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14/03/2024 | FRANCE | N°23/03235

France | France, Tribunal judiciaire de Bordeaux, 6ème chambre civile, 14 mars 2024, 23/03235


6EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND



TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
6EME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 14 Mars 2024
60A

RG n° N° RG 23/03235

Minute n°





AFFAIRE :

[W] [L]

C/
S.A. LA MAIF
CPAM DE LA GIRONDE
MUTUELLE MALAKOFF HUMANIS




Grosse Délivrée
le :
à
Avocats : la SCP DEFFIEUX - GARRAUD - JULES



COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et de la mise à disposition :

Madame Fanny CALES, juge,
statuant en juge unique.
Madame Elisabeth LAPOR

TE, greffier présente lors des débats et de la mise à disposition,

DEBATS :

à l’audience publique du 11 Janvier 2024

JUGEMENT :

Réputé contradictoire
en premier ressort
Par mise à dis...

6EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
6EME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 14 Mars 2024
60A

RG n° N° RG 23/03235

Minute n°

AFFAIRE :

[W] [L]

C/
S.A. LA MAIF
CPAM DE LA GIRONDE
MUTUELLE MALAKOFF HUMANIS

Grosse Délivrée
le :
à
Avocats : la SCP DEFFIEUX - GARRAUD - JULES

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et de la mise à disposition :

Madame Fanny CALES, juge,
statuant en juge unique.
Madame Elisabeth LAPORTE, greffier présente lors des débats et de la mise à disposition,

DEBATS :

à l’audience publique du 11 Janvier 2024

JUGEMENT :

Réputé contradictoire
en premier ressort
Par mise à disposition au greffe

DEMANDEUR

Monsieur [W] [L]
né le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 9] ([Localité 9])
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 5]

représenté par Maître Julie JULES de la SCP DEFFIEUX - GARRAUD - JULES, avocats au barreau de BORDEAUX

DEFENDERESSES

S.A. LA MAIF prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 7]

défaillante

CPAM DE LA GIRONDE prise en la personne de son directeur en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 12]
[Localité 9]/FRANCE

défaillante

MUTUELLE MALAKOFF HUMANIS prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 6]

défaillante

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 3 octobre 2014 à [Localité 8], M. [W] [L] qui circulait en moto a été victime d’un accident de la circulation dans lequel était impliqué un véhicule assuré auprès de la MAIF.

Il a été transporté au service des urgences de la clinique [10] de [Localité 11] où il a été constaté qu’il présentait un traumatisme cervical, un traumatisme thoracique droit, un traumatisme dorso-lombaire et un traumatisme du genou droit justifiant une ITT de 3 jours.

La MACIF, assureur de M. [L] et agissant dans le cadre de la convention IRCA, a confié les opérations d’expertise amiable au docteur [I] qui a conclu le 18 février 2015 à la non consolidation de l’état de santé de la victime.

Un nouvel examen a été réalisé le 2 novembre 2015 au terme duquel le docteur [I] a retenu une date de consolidation au 31 mars 2015 et un taux d’Atteinte à l’Intégrité Physique et Psychique (A.I.P.P.) de 4 %.

M. [L] a été victime d’un nouvel accident de la voie publique le 19 décembre 2016 avec un traumatisme du rachis cervical qui a aggravé la symptomatologie antérieure.

En outre, M. [L] se plaignant de la persistance de certains maux imputables à l’accident du 3 octobre 2014, une nouvelle expertise a été organisée le 23 avril 2018 entre les docteurs [I] et [G], après avis sapiteur du docteur [M], psychiatre, lesquels ont conclu à une consolidation médico-légale au 3 octobre 2015.

Par courrier en date du 25 juin 2019, la MACIF a formulé une offre d’indemnisation sur la base des dernières conclusions expertales.

Contestant ces dernières, M. [L] a sollicité du juge des référés la désignation d’un expert judiciaire.

