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17/06/2024 | FRANCE | N°21/09020

France | France, Tribunal judiciaire de Bobigny, Chambre 6/section 5, 17 juin 2024, 21/09020


TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY



JUGEMENT CONTENTIEUX DU 17 JUIN 2024


Chambre 6/Section 5
AFFAIRE: N° RG 21/09020 - N° Portalis DB3S-W-B7F-VQOU
N° de MINUTE : 24/00376



La S.A.S. INTERCONSTRUCTION
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Guillaume BAI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G 0109

DEMANDEUR

C/

La S.A.S. BIOTOPE INGENIERIE
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentée par Me Julie PIQUET, DELAFORGE AVOCATS AARPI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C 1533

La S.A. MMA IARD ASS

URANCES MUTUELLES es qualité d’assureur de la société Biotopie Ingenierie
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Virginie FRENKIAN, SE...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 17 JUIN 2024

Chambre 6/Section 5
AFFAIRE: N° RG 21/09020 - N° Portalis DB3S-W-B7F-VQOU
N° de MINUTE : 24/00376

La S.A.S. INTERCONSTRUCTION
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Guillaume BAI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G 0109

DEMANDEUR

C/

La S.A.S. BIOTOPE INGENIERIE
[Adresse 3]
[Localité 6]
représentée par Me Julie PIQUET, DELAFORGE AVOCATS AARPI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C 1533

La S.A. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES es qualité d’assureur de la société Biotopie Ingenierie
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Virginie FRENKIAN, SELARL FRENKIAN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0693

DEFENDEURS

La S.A. MMA IARD es qualité d’assureur de la société Biotopie Ingenierie
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Virginie FRENKIAN , SELARL FRENKIAN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0693

INTERVENANT VOLONTAIRE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur David BRACQ-ARBUS, statuant en qualité de Juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du code de procédure civile, assisté aux débats de Madame Reine TCHICAYA, Greffier.

DÉBATS

Audience publique du 22 Avril 2024, à cette date, l’affaire a été mise en délibéré au 17 juin 2024.

JUGEMENT

Rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Monsieur David BRACQ-ARBUS, assisté de Madame Reine TCHICAYA, greffier.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Pour les besoins de la construction d’un ensemble immobilier sis à [Localité 7], la SAS Interconstruction a confié à la SAS Biotope ingénierie, assurée auprès des MMA, suivant contrat du 26 novembre 2018, une mission maîtrise d’œuvre d’exécution – OPC, moyennant une rémunération de 135 000 euros HT.

Le chantier a enregistré des retards et la SAS Biotope ingénierie a sollicité une rémunération complémentaire, rejetée par la SAS Interconstruction.

Par courrier du 1er octobre 2020, la SAS Biotope ingénierie a résilié unilatéralement sa mission de maîtrise d’œuvre d’exécution/OPC.

La SAS Interconstruction a désigné un nouveau maître d’œuvre et la réception des travaux est intervenue le 28 février 2023.

C’est dans ces conditions que la SAS Interconstruction a, par actes d’huissier du 26 août 2021, fait assigner la SAS Biotope ingénierie et la SA MMA IARD assurances mutuelles devant le tribunal judiciaire de Bobigny aux fins notamment de solliciter l’indemnisation de son préjudice.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 10 janvier 2024 par ordonnance du même jour, et l'affaire appelée à l'audience de plaidoiries du 22 avril 2024.

Le jugement a été mis en délibéré au 17 juin 2024, date de la présente décision.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 octobre 2023, la SAS Interconstruction demande au tribunal judiciaire de Bobigny de :

- condamner in solidum la SAS Biotope ingénierie et ses assureurs MMA IARD assurances mutuelles, MMA IARD SA à lui payer la somme de 126 406,04 euros correspondant aux frais et honoraires du nouveau maître d’œuvre, sauf à parfaire ;
- condamner in solidum la SAS Biotope ingénierie et ses assureurs MMA IARD assurances mutuelles, MMA IARD SA à lui payer la somme de 184 459,40 euros au titre de ses manquements contractuels, sauf à parfaire ;
- débouter la SAS Biotope ingénierie et ses assureurs MMA IARD assurances mutuelles, MMA IARD SA des toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
- condamner in solidum la SAS Biotope ingénierie et ses assureurs MMA IARD assurances mutuelles, MMA IARD SA à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
- ne pas écarter l’exécution provisoire ;
- les condamner aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la SAS Interconstruction fait valoir :
- que la résiliation unilatérale du contrat de maîtrise d’œuvre par la SAS Biotope ingénierie est fautive ;
- que la SAS Biotope ingénierie ne justifie d’aucun motif valable à l’appui de sa résiliation unilatérale ;
- que la SAS Biotope ingénierie ne justifie d’aucun élément de nature à remettre en cause le caractère forfaitaire de sa rémunération ;
- que la SAS Biotope ingénierie n’a pas tenu compte des avis des bureaux de contrôle, a laissé déraper les délais de ce chantier ;
- que la SAS Biotope ingénierie a failli dans l’accomplissement de ses missions de maîtrise d’œuvre, de BET fluide et engagé sa responsabilité.

