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01/07/2024 | FRANCE | N°22/05597

France | France, Tribunal judiciaire de Bobigny, Chambre 6/section 4, 01 juillet 2024, 22/05597


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TRIBUNAL
JUDICIAIRE
de BOBIGNY


JUGEMENT CONTENTIEUX DU 01 JUILLET 2024



AFFAIRE N° RG 22/05597 - N° Portalis DB3S-W-B7G-WNEF
N° de MINUTE : 24/00456
Chambre 6/Section 4


S.D.C. DU [Adresse 7] 93100 [Localité 11]
Représenté par son Syndic le Cabinet UNITIA
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me Julien COULET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0178

Madame [G] [V]
[Adresse 7]
[Localité 9]
représentée par Me Julien COULET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0178

Monsieur [D] [U]<

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[Localité 9]
représenté par Me Julien COULET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0178

Madame [B] [X]
[Adresse 7]
[Loca...

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TRIBUNAL
JUDICIAIRE
de BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 01 JUILLET 2024

AFFAIRE N° RG 22/05597 - N° Portalis DB3S-W-B7G-WNEF
N° de MINUTE : 24/00456
Chambre 6/Section 4

S.D.C. DU [Adresse 7] 93100 [Localité 11]
Représenté par son Syndic le Cabinet UNITIA
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me Julien COULET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0178

Madame [G] [V]
[Adresse 7]
[Localité 9]
représentée par Me Julien COULET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0178

Monsieur [D] [U]
[Adresse 7]
[Localité 9]
représenté par Me Julien COULET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0178

Madame [B] [X]
[Adresse 7]
[Localité 9]
représentée par Me Julien COULET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0178

Madame [L] [O]
[Adresse 7]
[Localité 9]
représentée par Me Julien COULET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0178

DEMANDEURS

C/

S.C.I. 440 ASSOCIES
[Adresse 4]
[Localité 9]
représentée par Me Katell RALITE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1953

Compagnie d’assurance ALLIANZ I.A.R.D
[Adresse 1]
[Localité 8]
représentée par Maître Emilie DECHEZLEPRETRE DESROUSSEAUX de la SELARL CABINET DECHEZLEPRETRE, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : E1155
[Adresse 3]
domiciliée : chez FONCIA GAUTHIER, syndic
[Adresse 5]
[Localité 10]
représentée par Maître Catherine DAUMAS de la SCP d’Avocats BOUYEURE-BAUDOUIN- DAUMAS-CHAMARD BENSAHE L-GOMEZ-REY-BESNARD, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : P0056

S.A.R.L. STUDIO 440
[Adresse 4]
[Localité 9]
représentée par Me Katell RALITE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1953

DEFENDEURS

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Lors des débats et du délibéré

Président :Monsieur Gilles CASSOU DE SAINT-MATHURIN, Vice-Président, rapporteur
Assesseurs :Monsieur David BRACQ-ARBUS, Juge
Monsieur François DEROUAULT, Juge

Assisté aux débats de : Madame Maud THOBOR, Greffier

DEBATS

Audience publique du 6 Mai 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 1er Juillet 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Monsieur Gilles CASSOU DE SAINT-MATHURIN , Vice-Président, assisté de Madame Maud THOBOR, Greffier.

EXPOSE DU LITIGE

Depuis 1998, la SARL Studio 440 exploite un studio d’enregistrement et de répétition dans deux locaux (studios A et B) appartenant à la SCI 440 Associés et dépendant d’un ensemble immobilier soumis au statut de la copropriété sis [Adresse 3] à [Localité 11].

L’immeuble voisin, sis [Adresse 7] à [Localité 11], qui était anciennement affecté à un usage industriel, a fait l’objet de travaux pour permettre un usage d’habitation à compter de l’année 2015.

