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01/07/2024 | FRANCE | N°22/09887

France | France, Tribunal judiciaire de Bobigny, Chambre 6/section 5, 01 juillet 2024, 22/09887


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TRIBUNAL
JUDICIAIRE
de BOBIGNY


JUGEMENT CONTENTIEUX DU 01 JUILLET 2024



AFFAIRE N° RG 22/09887 - N° Portalis DB3S-W-B7G-WTRZ
N° de MINUTE : 24/00448
Chambre 6/Section 5


Monsieur [U] [N]
[Adresse 1]
[Localité 10]
représenté par Me Carole YTURBIDE, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 131, postulant, Me Joelle DIEZ, avocat au barreau de HAUTE-LOIRE, plaidant

Madame [Z] [E]
[Adresse 1]
[Localité 10]
représentée par Me Carole YTURBIDE, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 131,

postulant, Me Joelle DIEZ, avocat au barreau de HAUTE-LOIRE, plaidant

DEMANDEURS

C/

Madame [W] [B] [K] [R] épouse [T]
[Adres...

/
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
de BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 01 JUILLET 2024

AFFAIRE N° RG 22/09887 - N° Portalis DB3S-W-B7G-WTRZ
N° de MINUTE : 24/00448
Chambre 6/Section 5

Monsieur [U] [N]
[Adresse 1]
[Localité 10]
représenté par Me Carole YTURBIDE, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 131, postulant, Me Joelle DIEZ, avocat au barreau de HAUTE-LOIRE, plaidant

Madame [Z] [E]
[Adresse 1]
[Localité 10]
représentée par Me Carole YTURBIDE, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 131, postulant, Me Joelle DIEZ, avocat au barreau de HAUTE-LOIRE, plaidant

DEMANDEURS

C/

Madame [W] [B] [K] [R] épouse [T]
[Adresse 8]
[Localité 4]
représentée par Me Amandine LABRO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0727

Compagnie d’assurance MMA IARD
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me Laurence GUEGAN-GELINET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0748

Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentée par Me Laurence GUEGAN-GELINET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0748

S.A.S. LA NOUVELLE AGENCE IMMO
[Adresse 3]
[Localité 9]
représentée par Me Laurence GUEGAN-GELINET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0748

DEFENDEURS
/

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Lors des débats et du délibéré

Président :Monsieur Gilles CASSOU DE SAINT-MATHURIN, vice-président
Assesseurs :Monsieur David BRACQ-ARBUS, juge, rapporteur
Monsieur François DEROUAULT, juge

Assisté aux débats de : Madame Maud THOBOR, greffier

DEBATS

Audience publique du 6 Mai 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 1er Juillet 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Monsieur Gilles CASSOU DE SAINT-MATHURIN, vice-président, assisté de Madame Maud THOBOR, greffier.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Aux termes d’un mandat exclusif de vente signé le 1er octobre 2021, Mme [R] épouse [T] a confié à la SAS La nouvelle agence immo, assurée auprès des MMA, la vente de son bien immobilier situé [Adresse 5] (93).

Suivant acte authentique reçu le 6 janvier 2022, précédé d’une promesse synallagmatique de vente signée le 5 novembre 2021 en présence de la SAS La nouvelle agence immo, Mme [R] épouse [T] a vendu le bien à Mme [E] et M. [N] moyennant un prix de 435 100 euros.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 février 2022, le conseil de Mme [E] et M. [N] a indiqué à l’agence immobilière que les caractéristiques matérielles du bien étaient différentes de celles indiquées à l’acte de vente (surface habitable, patio et terrasse).

C’est dans ces conditions que Mme [E] et M. [N] ont, par actes d’huissier des 19 et 23 septembre et 10 octobre 2022, fait assigner Mme [R] épouse [T], la SAS La nouvelle agence immo et la SA MMA IARD devant le tribunal judiciaire de Bobigny aux fins notamment de solliciter l’indemnisation de leur préjudice.

Par conclusions notifiées le 25 novembre 2022, la société MMA IARD assurances mutuelles est intervenue volontairement à l’instance.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 7 février 2024 par ordonnance du même jour, et l'affaire appelée à l'audience de plaidoiries du 6 mai 2024.

Le jugement a été mis en délibéré au 1er juillet 2024, date de la présente décision.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 juin 2023, Mme [E] et M. [N] demandent au tribunal judiciaire de Bobigny de :

- rejeter les écritures prises dans les intérêts de Mme [R], l’agence immobilière LNA et la compagnie d’assurances MMA IARD ;
- condamner solidairement la SAS La nouvelle agence immo et son assureur au paiement d’une somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice outre intérêts de droit à compter de la date du 2 février 2022, date de la mise en demeure adressée par le conseil des demandeurs jusqu’à leur parfait paiement ;
- condamner solidairement la SAS La nouvelle agence immo, Mme [R] épouse [T] et la compagnie d’assurances MMA IARD au paiement de la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts de l’indemnisation du préjudice causé aux demandeurs qui ont contracté à des conditions plus défavorables, outre intérêts de droit à compter de la date du 2 février 2022, date de la mise en demeure adressée par le conseil des demandeurs jusqu’à parfait paiement ;
- condamner solidairement la SAS La nouvelle agence immo, Mme [R] épouse [T] et la compagnie d’assurances MMA IARD au paiement d’une somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance de pouvoir percevoir des fruits d’une mise en location de l’immeuble sans subir une perte financière certaine sur l’évaluation de la partie basse de la construction, rendant ainsi les lieux impropres à leur destination faute de pouvoir disposer notamment d’un espace cuisine et autres aménagements de confort outre intérêts de droit à compter de la date du 2 février 2022, date de la mise en demeure adressée par le conseil des demandeurs jusqu’à leur parfait paiement ;
- condamner solidairement la SAS La nouvelle agence immo, Mme [R] épouse [T] et la compagnie d’assurances MMA IARD au paiement d’une somme de 9 600 euros à titre de dommages-intérêts pour s’être abstenues de prendre toute mesure de nature à établir sérieusement le métré des lieux outre intérêts de droit à compter du 2 février 2022 ;
- condamner solidairement la SAS La nouvelle agence immo, Mme [R] épouse [T] et la compagnie d’assurances MMA IARD au paiement de la somme globale et forfaitaire de 51 000 euros à titre de dommages-intérêts outre intérêts de droit à compter du 2 février 2022 pour indemnisation des surfaces inexistantes juridiquement qui ont été vendues de manière forfaitaire en contrepartie d’un prix de cession n’ayant aucune cause ;
- juger que l’exécution provisoire de la décision à intervenir n’est pas incompatible avec la nature de l’affaire ;
- condamner solidairement la SAS La nouvelle agence immo, Mme [R] épouse [T] et la compagnie d’assurances MMA IARD au paiement d’une somme de 6 500 euros HT au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner solidairement la SAS La nouvelle agence immo, Mme [R] épouse [T] et la compagnie d’assurances MMA IARD au paiement des dépens de l’instance.

Au soutien de leurs prétentions, Mme [E] et M. [N] font valoir :
- que le logement a été présenté aux acquéreurs comme comportant les caractéristiques suivantes : 69 m2 de superficie, outre un patio de 17 m2, une terrasse de 15 m2 et un garage de 16 m2 ; que le mandat de vente confié à l’agence immobilière fait également mention d’un patio et d’une terrasse ; que ni la promesse ni l’acte de vente ne mentionnent la surface totale habitable du bien vendu, le patio et la terrasse ; qu’il apparait qu’aucune autorisation d’urbanisme n’a été sollicitée pour la création du patio et de la terrasse ;
- que cette contradiction entre la réalité matérielle du bien et le descriptif de l’acte de vente est constitutive d’un défaut de délivrance conforme au sens de l’article 1604 du code civil ;
- que cette contradiction entre les documents commerciaux et l’acte de vente révèle une faute de l’agence ;
- au visa de l’article 1992 du code civil, que l’agence immobilière était tenue d’une obligation d’information et de conseil sur ces éléments susceptibles de déterminer le consentement donné par les demandeurs à l’instance ; que le compromis de vente évoque des travaux anciens, nécessairement structurels, sur lesquels l’agence aurait dû se renseigner ; qu’il n’ a été trouvé aucune trace d’une déclaration de ces travaux en mairie ; que le flou de la mention révèle une intention de dissimuler leur nature réelle et le fait qu’ils ont été réalisés en contravention aux règles d’urbanisme ; que la venderesse a ainsi transmis aux acquéreurs le risque de se voir condamner à payer une amende, voire à démolir les ouvrages ;
- que les visites sur place des acquéreurs n’ont pas pour fonction de corriger ou de compléter les informations juridiques que l’agent immobilier avait pour obligation de recueillir ;
- que la vente est entachée par le dol au sens des articles 1137 et suivants du code civil ; qu’en effet, en l’absence de déclaration préalable des travaux d’édification de la terrasse et du patio, ceux-ci n’ont aucune existence légale ; que les annonces de l’agence immobilière sont donc trompeuses au sens de l’article L. 121-1 du code de la consommation ;
- que les vendeurs et l’agence ont manqué à l’obligation précontractuelle d’information ; qu’il n’y a pas eu d’information sur la surface habitable de l’immeuble, qui est une caractéristique essentielle de la chose vendue ; qu’en effet, aucune des annonces mises en ligne par l’agence immobilière ne mentionnaient la surface habitable ; que la surface a finalement été communiquée « à la sauvette » dans un bon de visite qui aurait éventuellement pu ne pas être présenté aux candidats acquéreurs ; que l’agence n’a effectué aucune diligence pour mesurer le bien et s’est contentée des informations fournies par la venderesse ; que la responsabilité de l’agence est manifestement engagée en qualité de rédacteur du compromis, ayant passé sous silence une mention importante susceptible de déterminer le consentement des demandeurs à la vente ; que les acquéreurs ont confié à un professionnel la tâche de mesurer le bien, qui fait en réalité 63m2 ;
- que le sous-sol a été vendu comme une surface habitable mais que la hauteur du plafond, 2,05 mètres, ne permet pas une mise en location au regard des règles de l’habitat décent, de sorte qu’ils perdent une chance d’en percevoir les fruits ;
- qu’il ne leur a pas été indiqué qu’ils devraient régulariser les travaux entrepris par les anciens propriétaires auprès de l’autorité administrative ;
- qu’il résulte de ce qui précède que les vendeurs sont en situation d’inexécution contractuelle au regard des clauses du contrat ;
- que la SAS La nouvelle agence immo et le vendeur ont manqué tous deux à l’obligation précontractuelle d’information des candidats acquéreurs sur des éléments susceptibles d’être déterminants du consentement donné par les demandeurs à l’instance ;
- que Mme [R] épouse [T] ne s’est pas conformée à ses obligations contractuelles à la charge du propriétaire du bien vendu en conséquence la déclarer coresponsable des préjudices subis par les concluants.

*

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 3 octobre 2023, Mme [R] épouse [T] demande au tribunal judiciaire de Bobigny de :

A titre principal,
- débouter Mme [E] et M. [N] de l’intégralité de leurs demandes à l’encontre de Mme [R] épouse [T] ;

A titre subsidiaire,
- condamner la SAS La nouvelle agence immo et son assureur la SA MMA IARD à la relever et garantir indemne de toutes condamnations prononcées à son encontre en principal et accessoires, intérêts, frais, dommages et intérêts, dépens et article 700 ;

A titre reconventionnel,
- condamner Mme [E] et M. [N] à la somme de 10 000 € en réparation du préjudice causé par une telle procédure manifestement abusive et empreinte de mauvaise foi ;
- condamner Mme [E] et M. [N] au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [E] et M. [N] aux entiers dépens ;
- ordonner l’exécution provisoire uniquement sur les demandes formulées par Mme [R] épouse [T].

