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08/04/2024 | FRANCE | N°21/08065

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, 6ème chambre civile, 08 avril 2024, 21/08065


6EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND



TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
6EME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 08 Avril 2024
63A

RG n° N° RG 21/08065

Minute n°





AFFAIRE :

[B] [V] [N]

C/
S.E.L.A.R.L. PHARMACIE [I]
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA GIRONDE





Grosse Délivrée
le :
à
Avocats : la SELARL MEYER & SEIGNEURIC
la SELARL RACINE



COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et de la mise à disposition :

Madame Louise LAGOUTTE, vice-préside

nt,
statuant en juge unique.
Madame Elisabeth LAPORTE, greffier présente lors des débats et d ela mise à disposition,

DEBATS :

à l’audience publique du 05 Février 2024

JUGEMENT :

Répu...

6EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
6EME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 08 Avril 2024
63A

RG n° N° RG 21/08065

Minute n°

AFFAIRE :

[B] [V] [N]

C/
S.E.L.A.R.L. PHARMACIE [I]
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA GIRONDE

Grosse Délivrée
le :
à
Avocats : la SELARL MEYER & SEIGNEURIC
la SELARL RACINE

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et de la mise à disposition :

Madame Louise LAGOUTTE, vice-président,
statuant en juge unique.
Madame Elisabeth LAPORTE, greffier présente lors des débats et d ela mise à disposition,

DEBATS :

à l’audience publique du 05 Février 2024

JUGEMENT :

Réputé contradictoire
en premier ressort
Par mise à disposition au greffe

DEMANDEUR

Monsieur [B] [V] [N]
né le [Date naissance 2] 1961 à [Localité 9]
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Localité 4]

représenté par Maître Hélène SEIGNEURIC de la SELARL MEYER & SEIGNEURIC, avocats au barreau de BORDEAUX

DEFENDERESSES

S.E.L.A.R.L. PHARMACIE [I] prise en la personne des se représentants légaux domiciliés es qualités audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]

représentée par Maître Annie BERLAND de la SELARL RACINE BORDEAUX, avocats au barreau de BORDEAUX

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA GIRONDE prise en la personne de son directeur en exercice domicilié es qualités audit siège
[Adresse 11]
[Localité 3]

défaillante

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 25 septembre 2020 dans la nuit, M. [B] [N] a présenté des troubles de comportement avec perte de contact avec le réel et hallucinations. Sa compagne a appelé les secours et il a été hospitalisé au Centre Hospitalier [8]. Il a été transféré le lendemain au Centre Hospitalier de [Localité 7] où il a fait l’objet d’une hospitalisation à la demande d’un tiers. Il est resté hospitalisé du 25 septembre 2020 au 6 octobre 2020.

Cherchant à comprendre les causes de ses troubles, il a constaté que la pharmacie [Adresse 10] avait commis une erreur dans la délivrance de médicaments. Il présente en effet un trouble bipolaire pour lequel il lui est prescrit du THERALENE. Or, le 23 septembre 2020, alors qu’il se rendait à la pharmacie pour y chercher son traitement, il lui a été délivré du PARKINANE, médicament prescrit pour le traitement de la maladie de Parkinson et dont les effets indésirables provoquent une confusion mentale, des hallucinations et une agitation.

Considérant que la pharmacie avait commis une faute responsable de son hospitalisation, M. [B] [N] a, par acte d’huissier délivré le 7 octobre 2021, fait assigner la SELARL PHARMACIE [I] exerçant sous le nom PHARMACIE [Adresse 10] prise en la personne de ses représentants légaux M. [X] [I] et Mme [G] [I] et la CPAM de la Gironde devant le tribunal judiciaire de Bordeaux pour voir reconnaître la responsabilité de M et Mme [I] pharmaciens titulaires de l’office PHARMACIE [Adresse 10] et gérant de la SELARL PHARMACIE [I] en leurs qualité d’employeurs responsables de l’erreur de délivrance commise le 16 septembre 2020 et liquider son préjudice.