Soutenant que l’activité exercée par le Studio 440 est à l’origine de nuisances sonores illicites, plusieurs acquéreurs de lots de cet immeuble voisin réhabilité ont agi en référé pour obtenir la cessation sous astreinte de l’activité exercée par le studio 440, après diverses démarches amiables, notamment en lien avec la mairie ; le 17 octobre 2018, le juge des référés ainsi saisi a rejeté la demande, et désigné, sur demande reconventionnelle, monsieur [S] [M] en qualité d’expert judiciaire, lequel a déposé son rapport le 19 novembre 2021.

C’est dans ce contexte que, par acte d’huissier enrôlé le 28 octobre 2020, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 7] à [Localité 11], madame [B] [X], et madame [L] [O] ont fait assigner le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] devant le tribunal judiciaire de Bobigny.

Radiée le 14 septembre 2021 et le 25 mai 2022, l’affaire a été rétablie au rôle le 25 octobre 2022.

En parallèle, par actes d’huissier enrôlés le 23 mai 2022, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 7] à [Localité 11], madame [B] [X], madame [L] [O], madame [G] [V] (intervenante volontaire) et monsieur [D] [U] (intervenant volontaire) ont fait assigner en intervention forcée la société Studio 440, la SCI 440 Associés, et la SA Allianz IARD.

