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03/04/2024 | FRANCE | N°23/01759

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, 6ème chambre civile, 03 avril 2024, 23/01759


6EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND



TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX

6EME CHAMBRE CIVILE


JUGEMENT DU 03 Avril 2024

63A

RG n° N° RG 23/01759

Minute n°



AFFAIRE :

[F] [O]
C/
[S] [V], Caisse Primaire d’Assurance Maladie de la Gironde, Commune de [Localité 3]




Grosse Délivrée
le :
à Avocats : la SCP LATOURNERIE - MILON - CZAMANSKI - MAZILLE
Me Charlotte MORY





COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Lors des débats, du délibéré et de la mise à disposition :>
Madame Louise LAGOUTTE, vice-président,
Madame Marie-Aude DEL BOCA, vice-président,
Madame Fanny CALES, juge,

greffier présente lors des débats et de la mise à disposition : Madame El...

6EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX

6EME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 03 Avril 2024

63A

RG n° N° RG 23/01759

Minute n°

AFFAIRE :

[F] [O]
C/
[S] [V], Caisse Primaire d’Assurance Maladie de la Gironde, Commune de [Localité 3]

Grosse Délivrée
le :
à Avocats : la SCP LATOURNERIE - MILON - CZAMANSKI - MAZILLE
Me Charlotte MORY

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Lors des débats, du délibéré et de la mise à disposition :

Madame Louise LAGOUTTE, vice-président,
Madame Marie-Aude DEL BOCA, vice-président,
Madame Fanny CALES, juge,

greffier présente lors des débats et de la mise à disposition : Madame Elisabeth LAPORTE,

DEBATS:

A l’audience publique du 07 Février 2024,

JUGEMENT:

Réputé contradictoire
En premier ressort
Par mise à disposition au greffe

DEMANDERESSE

Madame [F] [O]
née le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 3]

représentée par Me Charlotte MORY, avocat au barreau de BORDEAUX

DEFENDEURS

Monsieur [S] [V]
de nationalité Française
Clinique [9]
[Adresse 1]
[Localité 3]

représenté par Maître David CZAMANSKI de la SCP LATOURNERIE - MILON - CZAMANSKI - MAZILLE, avocats au barreau de BORDEAUX

Caisse Primaire d’Assurance Maladie de la Gironde venant aux droits de la MNT Section Gironde prise en la personne de son directeur en exercice
[Adresse 7]
[Localité 3]

défaillante

Mairie de [Localité 3] prise en la personne de son maire en exercice
[Adresse 8]
[Localité 3]

défaillante

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Madame [O], (sur les préconisations du docteur [L]), était hospitalisée le 19 juillet 2011 au sein de la Clinique [9] de [Localité 3] et subissait une opération de gastrectomie le 20 juillet 2011 réalisée par le docteur [V] suite à un diagnostic de cancer gastrique.

Elle était placée en arrêt de travail prolongés puis reprenait en mi-temps thérapeutique en août 2014. Elle était ensuite placée en retraite pour invalidité à 81 %.

Souffrant de plusieurs séquelles du fait de cette opération, et reprochant au médecin d’avoir réalisé une gastrectomie totale en lieu et place d’une gastrectomie partielle, Madame [O] saisissait la Commission de Conciliation et d’Indemnisation des Accidents Médicaux (CCI) de [Localité 3] par requête enregistrée le 27 juillet 2020.

La CCI de [Localité 3] désignait comme expert le Professeur [Y] [I], chirurgien viscéral au CHU de [Localité 5], avec la mission habituelle en la matière, lequel déposait son rapport
d’expertise médico-légale le 1er juin 2021.

Le 24 septembre 2021, la CCI émettait un avis au titre duquel elle exposait que le docteur [V] avait failli à son obligation d’information s’agissant de la réalisation de la gastrectomie totale, cette faute ayant causé à Madame [O] un préjudice d’impréparation, rejetant les autres demandes formées par la requérante.

Par courrier du 25 janvier 2022, l’assureur du docteur [V], la SHAM, adressait à Madame [O] une proposition d’indemnisation à hauteur de 4 000 euros en réparation de son préjudice d’impréparation.

Estimant que la proposition d’indemnisation formulée était insuffisante, Madame [O] a par actes délivrés les 28 février et 01 mars 2023, fait assigner devant le présent tribunal le docteur [V], pour voir indemniser son préjudice et la CPAM de la Gironde et la Commune de Bordeaux, en qualité de tiers payeurs.

Par conclusions responsives et récapitulatives notifiées par voie électronique le 08 novembre 2023, Madame [O] demande au tribunal de :
- Condamner le docteur [S] [V] à payer à Madame [O] les sommes
suivantes au titre de son préjudice corporel :
* 2.160 € au titre du déficit fonctionnel total partiel,
* 25.312,50 € au titre du déficit fonctionnel permanent,
* 3.440 € au titre de la perte de gains professionnels actuels,
* 255.198,97 € au titre de la perte de gains professionnels futurs,
* 273.196,68 € de perte de droits à retraite au titre de l’incidence professionnelle,
- A titre subsidiaire, Condamner le docteur [V] à payer à Madame [O] les sommes suivantes au titre de son préjudice corporel au titre de la perte de chance;
* 2.052 € au titre du déficit fonctionnel total partiel,
* 24.046,88 € au titre du déficit fonctionnel permanent,
* 3.268 € au titre de la perte de gains professionnels actuels,
* 242.439,02 € au titre de la perte de gains professionnels futurs,
* 259.536,85 € de perte de droits à retraite au titre de l’incidence professionnelle,

- En tout état de cause, condamner le docteur [V] à payer à Madame [O] la somme de 15.000 € au titre de son préjudice moral,
- Condamner le docteur [V] à payer la somme de 5 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Au soutien de ses demandes, elle soutient que le docteur [V] ne l’avait ni informée ni obtenu son consentement éclairé préalable quant à l’opération chirurgicale de gastrectomie totale pratiquée le 20 juillet 2011, en lieu et place de l’opération de gastrectomie partielle des 4/5 ème. Elle expose que celui-ci ne peut lui opposer l’urgence ou l’impossibilité d’obtenir son consentement. Elle allègue avoir subi de fait un préjudice moral du fait de son absence de consentement à l’acte pratiqué.
Par ailleurs, elle fait valoir qu’une faute médicale a été commise en ce que la dite gastrectomie totale n’était pas nécessaire, et que le docteur [V] est ainsi responsable de la majoration des conséquences sur Madame [O] de la gastrectomie totale par rapport à la gastrectomie partielle des 4/5 qui aurait dû être réalisée. Subsidiairement, elle invoque avoir subi une perte de chance de ne pas avoir subi la majoration de ses préjudices corporels à hauteur de 95 %.

Au terme des conclusions responsives notifiées par voie électronique le 01 décembre 2023, le docteur [V] sollicite de :
- Rabattre l’ordonnance de clôture au jour des plaidoiries,
- Débouter Mme [O] de ses demandes,
- Condamner Mme [O] à payer au Docteur [V] une indemnité de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens avec distraction au profit de la SCP LATOURNERIE MILON CZAMANSKI MAZILLE par application des dispositions de l'article 699
- À titre subsidiaire, limiter l'indemnisation de Mme [O] aux sommes suivantes :
▪ 2 000 € au titre du préjudice d'impréparation
▪ 1 800 € au titre du déficit fonctionnel temporaire
▪ 3 000 € au titre du déficit fonctionnel permanent
- Rejeter le bénéfice de l'exécution provisoire.

Au soutien de ses demandes, il fait valoir l’absence de faute s’agissant du geste médical de gastrectomie totale.
Par ailleurs, il expose avoir obtenu le consentement de Madame [O] quant à l’opération initiale ainsi qu’à tout acte complémentaire se révélant nécessaire durant l’intervention.

Pour l’exposé plus ample des moyens venant au soutien de ces demandes, il est renvoyé aux conclusions écrites des parties.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 28 novembre 2023 et l’affaire a été appelée à l’audience du 07 février 2024 au cours de laquelle elle a été retenue puis mise en délibéré par mise à disposition au greffe à la date de ce jour, les parties en ayant été informées selon les modalités de l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

La CPAM de la Gironde et la Commune de [Localité 3] n’ont pas constitué avocat. Il sera statué par jugement réputé contradictoire.