Par ordonnance en date du 16 novembre 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire de BORDEAUX a ordonné une mesure d'expertise médicale confiée au docteur [C] afin d’évaluer les préjudices et a condamné la MAIF et la MUTUELLE MALAKOFF HUMANIS à payer à M. [L] une somme provisionnelle de 10.000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice corporel, outre les dépens et une indemnité au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le 29 avril 2022, l'expert judiciaire a déposé son rapport d'expertise définitif et a conclu, après avis d’un sapiteur psychiatre, le docteur [F], à une date de consolidation médico-légale au 1er juillet 2018, date de la reprise professionnelle et à un taux de déficit fonctionnel permanent (DFP) de 4 %.

M. [W] [L] a, par actes délivrés les 28 et 30 mars et le 3 avril 2023, fait assigner devant le présent tribunal la MAIF pour voir indemniser son entier préjudice ainsi que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (la C.P.A.M.) de la Gironde et la mutuelle MALAKOFF HUMANIS en qualité de tiers payeurs.

La MAIF, la C.P.A.M. de la Gironde et la mutuelle MALAKOFF HUMANIS n’ont pas constitué avocat. Il sera statué par jugement réputé contradictoire.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 24 octobre 2023 et l’affaire a été appelée à l’audience du 11 janvier 2024 au cours de laquelle elle a été retenue puis mise en délibéré par mise à disposition au greffe à la date de ce jour, les parties en ayant été informées selon les modalités de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions numéro 1 avec demande de rabat et de report de l’ordonnance de clôture notifiées par voie électronique le 8 janvier 2024 et signifiées aux parties par actes délivrés le 9 janvier 2024, M. [W] [L] demande au tribunal, au visa des dispositions de la loi du 5 juillet 1985, de :
- prononcer le rabat de l’ordonnance de clôture et son report à l’audience des plaidoiries ;
- condamner la MAIF à lui verser la somme de 398.415,05 euros en réparation de ses préjudices résultant de l’accident de la circulation du 3 octobre 2014 et se décomposant comme suit :

demandes victime
PRÉJUDICES PATRIMONIAUX

temporaires

- DSA dépenses de santé actuelles
177,50 €
- FD frais divers
1 728,65 €
- PGPA perte de gains actuels
NEANT
permanents

- PGPF perte de gains professionnels futurs
354 367,65 €
- IP incidence professionnelle
30 000,00 €
PRÉJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX

temporaires

- DFTP déficit fonctionnel temporaire partiel
5 141,25 €
- SE souffrances endurées
6 000,00 €
permanents

- DFP déficit fonctionnel permanent
6 000,00 €
- PA préjudice d'agrément
5 000,00 €
- TOTAL
408 415,05 €
Provision
10000 €
TOTAL après provision
398 415,05 €

- déclarer que le montant de la condamnation portera intérêts au taux légal à compter de la date de la date de la délivrance de l’assignation ;
- condamner la MAIF à lui verser la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la MAIF aux entiers dépens de l’instance, en ce compris les frais de l’expertise judiciaire taxés à la somme de 2.100 euros ;
- maintenir l’exécution provisoire de la décision à intervenir sur la totalité de ses dispositions ;
- débouter la MAIF de toute demande plus ample ou contraire aux présentes ;
- déclarer le jugement à intervenir commun à la CPAM de la Gironde ainsi qu’à la MUTUELLE MALAKOFF HUMANIS.

Pour l’exposé des moyens venant au soutien de ces demandes, il est renvoyé aux conclusions écrites des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

Il résulte des dispositions de l’article 472 du code de procédure civile que si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée.

Sur la demande de rabat de l’ordonnance de clôture à la date de l’audience de plaidoiries

En application des dispositions de l’article 803 du code de procédure civile, l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue. Elle peut être révoquée en cas d’accord des parties.

En l’espèce, tous les défendeurs sont défaillants et n’ont pas constitué avocat. Il y a donc lieu de faire droit dans l’intérêt d’une bonne admnistration de la justice à la demande de révocation de l’ordonnance de clôture et d’ordonner la clôture de la mise en état à la date des plaidoiries.

