TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY
JUGEMENT CONTENTIEUX DU 19 JUILLET 2024
Chambre 6/Section 5
AFFAIRE: N° RG 22/09674 - N° Portalis DB3S-W-B7G-WZ4Q
N° de MINUTE : 24/00404
Monsieur [X] [F]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Marie CAYETTE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C 1041
DEMANDEUR
C/
La SCCV SAINT OUEN PICASSO
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Isabelle COHADE-BARJON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D 1511
DEFENDEUR
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Monsieur David BRACQ-ARBUS, statuant en qualité de Juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du code de procédure civile, assisté aux débats de Madame Reine TCHICAYA, Greffier.
DÉBATS
Audience publique du 23 Mai 2024, à cette date, l’affaire a été mise en délibéré au 19 Juillet 2024.
JUGEMENT
Rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Monsieur David BRACQ-ARBUS, assisté de Madame Reine TCHICAYA, Greffier.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Suivant acte authentique reçu le 21 juin 2019, M. [F] a acquis en l’état futur d’achèvement de la SCCV Saint-Ouen Picasso un appartement, un cellier et un parking situés [Adresse 4].
Le bien a été livré le 27 octobre 2021, avec réserves.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 mars 2022, M. [F] a mis en demeure la SCCV Saint-Ouen Picasso d’avoir à l’indemniser de divers préjudices et lever diverses réserves.
C’est dans ces conditions que M. [F] a, par acte d’huissier du 23 septembre 2022, fait assigner la SCCV Saint-Ouen Picasso devant le tribunal judiciaire de Bobigny aux fins notamment de solliciter l’indemnisation de son préjudice.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 10 janvier 2024 par ordonnance du même jour, et l'affaire appelée à l'audience de plaidoiries du 23 mai 2024.
Le jugement a été mis en délibéré au 19 juillet 2024, date de la présente décision.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 septembre 2023, M. [F] demande au tribunal judiciaire de Bobigny de :
Sur la différence de niveaux de 18 centimètres :
- condamner la SCCV Saint-Ouen Picasso à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommage et intérêt au titre de la différence de niveaux de 18 centimètres existant entre l’appartement et la terrasse ;
- à titre subsidiaire condamner la SCCV Saint-Ouen Picasso sur le fondement du défaut d’information et de conseil à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommage et intérêt au titre de la différence de niveaux de 18 centimètres existant entre l’appartement et la terrasse ;
Sur le mur en lieu et place des garde-corps :
- condamner la SCCV Saint-Ouen Picasso à lui verser la somme de 10 000 euros au titre du mur plein en lieu et place des garde-corps sur la terrasse ;
Sur le préjudice locatif :
- condamner la SCCV Saint-Ouen Picasso au versement de la somme de 8 100 euros correspondant au préjudice locatif entre le 15 novembre 2021 et le mois de mars 2022 ;
Sur les réserves :
- condamner la SCCV Saint-Ouen Picasso à lever la réserve concernant la place de parking de M. [F] sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
- à titre subsidiaire, condamner la SCCV Saint-Ouen Picasso à lui verser une indemnisation de 3 000 euros pour la non-conformité de sa place de parking ;
Sur le préjudice moral :
- condamner la SCCV Saint-Ouen Picasso à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de son préjudice moral ;
En tout état de cause,
- condamner la SCCV Saint-Ouen Picasso à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SCCV Saint-Ouen Picasso aux entiers dépens de l’instance avec bénéfice du droit prévu par les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
*
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 25 août 2023, la SCCV Saint-Ouen Picasso demande au tribunal judiciaire de Bobigny de :
- débouter M. [F] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- le condamner à payer à la SCCV Saint Ouen Picasso une somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
- le condamner aux dépens de l’instance, avec bénéfice du droit prévu par les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
*
Pour un plus ample exposé des moyens développés les parties, il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur les demandes principales en paiement
Aux termes de l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Le vendeur en état futur d'achèvement est tenu à l'égard des acquéreurs :
- des vices apparents et des défauts de conformités apparents lors de la livraison sur le fondement de l'article 1642-1 du code civil selon lequel le vendeur d'un immeuble à construire ne peut être déchargé, ni avant la réception des travaux, ni avant l'expiration d'un délai d'un mois après la prise de possession par l'acquéreur, des vices de construction ou des défauts de conformité alors apparents ;
- des défauts de conformités, non-apparents à la livraison, sur le fondement de l'obligation de délivrance conforme du vendeur en application de l'article 1604 du code civil, ce qui entraîne l'application du régime contractuel de l'inexécution des articles 1217 et suivants du code civil, permettant à l’acquéreur de solliciter soit l'exécution forcée en nature ou par équivalent, soit la résolution du contrat, ces deux mesures contractuelles pouvant être assorties de dommages et intérêts complémentaires, conformément aux dispositions de l’article 1231-1 du code civil.
Aux termes de l’article 1602 du code civil, le vendeur est tenu d'expliquer clairement ce à quoi il s'oblige. Tout pacte obscur ou ambigu s'interprète contre le vendeur.