Par conclusions en réponse notifiées par voie électronique le 20 mars 2023, M. [B] [N] demande au tribunal de :
Vu les articles R.4235-13, R.4235-48, L.5125-20, L.1142-2 du code de la santé publique,
Vu l’article L.1242 5° du code civil,
Vu les autres pièces versées au débat
- dire et juger que M et Mme [I], pharmaciens titulaires de l’office PHARMACIE [Adresse 10] et gérant de la SELARL PHAMACIE [I] en leur qualité d’employeurs sont responsables de l’erreur de délivrance commise le 16 septembre 2020
En conséquence,
- dire et juger que M et Mme [I] sont entièrement responsables de ses préjudices,
- les condamner à lui payer les indemnités suivantes :
* 300 € au titre du déficit fonctionnel permanent
* 15.000 € au titre du préjudice moral
Soit un total de 18.000 €
A titre subsidiaire,
- ordonner une expertise médicale et désigner tel expert qu’il plaira en toxicologie médico-légale ou en biologie médicale, avec mission notamment de dire si les troubles présentés sont en relation directe avec la prise médicamenteuse du 16 au 25 septembre 2020,
En toute hypothèse,
- condamner M et Mme [I] au paiement d’une indemnité de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux dépens de l’instance,
- ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.

Dans ses conclusions en défense notifiées par voie électronique le 13 décembre 2022, la SELARL PHARMACIE [I] exerçant sous l’enseigne PHARMACIE [Adresse 10] demande au tribunal de :
Vu les articles L.1142-1 et suivants du code de la santé publique,
In limine litis,
- déclarer M. [B] [N] irrecevable en ses prétentions formulées à l’encontre de M et Mme [I], personnes non mises en cause dans la présente instance,
- débouter M. [B] [N] de l’intégralité de ses demandes formulées à l’enconre de M et Mme [I]
A titre principal,
- dire et juger que la responsabilité de la SELARL PHARMACIE [I] n’est pas démontrée
- débouter M. [B] [N] de l’intégralité de ses demandes formulées à l’encontre de la SELARL PHARMACIE [I]
- condamner M. [B] [N] à verser la somme de 2.500 € à la SELARL PHARMACIE [I] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,
A titre subsidiaire
- lui donner acte de ce qu’elle ne s’oppose pas à la mesure d’expertise sous toutes les réserves et protestations d’usage
- débouter M. [B] [N] de toutes ses autres demandes à l’encontre de la PHARMACIE [I]
- réserver les dépens.

La CPAM de la Gironde n’a pas constitué avocat. Il sera statué par jugement réputé contradictoire.

Pour l’exposé des moyens venant au soutien de ces demandes, il est renvoyé aux conclusions écrites des parties.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 novembre 2023 et l’affaire a été appelée à l’audience du 5 février 2024 au cours de laquelle elle a été retenue puis mise en délibéré par mise à disposition au greffe à la date de ce jour.

MOTIFS DE LA DECISION

Il résulte des dispositions de l’article 472 du code de procédure civile que si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée.

M. [B] [N] soutient que M et Mme [I], en leur qualité de gérants de la pharmacie [Adresse 10] sont responsables du dommage qu’il a subi en raison d’une erreur dans la délivrance des médicaments qui lui avaient été prescrits par son psychiatre le docteur [C]. Il fait valoir que le 23 septembre 2020, il lui a été délivré une boîte de PARKINANE, médicament ayant vocation à être prescrit aux malades atteints de la maladie de Parkinson, alors qu’il aurait du lui être délivré une boîte d’ALIMEMAZINE, ou tartrate, connu sous la dénomination de THERALENE, utilisé pour l’insomnie occasionnelle de l’adulte et prescrit par son médecin dans le cadre du traitement de sa bipolarité. Il considère que les troubles du comportement qui ont conduit à son hospitalisation sont dus aux effets secondaires du PARKINANE et que son dommage est en lien direct avec l’erreur commise par la pharmacie dans la délivrance du médicament. Il fonde son action à la fois sur les dispositions des articles L.5125-20 et R.4235-13 et suivants du code de la santé publique relatives aux obligations du pharmacien titulaire d’une officine et 1242 5° du code civil relatif à la responsabilité des commettants, considérant que le pharmacien assistant ou le préparateur agit sous le contrôle et la surveillance du pharmacien titulaire de l’officine qui engage sa responsabilité, et que la faute commise par le préposé engage la responsabilité de son employeur.

La SELARL PHARMACIE [I] fait valoir que sa responsabilité est régie par les dispositions de l’article L.1142-1 du code de la santé publique qui dispose que sa responsabilité ne peut être engagée qu’en cas de faute. Elle soutient d’abord qu’elle n’a pas commis de faute en ce qu’elle a vérifié conformément à ses obligations la conformité de la délivrance des médicaments par la préparatrice et s’est rendue compte que celle-ci avait commise une erreur. L’erreur a été rectifiée et c’est bien une boîte d’ALIMEMAZINE qui a été délivrée même s’il n’a pas été possible de réparer cette erreur informatiquement. Elle considère par ailleurs qu’il n’y a pas de lien entre la prise prétendue de PARKINANE et la survenue de troubles cognitifs. D’une part les effets indésirables du PARKINANE ne sont pas systématiques. D’autre part, les médicaments délivrés au patient dans le cadre de son traitement habituel et notammen t le SERESTA présentent des effets secondaires comparables aux troubles du comportement qui ont conduit à l’hospitalisation de M. [B] [N]. Elle fait observer enfin que le compte rendu de sortie d’hospitalisation fait état d’une mauvaise observance par le patient de ses traitements et mentionne une surconsommation de benzodiazépines. Elle soutient au final que rien ne permet d’établir que M. [B] [N] a effectivement ingéré du PARKINANE et que celui-ci ne démontre pas l’imputabilité des troubles cognitifs qu’il a présenté à une erreur commise dans la délivrance de médicaments.

Aux termes de l’article 1142-1-I du code de la santé publique, “hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés dans la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostics ou de soins, ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes, de prévention, diagnostics ou de soins qu’en cas de faute.
Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infection nosocomiale, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère”.

M. [B] [N], qui vise les dispositions de l’article L.1142-2 du code de la santé publique relative à l’obligation d’assurance des professionnels de santé, ne conteste pas que l’article L.1142-1 est applicable au présent litige.

Il appartient en conséquence à M. [B] [N] de rapporter la preuve de l’existence d’une faute à l’origine de son dommage. Il soutient à ce titre que la préparatrice en commettant une erreur dans la délivrance des médicaments a commis une faute engageant la responsabilité du pharmacien.

Il est constant que M. [B] [N] s’est vu prescrire par le docteur [C] le 16 septembre 2020 les médicaments suivants :ALIMEMAZINE (TARTRATE), ARIPIPRAZOLE, LAMOTRIGINE et OXAZEPAM (SERESTA). Cette ordonnance a fait l’objet d’une délivrance de médicaments en deux temps : le 16 septembre 2020, délivrance de L’ARIPIPRAZOLE et du SERESTA, le 23 septembre délivrance de PARKINANE et de LAMOTRIGINE.

M. [B] [N] soutient que le 23 septembre, il lui a bien été délivré du PARKINANE qu’il a ingéré sans se rendre compte que ce médicament lui avait été délivré par erreur. Il produit pour en justifier l’attestation de sa compagne qui indique avoir retrouvé après l’hospitalisation de son conjoint 3 boîtes de PARKINANE.

La SELARL PHARMACIE [I] conteste l’erreur de délivrance du médicament, expliquant que l’erreur commise par la réparatrice a été rectifiée mais qu’elle n’a pu être rectifiée sur l’ordonnance qui mentionne bien la délivrance de PARKINANE.

Il ne peut être contesté, au regard de ces éléments, qui M. [B] [N] était en possession de PARKINANE. Toutefois, à supposer établie l’erreur de délivrance par la pharmacie, il appartient encore au demandeur d’établir qu’il a effectivement ingéré ces médicaments et qu’il existe un lien entre cette prise et les troubles cognitifs qu’il a présenté dans la nuit du 24 au 25 septembre 2020 soit 2 jours après la délivrance du médicament.