*

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 septembre 2023, la SAS Biotope ingénierie demande au tribunal judiciaire de Bobigny de :

A titre principal,
- rejeter les demandes de condamnation dirigées à son encontre ;
- prononcer sa mise hors de cause ;

A titre subsidiaire,
- condamner les MMA IARD et les MMA IARD assurances mutuelles à la garantir de toute condamnation ;
- réduire le préjudice lié à la résiliation du contrat de maîtrise d’œuvre d’exécution à la somme de 2 855,11 euros HT ;
- rejeter la demande de paiement des honoraires des sociétés Odessa ingénierie et ODEA ingénierie à hauteur de 126 406, 04 euros HT ;
- rejeter les postes suivants, lesquels ne sont étayés d’aucun justificatif :
*problématique des ventilations hautes et basses : 28 500 euros ;
*aménagements extérieurs et VRD : 52 400 euros ;
*reprise des coffrets : 10 010 euros ;
- rejeter les postes suivants, qui reposent sur des devis, et non des factures :
*la modification réservations chape : 3 400 euros HT ;
*le non-respect de la réglementation PMR : 46 911,40 Euros HT ;
- rejeter la réclamation de la société Interconstruction au titre des surcoûts consécutifs au décalage de chantier à hauteur de 43 238 euros HT qui ne sont en réalité que des frais liés à la mise en place de mesures de sécurité 4 mois après le départ du chantier de la société Biotope ingénierie ;

En tout état de cause,
- condamner la SAS Interconstruction à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- condamner la SAS Interconstruction à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

Au soutien de ses prétentions, la SAS Biotope ingénierie fait valoir en substance que la résiliation n’était pas abusive et que la preuve des préjudices n’est pas rapportée.

*

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 7 août 2023, la société MMA IARD assurances mutuelles et la SA MMA IARD demandent au tribunal judiciaire de Bobigny de :

A titre principal :
- juger recevable la demande d’intervention volontaire des MMA IARD SA en qualité d’assureur de la SAS Biotope ingénierie ;
- déclarer recevables et bien fondées les conclusions des MMA IARD SA et MMA IARD assurances mutuelles ;
- rejeter les demandes de condamnation dirigées à leur encontre ;
- prononcer la mise hors de cause des MMA IARD SA et MMA IARD assurances mutuelles en ce que sa police d’assurance n’a pas vocation à s’appliquer au cas d’espèce ;

A titre subsidiaire :
- faire droit à la demande des MMA IARD SA et MMA IARD assurances mutuelles visant à leur permettre d’opposer la franchise, qui s’élève, à la lecture du tableau des garanties figurant page 12 des conditions particulières produites, à 10 % du montant total des dommages, avec un minimum de 2 000 euros et un maximum de 4 000 euros ;
- condamner in solidum la SAS Interconstruction, et la SAS Biotope ingénierie à leur régler la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens, avec bénéfice du droit prévu par les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de leurs prétentions, les MMA font valoir en substance que leur garantie ne couvre pas les dommages litigieux.

*

Pour un plus ample exposé des moyens développés par la ou les parties ayant conclu, il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il convient de rappeler que les demandes tendant simplement à voir « dire et juger », « rappeler » ou « constater » ne constituent pas des demandes en justice visant à ce qu'il soit tranché un point litigieux mais des moyens, de sorte que le tribunal n'y répondra pas dans le dispositif du présent jugement. Il en va de même de la demande de « donner acte », qui est dépourvue de toute portée juridique et ne constitue pas une demande en justice.

Il est rappelé qu’en application de l'article 9 de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeurent soumis à la loi ancienne.