Conformément à l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, l’article 1353 du code civil disposant, qu’en matière contractuelle, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver, et que celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
En application des articles L. 131-1 et L. 131-2 du code des procédures civiles d'exécution, tout juge peut, même d'office, ordonner une astreinte pour assurer l'exécution de sa décision. L'astreinte est provisoire ou définitive. L'astreinte est considérée comme provisoire, à moins que le juge n'ait précisé son caractère définitif. Une astreinte définitive ne peut être ordonnée qu'après le prononcé d'une astreinte provisoire et pour une durée que le juge détermine. Si l'une de ces conditions n'a pas été respectée, l'astreinte est liquidée comme une astreinte provisoire.
L'astreinte, même définitive, est liquidée par le juge de l'exécution, sauf si le juge qui l'a ordonnée reste saisi de l'affaire ou s'en est expressément réservé le pouvoir.
Sur la différence de niveaux de 18 centimètres
Sur le fondement de l’obligation de délivrance conforme
En l’espèce, le tribunal relève, qu’en matière de vente en l’état futur d’achèvement, les défauts de conformité apparents à la réception relèvent exclusivement de la garantie spéciale de l’article 1642-1 du code civil rapporté supra, et non de celles de l’article 1604, applicables en matière de défaut caché.
Sur le fond, force est de constater que le plan indique, au niveau de la terrasse : « ALL. 20 CM » et que la légende indique « ALL : Allège », qui se définit, ainsi que relevé par la défenderesse, comme « un mur d’appui construit dans la partie inférieure d’une fenêtre ». Si M. [F] soutient que cette mention est obscure, ce qui est contestable au regard du fait que le plan comporte une légende parfaitement claire, il n’en demeure pas moins que le bien livré est strictement conforme à ce qui a été convenu.
Il s’ensuit que le moyen est inopérant.
Sur le manquement à l’obligation précontractuelle d’information
En l’espèce, ainsi que relevé supra, le plan annexé à l’acte de vente n’est nullement obscur ni ambigu puisque la présence d’une allège de 20 centimètres est clairement indiquée au moyen d’une légende claire et précise.
La demande sera ainsi rejetée.
Sur le mur en lieu et place des garde-corps
En l’espèce, il est constant que le désordre était apparent à réception.
Le tribunal relève, qu’en matière de vente en l’état futur d’achèvement, les défauts de conformité apparents à la réception relèvent exclusivement de la garantie spéciale de l’article 1642-1 du code civil rapporté supra, et non de celles de l’article 1604, applicables en matière de défaut caché.
Il résulte de la notice descriptive, qui prime en matière de caractéristiques techniques et de qualité des prestations, que devaient être installés :
- des garde-corps et barres d’appui en acier ou aluminium thermolaqué (article 2.7.1 « garde-corps et barres d’appui ») ;
- sur les murs de façades, des balustres en béton blanc faisant office de garde-corps suivant permis (article 1.2.2).
Si la SCCV soutient que le plan annexé au permis de construire, qui représente les garde-corps comme des murs pleins, fait partie de l’ensemble contractuel, il lui sera opposé :
- qu’il ne suffit d’insérer un simple visa au sein du contrat pour que son objet entre dans le champ contractuel ;
- que les dispositions de l’article L. 261-11 du code de la construction et de l’habitation dont la SCCV se prévaut ne permettent nullement de faire entrer dans le champ contractuel tout élément relatif à l’immeuble déposé au rang des minutes d’un office notarial, mais seulement « les précisions relatives aux parties d'immeuble non concernées par la vente », ce qui n’est pas le cas en l’espèce s’agissant à l’évidence d’une partie d’immeuble concernée par la vente;
- qu’ainsi, faute d’avoir expressément annexé le plan de façade contenu dans le permis de construire à l’acte de vente, la SCCV ne peut s’en prévaloir.
Par ailleurs, la SCCV reconnait elle-même qu’elle ne saurait se prévaloir de la plaquette commerciale puisque l ’article 10.2 de l’acte de vente stipule « cette notice annule et remplace tous documents antérieurs ayant le même objet et en général toute référence d'ordre descriptif comme les locaux témoins ou les maquettes ou les plaquettes commerciales ayant pu être réalisées qui n'ont qu'un caractère prévisionnel. »
Dans la contradiction des stipulations, le contrat doit s’interpréter contre le vendeur, conformément aux dispositions de l’article 1602 du code civil, étant observé qu’un balustre – qui laisse passer la lumière – ne saurait se confondre avec un mur plein.
Une non-conformité contractuelle étant ainsi établie, il convient d’indemniser le préjudice de jouissance en résultant, constitué par l’entrave à la luminosité et à la vue, qui sera justement réparé à hauteur de 6 000 euros.
Sur le préjudice locatif
En l’espèce, la réparation du préjudice locatif suppose de démontrer que la responsabilité du vendeur en l’état d’achèvement est exposée :
- au titre de désordres de construction, réparables sur le fondement des garanties spéciales des articles 1642-1 et 1646-1 du code civil ou de la responsabilité de droit commun pour faute prouvée ;
- au titre d’un retard fautif de la SCCV.