MOTIFS DE LA DECISION

Il résulte des dispositions de l’article 472 du code de procédure civile que si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée.

À titre liminaire, sur le rabat de l’ordonnance de cloture, et la recevabilité des conclusions tardives,

En application des dispositions de l’article 803 du code de procédure civile, l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue. Elle peut être révoquée en cas d’accord des parties.
Aux termes de l’article 802 al 1 du code de procédure civile, après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office.

En l’espèce, les conclusions récapitulatives du Dr [V] ont été notifiées après l’ordonnance de clôture. Cette communication tardive n’est nullement justifiée.
Vu l’absence de cause grave justifiant cette notification tardive, il convient de rejeter la demande de rabat de l’ordonnance de cloture.

Par conséquent, il convient de déclarer irrecevables les conclusions notifiées le 01/12/2023 par le Dr [V] en ce que cette notification est intervenue après la clôture intervenue le 28/11/2023.

I - Sur la responsabilité du docteur [V] tirée du manquement au devoir d’information et de consentement du patient,

a) sur la caractérisation de la faute tirée du défaut d’information,

L’article 16-3 du code civil, énonce qu’il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui. Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir.

Selon l’article L111-1-2 I. du code de la santé publique (version en vigueur du 23/07/2009 au 28/01/2016), toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Elle est également informée de la possibilité de recevoir, lorsque son état de santé le permet, notamment lorsqu'elle relève de soins palliatifs au sens de l'article L. 1110-10, les soins sous forme ambulatoire ou à domicile. Il est tenu compte de la volonté de la personne de bénéficier de l'une de ces formes de prise en charge. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver. Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser.

De même, l’article L 1111-4 prévoit que toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement. Le suivi du malade reste cependant assuré par le médecin, notamment son accompagnement palliatif. Le médecin a l'obligation de respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. Si, par sa volonté de refuser ou d'interrompre tout traitement, la personne met sa vie en danger, elle doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable. Elle peut faire appel à un autre membre du corps médical. L'ensemble de la procédure est inscrite dans le dossier médical du patient. Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l'article L. 1110-10. Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.
Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté.

Par ailleurs, il revient au médecin de rapporter la preuve de l’exécution de son obligation d’information.

En l’espèce, suite au résultat d’une gastroscopie réalisée le 15 juin 2011, Madame [O] se voyait proposer le 13 juillet 2011, la participation à un essai clinique pour un traitement néoadjuvant par chimiothérapie péri-opératoire pendant 6 mois suivie d’une gastrectomie. Le formulaire de consentement à ce protocole remis à Madame [O], faisait état que l’affection nécessitait de réaliser une ablation partielle ou totale de l’estomac. Elle refusera ce protocole de chimiothérapie péri-opératoire et acceptera le traitement chirurgical d’emblée qui, selon elle, lui a été présenté avant l’opération comme une gastrectomie partielle par le docteur [L].
Madame [O] subira une gastrectomie totale le 20 juillet 2011 réalisée par le docteur [V].
Si les différents éléments de son dossier médical font état de la nécessité de pratiquer une “gastrectomie” sans autre précision, le dossier infirmier d’admission à la Clinique [9] fait bien mention du motif d’hospitalisation comme étant une v “gastrectomie partielle sous coelio”.

Le formulaire de consentement signé par Madame [O] ne fait aucune mention du motif ou type d’opération réalisée. Il indique que la patiente s’est vu exposer les “complications possibles de l’intervention, la possibilité de changement de la voie d’abord ou de l’anesthésie, les risques d’échec ou de récidives ainsi que les séquelles éventuelles” ou que “au cours de l’intervention”, le chirurgien pouvait être confronté à une “découverte ou difficulté imprévue nécessitant des actes complémentaires ou différents de ceux prévus initialement”.