Au soutien de ses prétentions, Mme [R] épouse [T] fait valoir :
- sur le dol et le manquement à l’obligation précontractuelle d’information, que les acquéreurs ont visité trois fois le bien ; que les espaces transformés en terrasse et en patio par les acquéreurs étaient apparents ; que ce sont en effet les acquéreurs qui ont transformé ces espaces en terrasse et en patio ; qu’elle est elle-même profane de l’immobilier et n’a fait que communiquer aux professionnels les documents d’origine de propriété en sa possession ; qu’aucune intention dolosive n’est caractérisée ;
- sur le fondement de l’article 1602 du code civil, que la venderesse ne s’est jamais engagée à vendre un bien doté d’une terrasse et d’un patio ; que si l’agent immobilier a choisi de communiquer sur le potentiel de la maison en indiquant une terrasse et un patio, il lui appartient d’en assumer les conséquences ; qu’il ne saurait se déduire du mandat de vente, qui a été rédigé par l’agence, que la venderesse a entendu vendre un bien doté d’une terrasse et d’un patio ;
- sur le fondement de la délivrance conforme des articles 1603 et 1604 du code civil, qu’il n’est nullement fait état d’un quelconque patio ou d’une terrasse en tant que constructions ; que le pavillon a été livré conformément à sa description dans l’acte de vente ;
- qu’en tout état de cause, il résulte de l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme que l’action en démolition d’un ouvrage édifié sans autorisation ouverte à l’autorité administrative se prescrit par dix ans ; qu’en l’espèce, les travaux critiqués par les demandeurs auraient été réalisés en 2007 ;
- s’agissant de la contenance, que l’acte de vente stipule que « Le VENDEUR ne confère aucune garantie de contenance du terrain ni de superficie des constructions » ; qu’au sens de l’article 46 de la loi du 10 juillet 1965, l’obligation d’indiquer la superficie du bien ne s’applique qu’aux lots de copropriété et non aux maisons à usage d’habitation ;
- que le garage a été édifié en 1984 et a fait l’objet d’un permis de construire ;
- que les demandeurs ont eux-mêmes déposé une déclaration préalable de travaux postérieurement à la vente afin d’édifier une « annexe » sur le patio ; qu’ils ont aménagé la « terrasse » (qui n’était jamais que le toit du garage) en y édifiant une barrière ;
- qu’en tout état de cause, les demandeurs ne démontrent aucun préjudice ; qu’ils ne démontrent pas avoir eu l’intention de louer le bien ;
- à titre subsidiaire, que l’agent immobilier, tenu d’une obligation d’information et de conseil, devra la garantir.

*

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 novembre 2022, la SAS La nouvelle agence immo et les MMA demandent au tribunal judiciaire de Bobigny de :

A titre principal,
- Recevoir la SAS La nouvelle agence immo et son assureur MMA en toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
- débouter Mme [E] et M. [N] de l’intégralité de leurs demandes à l’encontre de la SAS La nouvelle agence immo et de son assureur les MMA ;

A titre subsidiaire,
- juger que le préjudice subi par Mme [E] et M. [N] constituerait seulement une perte de chance ;

A titre très subsidiaire,
- limiter la garantie des MMA à celle prévue au contrat d’assurance, c’est-à-dire uniquement à la responsabilité de leur assuré, la SAS La nouvelle agence immo ;
- limiter la condamnation des MMA aux garanties souscrites en précisant également que cette limitation implique la déduction de la franchise qui viendra en déduction de toute condamnation ;
- dire que ces limitations et pourcentages s’appliqueront aussi aux dépens ;

En tout état de cause,
- condamner Mme [E] et M. [N] à payer à la SAS La nouvelle agence immo, et à leur assureur les MMA la somme de 5 000 euros au titre de l’article 32-1 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [E] et M. [N] à payer à la SAS La nouvelle agence immo et aux MMA la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Au soutien de leurs prétentions, la SAS La nouvelle agence immo et les MMA font valoir :
- que le manquement à l’obligation de conseil, qui est une obligation de moyen, s’apprécie in concreto, en fonction des éléments portés à la connaissance de l’agent immobilier, notamment par le vendeur ; qu’elle n’a pas commis de faute ;
- que la maison vendue comportait bien une terrasse et un patio ; que les demandeurs ont procédé à la déclaration du patio auprès des services de l’urbanisme sans difficulté et ne démontrent pas qu’ils devraient détruire ces éléments ; qu’il n’existe aucune différence entre le bien vendu et les stipulations ; qu’il n’appartenait pas à l’agent immobilier de faire régulariser les éventuelles constructions ;
- qu’aucune volonté dolosive n’est démontrée dès lors que les acquéreurs ont pu se convaincre de l’existence du patio et de la terrasse lors des visites ;
- que la vente de maison individuelle n’est pas soumise aux dispositions de la loi Carrez et à l’indication de la surface du bien ; qu’en vertu des articles 1616 et suivants du code civil, lorsque la vente est faite pour un prix global, le mode de fixation du prix révèle que la contenance de l'immeuble n'est pas déterminante dans l'intention des contractants ; que les demandeurs, qui ont pu lire les actes, pouvaient parfaitement solliciter que la superficie soit précisée ; qu’ils ne démontrent pas avoir eu la volonté de louer le bien ;
- que les demandeurs ne rapportent pas la preuve de leurs préjudices ; subsidiairement, que le préjudice ne peut s’analyser qu’en une perte de chance d’acquérir à des conditions plus favorables.