S’agissant de la première hypothèse, M. [F] n’apporte aucune démonstration alors qu’il ne suffit de se prévaloir de désordres de construction pour engager la responsabilité du vendeur en l’état futur d’achèvement et solliciter la réparation des préjudices subséquents.
S’agissant de la seconde hypothèse, force est de constater que la SCCV a levé les réserves le 27 janvier 2022 - aucune preuve ne permettant d’établir que des réserves ont subsisté - pour une livraison le 27 octobre 2021, ce qui n’apparait pas excessif au regard de ce type d’affaire.
Il en résulte que la demande sera rejetée.
Sur les réserves
En l’espèce, par courrier du 16 novembre 2021, M. [F] a signalé au vendeur le fait que la place de parking est moins large que convenu (2,13m au lieu de 2,50m), ce qui est d’ailleurs confirmé par le procès-verbal de constat d’huissier.
Or, le plan annexé à l’acte de vente, qui prime la notice descriptive s’agissant d’une question de distribution des lieux, indique une largeur de 2,50m.
Il sera ici opposé au promoteur que la mention selon laquelle « des modifications sont susceptibles d’être apportées à ce plan en fonction des contraintes de réalisation, des nécessités techniques, réglementaires ou administratives, tant en ce qui concerne les dimensions libres, les éléments d’équipement et les réseaux divers » ne saurait lui conférer un droit général de remaniement des plans, qui ne peut intervenir qu’à la condition de justifier de l’une des contraintes listées, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
La SCCV sera ainsi condamnée sous astreinte, nécessaire compte-tenu de son défaut persistant, à lever la réserve concernant la place de parking de M. [F].
Sur le préjudice moral
En l’espèce, le préjudice moral lié à un endettement sur vingt-cinq années est sans lien de causalité avec les fautes de la SCCV caractérisées, étant observé qu’une éventuelle moins-value n’est absolument pas démontrée.
Il n’est en revanche pas contestable que le fait de devoir supporter une procédure judiciaire soit source d’un préjudice moral, nécessairement minime au regard des demandes accueillies.
La SCCV sera ainsi condamnée à payer à M. [F] la somme de 500 euros en réparation de son préjudice moral.
Sur les frais du procès et l’exécution provisoire
Sur les dépens
Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
En application de l’article 699 du code de procédure civile, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.
En l’espèce, les dépens seront mis à la charge de la SCCV Saint-Ouen Picasso, succombant à l’instance.
Autorisation sera donnée à ceux des avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre de recouvrer directement ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.
Sur les frais irrépétibles
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le tribunal condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l'autre la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Par principe, le tribunal alloue à ce titre une somme correspondant aux frais réellement engagés, à partir des justificatifs produits par les parties, ou, en l’absence de justificatif, à partir des données objectives du litige (nombre de parties, durée de la procédure, nombre d’écritures échangées, complexité de l’affaire, incidents de mise en état, mesure d’instruction, etc.).
Par exception et de manière discrétionnaire, le tribunal peut, considération prise de l’équité ou de la situation économique des parties, allouer une somme moindre, voire dire qu’il n’y a lieu à condamnation.
En l’espèce, la SCCV Saint-Ouen Picasso, condamnée aux dépens, sera condamnée à payer à M. [F] une somme qu’il est équitable de fixer à 2 500 euros.
Sur l’exécution provisoire
Il convient de rappeler qu'en application de l'article 514 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.
PAR CES MOTIFS,
Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
DEBOUTE M. [F] de sa demande en paiement au titre de la différence de niveaux de 18 centimètres ;
CONDAMNE la SCCV Saint-Ouen Picasso à payer à M. [F] la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance lié au mur plein sur la terrasse ;
DEBOUTE M. [F] de sa demande au titre du préjudice locatif ;
CONDAMNE la SCCV Saint-Ouen Picasso à lever la réserve concernant la place de parking (en rétablissant sa largeur à 2,50m au lieu de 2,13m) sous astreinte de cent (100) euros par jour de retard à compter d’un délai de deux (2) mois débutant à partir de la signification de la présente décision ;
DIT que cette astreinte provisoire courra pendant un délai maximum de deux (2) mois, à charge pour M. [F], à défaut d'exécution à l’expiration de ce délai, de solliciter du juge de l’exécution la liquidation de l’astreinte provisoire et le prononcé de l’astreinte définitive ;
CONDAMNE la SCCV Saint-Ouen Picasso à payer à M. [F] la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral ;
MET les dépens à la charge de la SCCV Saint-Ouen Picasso ;
ADMET les avocats qui en ont fait la demande et qui peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SCCV Saint-Ouen Picasso à payer à M. [F] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE la SCCV Saint-Ouen Picasso de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
RAPPELLE que le présent jugement est assorti de l'exécution provisoire de droit.
La minute a été signée par Monsieur David BRACQ-ARBUS, Juge, et par Madame Reine TCHICAYA, Greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT