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17/06/2024 | FRANCE | N°22/08769

France | France, Tribunal judiciaire de Bobigny, Chambre 6/section 5, 17 juin 2024, 22/08769


TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY



JUGEMENT CONTENTIEUX DU 17 JUIN 2024


Chambre 6/Section 5
AFFAIRE: N° RG 22/08769 - N° Portalis DB3S-W-B7G-WTQH
N° de MINUTE : 24/00377



Madame [C] [Z]
née le 02 Août 1978 à
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Yann CHENET, Société ARMAND ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0153

DEMANDEUR

C/

La S.A.S. AGENCE ALBERT CASANO
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Benjamin PORCHER de la SELAS PORCHER & ASSOCIÉS, avocat au barreau de

PARIS, vestiaire : G 450

DEFENDEUR



COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur David BRACQ-ARBUS, statuant en qualité de Juge unique, conformément au...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 17 JUIN 2024

Chambre 6/Section 5
AFFAIRE: N° RG 22/08769 - N° Portalis DB3S-W-B7G-WTQH
N° de MINUTE : 24/00377

Madame [C] [Z]
née le 02 Août 1978 à
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Yann CHENET, Société ARMAND ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0153

DEMANDEUR

C/

La S.A.S. AGENCE ALBERT CASANO
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Benjamin PORCHER de la SELAS PORCHER & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G 450

DEFENDEUR

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur David BRACQ-ARBUS, statuant en qualité de Juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du code de procédure civile, assisté aux débats de Madame Reine TCHICAYA, Greffier.

DÉBATS

Audience publique du 22 Avril 2024, à cette date, l’affaire a été mise en délibéré au 17 juin 2024.

JUGEMENT

Rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Monsieur David BRACQ-ARBUS, assisté de Madame Reine TCHICAYA, greffier.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Suivant actes sous seing privé du 12 septembre 2015, Mme [Z] a confié à la SAS Albert Casano un mandat de gestion et un mandat exclusif de location selon le régime « loi Duflot 2013 » de son bien situé [Adresse 4] à [Localité 6].

Plusieurs baux ont été consentis dans ce cadre.

Le 30 novembre 2020, la direction générale des finances publiques a adressé à Mme [Z] une proposition de rectification du montant des impôts prélevés en 2019, motif pris de ce que le loyer consenti était supérieur au plafond du loyer imposé par le dispositif Duflot (425 euros) dont elle avait bénéficié.

Mme [Z] a perdu le bénéfice du dispositif Duflot pour l’avenir.

La DGFIP a transmis à Mme [Z] un avis de mise en recouvrement de l’impôt sur les revenus de 2019 pour un montant total de 13 682 euros.

Par courrier de mise en demeure du 9 novembre 2021, Mme [Z] a mis en demeure la SAS Albert Casano d’avoir à l’indemniser à hauteur de la somme de 36 994 euros.

C’est dans ces conditions que Mme [Z] a, par acte d’huissier du 18 août 2022, fait assigner la SAS Albert Casano devant le tribunal judiciaire de Bobigny aux fins notamment de solliciter l’indemnisation de son préjudice.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 29 novembre 2023 par ordonnance du même jour, et l'affaire appelée à l'audience de plaidoiries du 22 avril 2024.

Le jugement a été mis en délibéré au 17 juin 2024, date de la présente décision.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 25 septembre 2023, Mme [Z] demande au tribunal judiciaire de Bobigny de :

- condamner la SAS Albert Casano à lui payer la somme de 37 362 euros en réparation de ses préjudices, assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 9 juin 2021 ;
- condamner la SAS Albert Casano à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SAS Albert Casano aux entiers dépens conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

*

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 septembre 2023, la SAS Albert Casano demande au tribunal judiciaire de Bobigny de :

- débouter Mme [Z] de l’ensemble de ses demandes ;
- condamner Mme [Z] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [Z] aux entiers dépens de l’instance avec bénéfice du droit prévu par les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- écarter l’exécution provisoire sur les demandes de Mme [Z].

*

Pour un plus ample exposé des moyens développés par la ou les parties ayant conclu, il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il convient de rappeler que les demandes tendant simplement à voir « dire et juger », « rappeler » ou « constater » ne constituent pas des demandes en justice visant à ce qu'il soit tranché un point litigieux mais des moyens, de sorte que le tribunal n'y répondra pas dans le dispositif du présent jugement. Il en va de même de la demande de « donner acte », qui est dépourvue de toute portée juridique et ne constitue pas une demande en justice.

Il est rappelé qu’en application de l'article 9 de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeurent soumis à la loi ancienne.