Le docteur [V] allègue que la gastrectomie totale était un acte imprévu lors de l’intervention et expose ne pas avoir pu obtenir le consentement de Madame s’agissant du geste opératoire, celle-ci étant alors sous anesthésie, exposant avoir alors agit conformément au formulaire de consentement.
Or, d’une part le compte-rendu opératoire du 20 juillet 2011 indique l’absence de difficulté opératoire et d’autre part, il fait mention d’une “décision en RCP d’une gastrectomie totale” à savoir préalablement décidé en réunion de commission pluridisciplinaire des professionnels de santé suivant le cas de Madame [O], soit au préalable de l’intervention.

Cependant, le docteur [V] ne verse aucune pièce permettant de confirmer que cette information, ce choix opératoire, aurait été transmis en amont à Madame [O] et qu’elle aurait pu alors y donner un consentement libre et éclairé.

Ainsi, le docteur [V] ne peut faire valoir que ce geste chirurgical consistait en une complication de l’intervention initialement décidée et pour laquelle il se trouvait dans l’impossibilité d’obtenir le consentement de sa patiente sur le moment.

Par conséquent, il convient de considérer que le docteur [V] ne démontre pas avoir respecté le droit à l’information et à consentir de manière libre et éclairée au geste chirurgical consistant en une gastrectomie totale en lieu de partielle.

Il sera déclaré responsable du préjudice découlant de la violation de ce droit à l’information et au consentement de Madame [O].

b) sur le préjudice moral tirée du défaut d’information et de consentement,

En l'espèce, il est établi que le docteur [V] a eu un comportement fautif envers Madame [O] à savoir le non-respect du droit à l’information sur les traitements et du droit à consentir de façon libre et éclairée au geste oépratoire.

À ce titre, le professeur [I] fait état de ce que les symptômes dont fait état Madame [O] et qui sont en lien avec la gastréctomie (notamment obligation de fractionnement des repas, diarrhées, douleurs abdominales, complimentation alimentaires, perte de poids) auraient aussi existé après une gastrectomie partielle, mais qu’ils auraient été néanmois moins intense. Il retenait ainsi un déficit fonctionnel permanent de 3 % en raison de la majoration des conséquences de la gastrectomie totale par rapport à la gastrectomie de 4/5ème.

Il est également fait état de ce que la reprise professionnelle après une gastrectomie partielle était normalement possible après 1 mois, Madame [O] ayant pour sa part repris le travail en août 2014 à mi-temps thérapeutique soit plus de 3 ans après l’opération, situation qu’elle n’a pu anticiper.

Ainsi, il apparait que ce comportement fautif lui a causé un préjudice moral en ce qu’elle a été privée de son droit à refuser une opération portant atteinte à son intégrité corporelle, et d’autre part en raison de l’impossibilité de se préparer psychologiquement aux conséquences de cette opération.

L'importance de ce préjudice justifie de condamner le docteur [V] à verser à Madame [O] une somme de 10 000 euros.

II- Sur la responsabilité médicale du docteur [V] fondée sur la faute de réalisation d’une opération non nécessaire,

a) sur la caractérisation de la faute médicale,

Il résulte des dispositions combinées des articles L. 1142-1 I et R. 4127-32 du code de la santé publique que, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute.

Il est ainsi admis que la responsabilité du médecin, qui n’est tenue qu’à une obligation de moyens dans la réalisation des actes médicaux sus visés, ne peut être engagée qu’en cas de faute dont il résulte pour le patient un préjudice en relation de causalité directe et certaine.

En l’espèce, une gastroscopie réalisée le 15 juin 2011 avait mis en évidence que Madame [O] présentait un ulcère de l'angle de la petite courbure gastrique de l’ordre de 1 cm. Après biopsie, l'examen anatomopathologique notait " localisation d’un adénocarcinome peu différencié " Une écho-endoscopie avait été réalisée le 08 juillet 2011 retrouvant une "petite formation tumorale de l'angle de la petite courbure classée T2 N+".