Sur l’intervention volontaire de la SA MMA IARD

Conformément aux dispositions de l’article 325 du code de procédure civile, il convient de recevoir l’intervention volontaire de la SA MMA IARD.

Sur la demande principale en paiement de la somme de 126 406,04 euros correspondant aux frais et honoraires du nouveau maître d’œuvre

L'article 1103 du code civil dans sa rédaction applicable au litige dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits, sans quoi la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut, selon les articles 1217 et 1224 du même code, provoquer la résolution du contrat, et/ou demander réparation des conséquences de l'inexécution, le tout cumulable avec l'octroi de dommages et intérêts au sens de l'article 1231-1 du même code.

Conformément aux articles 1224 et 1125 du même code, lorsqu’elle résulte de l’application d’une clause résolutoire, laquelle doit préciser les engagements dont l'inexécution entraînera la résolution du contrat, la résolution est subordonnée à une mise en demeure infructueuse, s'il n'a pas été convenu que celle-ci résulterait du seul fait de l'inexécution, la mise en demeure ne produisant effet que si elle mentionne expressément la clause résolutoire.
En l'absence de dispense expresse et non équivoque, la clause résolutoire ne peut être acquise au créancier sans la délivrance préalable d'une mise en demeure restée infructueuse (voir en ce sens : Civ. 1re, 3 févr. 2004, no 01-02.020 P.).

Conformément aux articles 1224 et 1226 du code civil, en cas d’inexécution suffisamment grave du débiteur, le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.
La mise en demeure mentionne expressément qu’à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat.
Lorsque l’inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent.
Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l’inexécution.

Conformément à l'article L. 124-3 du code des assurances, tout tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable, auquel cas l'assureur peut, selon l'article L. 112-6 du même code, opposer au tiers lésé toutes les exceptions qu'il aurait pu opposer à son assuré.
Conformément à l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, l’article 1353 du code civil disposant, qu’en matière contractuelle, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver, et que celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

Sauf exception, cette preuve peut être rapportée par tous moyens, notamment par expertise. A cet égard, toutefois, une expertise extrajudiciaire ne peut servir de fondement exclusif de la décision sans être corroborée par d’autres éléments, quand bien même l’autre partie y a été convoquée ou y a assisté (voir en ce sens Cass, Civ 1, 26 juin 2019, 18-12.226 et Cass, Civ 2, 19 mars 2020, 19-12.254).

Sur la résiliation du contrat de maîtrise d’œuvre

En l’espèce, par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er octobre 2020, la SAS Biotope ingénierie a résilié le contrat de maîtrise d’œuvre OPC, motif pris de ce que « malheureusement la notion forfaitaire de notre contrat de MOEx et d’OPC ne nous permet pas d’absorber huit mois de travaux supplémentaires sans rémunération complémentaire ».

La SAS Biotope ingénierie soutient d’abord que le maître de l’ouvrage a accepté la résiliation, de sorte que le lien contractuel s’est rompu par mutuus dissensus.

Cependant, le fait que la SAS Interconstruction n’ait pas expressément sollicité que la SAS Biotope ingénierie poursuive sa mission, ce qui n’est pas, au demeurant, une condition légale, ne signifie nullement qu’elle y ait consenti, mais seulement qu’elle a pris acte de la résiliation ou qu’elle en a accepté l’augure puisqu’elle ne pouvait nullement forcer le maître d’œuvre à réintégrer le chantier.

Il sera au surplus observé que la lettre recommandée avec accusé de réception du 29 octobre 2020 contient bel et bien une série de contestations.

L’article 5-1 du contrat stipule : « le présent contrat est établi pour la durée nécessaire à l'accomplissement total de la mission du maître d'œuvre d'exécution, telle qu'elle est définie ci-avant. En tout état de cause, cette mission prend fin à la survenance de l'échéance la plus tardive parmi les suivantes ; levée des réserves, obtention de l'attestation de non-contestation de la conformité des travaux, établissement des différents décomptes généraux définitifs et réalisation des travaux dans le cadre de la garantie de parfait achèvement. »

La SAS Biotope ingénierie s’est ainsi engagée à exécuter une mission de maîtrise d’œuvre/OPC pour toute la durée du chantier, la résiliation ne pouvant intervenir qu’en cas d’inexécution suffisamment grave de son cocontractant ou selon l'application d'une clause résolutoire, conformément aux dispositions des articles 1224 et suivants du code civil.

En effet, conformément à la clause « d’acceptation du risque d’imprévision » excluant l’application des dispositions de l’article 1195 du code civil, qui n’est pas d’ordre public et peut donc être écarté par la volonté des parties, la SAS Biotope ingénierie ne pouvait se prévaloir de l’évolution des circonstances économiques pour résilier le contrat, étant par ailleurs observé qu’elle n’a nullement observé les formes prescrites par la loi en matière d’imprévision.

A considérer que la SAS Biotope ingénierie se soit fondée sur la clause résolutoire (article 6 du contrat du 26/11/2018), ce qu’elle n’argue pas, force est de constater qu’elle n’a pas respecté le formalisme légal en ce qu’elle n’a ni transmis de mise en demeure préalable (le courrier du 1er octobre 2019 acte la résiliation), ni visé la clause résolutoire dans son courrier.

S’agissant de la résolution-notification de l’article 1226 du code civil, le défaut de respect des formes légales (envoi d’une mise en demeure préalable conforme aux exigences du texte visé supra) prive la résiliation d’efficacité.

Ces éléments suffisent à établir le caractère fautif de la résiliation.

Au surplus et sur le fond, la SAS Biotope ingénierie ne rapporte pas la preuve d’une inexécution suffisamment grave de la SAS Interconstruction dès lors que :
- un retard de huit mois (le retard ultérieur ne pouvant être pris en compte puisque la validité de la résiliation s’apprécie à la date de sa prise d’effet) ne constitue pas en soi une faute dès lors que cela est commun en matière de construction, étant par ailleurs observé que ce retard peut résulter d’autres constructeurs ou de circonstances extérieures à l’exclusion d’une faute du maître de l’ouvrage ;
- il résulte du courriel du 9 septembre 2019 que la SAS Interconstruction a transmis le dossier en juillet 2019, ce qui ne constitue pas une faute suffisamment grave justifiant la résolution ;
- la SAS Biotope ingénierie ne démontre pas suffisamment en quoi l’intervention tardive de HK architecture permette d’établir une faute du maître de l’ouvrage en lien avec le retard du chantier dès lors qu’un autre architecte a assuré les plans de conception et qu’il résulte du contrat en question qu’il ne portait que sur une part minime du projet ;
- la SAS Interconstruction n’était nullement tenue de consentir une rémunération plus ample.

Sur les préjudices

En l’espèce, dès lors que la SAS Biotope ingénierie a résilié de façon abusive le contrat, il faut envisager l’hypothèse dans laquelle il se serait poursuivi selon les conditions convenues : la SAS Interconstruction aurait bénéficié d’une prestation de maîtrise d’œuvre/OPC jusqu’à la fin du chantier dans les termes et au prix convenus.

Son préjudice est donc constitué par le fait d’avoir dû engager des frais au-delà des 135 000 euros HT initialement convenus.

S’agissant de la mission confiée à la société Odessa ingénierie, le tribunal relève :
- que la SAS Interconstruction justifie avoir supporté un coût de 35 000 euros HT pour une mission correspondant à celle initialement dévolue à la SAS Biotope ingénierie ;
- que la somme supplémentaire de 12 000 euros HT, dont il est argué qu’elle correspond à des prestations rendues nécessaires par la défaillance de la SAS Biotope ingénierie sans qu’aucune preuve n’en soit apportée, est la contrepartie de services supplémentaires non-compris dans la mission maîtrise d’œuvre d’exécution/OPC initiale, de sorte que la preuve du lien de causalité n’est pas rapportée.

S’agissant de la mission confiée à la société Odea ingénierie, la SAS Interconstruction justifie avoir réglé la somme de 100 000 HT euros au titre de la mission MOEX-OPC jusqu’à la fin du chantier, peu important qu’il se soit prolongé dans le temps et les raisons de ce retard puisque, si la SAS Biotope ingénierie avait poursuivi sa mission, elle l’aurait assurée jusqu’à la réception.

Il sera enfin relevé que le seul fait qu’elle ait été facturée la rend exigible, de sorte que la SAS Interconstruction n’a pas à démontrer qu’elle a effectivement réglé la somme.

S’agissant de la somme de 11 550 euros que la SAS Interconstruction estime avoir réglé à tort, le tribunal ne saurait suivre le raisonnement par analogie avec la VEFA et constate l’absence d’éléments précis et objectifs permettant de mettre les sommes versées en regard de ce qui a été effectivement réalisé, de sorte que cette somme ne sera pas imputée à la défenderesse.

