TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY
JUGEMENT CONTENTIEUX DU 19 JUILLET 2024
Chambre 6/Section 5
AFFAIRE: N° RG 22/05584 - N° Portalis DB3S-W-B7G-WMAP
N° de MINUTE : 24/00400
La S.C.I. PASTEUR
[Adresse 5]
[Localité 7]
représentée par Me Laure JACQUEZ DUBOIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1332
DEMANDEUR
C/
La S.A.S. AB GROUP HOLDING
[Adresse 4]
[Localité 8]
représentée par Me Christophe CARDOSO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G 92
La CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE ILE-DE-FRANCE
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentée par Me Michèle SOLA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0133
DEFENDEURS
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Monsieur David BRACQ-ARBUS, statuant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du code de procédure civile, assisté aux débats de Madame Reine TCHICAYA, Greffier.
DÉBATS
Audience publique du 23 Mai 2024, à cette date, l’affaire a été mise en délibéré au 19 Juillet 2024.
JUGEMENT
Rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Monsieur David BRACQ-ARBUS, assisté de Madame Reine TCHICAYA, Greffier.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Suivant acte authentique reçu le 20 octobre 2020, la SCI Pasteur a consenti à la SAS AB group holding une promesse unilatérale de vente stipulée sous condition suspensive d’obtention d’un permis de construire par la bénéficiaire et portant sur un ensemble immobilier situé [Adresse 1] et [Adresse 2], une indemnité d’immobilisation de 210 000 euros ayant été stipulée.
Par acte en date du 18 décembre 2020, la SA Caisse d’épargne et de prévoyance Île-de-France s’est portée « caution personnelle et solidaire de l’acquéreur vis-à-vis du vendeur, pour un montant maximum de 105.000 € … en principal, intérêts, frais et accessoires compris afin de garantir le paiement de l’indemnité d’immobilisation dont l’acquéreur pourrait être débiteur au titre de la promesse de vente ».
Par un avenant du 4 février 2021, les parties sont convenues de proroger le délai d’expiration de la promesse de vente au 28 janvier 2022 et le délai d’obtention du permis de construire au 15 juillet 2021.
La SCI Pasteur a refusé une nouvelle prorogation sollicitée par la SAS AB group holding.
Le 17 février 2022, le notaire instrumentaire a dressé un procès-verbal de carence.
La SCI PASTEUR a actionné la caution bancaire, déniée par la SA Caisse d’épargne et de prévoyance Île-de-France.
C’est dans ces conditions que la SCI Pasteur a, par actes d’huissier des 12 et 18 mai 2022, fait assigner la SAS AB group holding et la SA Caisse d’épargne et de prévoyance Île-de-France devant le tribunal judiciaire de Bobigny aux fins notamment de solliciter l’indemnisation de son préjudice.
Par ordonnance du 2 novembre 2022, le juge de la mise en état a prononcé la clôture partielle de l’instruction à l’égard de la SAS AB Group holding.
Par ordonnance du 10 janvier 2024, le juge de la mise en état a rejeté la demande de révocation de l’ordonnance de clôture partielle présentée par la SAS AB Group holding et a prononcé la clôture de l’instruction.
L'affaire appelée à l'audience de plaidoiries du 23 mai 2024.
Le jugement a été mis en délibéré au 19 juillet 2024, date de la présente décision.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 novembre 2023, la SCI Pasteur demande au tribunal judiciaire de Bobigny de :
- condamner la société AB group holding à verser à la SCI Pasteur la somme de 210 000 € au titre de l’indemnité d’immobilisation stipulée dans la promesse ;
- condamner la Caisse d’Epargne d’Ile de France, en sa qualité de caution solidaire à garantir ce paiement à hauteur de 105 000 € ;
- débouter la Caisse d’Epargne d’Ile-de-France de ses demandes et conclusions ;
- condamner la société AB group holding à verser à la SCI Pasteur la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts ;
- condamner la Caisse d’Epargne d’Ile de France à verser à la SCI Pasteur la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts ;
- condamner la société AB group holding à verser à la SCI Pasteur la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la Caisse d’Epargne d’Ile de France à verser à la SCI Pasteur la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement la société AB group holding et la Caisse d’Epargne d’Ile de France aux dépens.