Sur l’implication du véhicule assuré par MAIF et le droit à indemnisation de M. [W] [L]

Aux termes de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985, « Les dispositions du présent chapitre s’appliquent, même lorsqu’elles sont transportées en vertu d’un contrat, aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui lui sont propres ».

Les articles 2 à 4 de la loi du 5 juillet 1985 disposent notamment que lorsque plusieurs véhicules terrestres à moteur sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l’indemnisation des dommages qu’il a subis, directement ou par ricochet, sauf le conducteur qui a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice, une telle faute ayant pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation de ses dommages.

En l’espèce, bien que M. [L] ne verse aucune pièce tendant à établir la réalité de l’accident, force est de constater que la MAIF n’entend pas, notamment au regard de l’offre d’indemnisation du 25 juin 2019, contester l’entier droit à indemnisation du demandeur à la suite d’un accident du 3 octobre 2014 à [Localité 8] en application des dispositions de la loi du 5 juillet 1985.

Aussi, il convient de retenir que la réalité de l’accident est établie ainsi que le droit à indemnisation de M. [L] est entier. Il convient en conséquence de procéder à la liquidation de son préjudice.

Sur la liquidation du préjudice de M. [W] [L]

Le rapport du docteur [C] indique que M. [W] [L], né le [Date naissance 2] 1964 et exerçant la profession de chef de dépôt au sein de la société SAINT GOBAIN au moment de l’accident, a présenté suite aux faits un traumatisme cervical sans lésion osseuse, thoracique et dorsolombaire sans lésion associée radiologique et du genou droit.

Les suites sont marquées par l’apparition d’un tableau douloureux polymorphe cervical et lombaire ainsi qu’un état de stress post traumatique évoluant vers une symptomatologie dysthymique et anxieuse progressive.

Il a réalisé plusieurs séances de kinésithérapie.

Les suites sont marquées par la persistance d’un tableau hyperalgique diffus et l’apparition d’une symptomatologie cognitive ; l’IRM cérébrale n’a retrouvé aucune signe encéphalique lésionnel post traumatique.

Sur le plan clinique, l’expert a constaté l’absence de signe séquellaire physique mais une symptomatologie riche sur le plan post-commotionnel avec une importante fatigabilité, des difficultés quotidiennes décrites tant sur le plan thymique que physique à cause des douleurs alléguées.

Il n’existe pas d’état antérieur susceptible d’interférer avec les faits en cause.

Le sapiteur psychiatre a constaté au jour de son examen une disparition des affects dépressifs et un épuisement du syndrome de répétition mais une persistance des troubles du caractère, un certain niveau d’anxiété et une fragilisation émotionnelle.

Après consolidation fixée au 1er juillet 2018 date de la reprise professionnelle, l’expert retient un déficit fonctionnel permanent de 4 % en raison des séquelles anxieuses et une fragilisation émotionnelle avec un tableau douloureux chronique allégué sans substrat organique.

Au vu de ce rapport, le préjudice corporel de M. [W] [L] sera évalué ainsi qu’il suit, étant observé qu’en application de l’article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, le recours subrogatoire des tiers payeurs s’exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’ils ont pris en charge.

1° - Préjudices patrimoniaux

a - Préjudices patrimoniaux temporaires

- Dépenses de santé actuelles (DSA)

Ces dépenses correspondent aux frais médicaux, pharmaceutiques et d’hospitalisation pris en charge par les organismes sociaux ou restés à la charge effective de la victime.

Il s’évince du relevé de débours de la CPAM que cette dernière a exposé entre le 3 octobre 2014 et le 26 mai 2018 pour le compte de son assuré social M. [W] [L] un total de 1.262,37 euros au titre des frais hospitaliers, médicaux et pharmaceutiques, somme qu'il y a lieu de retenir.

M. [W] [L] fait état des dépenses suivantes demeurées à sa charge :
- 15,50 euros de franchise mentionnées sur le décompte de la CPAM ;
- 162,00 euros de frais hospitaliers restés à charge ;
soit un total de 177,50 euros.

Dès lors, ce poste de préjudice sera fixé à la somme totale de 1.439,87 euros.

