TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY
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Chambre 1/Section 5
N° du dossier : N° RG 24/01174 - N° Portalis DB3S-W-B7I-ZR5N
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ DU 24 JUILLET 2024
MINUTE N° 24/02191
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Nous, Madame Hélène SAPEDE, Vice-présidente, au Tribunal judiciaire de BOBIGNY, statuant en référés, assistée de Monsieur Tuatahi LEMAIRE, Greffier,
Après avoir entendu les parties à notre audience du 17 Juillet 2024 avons mis l'affaire en délibéré et avons rendu ce jour, par mise à disposition au greffe du tribunal en application des dispositions de l'article 450 du Code de procédure civile, la décision dont la teneur suit :
ENTRE :
Madame [D] [F]
demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Virginie KLEIN, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, [Adresse 4]
ET :
Monsieur [L] [I]
demeurant [Adresse 6]
représenté par Maître Julien BAUMGARTNER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0429
Madame [Z] [Y]
demeurant [Adresse 6]
représentée par Maître Julien BAUMGARTNER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0429
Monsieur [T] [G]
demeurant [Adresse 1]
représenté par Maître Julien BAUMGARTNER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0429
Madame [W] [U]
demeurant [Adresse 1]
représentée par Maître Julien BAUMGARTNER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0429
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Mme [D] [F] est propriétaire de la parcelle P[Cadastre 5] sise [Adresse 3] à [Localité 7] (93).
Des travaux de construction sont en cours sur la parcelle P[Cadastre 2] avoisinante pour lesquels un permis de construire a été délivré par arrêté du 23 novembre 2021, modifié par arrêté du 29 février 2024.
Par ordonnance du 16 juin 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de BOBIGNY a désigné M. [O] [N] en qualité d'expert à titre préventif.
Par acte du 9 juillet 2024, Mme [F], dûment autorisée par ordonnance sur requête du 8 juillet 2024, a fait assigner en référé d'heure à heure devant le président du tribunal judiciaire de BOBIGNY MM. [L] [I] et [T] [G] et Mmes [Z] [Y] et [W] [U], à qui elle demande, au visa de l'article 835 du code de procédure civile, de :
ordonner la suspension du rehaussement du mur au droit de sa terrasse dans l'attente du rapport de l'expert judiciaire, ordonner une expertise et désigner un géomètre expert avec mission, notamment, de se prononcer sur la limite séparative des parcelles et la mitoyenneté du mur en construction au droit de sa terrasse, sur l'atteinte aux vues et à l'ensoleillement et à la lumière du jour depuis sa terrasse et sa pièce de vie en cas de montage en R+2 de ce mur, sur le respect des règles de l'art de la construction du mut litigieux accolé au mur à pêches, et sur l'écoulement des eaux fluviales de sa terrasse et en direction du mur à pêches, condamner solidairement les défendeurs à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamner les défendeurs aux dépens.
A l'audience du 9 juillet 2024, Mme [F] a maintenu ses demandes dans les termes de l'assignation.
Elle fait valoir que le chantier entrepris sur la parcelle dont les défendeurs sont propriétaires va obstruer ses vues plus que trentenaires en ce qu'il prévoit l'édification d'un mur au droit de sa terrasse. Elle en conclut qu'il est nécessaire de définir la limite de propriété préalablement à l'élévation du projet en surplomb du mur mitoyen.
Elle fait encore valoir que l'édification de ce mur n'est conforme no à l'article 678 du code civil du fait des vues droites, ni au plan local d'urbanisme.
Elle se prévaut enfin de troubles de voisinage résultant d'une perte d'ensoleillement, d'une perte de vue panoramique et d'un écoulement anormal des eaux de pluie.
Dans leurs dernières conclusions visées par le greffe et développées oralement à l'audience, auxquelles il est fait expressément référence, MM. [I] et [G] et Mmes [Y] et [U] sollicitent du juge des référés qu'il :
dise qu'il n'y a pas lieu à référé sur la demande tendant à voir ordonner la suspension du rehaussement du mur, réduise la mission de l'expert à la désignation d'un géomètre-expert pour qu'il donne son avis sur la limite séparative des parcelles [Cadastre 5] et [Cadastre 2] et la mitoyenneté du mur en construction au droit de la terrasse de Mme [F] et l'éventuel empiétement, déboute Mme [F] du surplus de ses demandes, ordonne la consignation de la provision par Mme [F] dans un délai de 15 jours à compter du prononcé de l'ordonnance de référé, dise que l'expert devra convoquer les parties dans le délai d'un mois à compter du prononcé de l'ordonnance de référé et qu'il devra rendre son rapport dans un délai de deux mois, déboute Mme [F] de ses demandes, condamne Mme [F] à leur payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens. Soulignant le caractère non contradictoire du rapport de géomètre-expert sur lequel sont fondées les demandes formées par Mme [F], non débattu lors de la réunion d'expertise du 28 mai 2024, ils indiquent ne pas s'opposer à la nomination d'un géomètre avec mission d'établir le bornage des propriétés.
En réponse aux troubles invoqués par la demanderesse, ils font valoir que le mur litigieux sera aveugle ; que l'atteinte au plan local d'urbanisme n'est pas établie dès lors qu'ils ont obtenu un permis de construire dit valide par le tribunal administratif de MONTREUIL en 2021, dont un modificatif a été accordé en 2024 par la Commune de [Localité 7] ; que les vues alléguées ne sont pas démontrées ; que les troubles du voisinage n'ont pas été signalés à l'expert désigné dans le cadre du référé préventif.
Après la clôture des débats, l'affaire a été mise en délibéré au 24 juillet 2024.
SUR CE
Sur la suspension des travaux :
Aux termes de l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
L'article 835 du même code dispose que le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Conformément à l'article 678 du code civil, on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin, s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions.
En l'espèce, Mme [F] communique aux débats, au fondement de ses demandes, un rapport établi par [R] [A], géomètre-expert, le 18 juin 2024, contradictoirement débattu, qui mentionne, s'agissant du projet en limite de la propriété de Mme [F], que :
"Il est constaté les modalités de construction ci-après :
- le projet prévoit un nouveau mur accolé au mur mitoyen (mur à pêches) sur la hauteur de l'héberge de ce mur mitoyen et sur la hauteur de l'acrotère / garde-corps de la terrasse de la propriété cadastrée section P n°[Cadastre 5] ;
- le projet prévoit aussi un "retour / décroché" en surplomb du mur mitoyen, à une hauteur au-delà du chaperon de l'acrotère / garde-corps. Il en résulte un interstice ;
- le pignon au-delà est aveugle et est censé être prévu, selon la pièce PCM03, implanté en limite de propriété, sans aller au-delà de l'axe du mur mitoyen.
Ce projet de mur accolé et d'implantation du pignon en surplomb du mur mitoyen ne constitue pas un exhaussement d'un mur mitoyen au sens de l'article 658 du Code civil [...]
Ce mode d'implantation en limite de propriété est largement pratiqué de nos jours par les constructeurs / promoteurs. Pour plusieurs raisons :
- les nouvelles techniques de construction ne sont plus adaptées à l'exhaussement de murs mitoyens anciens ;
- la possible considération du mur mitoyen qui constituerait un frein aux projets de construction puisque son ouvrage est indivis entre les propriétaires de deux fonds contigus.
Cette pratique a deux conséquences, puisqu'il ne s'agit pas de l'exhaussement d'un mur mitoyen:
- le nouveau pignon ne pourra être élevé au-delà de la limite de propriété définie à l'axe du mur mitoyen qu'il surplombera, contrairement au mur mitoyen qui peut être exhaussé sur tout ou partie de son épaisseur.
Il est donc indispensable de définir cette limite préalablement à l'élévation du projet en surplomb du mur mitoyen. [...]
- l'implantation du projet contraindra l'indivisaire du mur mitoyen situé face à ce projet qui souhaiterait à son tour construire : il ne pourra surélever le mur mitoyen que sur la moitié de son emprise alors que le Code civil le lui permet au-delà de l'axe du mur mitoyen.
Le droit d'exhaussement prévu à l'article 658 du Code civil est par conséquent limité au propriétaire de l'immeuble cadastré section P n°[Cadastre 5] : il ne pourra être exercé que sur la moitié de l'épaisseur du mur mitoyen uniquement alors qu'il aurait pu être exercé sur toute son épaisseur.
Du fait de ce droit d'exhausser toujours possible mais limité, se pose la question d'un accord entre les parties sur un tel mode de construction. A cet effet, il est préconisé un protocole d'accord portant sur le mode d'implantation du projet en limite et en surplombe du mur mitoyen".
Il résulte de la lecture de ce rapport que le mur litigieux n'est pas un exhaussement d'un mur mitoyen mais un mur accolé au mur mitoyen.
Il n'est, en outre, pas contesté et il ressort de l'analyse tant de ce rapport que du permis de construire validé par le tribunal administratif de MONTREUIL suivant jugement du 10 juillet 2023 et modifié suivant permis de construire modificatif du 29 février 2024, que ce mur est totalement aveugle.
Le non-respect du plan local d'urbanisme, non produit par les parties aux débats, n'est pas établi.
Dès lors, en l'absence de vue sur ce mur dont il n'est pas contesté qu'il sera édifié sur la propriété des défendeurs, Mme [F] est mal fondée à se prévaloir d'un trouble manifestement illicite résultant de sa construction.
Les autres désordres susceptibles de résulter des travaux dont fait état Mme [F], qui n'ont pas été évoqués par cette dernière lors de la réunion organisée par M. [N], expert judiciairement désigné dans le cadre d'un référé préventif, le 28 mai 2024 avant dépôt de son pré-rapport, ne sont corroborés par aucune des pièces produites aux débats. Ils ne peuvent donc servir de fondement utile à la demande en suspension des travaux.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, et alors que l'urgence n'est pas caractérisée, la demande en suspension des travaux formée par Mme [F] n'est pas fondée et elle sera rejetée ; il sera dit qu'il n'y a pas lieu à référé de ce chef.
Sur la désignation d'un géomètre-expert
Le caractère privatif du mur en construction litigieux n'étant pas sérieusement contesté, il n'y a pas lieu de désigner un géomètre-expert pour fixer les limites séparatives de propriété.
Sur les demandes accessoires
Mme [F], qui succombe, sera condamnée aux dépens et à payer aux défendeurs la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant par ordonnance contradictoire et en premier ressort, mise à disposition au greffe, après débats en audience publique,
Disons n'y avoir lieu à référé et rejette les demandes en suspension des travaux et en désignation d'un géomètre-expert,
Condamnons Mme [D] [F] aux dépens,
Condamnons Mme [D] [F] à payer à M. [L] [I], Mme [Z] [Y], M. [T] [G] et Mme [W] [U] la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
AINSI JUGÉ AU PALAIS DE JUSTICE DE BOBIGNY, LE 24 JUILLET 2024.
LE GREFFIER
LE PRÉSIDENT