Sur ces points, la SELARL [I] fait observer justement que la présentation du PARKINANE et du THERALENE différe tant par l’aspect de leur boîte que par leur conditionnement (gélules pour le PARKINANE et comprimés pour le THERALENE). Il peut dès lors être considéré que M. [B] [N] pouvait difficilement ne pas avoir conscience de l’erreur de médicament.

D’autre part, il ressort du compte-rendu d’hospitalisation de M. [B] [N] qu’il présentait à son arrivée au centre hospitalier de [Localité 7] les symptômes suivants : “patient anxieux. Contact discrètement hypersyntone. Discours logorrhéique, avec fuite des idées et parfois perte du lien logique. Insomnie avec hyperactivité nocturne”. Dans son attestation, sa compagne a décrit un état de grande confusion. Or, si la notice du PARKINANE mentionne au titre des effets indésirables “ont été rapportés : confusion mentale, hallucinations, agitation et particulièrement chez le sujet âgé”, la notice du SERESTA, mentionne “chez certains sujets, les benzodiazépines et apparentés peuvent entraîner un syndrome associant à des degrés divers une altération de conscience et des troubles du comportement et de la mémoire. Peuvent être observés : aggravation de l’insomnie, cauchemars, agitation, nervosité, idées délirantes, hallucinations, état confuso-onirique, symptomes de type psychotique, désinhibition avec impulsivité, euphorie, irritabilité, amnésie antérograde, suggestibilité”.

Dans son compte-rendu, le centre hospitalier de [Localité 7] a mentionné “évolution favorable, avec réorganisation des idées, disparition de l’exaltation psychique. Restauration du sommeil. Le patient admet une mauvaise observance des traitements et notamment une surconsommation de benzodiazépines. Psychoéducation sur les traitements. Sevrage en BZD bien toléré”.

Il résulte de l’ensemble que si les troubles cognitifs présentés par M. [B] [N] à son admission peuvent correspondre aux effets indésirables du PARKINANE, ils correspondent surtout aux effets indésirables du SERESTA s’agissant notamment de l’insomnie, que les médecins ont noté une surconsommation de benzodiazépines admise par le patient et ont prescrit le sevrage de ce médicament. Sur ce point, il doit être observé que 5 boîtes de SERESTA avaient été délivrées à M. [B] [N] le 16 septembre 2020. Enfin, s’il était établi la délivrance de PARKINANE à la suite d’une erreur commise par la pharmacie, il doit être constaté que cette délivrance serait datée du 23 septembre et que M. [B] [N] en aurait pris tout au plus les 23 et 24 septembre avant son hospitalisation dans la nuit du 24 au 25 septembre 2020, ce qui réduit d’autant les effets potentiellement indésirables de ce médicament.

Il n’est donc pas rapporté la preuve d’une part de la prise par M. [B] [N] avant son hospitalisation de PARKINANE et d’autre part du lien direct et certain entre la prise de ce médicament et le dommage qui peut avoir une autre cause. L’organisation d’une expertise médicale, sollicitée à titre subsidiaire par M. [B] [N], ne permettra pas d’établir la réalité de la prise de PARKINANE et de son lien direct et certain avec le dommage.

M. [B] [N] sera en conséquence débouté de l’intégralité de ses demandes.

Les dépens seront laissés à la charge de M. [B] [N], qui succombe.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la SELARL [I] les frais non compris dans les dépens. Il lui sera alloué une indemnité de 1.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

DEBOUTE M. [B] [N] de l’intégralité de ses demandes ;

DECLARE le présent jugement commun à la CPAM de la Gironde ;

LAISSE les dépens à la charge de M. [B] [N] ;

CONDAMNE M. [B] [N] à payer à la SELARL PHARMACIE [I] une indemnité de 1.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Le jugement a été signé par Louise LAGOUTTE, président et Elisabeth LAPORTE, greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : 6ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/08065
Date de la décision : 08/04/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-08;21.08065 ?
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