- Frais divers (F.D.)

Frais de déplacement

M. [W] [L] déclare avoir parcouru une distance totale de 414 kilomètres pour se rendre chez différents professionnels de santé, distance qui apparaît cohérente et compatible avec son parcours médical décrit dans le rapport d’expertise.

Toutefois, il ne justifie pas du véhicule détenu de sorte qu’il convient de retenir le barème kilométrique applicable pour un véhicule de 3 CV ou moins.

Ce poste est donc fixé à la somme de 219,01 euros (414 km x 0,529 €).

Honoraires du médecin conseil

Les honoraires du médecin conseil de la victime sont une conséquence de l’accident. La victime a droit au cours de l’expertise à l’assistance d’un médecin dont les honoraires doivent être intégralement remboursés sur production de la note d’honoraires sauf abus.

Au vu des factures produites, ce poste de préjudice sera réparé à hauteur de la somme de 1.455 euros.

Le poste Frais divers est donc fixé à la somme totale de 1.674,01 euros (219,01 + 1455).

- Perte de gains professionnels actuels (P.G.P.A.)

La perte de gains professionnels actuels concerne le préjudice économique de la victime imputable au fait dommageable, pendant la durée de son incapacité temporaire.

Selon les conclusions de l’expert, les arrêts de travail du 3 octobre 2014 au 15 octobre 2014 et du 23 février 2017 au 1er janvier 2018 sont imputables à l’accident ainsi que la période à temps partiel du 5 janvier 2018 au 30 juin 2018.

Il ressort de la notification des débours définitifs versée aux débats que la CPAM a engagé une somme de 5.258,48 euros au titre des indemnités journalières versées à son assuré social du 4 octobre 2014 au 30 juin 2018, sur les périodes d’arrêts de travail et de reprise à mi-temps thérapeutique. Il convient en conséquence de retenir cette créance.

M. [L] ne fait état d’aucune perte de revenus.

b - Préjudices patrimoniaux permanents

- Dépenses de santé futures (DSF)

Il s’agit des frais médicaux et pharmaceutiques, non seulement les frais restés à la charge effective de la victime, mais aussi les frais payés par des tiers (sécurité sociale, mutuelle...), les frais d’hospitalisation, et tous les frais paramédicaux (infirmiers, kinésithérapie etc.), même occasionnels mais médicalement prévisibles, rendus nécessaires par l’état pathologique de la victime après la consolidation.

M. [L] ne formule aucune demande à ce titre et la CPAM n’a évalué aucuns frais futurs.

- Perte de gains professionnels futurs (P.G.P.F.)

L’indemnisation de la perte de gains professionnels futurs a pour objet de réparer les conséquences patrimoniales de l’invalidité auxquelles la victime est confrontée dans sa sphère professionnelle à la suite du dommage, du fait des séquelles conservées, résultant de la perte ou du changement d’emploi, dont le lien direct et certain avec le fait dommageable doit être établi.

En l’espèce, M. [L] soutient que son licenciement en date du 12 août 2019 est directement imputable à l’accident du 3 octobre 2014. Il indique qu’il a été mis en place dans un premier temps un mi-temps thérapeutique et un aménagement de son poste de travail. Dans un second temps, il expose que cette situation ne convenait pas à son employeur ce qui a participé à entretenir une situation conflictuelle et oppressante de sorte que son état dépressif s’est aggravé jusqu’au licenciement. M. [L] sollicite donc la somme de 139.387,94 euros au titre des arrérages échus pour les salaires perdus jusqu’au 31 décembre 2023, la somme de 146.371,22 euros au titre des arrérages à échoir, outre une somme de 68.608,49 euros correspondant aux pertes financières en lien avec le plan d’épargne groupe.

Le médecin expert, après avoir fixé le taux de DFP à 4 % pour des séquelles anxieuses et une fragilisation émotionnelle, estime que les séquelles imputables ne sont pas susceptibles de l’empêcher de reprendre son activité antérieure de chef de dépôt au sein de la société SAINT GOBAIN à temps plein ainsi que toute activité rémunérée à temps plein. L’expert écrit qu’il laisse à l’appréciation du juge le fait d’imputer le licenciement à l’accident en cause, celui-ci pouvant être d’origine multifactorielle et environnementale non connu au jour de l’expertise.

