflit d'intérêt. Il est constant que les requérants, qui ne précisent pas à quel moment ils ont pris conscience de cette collaboration entre ces deux professeurs chefs de service, n'ont formé auprès du juge chargé du contrôle de l'expertise ni demande de récusation de l'expert, ni demande de changement d'expert. Il est également constant que l'existence de liens professionnels entre un expert et un médecin conseil n'entre pas dans les critères de la récusation prévus par les dispositions des articles 234 du code de procédure civile et L 111-6 du code de l'organisation judiciaire.

Par ailleurs, les conclusions du professeur [J] figurant dans son pré-rapport ont pu être discutées par les parties, notamment par les requérants qui ont adressé un dire particulièrement complet aux experts. Si le professeur [G] a répondu à ce dire de manière spécifique, le professeur [J] a intégré ses réponses aux dires dans l'analyse de chacun des points sur lesquels portent ses dires, parfois en ajoutant une note de bas de page développant l'analyse du pré-rapport en réponse aux dires.

D'autre part, le fait que le professeur [F] ait suivi Madame [X] lors de sa deuxième grossesse ayant donné lieu à un accouchement en 2017 ou qu'il ait assisté cette dernière pour ce deuxième accouchement est indifférent dès lors qu'il ne s'agit pas d'un élément susceptible d'avoir un effet sur les conclusions des experts judiciaires.

Dans ces circonstances, il n'y a pas lieu d'ordonner une contre-expertise au motif de l'existence de liens entre le professeur [J] et le médecin conseil de la MSP [24], le professeur [F].

Sur les fautes dans le suivi obstétrique

Les requérants soutiennent que contrairement à ce qu'a retenu le professeur [J], Madame [X] ne présentait pas une hypertension artérielle isolée mais une hypertension artérielle chronique conformément à l'analyse du professeur [D]. Ils soulignent l'intérêt d'interrompre la grossesse dès lors que selon un ouvrage obstétrique écrit par le professeur [F] lui-même, hypertension de la grossesse est une cause majeure de mortalité justifiant une interruption de grossesse dont le moment doit être décidé en fonction de la balance bénéfice fœtal / risque maternel. Les requérants considèrent que l'expert n'a pas répondu à la question des éléments pris en compte pour apprécier la balance bénéfice risque dans le cas de la grossesse de Madame [X].

Les requérants ajoutent que le Pr [J] est le seul à considérer que l'accouchement n'a pas eu lieu après le terme dès lors qu'il a recalculé la date de conception pour la fixer au 30 décembre ou 1er janvier. Il considère que l'expert n'a pas expliqué pourquoi il retenait comme méthodologie une fixation de la date de conception en fonction de la taille du fœtus à l'échographie du premier trimestre. Ils soutiennent que dès l'avis du 28 septembre 2015 à plus de 40 semaines d'aménorrhée la sage-femme aurait dû demander un avis médical au regard de la grossesse à risque

La MSP [24] soutient de son côté que le rapport d'expertise judiciaire démontre qu'il n'y avait pas de signes d'hypertension artérielle subjectif ni objectif au regard des mesures de protéinurie réalisées régulièrement ainsi que du bilan vasculo-rénal régulier. Elle ajoute que c'est à juste titre que l'expert se réfère aux recommandations de la Haute autorité de santé pour écarter la nécessité d'un déclenchement de l'accouchement alors que l'existence d'une hypertension artérielle chronique ou gravidique si elle est isolée n'est pas une indication reconnue de déclenchement de l'accouchement.