Il résulte du tout que le préjudice de la SAS Interconstruction s’établit à (102855,11+35000+100000-135000=) 102 855,11 euros.

La SAS Biotope ingénierie sera ainsi condamnée à payer à la SAS Interconstruction la somme de 102 855,11 euros.

Sur la garantie des MMA

En l’espèce, il n’est pas contesté que les MMA garantissent la responsabilité civile de la SAS Biotope ingénierie et, plus particulièrement, « les dommages corporels, matériels et immatériels causés à autrui, imputables à l’activité professionnelle de l’assuré déclarée aux conditions particulières et susceptibles d’engager sa responsabilité civile ».

L’assureur oppose ici la clause d’exclusion de garantie suivante :

« Restent toutefois exclus les dommages immatériels non consécutifs résultant :
- de contestations relatives à la détermination et au règlement des frais et honoraires ou de la rémunération de l’assuré (…) ;
- de frais d’études complémentaires nécessaires au respect des engagements de l’assuré ».

Or, les préjudices indemnisés, qui se rapportent au surcoût de la prestation de maîtrise d’œuvre résultant de la résiliation fautive du contrat, ne sauraient s’analyser sans dénaturer des termes de la police en des frais, honoraires et rémunérations de l’assuré puisque ces sommes ont été payées à un tiers.

Par ailleurs, les « frais d’études complémentaires nécessaires au respect des engagements de l’assuré » ne peuvent se comprendre que comme d’éventuels surcoûts en lien direct avec la prestation exécutée par l’assuré et non comme le remplacement ou la substitution de celui-ci.

En tous cas, le préjudice indemnisé ne consiste pas en une « étude complémentaire », mais bien en une prestation complète de maîtrise d’œuvre prenant la suite de celle avortée.

Il résulte du tout que les moyens de l’assureur seront rejetés, et que les MMA seront d’une part condamnées in solidum à indemniser la SAS Interconstruction et, d’autre part, condamnées à garantir la SAS Biotope ingénierie.

Sur la demande principale en paiement de la somme de 184 459,40 euros au titre des manquements contractuels de la SAS Biotope ingénierie

Sur le non-respect de la réglementation PMR

Si le non-respect de la réglementation PMR constitue un dommage apparent aux yeux du maître d’œuvre d’exécution professionnel, une telle non-conformité ne saurait être établie par la seule production d’un procès-verbal de constat d’huissier, qui s’analyse en une expertise extrajudiciaire non-corroborée, et ce à plus forte raison s’agissant d’un document établi par un profane de l’immobilier.

Par ailleurs, la seule production de devis établis hors expertise judiciaire est insuffisante à établir la preuve du préjudice.

La demande sera ainsi rejetée.

Sur la reprise des coffrets

En l’espèce, la seule production d’un constat d’huissier et d’évaluations de coûts de reprises arbitraires est insuffisante à établir la preuve du préjudice.

La demande sera ainsi rejetée.

Sur la modification réservations chape

En l’espèce, le devoir de surveillance de maître d’œuvre d’exécution n’est pas absolu, de sorte qu’il ne suffit pas d’exciper d’une faute d’un constructeur pour engager sa responsabilité.

Ainsi, faute pour la SAS Interconstruction de démontrer en quoi la SAS Biotope ingénierie a commis une faute s’agissant de la modification réservations chape, la demande sera rejetée.

Sur les ventilations

La demande sera rejetée faute de preuve du préjudice.

Sur les aménagements extérieurs

La demande sera rejetée faute de preuve du préjudice.

Sur le niveau des seuils vis-à-vis du DTU étanchéité

Aucune preuve de la matérialité du désordre n’est rapportée, de sorte que la demande sera rejetée.

Sur la désolidarisation entre les volées d'escalier et les voiles de la cage d'escalier inexistante

Aucune preuve de l’existence et de l’étendue du préjudice n’est rapportée, de sorte que la demande sera rejetée.

Sur les surcoûts liés au décalage du chantier

En l’espèce, il est constant que le chantier s’est poursuivi jusqu’au 28 février 2023 alors que la résiliation du contrat est intervenue le 1er octobre 2019.

Or, la SAS Interconstruction n’apporte pas la preuve de ce que le retard soit imputable à la SAS Biotope ingénierie, étant par ailleurs observé que la société Odessa est intervenue très rapidement après que le maître d’œuvre d’exécution ait quitté le chantier.

