TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY
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Chambre 1/Section 5
N° du dossier : N° RG 24/00279 - N° Portalis DB3S-W-B7H-YQ3D
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ DU 04 JUILLET 2024
MINUTE N° 24/01880
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Nous, Madame Mallorie PICHON, Vice-présidente, au Tribunal judiciaire de BOBIGNY, statuant en référés, assistée de Madame Tiaihau TEFAFANO, Greffière,
Après avoir entendu les parties à notre audience du 23 mai 2024 avons mis l'affaire en délibéré et avons rendu ce jour, par mise à disposition au greffe du tribunal en application des dispositions de l'article 450 du Code de procédure civile, la décision dont la teneur suit :
ENTRE :
Le Syndicat des Copropriétaires de l’ensemble immobilier du [Adresse 3] à [Localité 4], représenté par son syndic bénévole Madame [Y] [T],
demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Marc HOFFMANN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1364
ET :
La société SNCF RESEAU
dont le siège social est sis [Adresse 2]
représentée par Maître Alexandre LABETOULE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L257
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EXPOSE DU LITIGE
Par acte de commissaire de justice délivré en date du 2 février 2024, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] à [Localité 4] (ci-après "le syndicat des copropriétaires") a fait assigner la société SNCF Réseau devant le président de ce tribunal statuant en référé, au visa notamment des articles 834 et 835 du code de procédure civile, aux fins de :
Condamner la société SNCF Réseau à démolir son local situé au [Adresse 3] à [Localité 4], sous astreinte, Condamner la société SNCF Réseau à lui verser une somme provisionnelle de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts,Condamner la société SNCF Réseau à lui verser la somme de 4.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens dont distraction au profit de Me HOFFMANN.
Après renvoi, l'affaire a été retenue à l'audience du 23 mai 2024.
La SNCF Réseau soulève in limine litis l'incompétence du juge judiciaire au profit du tribunal administratif de Montreuil, au motif que le local est situé dans l'emprise du domaine public, qu'il est incorporé et indissociable du talus ferroviaire et du mur de soutènement du pont rail sur lequel passe une voie ferrée et que seul le juge administratif a compétence pour connaître d'une demande de démolition d'un ouvrage public.
En réplique à l'exception d'incompétence, le syndicat des copropriétaires souligne que seul le juge judiciaire a statué jusqu'à présent dans le cadre de ce litige.
Sur le fond, le syndicat des copropriétaires demande le bénéfice de son acte introductif d'instance. A l’appui de ses demandes, il expose que la copropriété subit depuis 2014 divers désordres trouvant leur origine dans un local abandonné situé sur la parcelle adjacente appartenant à la SNCF ; qu'une expertise judiciaire a été ordonnée à son initiative et que par jugement contentieux du 23 octobre 2023 rendu en ouverture de rapport, la SNCF à été condamnée à l'indemniser en réparation de ses préjudices. Il précise que néanmoins, le local n'est toujours pas entretenu de sorte que la cause des désordres n'a pas été supprimée et qu'il ne peut donc faire procéder aux travaux de remise en état.
En défense, la société SNCF Réseau demande de juger qu'il n'y a pas lieu à référé, rejeter l'ensemble des demandes, et condamner le demandeur à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
En substance, elle rappelle le principe d'intangibilité d'un ouvrage publique, sauf implantation irrégulière et conteste que le local litigieux soit à l'origine des désordres, ceux-ci résultant exclusivement du raccordement sauvage pratiqué sur le réseau de la copropriété par des squatteurs. Elle ajoute que l'expert judiciaire n'a pas conditionné la réalisation des travaux de remise en état à la démolition du local et que celle-ci d'une part n'est pas nécessaire et d'autre part, serait disproportionnée.
Conformément à l’article 446-1 du code de procédure civile, pour plus ample informé de l’exposé et des prétentions des parties, il est renvoyé à l'assignation introductive d’instance et aux conclusions déposées et soutenues à l'audience.
MOTIFS
Sur l'exception d'incompétence
L'article 75 code de procédure civile prévoit que s'il est prétendu que la juridiction saisie en première instance ou en appel est incompétente, la partie qui soulève cette exception doit, à peine d'irrecevabilité, la motiver et faire connaître dans tous les cas devant quelle juridiction elle demande que l'affaire soit portée.
Par ailleurs, l'article 81 du code de procédure civile dispose que lorsque le juge estime que l'affaire relève de la compétence d'une juridiction répressive, administrative, arbitrale ou étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir.
Par ailleurs, l'article L2111-9 du code des transports dispose notamment que "La société SNCF Réseau a pour mission d'assurer, de façon transparente et non discriminatoire, directement ou par l'intermédiaire de filiales, conformément aux principes du service public et dans le but de promouvoir le transport ferroviaire en France dans un objectif de développement durable, d'aménagement du territoire et d'efficacité économique et sociale :
1° L'accès à l'infrastructure ferroviaire du réseau ferré national, comprenant la répartition des capacités et la tarification de cette infrastructure ;
2° La gestion opérationnelle des circulations sur le réseau ferré national ;
3° La maintenance, comprenant l'entretien et le renouvellement, de l'infrastructure du réseau ferré national ; [...]"