Le syndrome dépressif a été objectivé le 14 novembre 2016, soit avant le second accident du 19 décembre 2016, selon le courrier du docteur [Z] qui constate un syndrome post commotionnel associant des céphalées et des vertiges, une fatigabilité, un ralentissement cognitif avec des troubles attentionnels ainsi qu’un syndrome dépressif réactionnel avec irritabilité et insomnie.

Le docteur [F], sapiteur psychiatre, précise que le second accident du 19 décembre 2016 a participé à une majoration de son instabilité psychique.
Dans ces conditions, M. [L] a repris son activité professionnelle avant d’être de nouveau placé en arrêt de travail le 23 décembre 2017 avec une reprise d’activité le 5 janvier 2018 sous la forme d’un 80 % thérapeutique.

Le 26 juin 2018, le médecin du travail a préconisé un aménagement du poste avec absence de port de charge, la possibilité de conduire un chariot automoteur si besoin et une durée de travail à hauteur de 4/5ème. M. [L] a poursuivi son activité à compter du 1er juillet 2018 sous la forme d’un 4/5ème négocié.

Or début 2019, la démission d’un collègue et le retour à une activité à temps plein pendant 2-3 mois a participé, selon le docteur [F], à majorer les difficultés adaptatives au travail ce qui est confirmé par la lettre de licenciement où l’employeur précise l’impossibilité du maintien de l’aménagement du travail.

Dans ce contexte, M. [L] a de nouveau été placé en arrêt de travail compter du 11 juillet 2019.

Aussi, le médecin du travail écrit, le 19 juillet 2019, que s’il est préconisé un aménagement du poste, il apparaît que l’employeur fait pression pour une absence de réduction du temps de travail, que cet aménagement est pourtant nécessaire en raison d’une asthénie, des céphalées chroniques et surtout des rachialgies et sciatalgies chroniques, que les relations compliquées avec l’employeur lui provoquent une irritabilité, un énervement et un épuisement important. Le médecin du travail explique en définitive que la situation de M. [L] présente un premier volet médical avec des séquelles algiques des accidents de trajets et un volet psychologique avec la relation conflictuelle avec l’employeur sur le temps de travail.

Le licenciement est intervenu le 12 août 2019 et l’employeur a rappelé les difficultés liées à l’aménagement du poste outre plusieurs manquements imputables à M. [L].

Il en ressort que les séquelles anxieuses de M. [L] et sa fragilité émotionnelle strictement imputables à l’accident du 3 octobre 2014 nécessitant un aménagement du poste, principalement une réduction du temps de travail, ne sont que l’une des causes à l’origine du licenciement, à côté des séquelles résiduelles de l’accident du 19 décembre 2016 et de la situation conflictuelle avec l’employeur.

Le licenciement n’étant pas intégralement imputable à l’accident, il y a lieu de ne retenir qu’une perte de gains professionnels futures à hauteur de la perte de capacité de travail strictement imputable aux séquelles de l’accident du 3 octobre 2014.

Au regard des préconisations réitérées de la médecine du travail pour un aménagement du temps de travail à hauteur de 80 %, il y a lieu de limiter la perte de gains professionnels futurs imputable à l’accident à hauteur de 20 % des revenus de référence.

M. [L] justifie d’un salaire de référence de 32.705,33 euros nets annuels correspondant à la moyenne de sa rémunération sur les trois années avant le licenciement.

Pour l’année 2019, il y a lieu de retenir une perte de 15.113,33 euros, soit son salaire annuel de référence déduction faite des sommes perçues sur cette année de son ancien employeur.

En 2020 et 2021, M. [L] justifie, avis d’imposition à l’appui, de l’absence de salaire. Il y a lieu de retenir une somme de 65.410,66 euros (32.705,33 € x 2).

