TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY
JUGEMENT CONTENTIEUX DU 06 JUIN 2024
SELON LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE AU FOND
Chambre 9/Section 1
AFFAIRE: N° RG 23/09510 - N° Portalis DB3S-W-B7H-YF2K
N° de MINUTE : 24/00300
DEMANDEUR
[Adresse 5] de la SA SNCF RÉSEAU
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Maître Asma FRIGUI de l’AARPI FP AVOCATS, avocats au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 121,
Maître Caroline SUBSTELNY de la SELARL SUBSTELNY, avocats au barreau de REIMS,
C/
DÉFENDERESSE
S.A. SNCF RÉSEAU
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Emmanuel JOB de la SELARL Cabinet HIRSCH Avocats Associés, avocats au barreau de PARIS, vestiaire :
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Monsieur Bernard AUGONNET, Premier Vice-Président,
Statuant sur délégation du président du tribunal judiciaire conformément aux dispositions de l’article 481-1 du code de procédure civile,
Assisté aux débats de Madame Anyse MARIO, greffière.
DÉBATS
Audience publique du 07 Mars 2024.
Délibéré fixé le 02 mai 2024, prorogé au 06 juin 2024
EXPOSÉ DU LITIGE
La SA SNCF RÉSEAU est dotée, depuis le 1er janvier 2019, d'un CSE Central (CSEC) et de 6 CSE d'établissement dont le CSE de Zone de Production Nord-Est Normandie requérant qui dispose d'un effectif de plus de 10 500 agents.
Le Code du travail dispose que le CSE est consulté de manière récurrente sur la politique sociale de l'entreprise et que la périodicité, le contenu de cette consultation ainsi que le niveau auquel elle est menée (à savoir CSE Central/CSE d'établissement en cas de structure à établissements multiple), peuvent être déterminés par la voie d'un accord collectif.
Aux termes de l'accord collectif du 11 juin 2019, il est prévu que le [Adresse 5] soit consulté chaque année sur la politique sociale, dans le cadre des thèmes suivants : La prévention en matière de santé et de sécurité, le bilan social, l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, l'évolution de l'emploi et des qualifications et la formation professionnelle.
Cet accord collectif rappelle que le CSE d'établissement peut se faire assister d'un expert comptable de son choix conformément aux dispositions légales.
Suite à la loi du 22 août 2021 entrée en vigueur le 25 août 2021, l'article L2312-17 du Code du travail précise :
Le comité social et économique est consulté dans les conditions définies à la présente section sur :
1° Les orientations stratégiques de l'entreprise ;
2° La situation économique et financière de l'entreprise ;
3° La politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi.
Au cours de ces consultations, le comité est informé des conséquences environnementales de l'activité de l'entreprise.
L'article L2312-17 du Code du travail étant d'ordre public (Sous-section 3 : Consultations et informations récurrentes Articles L2312-17 à L2312-36 - Paragraphe 1er : Ordre public Articles L2312-17 à L2312-18), l'existence d'accords collectifs antérieurs ne peuvent écarter les questions environnementales de la consultation, peu important donc que ce thème n'y soit pas prévu.
En effet, depuis la loi du 22 août 2021, les conséquences environnementales de l'activité doivent impérativement être traitées au cours de chacune des consultations récurrentes et donc, dans le cadre de la politique sociale.
Par voie de conséquence, ce thème environnemental s'ajoute aux autres thèmes visés à l'accord collectif du 11 juin 2019 dans le cadre de la consultation du CSE de Zone de Production NEN sur la politique sociale de l'établissement.
Le [Adresse 5] a été saisi en vue de sa consultation par l'employeur sur la politique sociale les conditions de travail et l'emploi de l'établissement fixée, d'un commun accord le 23 juin 2022. Au même titre que les années précédentes dans le cadre de cette consultation, le CSE de Zone de Production NEN a eu recours à l'assistance d'un expert-comptable en désignant à ce titre le Cabinet DEGEST Eco.
Le 22 avril 2022, au démarrage de sa mission, le Cabinet Degest Eco a sollicité de la société SNCF Réseau la communication d'un certain nombre de documents, lesquels lui ont été transmis.
Par un courrier électronique du 3 juin 2022, le Cabinet DEGEST Eco devait solliciter des éléments complémentaires, à savoir les « cadres d'organisation » sur plusieurs années et « le plan de mobilité employeur »
La société SNCF RÉSEAU ne lui a pas transmis ces documents, considérant qu'elle n'avait pas à lui communiquer « les cadres d'organisation » qui constituent de simples documents de travail, ni le «plan de mobilité » qui est étranger à l'objet de la consultation du CSE et qui n'existait pas au surplus.