En l'espèce, il convient de relever qu'au vu des éléments produits aux débats, la société SNCF Réseau gère et exploite le réseau ferré pour le compte de l'Etat, que dès lors, le local litigieux est à l'évidence incorporé au domaine public et indissociable de l'ouvrage public constitué par le talus ferroviaire et le mur de soutènement du pont rail sur lequel passent les voies ferrées.
Néanmoins, le tribunal des conflits a rappelé à plusieurs reprises que le juge judiciaire peut ordonner la suppression d'un ouvrage public en cas de voie et de fait et en l'absence de toute procédure appropriée de régularisation (notamment Trib.conflits 13 décembre 2010 ).
Le juge judiciaire peut ainsi avoir à connaître, en cas de voie de fait, d'une demande de suppression d'un ouvrage public.
De plus, il est également formé par le syndicat des copropriétaires une demande de dommages et intérêts, laquelle relève incontestablement de la compétence du juge judiciaire.
Au vu de ces éléments, l'exception d'incompétence ne saurait prospérer.
Sur les demandes principales
- Sur la demande de démolition
D'après l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
L'article 835 du code de procédure civile prévoit que le juge peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le juge des référés saisi sur ce fondement doit essentiellement constater soit l’imminence du dommage, afin, à titre préventif, de maintenir une situation existante, soit le caractère manifestement illicite du trouble, après réalisation d’un trouble pour y mettre fin. L’existence d’une contestation sérieuse est indifférente à l’application de ces dispositions.
Le trouble manifestement illicite désigne toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit qu'il incombe à celui qui s'en prétend victime de démontrer.
En l'espèce, le syndicat des copropriétaires soutient que le local litigieux "menace ruine". Néanmoins, il ne produit aucun élément permettant de corroborer ses affirmations ni même n'explique ni ne caractérise une quelconque urgence, le moindre dommage imminent ou encore un trouble manifestement illicite.
Elle ne verse en effet aucune pièce postérieure au jugement contentieux rendu le 23 octobre 2023, qui a déjà statué sur ses demandes indemnitaires, en retenant le trouble anormal de voisinage résultant des conséquences dommageables d'un raccordement sauvage sur le réseau de la copropriété du fait d'occupants sans droit ni titre de la parcelle exploitée par la société SNCF Réseau, si ce n'est un courrier officiel adressé au conseil de la SNCF en date du 16 novembre 2023, qui procède par voie d'affirmation.
De son côté, la société SNCF Réseau produit, outre deux photographies, un courrier de la commune de [Localité 4] du 1er mars 2024 l'informant qu'elle "engage la phase contradictoire préalable à la prise d'un arrêté de mise en sécurité ordinaire, aux fins de mettre durablement un terme à tout risque lié à l'état de ces ouvrages", ainsi que la réponse qu'elle y a apportée sur les différents points relevés, indiquant que "toutes les mesures nécessaires ont été prises, en urgence, pour assurer la sécurité des lieux et des ouvrages ferroviaires" (contrôle régulier de l'état général des ouvrages, le dernier étant intervenu le 10 mars 2024, vérification du mur de soutènement situé au [Adresse 3], dont la stabilité structurelle ne serait pas altérée, retrait de la végétation, vérifications et dépose des enduits et éléments constructifs instables et non adhérents) et que "d'autres mesures non urgentes sont en cours de programmation (telle que la démolition du local situé au pied du talus)".
Aussi, au-delà de ses allégations, et en l'absence d'autres éléments, le syndicat des copropriétaires ne justifie, au vu des pièces produites aux débats, ni d'une urgence, ni d'un dommage imminent ni d'un trouble manifestement illicite.
Au surplus, il sera rappelé qu'en tout état de cause, le juge des référés ne peut, en application de l'article 835 précité, prescrire que "les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent" pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite et qu'au cas d'espèce, il excéderait manifestement ses pouvoirs en ordonnant la démolition d'un ouvrage public, qui bénéficie, sauf implantation irrégulière, d'un principe d'intangibilité. La mesure sollicitée n'est ainsi à l'évidence ni nécessaire, ni proportionnée.
En conséquence, il n'y a pas lieu à référé.
- Sur la demande de dommages et intérêts provisionnels
D'après l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En l'espèce, il y a lieu de relever que le syndicat des copropriétaires, qui fait état d'un péril grave, ne justifie pas, comme il le soutient, des "atteintes aux parties communes et des dégâts entrainant un risque sanitaire très important pour les occupants de l'immeuble". Aucun dommage n'apparaît ainsi démontré.
Sa demande d'indemnité provisionnelle ne peut qu'être rejetée.
Sur les demandes accessoires
Le syndicat des copropriétaires, qui succombe, sera condamné aux dépens.
Il sera également condamné à régler à la société SNCF Réseau la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant en référé, par remise au greffe le jour du délibéré, après débats en audience publique, par décision contradictoire et en premier ressort,
Rejetons l'exception d'incompétence ;
Disons n'y avoir lieu à référé,
Invitons les parties à mieux se pourvoir,
Condamnons le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] à [Localité 4] à régler à la société SNCF Réseau la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ,
Condamnons le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] à [Localité 4] aux dépens ;
Rappelons que la présente décision est exécutoire par provision.
AINSI JUGÉ AU PALAIS DE JUSTICE DE BOBIGNY, LE 04 JUILLET 2024.
LA GREFFIÈRE
LA PRÉSIDENTE