En 2022, M. [L] a créé une micro entreprise de réparations de biens personnels et domestiques. Il justifie d’un chiffre d’affaires de 7.988 euros, soit un bénéfice réel estimé à 2.156 euros.

La perte nette en 2022 est donc fixée à la somme de 30.549,76 euros (32.705,33 - 2.155,57 €).

En 2023, la perte est estimée à 28.314,19 euros soit le revenu de référence déduction faite du revenu moyen issu de la micro-entreprise.

Au titre des arrérages échus, si la perte nette peut être chiffrée à 139.387,94 euros (15.113,33 + 65.410,66 + 30.549,76 + 28.314,19), il convient de retenir une somme de 27.877,59 euros (139.387,94 € x 20 %) au titre des pertes strictement imputables à l’accident.

Au titre des arrérages à échoir, M. [L] calcule sa perte nette, perte de droits à la retraite comprise, en calculant la perte de gains à échoir (soit un revenu annuel 28.394,19 € afin de tenir compte des bénéfices de la micro-entreprise) capitalisée selon l’euro de rente viager issu du barème de la Gazette du palais publié le 31 octobre 2022 au taux de 0 % pour un homme de 59 ans, soit une somme de 669.222,66 euros (28.394,19 € x 23,569).

Ensuite, sa retraite est actuellement estimée, en cas de départ à l’âge de 62 ans, à une somme mensuelle brute de 2.216,85 euros, soit 27.215,37 euros bruts annuels. Après déduction d’un taux de cotisations de 9,1 % sur la retraite de base et la retraite versée aux indépendants et à hauteur de 10,1 % pour la retraite complémentaire Agirc-Arrco, M. [L] estime sa pension de retraite nette annuelle à hauteur de 24.647,69 euros. Capitalisée selon l’euro de rente viager à 62 ans, il est estimé un capital de 522.851,44 euros. Aussi, la perte nette peut justement être évaluée à 146.371,22 euros (669.222,66 € - 522.851,44 €) soit la différence entre la perte de salaire à titre viager et la pension de retraite à titre viager.

Au titre des PGPF à échoir strictement imputables à l’accident, il y a lieu de retenir une somme de 29.274,24 euros (146.371,22 x 20 %).

Aussi, M. [L] est en droit de solliciter la perte de chance de percevoir et d’épargner les primes d’intéressement et participation, compléments de ses revenus alors qu’il était salarié de la société SAINT GOBAIN ; perte de chance fixée toujours à 20 %.

Sur la base des primes et abondements perçus les quatre années avant le licenciement, M. [L] chiffre sa perte à ce titre à une somme totale de 68.608,49 euros ; poste qu’il convient de réduire à la somme de 13.721,70 € (68.608,49 € x 20 %).

Le poste PGPF est donc fixé à la somme de 42.995,94 euros (29.274,24 + 13.271,70 €).

- Incidence professionnelle (I.P)

Elle correspond aux séquelles qui limitent les possibilités professionnelles ou rendent l’activité professionnelle antérieure plus fatigante ou pénible traduisant une dévalorisation sur le marché du travail.

Il convient de tenir compte de la nécessité d'abandonner sa profession en raison d'un licenciement causé en partie par les séquelles imputables à l'accident de 2014 outre la limitation des espoirs d'évolution de la carrière, alors qu'il avait 55 ans au moment de son licenciement, justifiant dès lors l'allocation à M. [W] [L] de la somme de 15.000 euros au titre de l'incidence professionnelle.

2° - Préjudices extra-patrimoniaux

a - Préjudices extra-patrimoniaux temporaires (avant consolidation)

- Déficit fonctionnel temporaire (DFT)

Ce poste de préjudice indemnise l'aspect non économique de l'incapacité temporaire, c'est-à-dire l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle que subit la victime jusqu'à sa consolidation. Ce préjudice correspond à la gêne dans tous les actes de la vie courante que rencontre la victime pendant sa maladie traumatique et à la privation temporaire de sa qualité de vie.

