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10/06/2024 | FRANCE | N°22/11857

France | France, Tribunal judiciaire de Bobigny, Chambre 6/section 4, 10 juin 2024, 22/11857


TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY



JUGEMENT CONTENTIEUX DU 10 JUIN 2024


Chambre 6/Section 4
AFFAIRE: N° RG 22/11857 - N° Portalis DB3S-W-B7G-XBQV
N° de MINUTE : 24/00327


Madame [M] [Y]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
représentée par Me Jean Claude GUIBERE, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 001, postulant et Me Richard MARCOU, avocat au barreau de MONTPELLIER, plaidant

DEMANDEUR

C/

Monsieur [W] [I]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Ouali BENMANSOUR, avocat au barreau de PAR

IS, vestiaire : G0198

Madame [N] [O] épouse [I]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Ouali BENMANSOUR, avocat au barreau de P...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 10 JUIN 2024

Chambre 6/Section 4
AFFAIRE: N° RG 22/11857 - N° Portalis DB3S-W-B7G-XBQV
N° de MINUTE : 24/00327

Madame [M] [Y]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
représentée par Me Jean Claude GUIBERE, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 001, postulant et Me Richard MARCOU, avocat au barreau de MONTPELLIER, plaidant

DEMANDEUR

C/

Monsieur [W] [I]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Ouali BENMANSOUR, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0198

Madame [N] [O] épouse [I]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Ouali BENMANSOUR, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0198

Maître [J] [Z], Notaire, exercant à l’Office Notarial à [Localité 6], pris en sa qualité de successeur de Maître [K] [L], anciennement Notaire au sein de l’Office Notarial à [Localité 6]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représenté par Me Karima TAOUIL, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 173

Maître [K] [L]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représenté par Me Karima TAOUIL, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 173

DEFENDEURS

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Gilles CASSOU DE SAINT-MATHURIN, Vice-Président, statuant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du code de procédure civile, assisté aux débats de Madame Maud THOBOR, greffier.

DÉBATS

Audience publique du 4 Avril 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 10 Juin 2024..

JUGEMENT

Rendu publiquement, par mise au disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Monsieur Gilles CASSOU DE SAINT-MATHURIN,Vice-Président, assisté de Madame Maud THOBOR, greffier.

EXPOSE DU LITIGE

Par acte notarié reçu le 13 juin 2016, madame [A] [P] a vendu à monsieur [W] [I] et madame [N] [O], son épouse, un pavillon d’habitation sis [Adresse 1], cadastré section [Cadastre 5], moyennant le prix de 290.000 euros.

Sur requête du 26 mars 2018 de madame [M] [Y], sa fille, madame [A] [P] a été placée sous sauvegarde de justice le 20 avril 2018, puis sous tutelle le 4 octobre 2018.

C’est dans ce contexte que, par actes d’huissier enrôlés le 30 novembre 2022, madame [M] [Y] a fait assigner monsieur [W] [I], madame [N] [O], maître [J] [Z] en qualité de successeur de maître [K] [L] et maître [K] [L] devant le tribunal judiciaire de Bobigny, aux fins de :
annulation de la vente litigieuse ; condamnation in solidum de maître [K] [L], maître [J] [Z], monsieur [W] [I] et madame [N] [O] à lui payer la somme de 175.000 euros de dommages et intérêts ; condamnation de maître [K] [L], maître [J] [Z], monsieur [W] [I] et madame [N] [O] aux dépens, ainsi qu’à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
A l'appui de ses prétentions, elle soutient que son action est recevable ; que la vente litigieuse est nulle pour vice du consentement du fait de l’absence d’un élément essentiel du contrat, à savoir un prix sérieux, en application des articles 1130 et 1131 du code civil, le bien ayant été évalué dix ans avant la vente à 600.000 euros ; que la vente est également nulle pour insanité d’esprit de la venderesse conformément aux articles 414-1 et 414-2 du code civil, l’état de santé de l’intéressée s’étant dégradé dès 2014 jusqu’à son placement sous tutelle en octobre 2018 ; que le notaire expose en outre sa responsabilité délictuelle à défaut d’avoir détecté l’altération mentale de madame [P], pourtant manifeste ; que son préjudice correspond à la perte de chance de ne pas vendre à un prix dérisoire et peut être évaluée à 50% de la différence de valeur.