Les instances ont été jointes.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 5 mars 2024, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 7] à [Localité 11], madame [B] [X], madame [L] [O], madame [G] [V] et monsieur [D] [U] sollicitent, outre le rejet des prétentions adverses, la condamnation in solidum de la société Studio 440, la SCI 440 Associé, la SA Allianz IARD et le syndicat des copropriétaires du [Adresse 4], avec exécution provisoire :
à payer les sommes suivantes : 120.240 euros à madame [B] [X] ; 187.440 euros à madame [L] [O] ; 81.950 euros à madame [G] [V] et monsieur [D] [U] ; 30.000 euros au syndicat des copropriétaires du [Adresse 7] à [Localité 11] ; aux dépens, en ce inclus les frais d’expertise judiciaire, ainsi qu’à leur payer la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
A l'appui de leurs prétentions, ils soutiennent :
que l’expertise judiciaire a confirmé l’existence de dépassements récurrents des seuils admissibles du fait de l’activité exercée par la société Studio 440 au sein du studio A ; que les travaux validés par l’expert n’ont démarré qu’en avril 2022, sous la pression d’une nouvelle action en référé ; que la société Studio 440 et la SCI 440 Associés exposent leur responsabilité pour troubles anormaux de voisinage du fait de ces nuisances sonores, subies de manière continue et récurrente, depuis 2015 ; que l’article L112-6 du code de la construction et de l’habitation (devenu L113-8) n’est pas applicable à une activité exercée en copropriété et suppose que l’activité soit exercée conformément à la réglementation en vigueur, ce qui n’est pas le cas ici, étant précisé que l’absence de plainte avant 2015 s’explique par l’absence de voisinage ; que l’étude d’impact de 2005, non contradictoire, et réalisée par le bureau General Acoustic, qui manque clairement d’objectivité, n’est pas probante ; qu’il incombe aux défenderesses de démontrer que leur activité respectait la réglementation acoustique avant 2015 ; que si les émissions étaient inférieures avant 2015, c’est que celles-ci se sont aggravées, ce qui exclut l’application du principe de préoccupation ; qu’il n’est pas démontré que leur promoteur n’aurait pas respecté la réglementation acoustique ou qu’il aurait créé des ponts phoniques, l’expert ayant écarté cette dernière éventualité, de même que l’existence de travaux entre les deux bâtiments voisins ; que les travaux de transformation de leur immeuble n’ont pu endommager la coque phonique du studio A, qui en était précisément dénué ; que le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] expose également sa responsabilité à défaut d’avoir fait respecter son règlement de copropriété, lequel prohibe l’exercice d’activités occasionnant des nuisances sonores ; qu’ils sont ainsi en droit d’obtenir réparation de leurs préjudices (voir pages 37 à 42 des écritures) ; qu’il résulte de ce qui précède que la faute reprochée à leur promoteur lors des travaux de changement de destination de l’immeuble n’est pas établie ; que la garantie décennale ne peut être invoquée par un tiers ; qu’ils ne sont en tout cas pas comptables des manquements de leur promoteur ; qu’il est encore moins démontré que les défenderesses auraient subi un quelconque désordre en provenance de la copropriété du [Adresse 7] ; que seuls les murs du studio sont en cause ; que la faute de la victime entraîne la réduction du droit à indemnisation de celle-ci, mais pas un droit à réparation pour le responsable ; que les dommages et intérêts réclamés en défense ne sont pas justifiés.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 20 février 2024, la société Studio 440 et la SCI 440 Associés demandent au tribunal de rejeter les prétentions que les demandeurs dirigent à leur encontre ; reconventionnellement :
à titre principal, de condamner le syndicat des copropriétaires du [Adresse 7] à [Localité 11] à payer les sommes suivantes : 132.000 euros à la SCI 440 Associés au titre des travaux effectués ; 36.000 euros et 88.900 euros à la société Studio 440 au titre des travaux effectués et des pertes d’exploitation ; à titre subsidiaire, de condamner l’ensemble des demandeurs in solidum au paiement de ces mêmes sommes ;en toute hypothèse : d’assortir les condamnations de l’intérêt au taux légal et d’ordonner la capitalisation des intérêts ; de condamner la société Allianz IARD à garantir la société Studio 440 de toutes condamnations, y compris les dépens, incluant les frais d’expertise ; d’écarter l’exécution provisoire ; de condamner les demandeurs aux dépens ; de condamner tout succombant à leur payer la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
A l'appui de leurs prétentions, elles soutiennent :
qu’elles ont réalisé les importants travaux préconisés par l’expert judiciaire et n’ont reçu aucune nouvelle plainte depuis la réouverture du studio en juin 2023 ; que leur responsabilité pour trouble anormal de voisinage n’est pas exposée ; que leur activité est soumise aux articles R1336-4 et suivants du code de la santé publique, impliquant des seuils d’émergence de 5 dB en période diurne, 3 dB en période nocturne, 7 dB dans les bandes de 125 Hz et 250 Hz, 5 dB dans les bandes de 500 Hz, 1.000 Hz, 2.000 Hz et 4.000 Hz ; que la mairie n’a constaté des dépassements de ces seuils que dans la bande de 125 Hz, et de manière très modérée (entre 1 et 12 dB) ; que l’expert n’a relevé des dépassements que sur les sons graves, lors des moments forts, et les a mis en lien avec un isolement général trop faible et un manque de découplage entre la structure de l’immeuble et le studio A ; qu’elles doivent bénéficier de la présomption d’antériorité prévue par l’article L112-16, devenu L113-8, du code de la construction et de l’habitation, et applicable entre deux copropriétés distinctes, puisqu’elles exerçaient leur activité en conformité avec la réglementation en vigueur avant la transformation de l’immeuble voisin et le changement de destination de celui-ci, comme le démontre l’étude d’impact de 2005, dont l’objectivité et la qualité n’ont pas lieu d’être remises en cause ; que c’est le promoteur de cet immeuble voisin qui est responsable de ne pas avoir fait réaliser des travaux tenant compte de l’environnement existant et d’avoir créé des ponts phoniques en reconstruisant le mur du fond de la parcelle ; que le syndicat des copropriétaires du [Adresse 7] à [Localité 11] et/ou les copropriétaires exposent leur responsabilité à l’égard de la société Studio 440 à défaut d’avoir respecté la réglementation acoustique en vigueur lors des travaux de changement de destination de l’immeuble, occasionnant des nuisances sonores indues aux occupants ; qu’elles en sont indirectement victimes, dès lors qu’elles ont dû procéder elles-mêmes aux travaux d’insonorisation rendus nécessaires par ce changement de destination et subir des pertes d’exploitation (réduction activité avant les travaux et interruption pendant les travaux) ; qu’à ce titre, le syndicat engage sa responsabilité sur le fondement de l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965 ; que les demandeurs sont également fautifs, au sens de l’article 1240 du code civil, pour ne pas avoir recherché la responsabilité de leurs constructeurs en application des articles 1792 et suivants du même code ; qu’elles devront être indemnisées au titre des travaux réalisés et des pertes d’exploitation subies ; que les préjudices allégués par les demandeurs ne sont pas justifiés ; que la perte de valeur est hypothétique ; que le trouble de jouissance est calculé de manière approximative et ne tient pas compte des périodes de fermeture du studio ; que le préjudice moral est excessif ; que les frais de fonctionnement et d’intervention allégués par le syndicat des copropriétaires ne reposent sur aucune pièce ; que la société Studio 440 est fondée à rechercher la garantie de son assureur de responsabilité civile, Allianz IARD, au titre de la garantie responsabilité civile exploitation ; que la persistance des nuisances sonores au cours de l’action judiciaire ne saurait exclure la garantie, d’autant qu’elles ont tout fait pour trouver une solution au présent litige ; que l’absence d’aléa s’apprécie au jour de la conclusion du contrat.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 25 août 2023, la SA Allianz IARD demande au tribunal de rejeter les prétentions dirigées à son encontre ; subsidiairement, de ramener les indemnités allouées au syndicat des copropriétaires à de plus justes proportions ; accessoirement, de condamner tout succombant aux dépens, avec application de l’article 699 du code de procédure civile, ainsi qu’à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du même code.

A l'appui de ses prétentions, elle soutient qu’aucune partie, en particulier pas la société Studio 440, son assurée, n’opère une réelle démonstration de la possible mobilisation de l’une de ses garanties, contrairement à ce qu’imposent les règles relatives à la charge de la preuve ; que la garantie « perte d’exploitation » vise les pertes consécutives à des dommages matériels atteignant les biens garantis ; que la garantie « protection juridique » n’a pas davantage de rapport avec le litige, étant précisé que la prise en charge des frais de défense de son assurée n’implique nullement la garantie de la responsabilité de cette dernière ; qu’en toute hypothèse, outre que la responsabilité de la société Studio 440 ne saurait être recherchée en raison de l’exercice d’une activité préexistante à la transformation de l’immeuble voisin en 2015, la poursuite de ses activités par la société Studio 440 depuis la dénonciation des nuisances fait perdre tout aléa au sinistre en cause et constitue une faute intentionnelle, ce qui exclut toute garantie, au sens de l’article 1964 du code civil et de l’article L113-1 du code des assurances ; que les pertes de valeur alléguées en demande sont hypothétiques en l’absence de vente ou de projet de vente, et elles font double emploi avec le préjudice de jouissance ; que le trouble de jouissance est insuffisamment justifié (valeur locative incertaine, mesures réalisées uniquement depuis l’appartement [X] le plus proche du studio, absence de prise en compte des périodes de fermeture du studio) ; que le préjudice moral invoqué est surestimé, à supposer qu’il existe.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 6 mars 2023, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] demande au tribunal de rejeter les prétentions dirigées à son encontre ; subsidiairement, de condamner in solidum la SCI 440 Associés, la société Studio 440 et la société Allianz IARD, à le garantir de toute condamnation ; accessoirement, de condamner in solidum les demandeurs et/ou tout succombant aux dépens, avec application de l’article 699 du code de procédure civile, ainsi qu’à lui payer la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du même code.

A l'appui de ses prétentions, il soutient que les demandeurs, qui sont tiers à la copropriété, ne sont pas fondés à se prévaloir des clauses de son règlement de copropriété ; qu’en application de l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965, sa responsabilité ne pourrait être recherchée que si les nuisances litigieuses trouvaient leur origine dans une partie commune lui appartenant, ce qui n’est manifestement pas le cas ; qu’il ne peut se substituer aux sociétés Studio 440 et 440 Associés ; qu’éventuellement, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 7] est responsable de ne pas avoir mis en œuvre les mesures utiles pour préserver les lots privatifs des nuisances sonores voisines déjà existantes lors de la transformation de l’immeuble en 2015 ; qu’en cas de condamnation, il est fondé à être garanti par les sociétés 440 Associés, Studio 440 et Allianz, seules responsables des nuisances litigieuses.

Pour un plus ample exposé des moyens développés par les parties, il sera renvoyé à la lecture des conclusions précitées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

La clôture de la mise en état a été fixée au 6 mars 2024 par ordonnance du même jour.

A l'audience du 6 mai 2024, l'affaire a été mise en délibéré au 1er juillet 2024, date du présent jugement.

MOTIFS

Sur les demandes principales

1° Sur les demandes du syndicat des copropriétaires du [Adresse 7] à [Localité 11], madame [B] [X], madame [L] [O], madame [G] [V] et monsieur [D] [U]

Contre les sociétés Studio 440 et SCI 440 Associés
Est responsable de plein droit, indépendamment de toute faute, sur le fondement du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage, celui qui est l'auteur d'un trouble excédant les inconvénients qu'il est habituel de supporter entre voisins, qu'il soit propriétaire occupant ou non, occupant non propriétaire avec ou sans titre, ou encore voisin occasionnel.

Conformément à l'article 9 du code de procédure civile, il incombe au voisin qui se prétend victime de rapporter la preuve de la matérialité, de l'imputabilité et de l'étendue de son dommage, preuve qui peut toutefois être rapportée par tous moyens.

Il résulte en revanche des dispositions de l’article L113-8 – anciennement L112-16 – du code de la construction et de l’habitation que les dommages causés aux occupants d'un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques, n'entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l'acte authentique constatant l'aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l'existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s'exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu'elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions ; toutefois, si, du fait du changement de destination – régulier – du bâtiment exposé aux nuisances, les activités occasionnant ces nuisances ne sont plus conformes avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur, l’immunité ainsi établie n’est pas applicable (voir en ce sens Cass, Civ 3, 12 septembre 2019, 18-18.521).

Sauf s’il présente les caractères de la force majeure, le fait d’un tiers n’est ni exonératoire ni limitatif de responsabilité à l’égard de la victime du dommage, mais peut en revanche justifier une action récursoire du responsable.

En l’espèce, et à titre liminaire, le tribunal relève qu’aucun élément objectif, au-delà des déclarations des intéressés – qui ne peuvent jamais suffire en justice –, ne permet d’établir l’existence, encore moins l’étendue, de nuisances sonores en provenance des studios litigieux :
dans l’appartement [V]-[U], puisqu’aucun constat technique ni mesure acoustique n’est produit le concernant, et que l’expert ne s’est pas prononcé sur l’existence de nuisances sonores dans cet appartement ; dans l’appartement [O]-[J], puisque le seul élément technique communiqué le concernant, à savoir l’étude d’impact de la société General Acoustics du 22 mars 2018, ne mentionne aucun dépassement des seuils réglementaires, ni ne décrit de gêne particulière.
Les demandes indemnitaires présentées par madame [L] [O], madame [G] [V] et monsieur [D] [U], qui ne font pas la preuve des inconvénients anormaux dont ils se prévalent, seront ainsi rejetées.

Pour le surplus, il ressort des constatations non discutées de l’expertise judiciaire, à partir des investigations et mesures réalisées depuis l’appartement de madame [B] [X] situé au rez-de-chaussée, au plus proche du studio en cause, que les bruits en provenance du studio A lors des sessions de répétitions ou d’enregistrements, sont à l’origine d’une gêne sonore avérée pour l’appartement [X], par leur amplitude (possibilité de distinguer la famille d’instrument, la mélodie, la rythmique, le genre masculin ou féminin de la voix chantée, importance des « moments forts »), leur durée et leur fréquence (activité habituelle et non ponctuelle du studio, jusqu’à 22h le soir).

Une telle gêne excède à l’évidence ce qu’il est habituel de supporter entre voisins, exposant, à l’égard de madame [B] [X], la responsabilité de plein droit de la société Studio 440 (en sa qualité de locataire exploitante du studio A) et de la SCI 440 Associés (en sa qualité de propriétaire du studio A), sans possibilité pour ces dernières d’opposer l’immunité liée à la préoccupation prévue par l’article L113-8 du code de la construction et de l’habitation dès lors qu’il ressort de l’ensemble des mesures acoustiques réalisées, lesquelles ne sont pas discutées en défense, que les bruits enregistrés chez madame [B] [X] en provenance du studio A excèdent les seuils prévus par le code de la santé publique, au moins s’agissant de l’émergence spectrale sur la bande d’octave 125 Hz, et ne sont donc pas conformes à la réglementation en vigueur ; il est à cet égard indifférent que ces seuils ne fussent pas dépassés antérieurement à la réhabilitation de l’immeuble en cause, dans la mesure où :
aucun élément ne permet d’étayer la thèse selon laquelle ce serait les travaux de réhabilitation de cet immeuble qui auraient permis les dépassements de seuils, l’expert judiciaire indiquant au contraire, sans être techniquement contredit, que seule l’isolation phonique insuffisante du studio A est en cause ; il appartient en toute hypothèse au studio de respecter les normes en vigueur, quitte à devoir s’adapter à l’évolution de son environnement, dès lors que cette évolution est licite, ce qui est ici le cas puisque le changement de destination de l’immeuble voisin au profit de l’usage d’habitation a été autorisé par la commune.
S’agissant du préjudice, il ressort des écritures et pièces des parties, confirmées par les déclarations faites à l’audience, que les travaux réalisés depuis l’expertise judiciaire par les sociétés Studio 440 et 440 Associés au sein du studio A ont mis un terme aux nuisances sonores, ce qui exclut ipso facto la perte de valeur vénale alléguée par madame [B] [X], de même que celle alléguée par le syndicat des copropriétaires.

Restent en revanche :
le trouble de jouissance subi par madame [B] [X] de septembre 2017, date d’entrée en jouissance de l’appartement (acquis le 18 juillet 2017), au 24 juin 2022, date de fermeture du studio pour travaux, lequel n’est ni contesté ni contestable dans son principe, sauf à déduire, sur ces 58 mois, 2 mois liés à la fermeture imposée lors du premier confinement de 2020, ce qui n’est toutefois pas significatif, pas plus que la restriction des horaires du studio pendant le second confinement ; compte par ailleurs tenu de la fréquence et de l’intensité notables des nuisances subies, l’indemnité réclamée, à hauteur de 16.240 euros, est justifiée ; le préjudice moral subi par madame [B] [X] en raison des tracas occasionnés par la résolution du présent litige, qui sera réparé par l’allocation d’une indemnité de 5.000 euros, étant précisé que le lien allégué entre les nuisances litigieuses et les problèmes de santé, arrêts de travail et perte d’emploi n’est pas justifié.
Quant au préjudice invoqué par le syndicat des copropriétaires au titre des frais de fonctionnement et d’intervention, force est de relever qu’aucun justificatif de ces frais n’est communiqué, outre que le syndicat ne s’explique pas réellement sur l’engagement de la responsabilité des sociétés Studio 440 et 440 Associés à son égard, les nuisances n’ayant été constatées qu’au préjudice de madame [B] [X].

Contre la SA Allianz IARD
Conformément à l'article L124-3 du code des assurances, tout tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable, auquel cas l'assureur peut, selon l'article L112-6 du même code, opposer au tiers lésé toutes les exceptions qu'il aurait pu opposer à son assuré.

A cet égard, l’article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. L’article 1194 du même code ajoute que les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l'équité, l'usage ou la loi.

A défaut d’exécution du contrat, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut notamment, selon l'article 1217 du même code, agir en exécution forcée et/ou réclamer des dommages et intérêts.

Toutefois, l'article 1231-6 du même code précise que les dommages et intérêts dus en raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent ne consistent que dans l'intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure, et l'éventuel préjudice indépendant de ce retard, qui ne serait pas réparé par les seuls intérêts moratoires, ne peut être indemnisé qu'en cas de mauvaise foi du débiteur.

Conformément à l'article 9 du code de procédure civile et 1353 du code civil, il incombe à l'assuré de justifier que les conditions nécessaires à l'application de la garantie d'assurance sont réunies, et à l'assureur qui s'en prévaut de démontrer que les conditions nécessaires à l'application d'une clause de déchéance ou d’exclusion de garantie sont réunies.

En ce sens, l'article L113-1 du code des assurances précise que les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur :
sauf exclusion conventionnelle - à la condition qu'elle soit formelle (claire et ne laissant aucune place à l'interprétation), limitée (ne vidant pas la garantie accordée de toute substance) et rédigée en caractères très apparents au sens de l'article L112-4 du même code - ;sauf exclusion légale en cas de faute intentionnelle - lorsque l'assuré a voulu le dommage tel qu'il s'est réalisé - ou dolosive de l'assuré - lorsque l'assuré adopte délibérément un comportement dont il ne peut ignorer qu'il rend inéluctable la réalisation du risque assuré.
En l’espèce, il ressort des conditions particulières et générales de la police souscrite par la société Studio 440 auprès de la société Allianz IARD que cette dernière couvre, au titre de la garantie « Responsabilité civile exploitation », la responsabilité de la première, y compris pour les dommages immatériels non consécutifs dans la limite de 75.000 euros, comme tel est le cas en l’espèce des préjudices, de jouissance et moral, retenus pour madame [B] [X].

L’exclusion légale de garantie opposée par la société Allianz IARD sur le fondement de l’article L113-1 du code des assurances n’est pas opérante, dans la mesure où il n’est à l’évidence pas question de faute intentionnelle (la société Studio 440 n’ayant pas voulu le dommage tel qu’il s’est réalisé) et où il n’est pas non plus question de faute dolosive, la conscience du caractère inéluctable des conséquences dommageables d'un acte délibéré que cette faute exige, ne se confondant pas avec la seule conscience du risque d'occasionner le dommage (voir en ce sens Cass, Civ 2, 6 juillet 2023, 21-24.833) ; à ce dernier égard, force est de relever que la société Studio 440 avait des moyens sérieux de défense à opposer à madame [B] [X], sur les plans technique et juridique, que la société Allianz IARD reprend d’ailleurs à son compte dans ses écritures, ce qui exclut de retenir qu’elle a, en poursuivant son activité après la première plainte reçue de la part de la demanderesse, eu conscience du caractère inéluctable des nuisances occasionnées à l’intéressée.

Il convient en conséquence de retenir la garantie, par la société Allianz IARD, de la responsabilité de la société Studio 440 à l’égard de madame [B] [X].

Contre le syndicat des copropriétaires du [Adresse 4]
En cas de troubles de voisinage causant un préjudice à des tiers à la copropriété, la responsabilité du syndicat des copropriétaires peut être retenue, notamment en cas d’inaction fautive, s’il n’a pas agi pour faire cesser les troubles.

En l’espèce, contrairement à ce qui est soutenu en demande, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 4], dans lequel se situe le studio appartenant à la SCI 440 Associés, justifie avoir mis en demeure cette dernière de respecter le règlement de copropriété, lequel prohibe l’émission de bruits à l’origine de gêne anormale pour les voisins, à deux reprises au moins, par courriers des 21 novembre 2017 et 15 avril 2018, étant relevé que le litige a rapidement été porté en justice par la suite.

Aucune inaction fautive de la part du syndicat des copropriétaires voisin n’est ainsi démontrée ; la responsabilité de ce dernier n’a pas lieu d’être retenue.

En conséquence
En conséquence, il convient de condamner in solidum les sociétés Studio 440, 440 Associés et Allianz IARD à payer à madame [B] [X] la somme de 21.240 euros au titre du préjudice de jouissance et du préjudice moral.

2° Sur les demandes des sociétés Studio 440 et SCI 440 Associés

Contre la SA Allianz IARD
En l’espèce, il résulte de ce qui précède que la société Allianz IARD doit garantir la société Studio 440 des condamnations prononcées à son encontre au profit de madame [B] [X].

Contre les demandeurs
En l’espèce, il résulte de ce qui précède que l’activité exercée au sein du studio A n’était pas conforme à la réglementation en vigueur, une telle non-conformité étant constitutive d’une faute des sociétés Studio 440 et 440 Associés, qui fait obstacle à leurs demandes de dommages et intérêts, présentées contre les demandeurs au titre des travaux réalisés pour mettre un terme aux nuisances occasionnées et des pertes d’exploitation subies du fait des restrictions d’horaires et des périodes de fermeture pour travaux.

Sur les demandes accessoires
Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En application de l'article 700 du même code, le tribunal condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l'autre la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Par principe, le tribunal alloue à ce titre une somme correspondant aux frais réellement engagés, à partir des justificatifs produits par les parties, ou, en l’absence de justificatif, à partir des données objectives du litige (nombre de parties, durée de la procédure, nombre d’écritures échangées, complexité de l’affaire, incidents de mise en état, mesure d’instruction, etc.). Par exception et de manière discrétionnaire, le tribunal peut, considération prise de l’équité ou de la situation économique des parties, allouer une somme moindre, voire dire qu’il n’y a lieu à condamnation.

En conséquence, les sociétés Studio 440, 440 Associés et Allianz IARD, parties perdantes, seront condamnées in solidum aux dépens, en ce inclus les frais d’expertise judiciaire, avec bénéfice du droit prévu par l'article 699 du même code, ainsi qu'à payer à madame [B] [X] une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens fixée, en équité et en l'absence de justificatif, à 5.000 euros.

Les autres demandes présentées au titre des frais irrépétibles seront, en équité, rejetées.

Enfin, aucun élément ne justifie d'écarter l'exécution provisoire de droit, laquelle est compatible avec la nature de l'affaire au sens de l'article 514-1 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable au litige.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et rendu en premier ressort,

Condamne in solidum la société Studio 440, la SCI 440 Associés et la SA Allianz IARD à payer à madame [B] [X] la somme de 21.240 euros de dommages et intérêts ;

Déboute madame [B] [X] de ses demandes dirigées contre le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] ;

Déboute le syndicat des copropriétaires du [Adresse 7] à [Localité 11], madame [L] [O], madame [G] [V] et monsieur [D] [U] de leurs demandes de dommages et intérêts ;

Condamne la SA Allianz IARD à garantir la société Studio 440 des condamnations prononcées à son encontre au profit de madame [B] [X] ;

Déboute la société Studio 440 et la SCI 440 Associés de leurs demandes de dommages et intérêts contre le syndicat des copropriétaires du [Adresse 7] à [Localité 11], madame [B] [X], madame [L] [O], madame [G] [V] et monsieur [D] [U] ;

Condamne in solidum la société Studio 440, la SCI 440 Associés et la SA Allianz IARD aux dépens, en ce inclus les frais d’expertise judiciaire, avec bénéfice du droit prévu par les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne la société Studio 440, la SCI 440 Associés et la SA Allianz IARD à payer à madame [B] [X] la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les autres parties de leur demande présentée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de droit du présent jugement ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

La minute est signée par Monsieur Gilles CASSOU DE SAINT-MATHURIN, Vice-Président, assisté de Madame Maud THOBOR, greffier.

Le greffier,Le president,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bobigny
Formation : Chambre 6/section 4
Numéro d'arrêt : 22/05597
Date de la décision : 01/07/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-01;22.05597 ?
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