Le 21 juin 2022, le CSE ZP NEN a assigné la société SNCF RÉSEAU devant le tribunal judiciaire de Bobigny, selon la procédure accélérée au fond, afin qu'il lui soit enjoint de lui communiquer ainsi qu'au cabinet DEGEST Eco divers cadres d'organisation outre le plan de mobilité employeur du périmètre de la ZP NEN.
Le Cabinet DEGEST Eco intervenu volontairement à l'instance a formulé les mêmes demandes à son profit.
Par un jugement du 20 octobre 2022, le tribunal judiciaire de Bobigny a ordonné à la société SNCF Réseau de communiquer au CSE et à la société DEGEST Eco dans un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement et sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par document :
- les cadres d'organisation par établissement et par qualification
- le plan de mobilité employeur du périmètre de la zone de production NEN.
La société SNCF RÉSEAU a interjeté appel en invoquant la tardiveté de la demande du Cabinet DEGEST ECO tendant à la communication d'éléments complémentaires tels que le « plan de mobilité », le fait que la consultation du CSE sur la politique sociale et la mission confiée à l'expert n'avaient pas pour objet les questions environnementales et le fait qu'en toute hypothèse aucun plan de mobilité n'avait été établi qui plus est au niveau de l'établissement ZP NEN, même si les salariés jouissaient depuis toujours de mesures exemplaires – et inédites pour l'immense majorité des salariés français - permettant de décarbonner leurs déplacements.
Par arrêt du 14 septembre 2023, la Cour d'appel de Paris a confirmé le jugement en toutes ses dispositions en ce compris la condamnation de SNCF RÉSEAU à une astreinte de 500 € par jour de retard dans la communication du plan de mobilité employeur sous 8 jours à compter de la signification de la décision.
SNCF RÉSEAU a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de l'arrêt du 14 septembre 2023 qui est toujours en attente d'être jugé.
C'est dans ce contexte que, par assignation du 10 octobre 2023, le CSE ZP NEN a sollicité la liquidation de l'astreinte à hauteur de 182.500 €, outre la fixation d'une astreinte définitive de 1.000 euros par jour de retard et pour une durée de 6 mois à compter du prononcé du jugement.
En défense et in limine litis, SNCF RÉSEAU demande au Tribunal de surseoir à statuer sur la demande de liquidation d'astreinte dont il est saisi dans l'attente de la décision de la Cour de cassation statuant sur le pourvoi en cassation qu'elle a déposé le 23 novembre 2023 à l'encontre de l'arrêt rendu par la Cour d‘appel de Paris le 14 septembre 2023.
SNCF RÉSEAU expose que sans préjuger de ce qui sera décidé par la Cour de cassation, il serait d'une bonne administration de la justice de différer la liquidation de l'astreinte et le prononcé d'une astreinte définitive dans l'attente du résultat de ce pourvoi en cassation, appelé nécessairement à fixer la jurisprudence sur le sujet, d'autant que dans l'intervalle l'astreinte pourrait continuer à courir et les efforts d'exécution de SNCF réseau se poursuivre de sorte que les conséquences d'un tel sursis à statuer seraient, au final, nulles pour le CSE ZP NEN, la liquidation de l'astreinte ne valant pas en soi plan de mobilité.
SNCF RÉSEAU fait valoir que le juge ne saurait liquider une astreinte sans rechercher si les difficultés invoquées par le débiteur ne sont pas constitutives d'une cause étrangère ou à tout le moins de difficultés d'exécution, justifiant une réduction drastique du montant de la liquidation.
En l'espèce, SNCF RÉSEAU précise qu'elle n'a pas été en mesure de produire, dans le délai de 8 jours suivant la signification du jugement du 20 octobre 2022, le plan de mobilité employeur car un tel délai était intenable et faisait peser sur SNCF RÉSEAU une obligation impossible à respecter d'autant que selon l'ADEME : « La mise en place d'un Plan de mobilité est un processus qui nécessite un pilotage sur la durée qui est de 6 à 18 mois entre le lancement de la démarche et la mise en oeuvre des premières mesures ».