*

Pour un plus ample exposé des moyens développés par la ou les parties ayant conclu, il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION

Sur les demandes principales en paiement

L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

A ce titre, l'article 1112-1 du code civil précise que celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ; qu'ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

Par ailleurs, aux termes de l'article 1137 du code civil, le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges, ou bien la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.

Il résulte des articles 1602 et 1604 du code civil que le vendeur est tenu de livrer à l’acquéreur un bien conforme à ce qui a été vendu.

L'agent immobilier engage sa responsabilité pour les dommages subis par les personnes parties à une opération immobilière en raison des fautes qu'il commet dans l'exercice de sa mission d'intermédiaire dans une vente d'immeuble. Le fondement de cette responsabilité est contractuel à l’égard de ses clients et délictuel à l’égard des autres parties.

A ce titre, l'agent immobilier est notamment tenu de se renseigner, par toutes investigations utiles, au-delà des seules déclarations faites par le vendeur, sur les caractéristiques essentielles du bien vendu, et d'en informer l'acquéreur.

Conformément à l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, l’article 1353 du code civil disposant, qu’en matière contractuelle, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver, et que celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

Sur les travaux antérieurs à la vente

En l’espèce, la promesse synallagmatique de vente du 5 novembre 2021 contient les stipulations suivantes relatives à la description du bien :

« Un pavillon à usage d’habitation élevée sur sous-sol situé sur la commune de [Localité 11] (Seine-Saint-Denis) composé de :
Au sous-sol : une cuisine, une salle de bains, une pièce et water-closet ;
Au rez-de-chaussée : un séjour, 2 chambres ;
Garage en annexe.
Terrain.
Figurant au cadastre rénové de ladite commune, sous les relations suivantes : section numéro
AI53 lieu-dit : la convention ; surface :00ha,1a,13ca en nature de sol. 

[…]

Le vendeur déclare qu’après des travaux effectués par un professionnel il y a plus de 10 ans (2007), la désignation est la suivante :

Au rez de chaussée : Un salon avec cuisine ouverte,
Une salle d’eau avec water-closet,
A l’étage : Deux chambres, un débarras.
Garage en annexe.
Terrain. »

Dans l’acte notarié du 26 janvier 2022, il est indiqué, concernant l’identification du bien :

« À [Localité 11] (Seine-Saint-Denis [Adresse 5], un pavillon à usage d’habitation élevé sur sous-sol composé de
• au sous-sol : une cuisine, une salle de bains, une pièce et water-closet ;
• au rez-de-chaussée : un séjour, 2 chambres ;
Garage en annexe ;
Terrain.
(Rappel des mentions du cadastre.)
Étant précisé que par suite de travaux effectués depuis plus de 10 ans par le vendeur, la désignation actuelle est la suivante :
Un pavillon à usage d’habitation composée de :
• au rez-de-chaussée : un salon avec cuisine ouverte, une salle d’eau avec, water-closet ;
• à l’étage : 2 chambres, un débarras ;
Garage en annexe ;
Terrain.
Tel que le bien existe, avec tous droits y attachés, sans aucune exception ni réserve. »

Les demandeurs soutiennent qu’il se déduit des énonciations de la promesse synallagmatique de vente, et notamment de celle selon laquelle « Le vendeur déclare qu’après des travaux effectués par un professionnel il y a plus de 10 ans (2007) », que le bien a subi d’importantes transformations dont ils n’ont pas été informés avec toute la plénitude requise (ampleur et consistance des travaux, factures des entrepreneurs, preuve de l’obtention d’une autorisation d’urbanisme…), ce qui les expose à une éventuelle sanction administrative dès lors qu’aucune autorisation d’urbanisme n’a été sollicitée en mairie.