Sur la demande principale en paiement

L’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, applicable au présent litige, dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Aux termes de l’article 1147, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Engage sa responsabilité, sur le fondement des articles 1991 et 1992 du code civil, le mandataire chargé de la gestion locative d'un bien immobilier qui commet un manquement dans l’exécution de son mandat.

Conformément aux articles 9 du code de procédure civile et 1353 (1315 ancien) du code civil, il incombe en revanche au mandant qui entend voir engager la responsabilité civile de son mandataire de rapporter la preuve du préjudice dont il sollicite réparation ; qu'il soit entier ou résulte d'une perte de chance, ce préjudice, pour être indemnisable, doit être certain, actuel et en lien direct avec le manquement commis ; la réparation de la perte de chance doit être mesurée en considération de l'aléa jaugé et ne saurait être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

En l’espèce, il résulte du mandat de gestion et du mandat de location que « le mandant déclare avoir opté, pour les biens objets des présentes, pour le régime LOI DUFLOT 2013. Il s’engage à fournir au mandataire tous les documents en sa possession relatifs à cette option fiscale. »

L’administration fiscale a corrigé les déclarations fiscales de Mme [Z], celle-ci ayant dû restituer la somme de 12 326 euros pour le dispositif Duflot, outre 123 euros d’intérêts de retard et 1233 euros au titre de la majoration 1758A (total : 13 682 euros).

Il en résulte que le loyer fixé dans le contrat de bail (504,91 euros hors charges) excédait le plafond du dispositif Duflot, peu important que Mme [Z] n’ait pas contesté en justice la décision de l’administration fiscale, ce qu’elle n’était pas tenue de faire.

L’agence fait ici valoir que Mme [Z] était bien informée du plafond et qu’elle a expressément demandé, dans son courriel du 17 septembre 2015, de ne pas s’y tenir.

Dans ledit courriel, Mme [Z] écrit : « Je ne souhaite ne faire qu’un seul bail pour le studio + parking
A priori, si je fais payer un supplément pour le studio + parking, je dois faire 2 baux et dois retirer le prix du stationnement de ma réduction Duflot.
Ou bien : j’inclue le prix du parking dans ma réduction d’impôts mais dois « offrir » le stationnement au futur locataire. »

Par ces consignes, Mme [Z] n’a nullement demandé que le loyer (appartement + parking) excède le plafond, mais seulement que les deux éléments ne fassent l’objet que d’un seul bail.

La mandante indiquait en effet que, compte-tenu du plafond Duflot, deux possibilités étaient ouvertes : soit faire deux baux distincts, soit faire un bail unique en offrant le coût de la place de stationnement afin justement que le loyer total ne dépasse pas ledit plafond (dernière phrase).

Or, l’agence immobilière, en sa qualité de mandataire, a rédigé et fait signer un bail comprenant un loyer total hors charge comprenant le coût du parking et excédant le plafond Duflot alors que celui-ci était entré dans le champ contractuel.

Si l’agence soutient que le mandat de location mentionne un loyer de 424,91 euros + 80 euros de parking, il résulte des échanges entre les parties qu’il avait été envisagé de sortir ces 80 euros de l’assiette du « loyer Duflot » afin justement de respecter le plafond.

Il en résulte que la SAS Albert Casano a commis une faute exposant sa responsabilité à l’égard de Mme [Z].

Il ne saurait ici être question d’un manquement au devoir de conseil ou d’information du professionnel puisque les éléments du débat étaient clairs entre les parties, mais bien d’une faute de l’agence qui a rédigé et fait signer un bail non conforme aux exigences de sa mandante, à savoir que la location lui permette de bénéficier du dispositif fiscal Duflot.

En conséquence, les préjudices de Mme [Z] ne sauraient s’analyser en une perte de chance.
Par ailleurs, si l’agence soutient que le lien de causalité n’est pas démontré puisque l’administration fiscale a invoqué le défaut de preuve de la conformité énergétique du bien aux exigences du dispositif Duflot, le tribunal relève d’une part que la demanderesse produit le certificat BBC et d’autre part qu’il résulte des courriers de la DGFIP que celle-ci s’est fondée sur le plafond de loyer pour redresser la situation fiscale de Mme [Z].