Calculée comme demandée sur la base de 25 euros par jour pour un DFT à 100%, il peut être arrêté au regard des conclusions de l'expert à la somme de 5.141,25 euros conformément à la demande.

- Souffrances endurées (SE)

Elles sont caractérisées par les souffrances tant physiques que morales endurées par la victime du fait des atteintes à son intégrité, sa dignité, des traitements subis.

L'expert les a évalué à 3/7 pour l’ensemble du vécu sur cette période dont 0,5/7 pour le très mauvais vécu psychologique sur cette période.

Dès lors, il convient de faire droit à la demande de ce chef à hauteur de 6.000 euros.

b - Préjudices extra-patrimoniaux permanents (après consolidation)

- Déficit fonctionnel permanent (D.F.P.)

Ce préjudice a pour composante les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, les douleurs qui persistent depuis la consolidation, la perte de la qualité de la vie et les troubles définitifs apportés à ces conditions d’existence. Plus précisément, il s'agit du préjudice non économique lié à la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable, à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques normalement liées à l'atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours.

L'expert a retenu un déficit fonctionnel permanent de 4 % en raison principalement des séquelles anxieuses et fragilisation émotionnelle avec un tableau douloureux chronique allégué sans substrat organique.

Il convient de fixer l'indemnité à ce titre à 5.600 euros soit 1.400 euros du point d'incapacité correspondant au niveau moyen retenu pour ce taux de déficit vu l'âge de la victime à la date de consolidation (54 ans).

- Préjudice d’agrément ( P.A.)

Il vise à réparer le préjudice lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs. Ce poste inclut la limitation de la pratique antérieure.

L'expert retient que les séquelles imputables ne sont pas susceptibles d'empêcher M. [L] de reprendre les activités décrites - le judo, la course, la ballade en montagnes et le canyoning - mais peuvent être à l'origine d'une gêne compte tenu des douleurs alléguées résiduelles.

M. [L] justifie par la production des licences sportives de sa pratique antérieure et régulière du judo.

Dès lors, il convient de fixer l'indemnité à ce titre à 4.000 euros.

Au total, les divers postes de préjudices seront récapitulés comme suit :

Evaluation du préjudice
Créance victime
Créance CPAM
PREJUDICES PATRIMONIAUX

temporaires

- DSA dépenses de santé actuelles
1 439,87 €
177,50 €
1 262,37 €
- FD frais divers
1 674,01 €
1 674,01 €

- PGPA perte de gains actuels
5 258,48 €
0,00 €
5 258,48 €
permanents

- DSF dépenses de santé futures
0,00 €
0,00 €

- PGPF perte de gains professionnels futurs
42 995,94 €
42 995,94 €

- IP incidence professionnelle
15 000,00 €
15 000,00 €

PREJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX

temporaires

- DFTP déficit fonctionnel temporaire partiel
5 141,25 €
5 141,25 €

- SE souffrances endurées
6 000,00 €
6 000,00 €

permanents

- DFP déficit fonctionnel permanent
5 600,00 €
5 600,00 €

- PA préjudice d'agrément
4 000,00 €
4 000,00 €

- TOTAL
87 109,55 €
80 588,70 €
6 520,85 €
Provision

10 000,00 €

TOTAL après provision

70 588,70 €

Sur l'imputation de la créance des tiers payeurs et la réparation des créances

Il convient de rappeler qu’en vertu des principes posés par les articles L. 376-1 du code de la sécurité sociale et 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 modifiée par l’article 25 III et IV de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 :
- les recours subrogatoires des caisses et tiers payeurs contre les tiers responsables s’exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’ils ont pris en charge, à l’exclusion des préjudices à caractère personnel,
- conformément à l’article 1252 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l’indemnisation, lorsqu’elle n’a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; qu’en ce cas, l’assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, pour ce qui lui reste dû, par préférence à la caisse subrogée,
- cependant, si le tiers payeur établit qu’il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s’exercer sur ce poste de préjudice

En l’espèce, la créance des tiers payeurs s’imputera ainsi :

- la créance de 1.262,37 euros exposés par la CPAM pour des frais hospitaliers, médicaux, pharmaceutiques et d’appareillage s’imputera sur les dépenses de santé actuelles ;
- la créance de 5.258,48 euros d’indemnités journalières versées par la CPAM s’imputera sur les pertes de gains professionnels actuels ;

Bien que M. [L] percoit une pension d’invalidité, la CPAM n’impute pas cette prestation à l’accident et n’apparait pas dans la créance. Il n’y a pas lieu de déduire cette créance des postes PGPF et IP.