Par ailleurs, les désordres allégués ne sont pas démontrés, si bien qu’il ne saurait être considéré que le retard soit lié aux manquements de la SAS Biotope ingénierie dans l’exécution de sa mission.

La demande sera ainsi rejetée.

Sur la demande reconventionnelle en paiement présentée par la SAS Biotope ingénierie

L’article 32-1 du code de procédure civile prévoit que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

En vertu des dispositions de l’article 1240 du code civil dans sa version applicable au présent litige, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à la réparer.

L’exercice d’une action en justice constitue en principe un droit qui ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol.

En l’espèce, les demandes de la SAS Interconstruction ayant été partiellement accueillies, il ne saurait être considéré qu’elle a agi de façon abusive.

Sur les frais du procès et l’exécution provisoire

Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En application de l’article 699 du code de procédure civile, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.

En l’espèce, les dépens seront mis à la charge des MMA, succombant à l’instance.

Autorisation sera donnée à ceux des avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre de recouvrer directement ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.

Sur les frais irrépétibles

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le tribunal condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l'autre la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Par principe, le tribunal alloue à ce titre une somme correspondant aux frais réellement engagés, à partir des justificatifs produits par les parties, ou, en l’absence de justificatif, à partir des données objectives du litige (nombre de parties, durée de la procédure, nombre d’écritures échangées, complexité de l’affaire, incidents de mise en état, mesure d’instruction, etc.).

Par exception et de manière discrétionnaire, le tribunal peut, considération prise de l’équité ou de la situation économique des parties, allouer une somme moindre, voire dire qu’il n’y a lieu à condamnation.

En l’espèce, les MMA, condamnées aux dépens, seront condamnées à payer à la SAS Interconstruction une somme qu’il est équitable de fixer à 4 500 euros.

Sur l’exécution provisoire

Il convient de rappeler qu'en application de l'article 514 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

REÇOIT l’intervention volontaire de la SA MMA IARD ;

CONDAMNE in solidum la SA MMA IARD, les MMA IARD assurances mutuelles et la SAS Biotope ingénierie à payer à la SAS Interconstruction la somme de 102 855,11 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés de la résiliation abusive du contrat (frais supplémentaires de maîtrise d’œuvre-OPC), déduction faite de la franchise de 4 000 euros dans les rapports avec l’assureur ;

CONDAMNE la SA MMA IARD et les MMA IARD assurances mutuelles à garantir la SAS Biotope ingénierie de la condamnation prononcée contre elle au titre des préjudices nés de la résiliation abusive du contrat (frais supplémentaires de maîtrise d’œuvre-OPC), déduction faite de la franchise de 4 000 euros ;

DEBOUTE la SAS Interconstruction de sa demande en paiement au titre du non-respect de la réglementation PMR ;

DEBOUTE la SAS Interconstruction de sa demande en paiement au titre de la reprise des coffrets ;

DEBOUTE la SAS Interconstruction de sa demande en paiement au titre de la modification réservations chape ;

DEBOUTE la SAS Interconstruction de sa demande en paiement au titre de la ventilation ;

DEBOUTE la SAS Interconstruction de sa demande en paiement au titre des aménagements extérieurs ;

DEBOUTE la SAS Interconstruction de sa demande en paiement au titre du niveau des seuils vis-à-vis du DTU étanchéité ;

DEBOUTE la SAS Interconstruction de sa demande en paiement au titre de la désolidarisation entre les volées d'escalier et les voiles de la cage d'escalier inexistante ;

DEBOUTE la SAS Interconstruction de sa demande en paiement au titre des surcoûts liés au décalage du chantier ;

DEBOUTE la SAS Biotope ingénierie de sa demande reconventionnelle en paiement à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

MET les dépens à la charge de la SA MMA IARD et des MMA IARD assurances mutuelles ;

ADMET les avocats qui en ont fait la demande et qui peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SA MMA IARD et les MMA IARD assurances mutuelles à payer à la SAS Interconstruction la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que le présent jugement est assorti de l'exécution provisoire de droit.

La minute a été signée par Monsieur David BRACQ-ARBUS, Juge, et par Madame Reine TCHICAYA, Greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bobigny
Formation : Chambre 6/section 5
Numéro d'arrêt : 21/09020
Date de la décision : 17/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-17;21.09020 ?
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