Par ordonnance du 12 juin 2023, le juge de la mise en état a déclaré irrecevable l’action engagée par madame [M] [Y] contre maître [J] [Z].

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 30 août 2023, monsieur [W] [I] et madame [N] [O] demandent au tribunal de :
déclarer l’action de la demanderesse prescrite ; rejeter l’action de la demanderesse ; condamner la demanderesse aux dépens, ainsi qu’à leur payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
A l'appui de leurs prétentions, ils soutiennent que l’action de madame [Y] est prescrite au sens de l’article 2224 du code civil ; qu’il n’est pas démontré que l’état de santé de madame [P] au jour de la vente litigieuse l’empêchait de contracter, les pièces médicales communiquées étant à ce titre imprécises ; qu’il est au contraire acquis que madame [P] exerçait une activité professionnelle en 2015 et 2016 et qu’elle était en mesure de prendre des décisions la concernant, notamment celle de partir à la retraite ; qu’une mesure de protection n’a été demandée qu’en 2018 ; que si une plainte a été déposée, elle a dû être classée puisqu’ils n’ont jamais été entendus par la police ; que le prix était en rapport avec l’état dégradé du bien, sur lequel ils ont depuis entrepris d’importants travaux ; que la vente a permis à madame [P] de financer son placement en EHPAD ; qu’ils sont de bonne foi.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 1er mars 2023, maître [K] [L] demande au tribunal de débouter la demanderesse de l’ensemble de ses prétentions, de condamner cette dernière aux dépens ainsi qu’à lui payer la somme de 3.700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et de dire n’y avoir lieu à exécution provisoire.

A l'appui de ses prétentions, elle soutient que sa responsabilité ne peut être exposée qu’en présence de circonstances faisant naître un doute sérieux sur l’état mental de madame [P], preuve non rapportée en l’espèce ; qu’elle avait vérifié que l’intéressée n’était pas soumise à une mesure de protection, ce qui n’était pas le cas et ne l’a été que deux ans plus tard ; qu’aucun comportement anormal n’a été relevé ; que madame [P] a du reste été en mesure de rédiger un document administratif attestant de son départ à la retraite en septembre 2016, postérieurement à la vente litigieuse ; que le préjudice ne peut consister qu’en une perte de chance de vendre le bien à un prix plus élevé, insuffisamment démontrée ici et appelant une réparation en tout cas partielle ; que le prix de vente a été décidé entre les parties.

Pour un plus ample exposé des moyens développés par les parties, il sera renvoyé à la lecture des conclusions précitées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

La clôture de la mise en état a été fixée au 25 octobre 2023 par ordonnance du même jour.

A l'audience du 4 avril 2024, l'affaire a été mise en délibéré au 10 juin 2023, date du présent jugement.

MOTIFS

A titre liminaire, il convient de déclarer irrecevable la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par les époux [I], en ce qu’elle se heurte aux dispositions de l’article 789 du code de procédure civile selon lesquelles le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les fins de non-recevoir, les parties n’étant plus recevables à soulever ces fins de non-recevoir au cours de la même instance.

Sur les demandes principales

Sur la nullité de la vente eu égard à son prix
Il s’infère des dispositions de l’article 1591 du code civil que la vente à prix dérisoire est nulle, en ce que la vileté du prix, qui va au-delà de la simple inadéquation par rapport à la valeur réelle de la chose vendue, s’apparente à une absence de prix.

Conformément à l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à celui qui prétend que le prix est dérisoire de le démontrer.

En l’espèce, outre que l’estimation versée au débat a une valeur probante intrinsèque relative (elle porte sur un bien situé au 20 de la rue alors que le bien vendu se situe au 18 de la rue ; elle est adressée à « Madame [A] » ; elle est particulièrement sommaire dans son contenu et sa motivation et ne précise pas si elle a été précédée d’une visite du bien ; elle est datée du 6 juin 2006, soit dix ans avant la vente litigieuse), force est de relever que le prix de vente consenti aux époux [I] par madame [A] [P], de 290.000 euros, n’est manifestement pas dérisoire, quand bien même la valeur réelle de l’immeuble vendu serait de 600.000 euros.

La demande de nullité présentée de ce chef sera ainsi rejetée.