Après imputation de la créance des tiers-payeurs (6.520,85 euros) et déduction de la provision ordonnée par le juge des référés le 16 novembre 2020 de 10.000 euros, le solde dû à M. [L] et à la charge de la MAIF s’élève à la somme de 70.588,70 euros.

Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les indemnités allouées porteront intérêts au taux légal à compter du présent jugement, date de fixation du préjudice, et non à compter de l'assignation.

L’organisme social n'a formulé aucune demande, ce qui laisse présumer qu'il a été ou sera désintéressé dans le cadre des dispositions du Protocole de 1983 ou de celui prévu à l’article L. 376-1 alinéa 6 du code de la sécurité sociale modifié par la loi du 21 Décembre 2006.

Sur les frais irrépétibles et l’exécution provisoire

Succombant à la procédure, la MAIF sera condamnée aux dépens dans lesquels seront inclus les frais d’expertise judiciaire.

D’autre part, il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [W] [L] les frais non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de condamner la MAIF à une indemnité en sa faveur de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ailleurs, il convient de rappeler que la présente décision est exécutoire de plein droit conformément aux dispositions de l’article 514 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal,

ORDONNE la révocation de l’ordonnance de clôture et ordonne la clôture de la mise en état à la date des plaidoiries ;

DIT que le droit à indemnisation de M. [W] [L] à la suite de l’accident de la circulation en date du 3 octobre 2014 à [Localité 8] est entier ;

FIXE le préjudice subi par M. [W] [L], suite à l’accident dont il a été victime le 3 octobre 2014, à la somme totale de 87.109,55 euros selon le détail suivant :

Evaluation du préjudice
Créance victime
Créance CPAM
PREJUDICES PATRIMONIAUX

temporaires

- DSA dépenses de santé actuelles
1 439,87 €
177,50 €
1 262,37 €
- FD frais divers
1 674,01 €
1 674,01 €

- PGPA perte de gains actuels
5 258,48 €
0,00 €
5 258,48 €
permanents

- DSF dépenses de santé futures
0,00 €
0,00 €

- PGPF perte de gains professionnels futurs
42 995,94 €
42 995,94 €

- IP incidence professionnelle
15 000,00 €
15 000,00 €

PREJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX

temporaires

- DFTP déficit fonctionnel temporaire partiel
5 141,25 €
5 141,25 €

- SE souffrances endurées
6 000,00 €
6 000,00 €

permanents

- DFP déficit fonctionnel permanent
5 600,00 €
5 600,00 €

- PA préjudice d'agrément
4 000,00 €
4 000,00 €

- TOTAL
87 109,55 €
80 588,70 €
6 520,85 €
Provision

10 000,00 €

TOTAL après provision

70 588,70 €

CONDAMNE la MAIF à payer à M. [W] [L] la somme de 70.588,70 euros au titre de l’indemnisation de son préjudice corporel, après imputation de la créance des tiers payeurs et déduction de la provision ordonnée par le juge des référés à hauteur de 10.000 euros ;

CONDAMNE la MAIF aux dépens qui comprendront le coût de l’expertise judiciaire ;

CONDAMNE la MAIF à payer à M. [W] [L] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DIT que les sommes allouées ci-dessus porteront intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;

RAPPELLE que la présente décision est assortie de l’exécution provisoire ;

REJETTE pour le surplus les autres demandes des parties.

Le jugement a été signé par Fanny CALES, président et Elisabeth LAPORTE, greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Formation : 6ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 23/03235
Date de la décision : 14/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-14;23.03235 ?
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