L’agence sera ainsi condamnée à payer à Mme [Z] :
- la dette fiscale assortie des intérêts et pénalités, soit la somme de 13 682 euros, étant observé qu’elle est exigible, peu important qu’elle ait été effectivement réglée (ce qui est au demeurant démontré par la production d’un extrait de relevé de compte bancaire) puisque son exigibilité ouvre des voies de recouvrement à l’administration fiscale et qu’il résulte de la proposition de rectification complète (pièce 3ter de la demanderesse) que ces sommes correspondent exclusivement à la situation fiscale du bien litigieux ;
- 2 000 euros au titre du préjudice moral, incontestable en son principe dès lors que le fait de subir un redressement fiscal est nécessairement source de tracas ;

Les frais de rédaction du contrat de bail ne seront pas retenus dès lors qu’ils sont sans lien de causalité avec la faute de l’agence et auraient été, en toute hypothèse, supportés par la mandante.

Les frais d’avocat ne seront pas retenus dès lors qu’il n’est pas démontré qu’ils sont en lien avec le litige fiscal (aucun courrier du conseil ni aucune preuve de ses diligences dans ce dossier ne sont produits).

S’agissant de la perte du bénéfice de l’avantage fiscal pour les années 2020 à 2023 (le dispositif Duflot n’ayant produit des effets que jusqu’au 31 août 2023), il est exact qu’il s’agit d’une perte de chance, considération prise du fait que la location est une opération aléatoire, que Mme [Z] aurait pu, dans les années suivantes, dépasser le plafond des avantages fiscaux, et qu’elle aurait pu perdre le bénéfice du dispositif Duflot.

Cette perte de chance sera fixée à 80%.

S’agissant de l’évaluation du préjudice, il convient de retenir les éléments suivants :
- 2 503 euros par an entre 2020 et 2022 ;
- 1 668.66 au titre de l’année 2023 (jusqu’au 31 août) ;
- déduction faite d’une somme moyenne de 100 euros par mois dès lors que la perte du bénéfice de l’avantage fiscal a permis à Mme [Z] d’augmenter son loyer, soit la somme de (100*12*3+100*8=) 4 400 euros.

Le préjudice s’établit ainsi à la somme de (2503*3+1668,66-4400=) 4 777,66 euros.

S’agissant des intérêts, tant en matière délictuelle qu'en matière contractuelle, la créance de réparation ne peut produire d'intérêts moratoires que du jour où elle est allouée judiciairement (voir en ce sens : Civ. 1re, 16 mars 1966: Bull. civ. I, no 190).

Par ailleurs, en application de l'article 1231-7 du même code (ancien article 1153-1 du code civil), en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement.

Les intérêts ne courront qu’à compter du prononcé du jugement, sans mention au dispositif s’agissant d’une disposition de plein droit.

Sur les frais du procès et l’exécution provisoire

Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En application de l’article 699 du code de procédure civile, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.

En l’espèce, les dépens seront mis à la charge de la SAS Albert Casano, succombant à l’instance.

Autorisation sera donnée à ceux des avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre de recouvrer directement ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.

Sur les frais irrépétibles

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le tribunal condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l'autre la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Par principe, le tribunal alloue à ce titre une somme correspondant aux frais réellement engagés, à partir des justificatifs produits par les parties, ou, en l’absence de justificatif, à partir des données objectives du litige (nombre de parties, durée de la procédure, nombre d’écritures échangées, complexité de l’affaire, incidents de mise en état, mesure d’instruction, etc.).

Par exception et de manière discrétionnaire, le tribunal peut, considération prise de l’équité ou de la situation économique des parties, allouer une somme moindre, voire dire qu’il n’y a lieu à condamnation.

En l’espèce, la SAS Albert Casano, condamnée aux dépens, sera condamnée à payer à Mme [Z] une somme qu’il est équitable de fixer à 4 000 euros.

Sur l’exécution provisoire

Il convient de rappeler qu'en application de l'article 514 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

CONDAMNE la SAS Albert Casano à payer à Mme [Z] les sommes suivantes :
- 13 682 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier constitué par la dette fiscale ;
- 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;
- 4 777,66 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance de bénéficier de l’avantage fiscal entre 2020 et 2023 ;

DIT que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;

DEBOUTE Mme [Z] de sa demande au titre des frais d’avocat liés au contentieux fiscal;

DEBOUTE Mme [Z] de sa demande au titre des frais de rédaction du contrat de bail ;

MET les dépens à la charge de la SAS Albert Casano ;

ADMET les avocats qui en ont fait la demande et qui peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SAS Albert Casano à payer à Mme [Z] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE la SAS Albert Casano de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que le présent jugement est assorti de l'exécution provisoire de droit.

La minute a été signée par Monsieur David BRACQ-ARBUS, Juge, et par Madame Reine TCHICAYA, Greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bobigny
Formation : Chambre 6/section 5
Numéro d'arrêt : 22/08769
Date de la décision : 17/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-17;22.08769 ?
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