Le tribunal observe en premier lieu que les demandeurs se contentent d’affirmer que les travaux étaient « nécessairement » structurels sans en apporter la preuve, alors même que les étages ont parfaitement pu être simplement rénovés et réorganisés, et que l’ampleur des travaux ne peut se déduire du seul fait que la promesse de vente décrit successivement un sous-sol + un rez-de-chaussée (avant travaux) puis un rez-de-chaussée + un étage (après travaux), cette évolution pouvant parfaitement résulter d’une erreur de plume ou d’un simple artifice langagier ayant conduit à changer la dénomination sans modification substantielle de la matérialité des lieux.

De la même façon, en affirmant que ces travaux étaient nécessairement soumis à une autorisation d’urbanisme et que les défendeurs ne justifient pas en avoir sollicité, Mme [E] et M. [N] inversent la charge de la preuve puisqu’il leur appartient de démontrer que les travaux devaient être déclarés en mairie.

Par ailleurs, à considérer que les travaux réalisés en 2007 l’ont été en contravention aux règles d’urbanisme, les défendeurs font justement valoir qu’il résulte de l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme que l'action civile se prescrit en pareil cas par dix ans à compter de l'achèvement des travaux, de sorte que leur responsabilité civile ne saurait être engagée de ce chef (sauf démonstration contraire non rapportée en l’espèce).

Il n’est ainsi ni démontré que les travaux réalisés étaient illicites, ni que Mme [E] et M. [N] seraient susceptibles d’être sanctionnés par l’autorité administrative.

En tout état de cause, Mme [E] et M. [N] ne rapportent pas la preuve de ce que la venderesse et l’agence immobilière détenaient de plus amples informations sur ces travaux réalisés en 2007 (il y a donc dix-sept ans), de sorte que ni le dol, ni un quelconque manquement à l’obligation précontractuelle d’information ou au devoir de conseil de l’agent immobilier ne sont caractérisés.

Aucune demande indemnitaire n’est donc susceptible de prospérer de ce chef.

Sur le patio et la terrasse

Les demandeurs soutiennent qu’ils ont été trompés ou insuffisamment informés, et que la matérialité de la chose n’est pas conforme aux stipulations de la promesse et de l’acte de vente en ce que ces documents ne mentionnent pas l’existence du patio et de la terrasse alors que ces éléments existaient au jour de la vente puisqu’ils ont été mis en avant par l’annonce immobilière.

Etant observé que les demandeurs ne rapportent la preuve d’aucun préjudice puisqu’ils se contentent d’évoquer un « défaut d’existence légale » du patio et de la terrasse sans démontrer en quoi cela les expose à un quelconque risque juridique, que le tribunal peine à concevoir, il sera relevé :
- que le défaut de délivrance conforme est purgé par le fait que les acquéreurs reconnaissent eux-mêmes avoir visité le bien, de sorte qu’ils ont pu se convaincre de la réalité de la terrasse et du patio pour la confronter ensuite aux actes qu’ils ont signés ;
- qu’aucun dol ou manquement au devoir de conseil ou d’information n’est caractérisé puisque tous les éléments du débat étaient parfaitement apparents.

Les demandeurs soutiennent enfin que le patio et la terrasse représentent 13,53% de la valeur du bien, soit 58 827 euros, et qu’ils ont indument payé cette somme dès lors que leur inexistence juridique privait la venderesse de la possibilité de les inclure dans le prix.

Outre le fait que le calcul est parfaitement arbitraire, force est de constater que la terrasse comme le patio étaient apparents au jour de la vente et qu’aucune règle de droit ne prévoit que le prix – librement négocié entre les parties - soit fixé en considération des seuls éléments effectivement décrits dans l’acte de vente.

Sur la superficie du bien

Mme [E] et M. [N] soutiennent que l’agence immobilière leur a remis un bon de visite indiquant que la superficie du bien était de 69m2, ce qui n’est pas démontré dès lors que les demandeurs ne produisent qu’une « recopie » du document ne permettant pas d’établir l’existence d’un original, alors d’une part que ni la promesse de vente ni l’acte de vente ne font état de la superficie, et d’autre part que le bien fait en réalité 63 m2.
Il leur sera opposé qu’aucune disposition légale n’impose que l’acte de vente d’une maison individuelle (cette opération n’étant pas soumise aux dispositions de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, qui s’applique seulement à la copropriété) mentionne expressément la superficie et que les parties sont parfaitement libres de convenir un prix global indépendant de la contenance du bien.