Le rapport d'expertise judiciaire retient que si la pression artérielle est bien contrôlée et qu'il n'y a pas d'autres anomalies, l'hypertension, qu'elle soit chronique ou gravidique, c'est-à-dire apparue en deuxième moitié de grossesse, ne nécessite pas de prise en charge obstétricale particulière. Le professeur [J] expose que le dossier fait apparaître que des valeurs limite voire anormales ont été constatées à 7 semaines d'aménorrhée, que la pression artérielle a été surveillée à partir de 23 semaines d’aménorrhées alors qu'elle était encore subnormale et que plus tard, un traitement a été instauré afin de maintenir la pression artérielle dans la norme. Le professeur [J] relève que 34 consultations à domicile ont été effectuées et qu'aucune n'a permis de mettre en évidence un signe d'hypertension artérielle subjectif ou objectif, la tension artérielle étant à chaque fois inférieure au seuil critique (140/90mm Hg). En réponse aux dires des requérants, l'expert précise que ce sont les recommandations de la Haute autorité de santé qui prévoient que l'hypertension artérielle chronique ou gravidique si elle est isolée n'est pas une indication reconnue de déclenchement de l'accouchement.

Le rapport d'expertise du docteur [Y], rapport unilatéral produit par les requérants, retient également que la tension de Madame [X] était médicalement stabilisée jusqu'au jour de l'accouchement.

Dès lors, la question de la balance bénéfice / risque de déclencher un accouchement avant ou même après le terme ne se posait pas, le passage de l'ouvrage du professeur [F] cité concernant l'hypertension artérielle n'étant pas applicable à la situation de Madame [X]. De la même manière, la pertinence de la méthodologie utilisée par le professeur [J] pour faire remonter la date de conception au 30 décembre ou 1er janvier, ce qui a pour effet retenir une date d'accouchement à terme et non après terme est sans incidence.

La considération du docteur [J] selon laquelle il est certain qu'un déclenchement aurait permis d'éviter l'issue tragique ne correspond aucunement à une conclusion face à l'existence de fautes mais, comme il l'a expliqué en réponse aux dires des parties, en présence d'une issue défavorable, il apparaît toujours que l'issue aurait pu être évitée si d'autres décisions avaient été prises, tout comme un accident de voiture peut être évité en cas d'enchaînements temporel différent.

D'autre part, les requérants soutiennent que le rapport d'expertise judiciaire retient à tord une réaction conforme à l'anomalie du Doppler réalisé à 36 semaines d'aménorrhées qui démontrait un début d'insuffisance placentaire, tout en retenant qu'un Doppler n'était pas nécessaire.

La MSP [24] soutient que l'anomalie du Doppler ombilical n'a pas été retenue par le professeur [J].

Sur ce point, dans le rapport d'expertise judiciaire, le professeur [J] précise que la réalisation des mesures Doppler des résistances au niveau de l'artère ombilicale n'est ni systématique ni recommandée en dehors d'un contexte de retard de croissance intra-utérin. La croissance étant en l'espèce strictement normale, il considère qu'il n'y avait pas d'indication à réaliser cette mesure. Le professeur [J] considère qu'au surplus, les mesures étaient normales et qu'on ne peut interpréter une simple élévation progressive des index comme le fait le professeur [D]. Se fondant sur deux études complémentaires, le professeur [J] précise que c'est seulement un flux très réduit ou absent en diastole ou l'apparition d'une redistribution cérébrovasculaire qui peuvent être reconnus comme anormaux, et ce dans un contexte d'anomalie de croissance. Il considère en outre qu'en l'espèce la quantité de liquide amniotique était normale.

Rien ne permet de remettre en cause l'appréciation du professeur [J] sur ce point, laquelle s'appuie sur trois études indépendantes.

Dès lors, les développements du rapport d'expertise judiciaire sur le suivi obstétrique ne justifient ni d'ordonner une contre-expertise, ni de retenir une faute de la MSP [24].

Les fautes dans le déroulement de l'accouchement

Sur le déroulement de l'accouchement à compter de l'admission de Madame [X] à la maternité, les requérants soulignent que selon le professeur [C] lui-même, gynécologue obstétricien et médecin-conseil de l'assureur de la MSP [24], mais également selon le professeur [F], le rythme cardiaque fœtal mesuré de 12h17 à 13h16 était d'emblée très anormal alors qu'il était normal le 28 septembre 2015 ce qui témoignait d'un risque important d'acidose. Ils rappellent que selon le rapport d'expertise du professeur [D] la césarienne aurait dû intervenir plus tôt précisément pour éviter une prolongation de l'hypoxie pendant plus de quatre heures inutilement.

