Tribunal judiciaire de Bobigny
Chambre 5/Section 1
AFFAIRE N° RG : N° RG 22/10491 - N° Portalis DB3S-W-B7G-W4QR
Ordonnance du juge de la mise en état
du 19 Juin 2024
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE BOBIGNY
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
DU 19 JUIN 2024
Chambre 5/Section 1
Affaire : N° RG 22/10491 - N° Portalis DB3S-W-B7G-W4QR
N° de Minute : 24/00964
DEMANDEUR
S.A.S. LA BOUTIQUE 75
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Maître Yvan BARTHOMEUF de la SCP BERNARD ET YVAN BARTHOMEUF, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : P0407
C/
DEFENDEUR
S.C.I. DU MANEGE
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Maître Francis BAILLET de la SELARL BAILLET DULIEU ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : C0099
JUGE DE LA MISE EN ÉTAT :
Madame Charlotte THINAT, Présidente,
assistée aux débats de Madame Zahra AIT, Greffier.
DÉBATS :
Audience publique du 24 avril 2024.
ORDONNANCE :
Prononcée en audience publique, par ordonnance contradictoire et en premier ressort, par Madame Charlotte THINAT, juge de la mise en état, assistée de Madame Zahra AIT, greffier.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par acte sous-seing privé en date du 24 octobre 1983, la Ville de [Localité 5] a donné à bail commercial à la société LA BOUTIQUE 75 un local destiné à l’activité de brocanteur, marchand de meubles, neuf et ancien dépendant d’un immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 5] (93) pour une durée de 9 années à compter du 1er janvier 1984 jusqu’au 31 décembre 1992.
Ce bail a été renouvelé à plusieurs reprises et en dernier lieu à la suite d’une demande de renouvellement signifiée à la requête du preneur par acte extrajudiciaire en date du 28 juillet 2010 pour une durée de 9 années à compter du 1er janvier 2011.
La Ville de [Localité 5] a vendu l’ensemble de l’immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 5] (93) à la S.C.I. DU MANEGE par acte du 24 juillet 2015.
Par acte extrajudiciaire en date du 17 mars 2016, la S.C.I. DU MANEGE a fait signifier à la société LA BOUTIQUE 75 un congé avec refus de renouvellement de bail et offre d’indemnité d’éviction pour le 30 septembre 2016.
Par un second acte extrajudiciaire du 05 octobre 2016, la S.C.I. DU MANEGE a fait signifier à la société LA BOUTIQUE 75 un nouveau congé avec refus de renouvellement de bail et offre d’indemnité d’éviction pour le 31 décembre 2019.
Par exploit du 15 janvier 2020, la S.C.I. DU MANEGE a fait assigner la société LA BOUTIQUE 75 en référé devant le tribunal judiciaire de Bobigny aux fins d’évaluation par un expert judiciaire des indemnités d’occupation et d'éviction.
Par ordonnance du 25 mai 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny a désigné Madame [X] [M] en qualité d'expert avec notamment pour mission de rechercher tous éléments permettant de déterminer le montant de l’indemnité d’éviction et d’occupation. Faute d’avoir consigné dans les temps, une ordonnance de caducité de la désignation de l’expert a été rendue le 18 novembre 2021.
Par acte d’huissier en date du 29 octobre 2020, la S.C.I. DU MANEGE a de nouveau sollicité auprès du juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny la désignation d’un expert judiciaire aux fins d’évaluation de l’indemnité d’occupation. La société LA BOUTIQUE 75 a demandé alors une extension des missions de l’expert à l’évaluation de l’indemnité d’éviction.
Par ordonnance de référé du 09 avril 2021, Madame [I] a été désignée en qualité d’expert avec mission complète d’évaluer l’indemnité d’éviction et l’indemnité d’occupation. Le rapport d’expertise a été déposé le 28 avril 2022.
Par acte d’huissier en date du 08 décembre 2021, la société LA BOUTIQUE 75 a fait assigner la S.C.I. DU MANEGE devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Bobigny en fixation de l’indemnité d’éviction.
Par jugement en date du 11 octobre 2022, le juges des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Bobigny a relevé son incompétence.
Par exploit d’huissier en date du 18 octobre 2022, la société LA BOUTIQUE 75 a fait assigner la S.C.I. DU MANEGE devant le tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de :
- Dire et juger la société BOUTIQUE 75 recevable et bien fondée en son action ainsi qu’en toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Y faisant droit,
- Condamner à titre principal la S.C.I. DU MANEGE à payer à la société BOUTIQUE 75 les sommes de :
- 197.000 euros à titre d’indemnité principale d’éviction,
- 19.700 euros à titre d’indemnité de remploi,
- 11.000 euros à titre de frais de réinstallation,
- 47.200 euros à titre de pertes sur stock,
- 1.740 euros à titre de frais de double loyer,
- 3.000 euros à titre d’indemnité pour trouble commercial,
- 1.000 euros à titre de frais divers et administratifs.
- Condamner subsidiairement la S.C.I. DU MANEGE à payer à la société BOUTIQUE 75 les sommes de :
- 117.000 euros à titre d’indemnité principale d’éviction,
- 11.700 euros à titre d’indemnité de réemploi,
- 11.000 euros à titre de frais de réinstallation,
- 47.200 euros à titre de pertes sur stock,
- 1.740 euros à titre de frais de double loyer,
- 3.000 euros à titre d’indemnité pour trouble commercial,
- 1.000 euros à titre de frais divers et administratifs.
-Condamner la S.C.I. DU MANEGE à payer à la société BOUTIQUE 75 s’il y a lieu et sur justificatifs, les indemnités et frais de licenciement et de rupture des contrats de travail des salariés de la société LA BOUTIQUE 75, y compris la contribution éventuelle versée à Pôle Emploi, conformément à l’article L.1233-69 du code du travail ;
- Dire que l’ensemble des sommes ci-dessus porteront intérêt au taux légal à compter du 8 décembre 2021, date de signification de l’assignation devant le tribunal de céans ;
- Ordonner la capitalisation des intérêts, conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil ;
- Débouter la S.C.I. DU MANEGE de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner la S.C.I. DU MANEGE à payer à la société LA BOUTIQUE 75, la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la Ss conditions de l’article 699 du code de procédure civile..C.I. DU MANEGE aux entiers dépens de l’instance lesquels comprendront la totalité des frais et honoraires d’expertise judiciaire de Madame [I] et qui pourront être recouvrés par Maître Yvan BARTHOMEUF, avocat associé de la société d’avocats Bernard & Yvan BARTHOMEUF, Avocat au barreau de PARIS dans le
Il est expressément renvoyé à ces conclusions pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
*
La S.C.I. DU MANEGE s'est constituée et a demandé au tribunal de céans, dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 20 février 2023 de :
- Débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions LA BOUTIQUE 75 au titre de l’indemnité d’éviction et des frais accessoires.
- Sur la demande de condamnation au titre d’indemnité d’éviction et de ses accessoires :
- Sur l’indemnité d’éviction :
- Fixer le montant de la valeur locative de renouvellement à la somme de 410 € par m2B soit 18.925,60 €.
- Calculer le montant dû au titre de l’indemnité d’éviction par rapport au montant de la valeur locative de renouvellement.
Par conséquent,
- Fixer à un montant maximal de 10.798,70 € l’indemnité d’éviction due par la SCI DU MANEGE à LA BOUTIQUE 75.
- Sur les frais de remplois :
A titre principal :
- Rejeter toute indemnisation au titre des frais de remplois.
A titre subsidiaire :
- Fixer les frais de remplois à un montant maximal de 1.500 €.
A titre infiniment subsidiaire :
- Fixer les frais de remplois à un montant maximal de 6.695 €.
- Sur les frais de réinstallation :
- Débouter de toute indemnisation LA BOUTIQUE 75 au titre des frais de réinstallation.
- Sur la perte sur stocks :
- Débouter de toute indemnisation LA BOUTIQUE 75 au titre de la perte sur stocks.
- Sur les frais de doubles loyers :
- Débouter de toute indemnisation LA BOUTIQUE 75 au titre des frais de doubles loyers.
- Sur le trouble commercial :
- Débouter de toute indemnisation LA BOUTIQUE 75 au titre du trouble commercial.
- Sur les frais divers et administratifs :
- Débouter de toute indemnisation LA BOUTIQUE 75 au titre des frais divers et administratifs.
- Sur les intérêts :
- Débouter LA BOUTIQUE 75 de sa demande d’intérêts sur toutes les sommes mises à la charge de la SCI DU MANEGE.
A titre reconventionnel : sur l’indemnité d’occupation :
- Fixer le montant de la valeur locative de renouvellement à la somme de 410 € par m2B soit à la somme de 18.900 € par an,
Par conséquent,
- Condamner LA BOUTIQUE 75 à verser à la SCI DU MANEGE la somme mensuelle de 1.575 € au titre de l’indemnité d’occupation à compter du 1er janvier 2020 jusqu’à la libération effective des lieux.
En tout état de cause : sur la compensation :
- Ordonner la compensation des sommes dues au titre de l’indemnité d’éviction et des frais accessoires à LA BOUTIQUE 75 et celles dues au titre de l’indemnité d’occupation à la SCI DU MANEGE ;
Pour le surplus,
- Condamner LA BOUTIQUE 75 à verser à la SCI DU MANEGE les sommes restantes dues après compensation.
Sur l’article 700 et débours :
- Condamner LA BOUTIQUE 75 à verser à la SCI DU MANEGE la somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner LA BOUTIQUE 75 aux entiers dépens de l’instance y compris les frais d’expertise.
Il est expressément renvoyé à ces conclusions pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
*
Par conclusions d’incident, notifiées par voie électronique le 20 mars 2023, la société LA BOUTIQUE 75 a demandé au juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bobigny de :
- Juger irrecevable la SCI DU MANEGE en sa demande de fixation de l’indemnité d’occupation à effet du 1er janvier 2020 sur le fondement de l’article L 145-28 du Code de Commerce ;
En conséquence,
- Débouter la SCI DU MANEGE de sa demande en fixation de l’indemnité d’occupation à effet du 1er janvier 2020 sur le fondement de l’article L 145-28 du Code de Commerce ;
- Condamner la SCI DU MANEGE à payer à la société la BOUTIQUE 75, la somme de 1500 € au tire de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
- Condamner la SCI DU MANEGE aux dépens de l’incident, lesquels pourront être recouvrés par Maître Yvan BARTHOMEUF, avocat associé de la société d’avocats Bernard & Yvan BARTHOMEUF, Avocat au barreau de PARIS dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions d’incident, notifiées par voie électronique le 19 janvier 2024, la société LA BOUTIQUE 75 demande au juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bobigny de :
- Juger irrecevable la SCI DU MANEGE en sa demande de fixation de l’indemnité d’occupation à effet du 1er janvier 2020 sur le fondement de l’article L 145-28 du Code de Commerce par l’effet de la prescription ;
En conséquence,
- Débouter la SCI DU MANEGE de sa demande en fixation de l’indemnité d’occupation à effet du 1er janvier 2020 sur le fondement de l’article L 145-28 du Code de Commerce ;
- Juger recevable la société LA BOUTIQUE 75 en sa demande de condamnation de la SCI DU MANEGE au titre de l’indemnité d’éviction et des indemnités accessoires sur le fondement de l’article L 145-14 du Code du Commerce ;
En conséquence,
- Débouter la SCI DU MANEGE de sa fin de non-recevoir tirée de la soi-disant prescription de l’action en fixation de l’indemnité d’éviction ;
- Débouter la SCI DU MANEGE de sa demande au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile et des dépens de l’incident ;
- Condamner la SCI DU MANEGE à payer à la société la BOUTIQUE 75, la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
- Condamner la SCI DU MANEGE aux dépens de l’incident, lesquels pourront être recouvrés par Maître Yvan BARTHOMEUF, avocat associé de la société d’avocats Bernard & Yvan BARTHOMEUF, Avocat au barreau de PARIS dans les conditions de l’article 699 du Code de Procédure Civile.
Il est expressément renvoyé à ces conclusions pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
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Aux termes de ses dernières conclusions en réplique sur incident, notifiées par voie électronique le 21 novembre 2023, la S.C.I. DU MANEGE a demandé au juge de la mise en état de :
A titre principal,
- Débouter LA BOUTIQUE 75 de sa demande de fin de non-recevoir à l’encontre de la SCI DU MANEGE au titre de l’indemnité d’occupation ;
Par conséquent,
- Juger recevable la SCI DU MANEGE en sa demande de fixation de l’indemnité d’occupation à effet du 1er janvier 2020 sur le fondement de l’article L. 145-28 du Code de commerce
A titre reconventionnel,
- Juger irrecevable LA BOUTIQUE 75 en sa demande de fixation de l’indemnité d’éviction et des frais accessoires. Par conséquent,
- Débouter LA BOUTIQUE 75 de sa demande en fixation d’une indemnité d’éviction et des frais accessoires.
En tout état de cause : Article 700 et débours :
- Condamner LA BOUTIQUE 75 à verser à la SCI DU MANEGE la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner LA BOUTIQUE 75 aux entiers dépens de l’incident.
Il est expressément renvoyé à ces conclusions pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
*
L’affaire a été appelée à l’audience de plaidoiries sur incident du 24 avril 2024. Elle a été mise en délibéré au 19 juin 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
1 – Sur la prescription de l’action en fixation de l’indemnité d’occupation
La société LA BOUTIQUE 75 estime, sur le fondement de l’article L.145-60 du code de commerce, que la demande formée par la S.C.I. DU MANEGE aux fins de la voir condamner au paiement d’une indemnité d’occupation à hauteur de 18.900 euros est prescrite depuis le 18 janvier 2023. La demande à ce titre formée par la S.C.I. DU MANEGE datant du 20 février 2023, elle serait donc irrecevable.
Elle rappelle que la S.C.I. DU MANEGE lui a donné congé avec refus de renouvellement par exploit délivré le 05 octobre 2016 et prenant effet le 31 décembre 2019. Le délai de prescription aurait dès lors commencé à courir le 1er janvier 2020. Or, l’article 2239 du code civil dispose que la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès. Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée. Sur le fondement de ce texte, la société LA BOUTIQUE 75 estime que le délai de prescription a donc été suspendu à compter de l’ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny du 09 avril 2021 ayant désigné Madame [I] en qualité d’experte avec mission complète d’évaluer l’indemnité d’éviction et l’indemnité d’occupation et a recommencé à courir à compter du 28 avril 2022, date de dépôt du rapport d’expertise. Elle en déduit que le délai aurait couru 1 an, 3 mois et 9 jours jusqu’au 09 avril 2021 et qu’il restait donc 8 mois et 21 jours de délai à compter 28 avril 2022. Le délai de prescription expirait en conséquence au 18 janvier 2023, soit deux jours avant l'assignation délivrée à la demande de la S.C.I. DU MANEGE.
La S.C.I. DU MANEGE soutient quant à elle qu’il n’y a pas prescription de la demande en fixation de l’indemnité d’occupation et ce, en application des dispositions des articles 2230, 2231, 2239, 2241 et 2242 du code civil ; le délai de prescription ayant été, en vertu de ces textes, prolongé jusqu’au 28 avril 2024.
Elle soutient ainsi que l’assignation signifiée le 15 janvier 2020 à la société LA BOUTIQUE 75, aux fins d’évaluation de l’indemnité d’éviction et d’occupation, a interrompu le délai de prescription de l’article L.145-60 du code de commerce. Un nouveau délai de prescription a couru à compter de l’ordonnance du 25 mai 2020 du juge des référés qui a mis fin à l'instance. L’assignation signifiée à sa demande le 29 octobre 2020 à la société LA BOUTIQUE 75, soit 5 mois et 4 jours après l’ordonnance du 25 mai 2020 et 10 mois et 29 jours après la fin du bail, a de nouveau interrompu la prescription et ce, jusqu'à l’ordonnance du 09 avril 2021 ayant fait droit à la demande d’expertise. Ladite mesure a quant à elle suspendu la prescription jusqu’au dépôt du rapport d’expertise le 28 avril 2022. Ainsi, un nouveau délai de deux ans aurait commencé à courir à partir de cette date jusqu’au 28 avril 2024. Au regard de ces éléments, la S.C.I. DU MANEGE estime que ses demandes formalisées le 20 février 2023 sont recevables.
*
L’article 789 du code de procédure civile dispose que lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal pour statuer sur les fins de non-recevoir. L’article 122 du même code précise que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L’article L.145-60 du code de commerce dispose que toutes les actions exercées en vertu des articles L.145-1 à L.145-59 se prescrivent par deux ans.
Il résulte de l'application combinée des article 2241, 2242 et 2231 du code civil, que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription, que cette interruption produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance et qu'elle efface le délai de prescription acquis et fait courir un nouveau délai de même durée que l’ancien.
En l'espèce, l’instance diligentée devant le juge des référés par la S.C.I. DU MANEGE, aux termes d'une assignation du 15 janvier 2020, a interrompu le délai de prescription à son égard et ce, jusqu'au 25 mai 2020, date de l'ordonnance du juge des référés ayant mis un terme à l'instance. Le délai de prescription a de nouveau été interrompu à l'égard de la S.C.I. DU MANEGE du fait de l’assignation délivrée le 29 octobre 2020 à sa demande et ce, jusqu’à l'ordonnance du juge des référés du 09 avril 2021. Le nouveau délai de prescription qui devait commencer à courir à compter du 10 avril 2021 a néanmoins été suspendu compte tenu de la mesure d'instruction ordonnée par le juge des référés. Cette suspension s'est prolongée jusqu'au dépôt du rapport d’expertise le 28 avril 2022. Il s'en déduit que le délai de prescription devant être pris en considération, l'interruption effaçant les délais acquis antérieurement, n'a couru à l'égard de la S.C.I. DU MANEGE que du 29 avril 2022 au 19 février 2023, soit durant un délai inférieur à deux ans.
En conséquence, la société LA BOUTIQUE 75 sera déboutée de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription et la demande présentée le 20 février 2023 par la S.C.I. DU MANEGE relative à la condamnation de la preneuse au paiement d’une indemnité d’occupation sera déclarée recevable.
2 – Sur la prescription de l’action en fixation de l’indemnité d’éviction
La S.C.I. DU MANEGE considère, également sur le fondement de l’article L.145-60 du code de commerce, que la demande formée par la société LA BOUTIQUE 75 en fixation de l’indemnité d’éviction à hauteur de 197.000 euros est prescrite.
Elle soutient qu’en sa qualité de demanderesse lors des procédures de référés-expertises, elle seule pourrait invoquer le bénéfice des mécanismes d’interruption et de suspension de la prescription. Elle ajoute que l’assignation qui lui a été délivrée à la demande de la société LA BOUTIQUE 75 le 08 décembre 2021, alors que les opérations d'expertises étaient en cours, témoigne de la volonté de celle-ci d'interrompre le délai de prescription venant à expiration le 1er janvier 2022. Toutefois, lors de l’audience du 11 octobre 2022, le juge de loyers commerciaux a estimé ne pas être saisi, ce qu’il a rappelé dans le message RPVA du 12 octobre 2022. En outre, cette assignation devant le juge des loyers commerciaux ayant été délivrée sans notification préalable du mémoire prévu à l’article R.145-23 du code de commerce, elle ne peut avoir aucun effet interruptif. La S.C.I. DU MANEGE estime en conséquence que la prescription n’a pas pu être interrompue par cette action en justice et a expiré le 1er janvier 2022. Dès lors, la demande en fixation de l’indemnité d’éviction formée par la société preneuse par l’assignation du 18 octobre 2022 serait irrecevable comme étant prescrite.
La société LA BOUTIQUE 75 considère quant à elle qu’il n’y a pas prescription de la demande en fixation de l’indemnité d’occupation en vertu d’abord de l’article 2241 du code civil pris en son deuxième alinéa mais aussi d’après l’article 2239 du code civil.
Elle soutient avoir valablement assigné au fond la S.C.I. DU MANEGE le 08 décembre 2021 en vue de sa condamnation au paiement de l’indemnité d’éviction. L’erreur de placement de l’affaire, irrégulièrement distribuée devant le juge des loyers commerciaux, n’empêcherait pas l’interruption de la prescription au titre de l’article 2241 susmentionné. Dès lors, le délai de prescription a été prolongé de deux ans eu égard à l’article 2231 du code civil à compter du 08 décembre 2021 et ce, jusqu’au 08 décembre 2023.
Au surplus, la société LA BOUTIQUE 75 ajoute que si la S.C.I. DU MANEGE était demanderesse dans la procédure de référé de par l’assignation du 29 octobre 2020, elle ne le serait qu’au titre de l’indemnité d’occupation. Elle considère en effet que c’est en raison de ses conclusions reconventionnelles que l’expert aurait également eu pour mission d’estimer l’indemnité d’éviction. Elle bénéficierait en conséquence du bénéfice de la suspension du délai de prescription, par voie d’une demande reconventionnelle qui a la nature d’une demande en justice, en application de l’article 2239 du code civil. La société LA BOUTIQUE 75 en déduit que le délai aurait couru 1 an, 3 mois et 9 jours jusqu’au 09 avril 2021, date de l’ordonnance du juge des référés ordonnant l’expertise et qu’il serait resté ensuite 8 mois et 21 jours à compter du 28 avril 2022, date du dépôt du rapport d’expertise, portant la date d’expiration au 18 janvier 2023.
*
L’article 789 du code de procédure civile précité pose le principe de la compétence exclusive du juge de la mise en état régulièrement désigné et jusqu’à son dessaisissement pour statuer sur les fins de non-recevoir. L’article 122 du même code précise que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande pour défaut de droit d’agir tel que celui de la prescription.
En outre, l’article L.145-60 du code de commerce dispose que toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre se prescrivent par deux ans. Or, d’après la S.C.I. DU MANEGE, le congé avec refus de renouvellement ayant été délivré le 05 octobre 2016 et ayant pris effet le 31 décembre 2019, le délai de prescription de l’action en fixation de l’indemnité d’éviction aurait commencé à courir le 1er janvier 2020 et aurait expiré le 1er janvier 2022. Ainsi, la demande à ce titre formée par la société LA BOUTIQUE 75 par l’assignation du 18 octobre 2022 serait irrecevable car prescrite.
L’article 2241 alinéa 2 dispose que la demande en justice interrompt le délai de prescription même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure.
En l’espèce, l’assignation de la S.C.I. DU MANEGE par la société LA BOUTIQUE 75 en date du 08 décembre 2021 a valablement interrompu le délai de prescription biennale, conformément à l’article 2241 du code civil. Le fait que l’affaire ait été portée devant le juge des loyers commerciaux, incompétent pour se prononcer sur les demandes formées par la société LA BOUTIQUE 75, n’empêche nullement l’interruption du délai de prescription. En ce sens, la prescription a valablement été interrompue à compter du 08 décembre 2021, faisant courir un nouveau délai de deux ans en vertu de l’article 2231 du code civil et ce jusqu’au 08 décembre 2023.
En conséquence, le délai de prescription n’était pas expiré au 18 octobre 2022, date à laquelle la société LA BOUTIQUE 75 a fait assigner la S.C.I. DU MANEGE dans le cadre de la présente procédure. Ainsi, la demande en fixation de l’indemnité d’éviction formée par la société LA BOUTIQUE 75 sera déclarée recevable. La S.C.I. DU MANEGE sera donc déboutée de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription.
3 – Sur les demandes accessoires
Au regard des circonstances de l’espèce, il n’y a lieu ni de distinguer les dépens de l’incident des dépens de l’instance, dont ils suivront dès lors le sort, ni de condamner l’une des parties à à indemniser, dès à présent, la seconde partie des frais irrépétibles liés à l’incident.
Les dépens et les demandes formulées en application de l’article 700 du code de procédure civile resteront donc réservés.
PAR CES MOTIFS,
Le juge de la mise en état, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,
REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par la société LA BOUTIQUE 75 tirée de la prescription de l’action en fixation de l’indemnité d’occupation formée par la S.C.I. DU MANEGE ;
DECLARE la demande en fixation de l’indemnité d’occupation formée par la S.C.I. DU MANEGE recevable ;
REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par la S.C.I. DU MANEGE tirée de la prescription de l’action en fixation de l’indemnité d’éviction formée par la société LA BOUTIQUE 75 ;
DECLARE la demande en fixation de l’indemnité d’éviction formée par la société LA BOUTIQUE 75 recevable ;
RESERVE les dépens et les demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
RENVOIE l'affaire à l'audience de mise en état du 26 septembre 2024 à 13h00 pour conclusions au fond de la S.C.I. DU MANEGE.
Fait au Palais de Justice, le 19 juin 2024
La minute de la présente décision a été signée par Madame Charlotte THINAT, Juge de la mise en état, assistée de Madame Zahra AIT, greffière.
LA GREFFIERE LA JUGE DE LA MISE EN ETAT
Madame AIT Madame THINAT