*
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 octobre 2023, la SA Caisse d’épargne et de prévoyance Île-de-France demande au tribunal judiciaire de Bobigny de :
- débouter la SCI Pasteur de l’intégralité de ses demandes ;
- condamner la SCI Pasteur à payer à la Caisse d’Epargne d’Ile-de-France la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SCI Pasteur aux entiers dépens avec bénéfice du droit prévu par les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
*
Pour un plus ample exposé des moyens développés les parties, il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande au titre de l’indemnité d’immobilisation
L’article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
L’article 1304-3 du même code prévoit que la condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l'accomplissement.
A ce titre, s’il est établi que si le bénéficiaire de la promesse avait déposé une demande de permis de construire, celle-ci n'aurait pu être acceptée en raison des contraintes d’urbanisme, la non-réalisation de la condition suspensive n’est alors pas imputable à l'acquéreur (voir en ce sens Cass, Civ 3, 15 décembre 2010, 10-10.473).
A défaut d’exécution du contrat, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut notamment, selon l'article 1217 du même code, agir en exécution forcée et/ou réclamer des dommages et intérêts.
Toutefois, l'article 1231-6 du même code précise que les dommages et intérêts dus en raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent ne consistent que dans l'intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure, et l'éventuel préjudice indépendant de ce retard, qui ne serait pas réparé par les seuls intérêts moratoires, ne peut être indemnisé qu'en cas de mauvaise foi du débiteur.
En l’espèce, la SCI Pasteur sollicite le paiement de l’indemnité d’immobilisation ainsi stipulée à la promesse :
« Les parties conviennent de fixer le montant de l’indemnité d’immobilisation à la somme forfaitaire de DEUX CENT DIX MILLE EUROS (210 000,00 EUR)
Les parties conviennent de convenir d’un versement de 5% soit la somme de CENT CINQ MILLE EUROS (105 000,00 EUR)
Le versement de l'indemnité d'immobilisation due au PROMETTANT par le BENEFICIAIRE au cas de non réalisation sera garanti par la remise au plus tard dans un délai de 60 jours à compter de ce jour entre les mains du notaire participant pour le compte du PROMETTANT, d'un engagement de caution d'un établissement financier, cet établissement financier devant s'engager par cette caution, en renonçant aux bénéfices de division et de discussion, à verser au PROMETTANT au cas de défaillance du BENEFICIAIRE l'indemnité d'immobilisation.
L'engagement de caution devra pouvoir être mis en jeu jusqu'à la date de réitération de l'acte authentique augmenté de 4 mois par rapport à la date de réitération de l'acte authentique.
Dans l'hypothèse où le BENEFICIAIRE se trouverait dans l'impossibilité d'obtenir ladite caution dans le délai imparti, il aura la faculté d'effectuer à la comptabilité du notaire soussigné dans le même délai, le versement d'une somme correspondant au montant de l'indemnité.
Le sort de cette somme, si elle venait à être versée en lieu et place de la remise de garantie, sera le suivant, selon les hypothèses ci-après envisagées :
a) Elle s’imputera purement et simplement et à due concurrence sur le prix en cas de réalisation de la vente promise.
b) Elle sera restituée purement et simplement au Bénéficiaire dans tous les cas où la non réalisation de la vente résulterait de la défaillance de l’une quelconque des conditions suspensives énoncées aux présentes.
c) Elle sera versée au PROMETTANT, et lui restera acquise de plein droit à titre d’indemnité forfaitaire et non réductible faute par le Bénéficiaire ou son substitué d’avoir réalisé l’acquisition dans les délais et conditions ci-dessus, toutes les conditions suspensives ayant été réalisées. »
Conformément à l’hypothèse c) ci-dessus rapportée, qui est le seul cas permettant l’attribution de l’indemnité d’immobilisation au promettant en cas de non réalisation de la vente, le débat porte sur la réalisation de la condition suspensive d’obtention d’un permis de construire ainsi stipulée :
« La réalisation des présentes est soumise à l’obtention par le BENEFICIAIRE d’un permis de construire avant le 30 avril 2021 pour la réalisation sur le BIEN de l’opération suivante :
La réalisation d'une construction de 1300 m2 de SHOB en ce non compris la création de logements sociaux à hauteur de 35% de la surface du projet comme exigé dans le PLUI (Plan local d'urbanisme intercommunal)
[…]
Il est précisé que le BENEFICIAIRE devra, pour se prévaloir de la présente condition suspensive, justifier auprès du PROMETTANT du dépôt d'un dossier complet de demande de permis de construire et ce dans le délai de 03 MOIS compter de ce jour, au moyen d'un récépissé délivré par l'autorité compétente.
La condition sera réputée réalisée par la réception, par le Bénéficiaire, des notifications de l'octroi de l' (des) autorisation(s). La condition sera réputée défaillie en cas de refus ou de sursis à statuer.