La MSP [24] soutient que dans le rapport d'expertise judiciaire, le professeur [J] retient que la réaction au premier relevé cardiaque fœtal est conforme et que la décision de déclenchement pris à 15h30 était également conforme aux données. La MSP [24] soutient que selon le rapport d'expertise judiciaire, l'apparition initiale d'anomalies du RCF a été brutale en dehors de tout contexte pathologique, caractérisant la survenue probable d'un accident vasculaire cérébral anténatal entre le 28 et le 30 septembre.

Le rapport d'expertise judiciaire retient effectivement que le premier RCF était d'emblée anormal avec peu d'accélération et même 2 décélérations. Néanmoins, le Docteur [J] considère que vu les autres éléments (croissance, Doppler, liquide amniotique normals, absence de contexte pathologique en dehors d'une hypertension artérielle isolée et stabilisée), l'attitude de contrôle était conforme aux règles de l'art. Cette conclusion s'appuie sur les recommandations pour la pratique clinique éditée en 2007 par le collège national des gynécologues obstétriciens français (CNGOF), référence également retenue par le professeur [C] ayant réalisé une analyse critique au bénéfice de l'assureur de la MSP [24]. En effet, si ce dernier retient, comme le soulignent les requérants, un premier ERCF d'emblée très pathologique, le professeur [C] précise que la classification en anomalie à risque important d'acidose ne peut être retenue qu'en présence d'oscillation minime ou absente inexpliquée pendant plus de 60 à 90 minutes, ce qui n'était pas le cas du premier RCF.

Concernant le deuxième RCF le professeur [J] retient, toujours sur la base de la classification du RCF du CNOGF 2007, que son anomalie motivait une prise en charge active avec déclenchement du travail, réalisation rapide des mesures nécessaires pour cela (anesthésie péridurale, tentative de rupture de la poche des eaux, syntocinon). L'expert souligne que l'interprétation a posteriori est trop simpliste et que les divergences d'avis des experts illustrent bien la subjectivité de l'analyse du RCF. Il ajoute que la persistance des anomalies du RCF et la perspective d'un travail long ont ensuite justifié le recours à une césarienne, ce qui était également conforme. Les données sur lesquelles s'appuie l'analyse du professeur [C], invoqué par les requérants, selon lesquelles les anomalies du deuxième RCFjustifiaient le recours à une césarienne ne sont pas explicitées.

Dès lors, les développements du rapport d'expertise judiciaire à cet égard ne justifient ni d'ordonner une contre-expertise, ni de retenir une faute de la MSP [24].

Sur la prise en charge pédiatrique du nouveau-né

Les requérants soutiennent que doit être considérée comme fautive l'absence d'organisation du contrôle de la glycémie avant 20h15, plus de deux heures après la naissance, alors qu'[L] est né dans un contexte d'acidose néonatale représentant un risque avéré d'hypoglycémie. D'autre part, les requérants soutiennent que vu la sévérité évidente de l'hypoglycémie mise en évidence dès la première mesure, il aurait fallu injecter un mini bolus de sérum glucosé immédiatement. Ils ajoutent que la mesure de la glycémie capillaire à 21 heures justifiait de contrôler en urgence la glycémie sanguine et a fortiori de lui administrer du sérum glucosé, ce qui n'a pas été fait avant 2h10, après appel téléphonique au CHU.
Les requérants invoquent l'analyse critique du Docteur [Y] et contestent qu'une analyse des décision de suivi pédiatrique soit faite sur la base de recommandations de 2019 postérieures aux faits.

S'appuyant sur l'analyse du professeur [G], sapiteur pédiatre, le rapport d'expertise judiciaire fonde son analyse sur les recommandations de bonnes pratiques les plus récentes validées en juillet 2019 par la Société Française de Pédiatrie et la Société Française de Néonatalogie concernant les hypoglycémies néonatales.

Concernant le taux de lactate, le professeur [G] retient que le taux de lactate est une mesure biologique qui ne s'apparente pas à l'existence de symptômes mais qui justifie une prescription et une surveillance. L'expert considère que l'administration de glucose a été prescrite à chaque fois que cela était nécessaire avec surveillance de l'efficacité des administrations. L'expert précise que la conduite à tenir dans les premières heures de vie doit tenir compte du fait qu'[L] était asymptomatique.

En réponse aux dires des requérants, le professeur [G] précise qu'aucun document pédiatrique ne fait état d'une hypoxie ou d'un bas débit circulatoire postnatal avant la survenue de l'État convulsif le 2 octobre, l'hypoxie étant mise en évidence 24 à 36 heures après l'état de mal convulsif.

L'analyse d'une faute médicale doit en principe reposer sur les données actualisées et les bonnes pratiques en vigueur au moment de l'acte. Néanmoins, les experts peuvent s'appuyer sur des donnés médicales postérieurs à l'événement lorsque ces données n'ont pas pour effet de considérer comme fautif des comportements antérieurement considéré comme non fautif mais que, au contraire, ces nouvelles données retiennent une absence de faute médicale, laquelle doit être prouvée.

Le rapport d'expertise du docteur [D] s'appuie sur les recommandations du réseau périnatal d'Aquitaine et celles du centre hospitalier universitaire de [Localité 13] ainsi que sur des recommandations canadiennes. Il apparaît toutefois légitime de s'appuyer, comme l'ont fait les experts judiciaires, sur les recommandations de la Société Française de Pédiatrie et la Société Française de Néonatalogie concernant les hypoglycémies néonatales qui font autorité en France. Les requérants ne s'appuient d'ailleurs concernant la prise en charge pédiatrique que sur les appréciations contraires du professeur [D], lequel est spécialisé en chirurgie gynécologique et obstétricale.

En tout état de cause, l'analyse du docteur [G] concernant l'absence de lien de causalité entre l'hypoglycémie et les lésions neurologiques n'est pas réellement remise en cause par le rapport d'expertise privée du docteur [Y]. Dans le rapport d'expertise judiciaire, le professeur [G] soutient que l'hypoglycémie objectivée du nourrisson ne saurait être responsable des lésions neurologiques constatées. L'expert retient qu'aucune image n'est spécifique et qu'il n'est pas possible de rattacher les lésion neurologique centrales à l'épisode transitoire et modéré d'hypoglycémie ou à une simple naxo ischémie périnatale.
Les experts en concluent que l'hypothèse d'un AVC anténatal est la seule qui leur semble compatible avec l'ensemble des données médicales disponibles.

Le rapport d'expertise privée du docteur [Y] retient également que l'on peut dater de façon certaine le problème entre le 28 et le 30 septembre dans la matinée, moment à partir duquel l'hypoxie fœtale a débuté entraînant très probablement un AVC anténatal totalement indépistable. Le docteur [Y] ajoute que ce n'est pas une césarienne réalisée 15 minutes, 1 ou 2 heures plus tôt qui auraient malheureusement changé quoi que ce soit au pronostic neurologique déjà engagé très défavorablement. Le docteur [Y] considère en effet que l'examen clinique néonatal et les images I.R.M. d'[L] ne correspondent pas à une anaxo ischémie per partum exclusive même si certains items sont présents. Il retient que la bonne adaptation néonatale et l'image I.R.M. sont en faveur d'un AVC anténatal et ajoute que la survenue ultérieure d'une hypoglycémies néonatale n'a sûrement pas amélioré le pronostic neurologique mais considère que celle-ci n'est intervenue qu'à la marge, les lésions neurologiques et le mauvais pronostic étant malheureusement fixés.

Ainsi, même l'analyse de l'expert privé missioné par les requérants, le docteur [Y], ne permet pas de retenir un potentiel lien de causalité entre les atteintes neurologiques dont a été victime [L] et l'hypoglycémie présentée par le nourrisson, même si cette hypoglycémie résultait de fautes dans la prise en charge pédiatrique du nouveau-né.

Dès lors, les développements du rapport d'expertise judiciaire à cet égard ne justifient ni d'ordonner une contre-expertise, ni de retenir une faute de la MSP [24].

Sur le défaut d'information des parents et la perte de chance d'éviter le dommage

Les requérants considèrent que la MSP [24] a à tout le moins commis une faute en n'informant pas les parents de la possibilité de déclencher précocement l'accouchement. Ils invoquent cet égard le devoir d'information des patients prévu par l'article L 1111-2 du code de la santé publique.

Les requérants appuient leur analyse sur celle du docteur [Y] selon laquelle les recommandations de la HAS précisent qu'en cas de grossesse prolongée le fœtus présente un risque augmenté d'anomalie du rythme cardiaque fœtal et d'emission méconiale in utero. Ils considèrent que Madame [X] et Monsieur [I] n'ont pas été mis en mesure de faire un choix éclairé sur les suites à réserver la grossesse à risque à partir de 39 semaines d'aménorrhée, alors qu'il n'y avait aucun bénéfice particulier à poursuivre la grossesse au-delà de ce terme.

La position des requérants s'appuie sur l'analyse du professeur [Y] selon laquelle il convenait pour le moins d'informer de façon claire et loyale le couple de l'alternative que constituait un déclenchement au regard de l'obésité de la patiente, son hypertension artérielle en elle-même et de l'augmentation du risque d'asphyxie périnatale. Néanmoins, il ne saurait être retenu de faute relative à un défaut d'information alors qu’aucun facteur de risque spécifique avant le jour de l'accouchement n'a été retenu, l'hypertension artérielle présentée par Madame [X] étant selon le professeur [Y] lui-même, stabilisé au regard du traitement médical mis en place, et l'absence d'autres anomalies ne justifiant pas, selon les bonnes pratiques cités dans le rapport d'expertise judiciaire, le recours à un déclenchement. En l'absence de risque identifié précisément associé aux données cliniques, il ne saurait être reproché à l'équipe médicale de la MSP [24] de ne pas avoir proposé un déclenchement de l'accouchement.

Dans ces circonstances, aucune perte de chance tirée d'un défaut d'information ne saurait être retenue.

Sur les autres dispositions du jugement

Succombant la procédure, les requérants seront condamnés aux dépens.

En revanche, il n'apparaît pas équitable de faire droit aux demandes formées par la MSP [24] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ailleurs, il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire du jugement.

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

Rejette la demande de contre-expertise ;

Rejette les demandes subsidiaires formées par Monsieur [T] [I], Madame [A] [X], parents de [L],ainsi que Monsieur [O] [I], Madame [U] [I], Monsieur [Z] [X] et Madame [E] [X] ;

Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et rejette les demandes à ce titre ;

Condamne in solidum Monsieur [T] [I], Madame [A] [X], ainsi que Monsieur [O] [I], Madame [U] [I], Monsieur [Z] [X] et Madame [E] [X] aux dépens, qui comprendront le coût de l’expertise judiciaire et dit que les avocats en la cause en ayant fait la demande pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l’avance sans avoir reçu provision en application de l’article 699 du code de procédure civile ;

Rejette la demande d'exécution provisoire de la présente décision ;

Rejette les autres demandes des parties.

Le jugement a été signé par Louise LAGOUTTE, président et Elisabeth LAPORTE, greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : 6ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 18/07405
Date de la décision : 05/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-05;18.07405 ?
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