Dans son rapport, le professeur [I] retient que, dans le cas de Madame [O], une gastrectomie aurait pu être réalisée “compte tenu du siège du cancer au niveau antral constaté sur l’examen anatomopathologique de la pièce opératoire”. Cependant, il expose que s’il s’agissait de la méthode de référence, la réalisation de la gastrectomie totale ne constituait pas une faute ou un manquement aux règles de l’art.
À ce titre, il fait valoir que ce choix était motivé non seulement par la localisation pré-opératoire de la tumeur au niveau de l’angle de la petite courbure, “ zone frontière” pour décider de l’étendue de l’exérèse, mais également par le type histologique caractérisé par des cellules indépendantes qu’il indique avoir tendance à diffuser dans la sous-muqueuse, et par le jeune âge de Madame [O] en raison du risque de récidive sur le moignon gastrique.

De plus, il apparait que cette décision n’a pas été décidée unilatéralement ou discrétionnairement par le docteur [V]. Elle a fait l’objet d’un échange et d’une décision concertée en amont en réunion pluri-disciplinaire par les professionnels de santé au vu de l’état de Madame [O] comme il en ressort du compte-rendu opératoire.

La note médicale du docteur [A] versée aux débats par la requérante, réalisée de façon non-contradictoire et sans faire état des documents sur lesquels ce dernier s’est prononcé, affirme l’absence de nécessité de réaliser cette gastréctomie totale. S’il avance que la gastréctomie partielle était indiquée, il apparait qu’il se fonde exclusivement sur la localisation de la tumeur, qui se trouvait en zone frontière, comme il convient de le rappeler, et sans prendre en compte les autres indications ou paramètres médicaux et notamment l’histologie et l’âge de la patiente.

Par conséquent, il convient de rejeter la demande de Madame [O] tendant à voir reconnaitre la faute du docteur [V] dans la réalisation de la gastrectomie totale.

b) sur le préjudice corporel allégué

En l’espèce, vu les dispositions précitées, le docteur [V] ne peut voir se voir condamner à indemniser Madame [O] du fait de son préjudice corporel qu’en cas de faute dont il résulte pour le patient un préjudice en relation de causalité directe et certaine.

En l’état, faute de pouvoir considérer comme fautif le geste opératoire consistant en une gastrectomie totale, il convient de rejeter la demande de Madame [O] en réparation de son préjudice corporel résultant de la réalisation de cette opération. De la même façon, il convient d’écarter la demande d’indemnisation du préjudice corporel tiré de la perte de chance de ne pas subir la majoration de ses préjudices, la dite intervention n’était pas considérée comme fautive.

III- Sur les autres demandes

Sur les dépens,

Succombant partiellement à la procédure, le docteur [V] sera condamné aux dépens.

Sur les frais irrépétibles,

D’autre part, il serait inéquitable de laisser à la charge de Madame [O] les frais non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de condamner le docteur [V] à une indemnité en sa faveur de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il convient de rejeter la demande du docteur [V] à ce titre.

Sur l’exécution provisoire,

Rien ne justifie d’écarter l’exécution provisoire de droit prévue par l’article 514 du code de procédure civile.


PAR CES MOTIFS

Le Tribunal,

REJETTE la demande aux fins de voir ordonner le rabat de l’ordonnance de clôture au jour de l’audience des plaidoiries ;

DECLARE d’office irrecevables les conclusions récapitulatives du docteur [V] notifiées par RPVA le 01/12/2023 ;

DEBOUTE Madame [O] de sa demande tendant à voir reconnaitre le docteur [V] responsable de son préjudice corporel ;

REJETTE les demandes de Madame [O] en réparation de son préjudice corporel ;

DECLARE le docteur [V] responsable du préjudice tirée du défaut d’information de Madame [O] ;

CONDAMNE le docteur [V] à payer à Madame [O] la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

CONDAMNE le docteur [V] à verser à Madame [O] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

DEBOUTE le docteur [V] de sa demande à condamner Madame [O] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

CONDAMNE le docteur [V] aux dépens ;

DIT n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de droit de la présente décision ;

REJETTE les autres demandes des parties.

Le jugement a été signé par Louise LAGOUTTE, président et Elisabeth LAPORTE, greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : 6ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 23/01759
Date de la décision : 03/04/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 09/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-04-03;23.01759 ?
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