SNCF RÉSEAU expose que la réalisation d'un Plan de proximité repose sur 5 phases successives : une phase de préparation avec la mise en place d'un groupe de pilotage associant représentants du personnel et Direction, avec le cas échéant le recours sur appel d'offres à un consultant extérieur, une phase de diagnostic permettant une analyse de l'accessibilité des sites, un état des lieux de l'offre de réseaux et de l'offre de mobilité pour tous les modes de transports et dans toutes les temporalités (jour/nuit, week-end, vacances scolaires), une identification des flux de déplacements à la fois pour les trajets personnels des salariés , leurs trajets professionnels, ceux des clients et des fournisseurs, une analyse des préférences et contraintes de chacun, une analyse des impacts environnementaux des déplacements, une évaluation des coûts de déplacements, une phase de définition d'un plan d'action réalisé en concertation avec l'Autorité Organisatrice de la Mobilité (AOM) au niveau local, une phase de mise en oeuvre supposant notamment de veiller au respect des budgets.
SNCF RÉSEAU indique ne pas être restée inactive sur la mise en place d'un plan de mobilité. Elle précise, en effet, avoir décidé de mettre en place un forfait mobilités durables prévoyant l'attribution d'une allocation de 400 € à tout salarié utilisant soit le vélo, soit le co-voiturage, soit divers moyens de transport électrique pour leurs trajets domicile-travail, outre une aide à l'achat d'un vélo d'un montant de 150 €. Elle indique aussi avoir mis en place un plan de déplacement entreprise du Groupe SNCF de Normandie, couvrant 1977 agents, aux termes duquel SNCF s'engage à : - prendre en charge 75% sur les coûts d'achat des abonnements de transport en commun - proposer des places de stationnement de vélo sécurisées et abritées - donner accès à ses salariés à un site de co voiturage dédié - informer se salariés sur les modes alternatifs à la voiture.
Elle expose en fin qu'entre le 1er décembre 2023 et la fin janvier 2024, elle a créé 4 groupes de travail afin de co-construire la stratégie de déploiement d'un plan de mobilité, d'identifier des sites –test, d'envisager différents scenarii et prévoir un calendrier prévisionnel appelé à se dérouler sur toute l'année 2024.
Elle demande au tribunal de ramener à de plus justes proportions les prétentions financières du CSE ZP NEN, de réduire à la somme symbolique de 100 euros la liquidation de l'astreinte et de rejeter la demande d'astreinte définitive à hauteur de 1.000 € par jour et pour une durée de 6 mois.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En droit :
L'article L131-1 du Code des procédures civiles d'exécution dispose :
Tout juge peut, même d'office, ordonner une astreinte pour assurer l'exécution de sa décision.
Le juge de l'exécution peut assortir d'une astreinte une décision rendue par un autre juge si les circonstances en font apparaître la nécessité.
L131-2 du Code des procédures civiles d'exécution indique que :
L'astreinte est indépendante des dommages-intérêts.
L'astreinte est provisoire ou définitive. L'astreinte est considérée comme provisoire, à moins que le juge n'ait précisé son caractère définitif.
Une astreinte définitive ne peut être ordonnée qu'après le prononcé d'une astreinte provisoire et pour une durée que le juge détermine. Si l'une de ces conditions n'a pas été respectée, l'astreinte est liquidée comme une astreinte provisoire.
L'article L131-3 du Code des procédures civiles d'exécution précise :
L'astreinte, même définitive, est liquidée par le juge de l'exécution, sauf si le juge qui l'a ordonnée reste saisi de l'affaire ou s'en est expressément réservé le pouvoir.
L'article L131-4 du Code des procédures civiles d'exécution ajoute :
Le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter.
Le taux de l'astreinte définitive ne peut jamais être modifié lors de sa liquidation.
L'astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère
La charge de la preuve de l'exécution d'une obligation assortie d'une astreinte et des difficultés rencontrées pour exécuter la décision pèsent sur le débiteur de l'astreinte. La charge de la preuve des circonstances pouvant caractériser la cause étrangère pèse également sur le débiteur.
En fait :
Par Jugement du 20 octobre 2022, le Président du Tribunal Judiciaire de BOBIGNY, statuant selon la procédure accélérée, au fond a ordonné à la société SNCF RÉSEAU de communiquer au CSE et à la société DEGEST ECO, dans un délai de 8 jours à compter de la signification du présent, sous astreinte de 500 € par jour de retard, le plan de mobilité employeur du périmètre de la zone de production Nord-Est-Normandie et s'est réservé la liquidation de l'astreinte ;
Cette décision prononcée le 20 octobre 2022 est devenue exécutoire à compter de sa signification le 09 novembre 2022.
Ce jugement a été confirmé de tous ses chefs par la Cour d'appel de Paris, aux termes de son arrêt du 14 septembre 2023, qui a rappelé que la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte avait, dans son article 51, donné obligation pour les entreprises de plus de 100 travailleurs sur un même site, à compter du 1er janvier 2018, de réaliser un plan mobilité.
La Cour a également relevé que le plan de mobilité était une obligation de l'employeur qu'il devait mettre en place à compter du 1er janvier 2018 et que le non-respect de cette obligation privait le CSE d'une information nécessaire à sa consultation.
La SA SNCF RÉSEAU ne peut pas se prévaloir de bonne foi d'une prétendue difficulté d'exécution alors que le plan mobilité employeur est obligatoire (article L1214-8-2 du Code des transports) en vertu de la loi n°2015-992 du 17 août 2015 en vigueur depuis le 1er janvier 2018 (modifiée par la loi n°2019-1428 du 24 décembre 2019 en vigueur depuis le 1er janvier 2020.
En effet, lorsqu'il a été réclamé par l'expert début juin 2022 et que le jugement exécutoire du 20 octobre 2022, signifié le 9 novembre 2022 a ordonné sa communication, le plan de mobilité aurait dû en fait avoir été établi depuis 2018 et avoir été réactualisé depuis 2020 à l'issue des négociations annuelles obligatoires ;
A ce jour, il ressort des écritures de SNCF RÉSEAU que ce plan mobilité employeur n'a toujours pas été communiqué au CSE. La demande de sursis à statuer n'a aucun fondement puisqu'un pourvoi en cassation n'a pas de caractère suspensif en matière civile.
L'infraction ne cessant de se répéter depuis le 19 novembre 2022 (8ème jour à compter du lendemain du jour de la signification du jugement exécutoire de plein droit), il convient de liquider l'astreinte provisoire à la somme de 237.000 euros (500 euros x 474 jours au 7 mars 2024) et de condamner la SA SNCF RÉSEAU à payer au CSE cette somme avec les intérêts au taux légal à compter de la signification du présent jugement.
Au regard de ce qui précède, il est nécessaire pour assurer l'exécution de la décision prononcée, de l'assortir d'une astreinte définitive.
Ainsi, l'obligation de communiquer le plan mobilité employeur ordonnée par le jugement de ce tribunal exécutoire du 20 octobre 2022, signifié le 9 novembre 2022, sera assortie d'une astreinte définitive de 1 000 euros par jour de retard pour une durée de 6 mois à compter d'un délai de trois mois suivant la signification du présent jugement.
Enfin, il serait inéquitable de laisser à la charge du CSE les frais qu'il a été contraint d'engager si bien que la SA SNCF RÉSEAU sera condamnée à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
LE PRÉSIDENT
Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et par mise à disposition au greffe,
REJETTE la demande de sursis à statuer,
ORDONNE la liquidation de l'astreinte provisoire prononcée contre la SA SNCF RÉSEAU au titre de son obligation de communiquer au [Adresse 5] de la SA SNCF RÉSEAU le plan mobilité employeur du périmètre de la Zone de Production Nord-Est Normandie à 237.000 euros,
CONDAMNE la SA SNCF RÉSEAU à payer au [Adresse 5] de la SA SNCF RÉSEAU cette somme de 237.000 euros avec les intérêts au taux légal à compter de la signification du présent jugement,
CONDAMNE la SA SNCF RÉSEAU à payer au [Adresse 5] de la SA SNCF RÉSEAU une astreinte définitive de 1.000 euros par jour de retard et pour une durée de 6 mois à compter d'un délai de trois mois suivant la signification du présent jugement au titre de l'obligation qui lui est faite de lui communiquer le plan mobilité employeur du périmètre de la Zone de Production Nord-Est Normandie,
CONDAMNE la SA SNCF RÉSEAU à payer au [Adresse 5] de la SA SNCF RÉSEAU la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SA SNCF RÉSEAU aux dépens,
RAPPELLE que l'exécution provisoire est de droit.
La minute a été signée par Monsieur Bernard AUGONNET, Premier Vice-Président et Madame Anyse MARIO, greffière présente lors de la mise à disposition.
LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT
Anyse MARIOBernard AUGONNET