[…]
Mise en œuvre :
Dans la mesure d’un dépôt de la demande dans le délai sus-indiqué, il convient d’envisager les hypothèses suivantes, savoir :
- En cas d’absence de réponse de l’autorité administrative dans le délai d’instruction et en application de l’article L 424-2 du Code de l’urbanisme, le permis sera considéré comme accordé et la condition réalisée, dans la mesure où l’opération envisagée entre dans le champ d’application des autorisations pouvant être acquises tacitement (articles R 424-2 et R424-3 du Code de l’urbanisme). L’obtention d’un permis tacite obligera le BENEFICIAIRE à faire procéder à son affichage tel qu’indiqué ci-dessous. »
Par avenant conclu le 4 février 2021, la date limite d’obtention du permis de construire a été reportée au 15 juillet 2021 et la date l’imite du dépôt d’un dossier complet de demande de permis de construire a été reportée au 15 mars 2021.
Il résulte de ces stipulations qu’il ne suffit que le bénéficiaire de la promesse n’ait pas levé l’option pour que l’indemnité d’immobilisation soit due au promettant.
Il faut en effet que le bénéficiaire n’ait pas levé l’option toutes les conditions suspensives ayant été réalisées, étant rappelé qu’une condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l'accomplissement, conformément aux dispositions de l’article 1304-3 du code civil visé par la demanderesse.
Force est ici de constater que les éléments produits aux débats ne permettent pas d’établir avec certitude si la SAS AB group holding a obtenu ou non un permis de construire alors qu’il est justifié qu’elle a déposé une demande avant le 15 mars 2021.
Il ne saurait en effet être tenu pour acquis que la commune n’a pas répondu à la demande de permis de construire et que la SAS AB group holding aurait ainsi bénéficié d’une autorisation tacite.
Par ailleurs, si la SCI Pasteur soutient que la SAS AB group holding a adopté un comportement déloyal en ne déférant pas aux sommations qui lui ont été faites et en ne l’informant pas des diligences entreprises auprès de la mairie, ces évènements ne sauraient s’analyser en un obstacle fautif à l’obtention du permis de construire dès lors qu’ils sont étrangers au cadre de la demande d’autorisation d’urbanisme.
L'article 11 du code de procédure civile dispose que, si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l'autre partie, lui enjoindre de le produire.
Par ailleurs, l'article 142 du même code dispose que les demandes de production d'éléments de preuve détenus par les parties sont faites, et leur production a lieu, conformément aux dispositions des articles 138 et 139 de ce code, lesquels prévoient qu'une partie peut demander du juge d'ordonner la délivrance d'une expédition ou la production de pièce.
Si la loi ne prévoit que l'hypothèse où une partie sollicite du juge qu'il ordonne à l'autre partie, la production d'une pièce, le juge peut toujours inviter une partie à fournir des éléments de nature à l'éclairer (Cass. civ. 1, 12 octobre 2006, n° 05-12.835, FS-P+B).
En l’espèce, en l’absence de preuve de l’obtention ou non d’un permis de construire, il convient de surseoir à statuer sur l’ensemble des demandes, de révoquer l’ordonnance de clôture partielle du 2 novembre 2022 et l’ordonnance de clôture du 10 janvier 2024, de renvoyer l’affaire à la mise en état et d’inviter la SAS AB group holding à produire la preuve de l’obtention ou du refus de permis de permis de construire, étant rappelé que toutes conséquences seront tirées d’une éventuelle abstention.
PAR CES MOTIFS,
Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire et avant dire droit, par mise à disposition au greffe,
SURSOIT à statuer sur l’ensemble des demandes ;
REVOQUE l’ordonnance de clôture partielle du 2 novembre 2022 et l’ordonnance de clôture du 10 janvier 2024 ;
RENVOIE l’affaire à la mise en état du Mercredi 16 octobre 2024 à 9h ( immeuble européen, salle chambre du conseil 2, 5ème étage ) ;
INVITE la SAS AB group holding à produire toute preuve du refus ou de l’acceptation du permis de construire par la mairie et à conclure sur ce point avant le 1er septembre 2024 ;
DIT qu’à défaut de production, la clôture sera prononcée
INVITE la SCI Pasteur et la Caisse d’épargne à conclure en réponse avant le 30 septembre 2024;
RESERVE les dépens.
La minute a été signée par Monsieur David BRACQ-ARBUS, Juge, et par Madame Reine TCHICAYA, Greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT