Tribunal judiciaire de Bobigny
Chambre 5/Section 1
AFFAIRE N° RG : N° RG 22/05293 - N° Portalis DB3S-W-B7G-WJCO
Ordonnance du juge de la mise en état
du 19 Juin 2024
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE BOBIGNY
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
DU 19 JUIN 2024
Chambre 5/Section 1
Affaire : N° RG 22/05293 - N° Portalis DB3S-W-B7G-WJCO
N° de Minute : 24/00930
DEMANDEUR
S.C.I. GABRIEL PERI
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Nicolas CHEWTCHOUK, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0851
C/
DEFENDEUR
S.A.R.L. DYLAN
[Adresse 3]
[Localité 5] (FRANCE)
représentée par Me Thomas POIRIER-ROSSI, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : PB 127
JUGE DE LA MISE EN ÉTAT :
Madame Charlotte THINAT, Présidente,
assistée aux débats de Madame Zahra AIT, Greffier.
DÉBATS :
Audience publique du 24 avril 2024.
ORDONNANCE :
Prononcée en audience publique, par ordonnance contradictoire et en premier ressort, par Madame Charlotte THINAT, juge de la mise en état, assistée de Madame Zahra AIT, greffier.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par acte sous seing privé en date du 16 octobre 2001, la S.C.I. GABRIEL PERI a fait bail et donné à loyer à Monsieur [E] [B] [C] et Madame [A] [B] divers locaux à usage commercial sis [Adresse 4] à [Localité 5] (93) et ce, pour une durée de trois, six, neuf années entières et consécutives à compter du 15 février 2001, aux fins d'y exercer une activité de « café – vins et liqueurs – plat du jour », moyennant un loyer de 60.000 francs par an en principal payable trimestriellement à terme d'avance.
Par acte sous seing privé du 26 janvier 2012, la société GABRIEL PERI a donné à bail lesdits locaux à la S.A.R.L. DYLAN, pour une durée de trois, six, neuf années entières et consécutives, à compter du 14 février 2010 et ce, moyennant un loyer de 12.220,42 euros par an.
Par exploit en date du 14 décembre 2021, la société GABRIEL PERI a fait signifier à la société DYLAN un commandement visant la clause résolutoire lui faisant sommation dans le mois de sa délivrance, au visa de l'article 5 du bail du 15 février 1992, de « remettre en l'état d'origine la boutique et l'arrière boutique qui lui sont loués en rétablissant les murs d'origine entre boutique et arrière boutique conformément au plan de la copropriété annexé aux présentes ».
Par exploit d'huissier délivré le 11 mai 2022, la société GABRIEL PERI a fait assigner la société DYLAN devant le tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de :
Constater l'infraction irréfragable aux clauses du bail et la résiliation de plein droit du bail par application de son article 5 ;Subsidiairement prononcer la résiliation du bail ;Ordonner l'expulsion de la société DYLAN et celle de tous occupants de son chef avec le concours de la force publique si besoin est du [Adresse 3] à [Localité 5] ;Ordonner la séquestration du mobilier;Condamner la société DYLAN à payer à ma requérante une indemnité d'occupation égale au montant du loyer contractuel actualisé plus charges et taxes jusqu'à la libération effective des lieux ;Condamner la société DYLAN au paiement de 4000 euros par application de l'article 700 du CPC.Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.Condamner la société DYLAN aux entiers dépens en ce inclus le coût du commandement.
Il est expressément renvoyé à cette assignation, valant conclusions, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
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La S.A.R.L. DYLAN s'est constituée et a demandé au juge de la mise en état, aux termes de ses dernières conclusions d'incident, notifiées par voie électronique le 22 novembre 2023, de :
Juger la SCI GABRIEL PERI irrecevable en ses demandes celles-ci étant prescrites
Invalider le commandement visant la clause résolutoire signifié par la SCI GABRIEL PERI le
14 décembre 2021 et le déclarer dépourvu d’effet
Débouter la SCI GABRIEL PERI de l’ensemble de ses demandes
Condamner la SCI GABRIEL PERI à payer à la SARL DYLAN la somme de 4 000,00 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile
Condamner la SCI GABRIEL PERI aux entiers dépens de l’instance
Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que :
la modification de cloisons à l'intérieur de la salle du bar-restaurant est antérieure à l'entrée de la société DYLAN dans les lieux,les photographies réalisées lors de l'entrée dans les lieux démontrent l'absence de toutes cloisons,le plan d'évacuation incendie datant de septembre 2011 ainsi que les plans d'architecte du 02 décembre 2016 établissent l'absence de cloisons,des anciens employés, un fournisseur, un agent de sécurité incendie et un client attestent de l'absence de toutes cloisons depuis l'entrée dans les lieux de la société DYLAN,le rapport du service communal d'hygiène et de santé du 23 mai 2014 s'accompagne de photographies qui permettent de constater l'absence de cloisons entre la cuisine et la partie restaurant,le bailleur n'a jamais annexé le plan de l'immeuble au bail commercial, malgré la demande qui lui en a été faite, et ce n'est qu'à l'occasion de l'expertise de Monsieur [X] courant 2020 qu'il l'a communiqué,des travaux de ventilation ont été réalisés en 2013 avec l'accord du bailleur et sous son contrôle, ce qui l'a amené à avoir connaissance de la configuration des lieux,cette configuration était de surcroît déjà connue en 2008, à l'occasion de la visite contradictoire des locaux dans le cadre d'une expertise diligentée par le tribunal administratif suite à un arrêté de péril,le bailleur est donc mal fondé à affirmer que c'est la société DYLAN qui aurait procédé à la modification des locaux, celle-ci étant intervenue antérieurement à son entrée dans les lieux,l'action est en conséquence prescrite, le délai pour agir étant de cinq ans à compter de la connaissance des faits fondant celle-ci.
Il est expressément renvoyé à ces conclusions pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
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Aux termes de ses dernières conclusions d'incident en réplique notifiées par voie électronique le 17 novembre 2023, au visa des articles 2224 et suivants du code civil, la société GABRIEL PERI a demandé au tribunal de céans, de :
- Débouter la société DYLAN de ses demandes,
- La condamner à payer à la SCI GABRIEL PERI la somme de 2.000 euros par application de l'article 700 du CPC ainsi qu’aux dépens de l’incident.
Au soutien de ses prétentions, la société GABRIEL PERI fait valoir que :
ce n'est que dans le cadre de son troisième jeu de conclusions que la société DYLAN soulève une fin de non-recevoir tirée de la prescription,or aucune prescription ne peut être retenue car, ce n'est qu'à l'occasion de l'expertise diligentée à l'occasion de la procédure en fixation du loyer à compter du 14 février 2019 qu'elle a eu connaissance de la suppression des cloisons séparant la cuisine de la salle de restauration,
si elle avait eu connaissance antérieurement de cette modification, elle aurait modifié la description des locaux dans le bail renouvelé de 2012 et sollicité un déplafonnement du loyer compte tenu de la transformation des locaux,de surcroît, la société DYLAN ne démontre pas que le bailleur avait connaissance de cette modification lors des travaux de ventilation en 2013 ou lors de la procédure de péril de 2008,les visites réalisées en 2008 n'ont en effet concerné que les appartements des 1er et 2ème étages du bâtiment, non le local commercial,il incombait à la société DYLAN de vérifier à son entrée dans les lieux que le précédent exploitant avait bien obtenu l'autorisation du bailleur pour procéder aux travaux,le preneur ne peut pas valablement demander au juge de la mise en état l'invalidation du commandement de payer au prétexte d'une imprécision de rédaction, ce moyen ne constituant pas une exception de procédure mais une défense au fond relevant de la compétence du tribunal judiciaire,que le commandement du 14 décembre 2021 vise bien le bail du 15 février 1992 renouvelé, reproduit la clause résolutoire insérée dans le bail d'origine ainsi que les articles L145-41 et L145-17 du code de commerce, indique de manière précise et non équivoque la nature de l'infraction reprochée avec le plan établi en août 1999 par Monsieur [W] [Z], géomètre-expert.
Il est expressément renvoyé à ces conclusions pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
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L'affaire a été appelée à l'audience de plaidoiries sur incident du 24 avril 2024. Elle a été mise en délibéré au 19 juin 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
1 – Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription
L’article 122 du même code dispose quant à lui que « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».
Aux termes de l'article 123 du code de procédure civile, « Les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt. »
L'article 789 du code de procédure civile dispose que « lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour : 6° Statuer sur les fins de non-recevoir ; »
Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Selon l'article 9 dudit code, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
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En l'espèce, la société DYLAN soulève devant le juge de la mise en état une fin de non-recevoir fondée sur la prescription de l'action intentée par la société GABRIEL PERI. Elle est recevable à le faire et ce, même si ladite fin de recevoir n'a pas été opposée à la demanderesse dès les premières conclusions.
Le commandement visant la clause résolutoire signifié à la société DYLAN le 14 décembre 2021, à la demande de la société GABRIEL PERI, comporte en annexe le plan du local commercial établi par un géomètre-expert en 1999. Ce plan fait apparaître l'existence d'une cuisine séparée du local de restauration.
La photographie transmise en pièce n°9 par la société DYLAN permet néanmoins de démontrer qu'au mois de juillet 2006, ladite cuisine était ouverte sur la salle de restauration et que les murs de séparation avaient par conséquent été déposés. Cette photographie comporte en effet en son dos la date de son tirage, en l’occurrence le mois de juillet 2006. Monsieur [F] [P], précédent exploitant du local, atteste avoir procédé aux travaux de dépose des cloisons pendant l'année 2005 afin de créer une cuisine ouverte.
Le plan d'évacuation du restaurant, établi au mois de septembre 2011, démontre également l'absence de toutes cloisons entre la salle de préparation et la salle de restauration. Or ce plan a nécessairement été transmis au propriétaire du local par la société qui l'a établi, sauf à considérer que la société GABRIEL PERI manque à ses obligations en matière de sécurité.
La société DYLAN démontre également que Monsieur [M], gérant de la société GABRIEL PERI, a effectué une visite du local commercial le 25 février 2013 dans le cadre de l'étude relative aux travaux de mise en conformité de l'accessibilité de l'établissement. Il ne pouvait dès lors ignorer la dépose des cloisons.
Des échanges portant sur les travaux de ventilation de la cuisine du local, courant 2013, sont également versés en procédure. Il y apparaît que Monsieur [M] sollicite de la société mandatée pour la réalisation des travaux des précisions quant aux modalités de ceux-ci. Or un représentant de la société Equipe Cuisine répond à Monsieur [M] par courriel le 1er mars 2013 qu'ils ne feront pas passer la conduite de ventilation de la hotte par la conduite de cheminée existante ni en perçant un trou côté fenêtre, comme annoncé précédemment, mais qu'ils passeront par le réseau existant et dans le restaurant, devant la fenêtre. Or, au regard du plan des locaux établi en 1999 et des photographies versées au dossier, si la cuisine et le restaurant étaient encore séparés par un mur au 1er mars 2013, cela aurait nécessité pour la société Equipe Cuisine de devoir percer ce mur afin d'y faire passer la gaine, d'un diamètre plus important que l'existant. La fenêtre dont il est question dans le courriel est en effet située côté salle de restauration, de l'autre côté du mur de séparation par rapport à la cuisine. Il n'est pourtant nulle part mentionné dans ce rapport l'existence d'un mur et la nécessité d'y créer une ouverture ou d'y agrandir une ouverture pré-existante.
Monsieur [L], gérant de la société DYLAN, justifie de surcroît de l'existence courant 2016 d'un projet de création d'une terrasse ouverte protégée sur la rue du capitaine Dreyfus ayant donné lieu le 02 décembre 2016 à l'élaboration par un architecte, Monsieur [O] [N], de plans en vue de la déclaration préalable à effectuer en mairie. Ces plans établissent l'absence de toutes cloisons entre la cuisine et l'espace restauration. Or Monsieur [N] atteste que dans le cadre de ce projet et des travaux de réfection des toilettes, une réunion a été organisée en 2017 sur le site en présence de Monsieur [M], gérant de la société GABRIEL PERI.
Monsieur [D] [Y], représentant de la société Intelligence et Bâtiment mandatée pour réaliser les travaux de mise aux normes des toilettes attachés au local, atteste également que des réunions de chantier se sont tenues dans le local du restaurant courant 2017 en présence de Monsieur [L], gestionnaire de la société DYLAN, de Monsieur [M] et de l'architecte. La facture du solde des travaux, datée du 23 novembre 2017, est versée en procédure.
Au regard de ces éléments, si un éventuel doute peut subsister à l'égard du plan de sécurité du local commercial établi en septembre 2011, il est en revanche démontré par la société DYLAN que le bailleur avait parfaitement connaissance de la dépose des murs de séparation de la cuisine et du restaurant dès l'année 2013 au travers, d'une part, des travaux de ventilation de la cuisine et, d'autre part, des études réalisées dans le cadre de l'aménagement de l'accessibilité des locaux.
Dès lors, au regard du délai de cinq ans à compter de la découverte du fait générateur fixé à l'article 2224 du code civil, la prescription est acquise. Il s'en déduit que le commandement du 14 décembre 2021 qui repose sur l'obligation d'effectuer une action prescrite est sans effet.
Il sera donc fait droit à la fin de non recevoir tirée de la prescription formée par la société DYLAN, et les demandes de la société GABRIEL PERI seront en conséquence déclarées irrecevables.
2- Sur les demandes accessoires
Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
La société GABRIEL PERI, succombant, sera condamnée au paiement des entiers dépens.
- Sur les frais irrépétibles
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.
En l'espèce, il convient de condamner la société GABRIEL PERI au paiement de la somme de 2.000,00 euros au titre des frais irrépétibles exposés par la société DYLAN.
- Sur l’exécution provisoire
Selon l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.
Aux termes de l'article 514-1 du code de procédure civile, le juge peut écarter l'exécution provisoire de droit, en tout ou en partie, s'il estime qu'elle est incompatible avec la nature de l'affaire.
En l'espèce, il n'y pas lieu d’écarter l’exécution provisoire.
PAR CES MOTIFS,
Le juge de la mise en état,
FAIT DROIT à la fin de non recevoir tirée de la prescription formée par la S.A.R.L. DYLAN ;
DECLARE irrecevables les demandes de la S.C.I. GABRIEL PERI ;
CONDAMNE la S.C.I. GABRIEL PERI à payer à la S.A.R.L. DYLAN la somme de 2.000,00 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE la S.C.I. GABRIEL PERI de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la S.C.I. GABRIEL PERI au paiement des entiers dépens de l'instance ;
REJETTE les demandes plus amples ou contraires ;
RAPPELLE que l'exécution provisoire de la décision est de droit.
Fait au Palais de Justice, le 19 juin 2024
La minute de la présente décision a été signée par Madame Charlotte THINAT, Juge de la mise en état, assistée de Madame Zahra AIT, greffière.
LA GREFFIERE LA JUGE DE LA MISE EN ETAT
Madame AIT Madame THINAT