Aucun manquement au devoir d’information, du vendeur ou de l’agence, aucune volonté dolosive, aucun défaut de délivrance conforme et aucune contravention à l’obligation faite au vendeur d'expliquer clairement ce à quoi il s'oblige ne sont ainsi caractérisés.

S’agissant de la hauteur sous plafond de la partie basse, Mme [E] et M. [N] affirment qu’elle ne fait que 2,05 mètres sans en rapporter la preuve.

Sur la procédure judiciaire antérieure à la vente

Mme [E] et M. [N] font valoir qu’ils n’ont pas été informés de la procédure judiciaire ayant opposé les anciens propriétaires de l’immeuble litigieux à leurs voisins sans apporter la moindre preuve de la réalité d’une telle procédure, de sorte qu’aucune demande n’est susceptible de prospérer de ce chef.

Sur les préjudices

Le tribunal relève enfin que Mme [E] et M. [N] chiffrent une série de préjudices sans jamais apporter la preuve de leur consistance.

Il résulte du tout que les demandes en paiement présentées par Mme [E] et M. [N] seront intégralement rejetées.

Sur les demandes reconventionnelles en paiement

L’article 32-1 du code de procédure civile prévoit que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

En vertu des dispositions de l’article 1240 du code civil dans sa version applicable au présent litige, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à la réparer.

L’exercice d’une action en justice constitue en principe un droit qui ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol.

En l’espèce, le droit d'agir, s'il est l'expression d'une liberté fondamentale et d'un pouvoir légal, n'est pas pour autant un droit discrétionnaire. Il peut être exercé abusivement et justifier, à ce titre, réparation.

Toutefois, les éléments soulevés par les défendeurs sont insuffisants à caractériser une faute de Mme [E] et M. [N] faisant dégénérer le droit d'agir de ces derniers en abus, qui ont pu se méprendre sur leurs droits au vu des imprécisions de l’acte de vente, de sorte que Mme [R] épouse [T], la SAS La nouvelle agence immo et les MMA seront déboutées de leurs demandes de dommages et intérêts présentées de ce chef.
Sur les frais du procès et l’exécution provisoire

Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En l’espèce, les dépens seront mis à la charge de Mme [E] et M. [N], succombant à l’instance.

Sur les frais irrépétibles

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le tribunal condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l'autre la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Par principe, le tribunal alloue à ce titre une somme correspondant aux frais réellement engagés, à partir des justificatifs produits par les parties, ou, en l’absence de justificatif, à partir des données objectives du litige (nombre de parties, durée de la procédure, nombre d’écritures échangées, complexité de l’affaire, incidents de mise en état, mesure d’instruction, etc.).

Par exception et de manière discrétionnaire, le tribunal peut, considération prise de l’équité ou de la situation économique des parties, allouer une somme moindre, voire dire qu’il n’y a lieu à condamnation.

En l’espèce, Mme [E] et M. [N], condamnés aux dépens, seront condamnés à payer :
- à Mme [R] épouse [T] une somme qu’il est équitable de fixer à 5 000 euros ;
- à la SAS La nouvelle agence immo et aux MMA une somme qu’il est équitable de fixer à 3 500 euros.

Sur l’exécution provisoire

Il convient de rappeler qu'en application de l'article 514 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

DEBOUTE Mme [E] et M. [N] de leurs demandes en paiement ;

DEBOUTE Mme [R] épouse [T] de sa demande reconventionnelle en paiement à titre de dommages et intérêts ;

DEBOUTE la SAS La nouvelle agence immo et les MMA de leur demande reconventionnelle en paiement à titre de dommages et intérêts ;

MET les dépens à la charge de Mme [E] et M. [N] ;

CONDAMNE Mme [E] et M. [N] à payer à Mme [R] épouse [T] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Mme [E] et M. [N] à payer à la SAS La nouvelle agence immo et aux MMA la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE Mme [E] et M. [N] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que le présent jugement est assorti de l'exécution provisoire de droit.

La minute est signée par Monsieur Gilles CASSOU DE SAINT-MATHURIN, Vice-Président, assisté de Madame Maud THOBOR, greffier.

Le greffier,Le president,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bobigny
Formation : Chambre 6/section 5
Numéro d'arrêt : 22/09887
Date de la décision : 01/07/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-01;22.09887 ?
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