Sur la nullité de la vente eu égard à l’état de santé mentale de la venderesse
Conformément aux articles 414-1, 414-2 et 1129 du code civil, la vente consentie par une personne qui n’était pas, au moment de l’acte, saine d’esprit, est nulle et peut être attaquée après la mort de l’intéressé, par ses héritiers, lorsqu’une action aux fins d’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle a été introduite avant le décès ; c’est à celui qui agit en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte.

En l’espèce, dans la mesure où madame [A] [P] a été placée sous tutelle postérieurement à la vente litigieuse, le 4 octobre 2018, madame [M] [Y], son héritière, peut invoquer la nullité de la vente pour insanité d’esprit, à charge pour elle de rapporter la preuve de l’existence d’un trouble mental chez sa mère au jour de la vente litigieuse, le 13 juin 2016.

Force est néanmoins de relever que les éléments produits sont manifestement insuffisants dans la mesure où :
aucun certificat médical n’est communiqué, que ce soit à l’époque de la vente ou pas, notamment pas ceux pourtant visés par la requête aux fins d’ouverture de la tutelle et par le jugement d’ouverture de la tutelle ; rien ne permet d’établir que la perte de la notion de valeur de l’argent et l’impossibilité d’écrire et de signer relevées par le juge des tutelles dans son jugement du 4 octobre 2018 existaient déjà en juin 2016, au contraire puisqu’est produit un courrier manuscrit de madame [P] daté du 7 septembre 2016, correctement calligraphié et parfaitement clair et cohérent dans son contenu ; le fait que madame [P] ait été en arrêt de travail au moment de la vente et qu’elle ait consulté un neurologue à cette période, peut tout à fait s’expliquer par la maladie de Parkinson dont elle était atteinte, telle que relevée par le juge des tutelles, mais ne dit rien de la présence de séquelles mentales à cette période-là, d’autant qu’il s’agit d’une malade dégénérative, qui évolue défavorablement avec le temps ; l’impossibilité de se déplacer invoquée par la demanderesse, à la supposer pertinente pour établir un trouble mental, est contredite par les mentions de l’acte de vente, selon lesquelles madame [P] était présente le jour de la signature ; la plainte avec constitution de partie civile invoquée en demande n’est pas communiquée et aucune information n’est donnée sur son issue.
La demande de nullité présentée de ce chef sera ainsi rejetée.

Sur la demande de dommages et intérêts
En l’espèce, les griefs invoqués au soutien de la demande de dommages et intérêts étant identiques à ceux invoquer au soutien de la demande de nullité de la vente, la demande de dommages et intérêts ne peut qu’être rejetée également, étant précisé qu’il ne saurait à l’évidence pas être reproché à un notaire de ne pas avoir décelé un trouble mental dont l’existence n’est pas démontrée.

Sur les demandes accessoires

Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En application de l'article 700 du même code, le tribunal condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l'autre la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Par principe, le tribunal alloue à ce titre une somme correspondant aux frais réellement engagés, à partir des justificatifs produits par les parties, ou, en l’absence de justificatif, à partir des données objectives du litige (nombre de parties, durée de la procédure, nombre d’écritures échangées, complexité de l’affaire, incidents de mise en état, mesure d’instruction, etc.). Par exception et de manière discrétionnaire, le tribunal peut, considération prise de l’équité ou de la situation économique des parties, allouer une somme moindre, voire dire qu’il n’y a lieu à condamnation.

En conséquence, madame [M] [Y], partie perdante, sera condamnée aux dépens.

En revanche, l’équité commande de rejeter les demandes présentées au titre des frais irrépétibles.

Enfin, aucun élément ne justifie d'écarter l'exécution provisoire de droit, laquelle est compatible avec la nature de l'affaire au sens de l'article 514-1 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable au litige.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et rendu en premier ressort,

Déclare irrecevable la fin de non-recevoir soulevée par monsieur [W] [I] et madame [N] [O] ;

Déboute madame [M] [Y] de l’ensemble de ses demandes ;

Condamne madame [M] [Y] aux dépens ;

Déboute les parties de leur demande présentée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de droit du présent jugement ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

La minute est signée par Monsieur Gilles CASSOU DE SAINT-MATHURIN, Vice-Président, assisté de Madame Maud THOBOR, greffier.
Le greffier,Le president,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bobigny
Formation : Chambre 6/section 4
Numéro d'arrêt : 22/11857
Date de la décision : 10/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-10;22.11857 ?
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