TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY
JUGEMENT CONTENTIEUX DU 23 MAI 2024
Chambre 6/Section 5
AFFAIRE: N° RG 22/10194 - N° Portalis DB3S-W-B7G-W2F6
N° de MINUTE : 24/00298
la S.A.R.L. AMENAGER ET BATIR
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 3]
représentée par Me [Z], avocat au barreau de MELUN
DEMANDEUR
C/
La SCCV VALERA-VAUJOURS-IDF
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Xavier TERCQ, la SARL LAMBERT & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C 010
DEFENDEUR
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Monsieur David BRACQ-ARBUS, statuant en qualité de Juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du code de procédure civile, assisté aux débats de Madame Reine TCHICAYA, Greffier.
DÉBATS
Audience publique du 11 Mars 2024, à cette date, l’affaire été mise en délibéré au 23 Mai 2024.
JUGEMENT
Rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Monsieur David BRACQ-ARBUS, assisté de Madame Reine TCHICAYA, Greffier.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Pour les besoins de la construction d’un programme immobilier situé [Adresse 2] [Localité 5] et suivant marché de travaux du 2 mai 2018, la SCCV Valera-Vaujours IDF a confié à la SARL Aménager et bâtir le lot charpente pour 90 000 euros TTC et le lot couverture pour le prix de 228 000 euros TTC.
Le 17 mai 2019, un devis a été signé pour des travaux supplémentaires pour un montant de 3 228 euros HT.
La réception est intervenue le 29 septembre 2020, avec réserves.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 décembre 2020, la SARL Aménager et bâtir a transmis un décompte général définitif d’un montant de 25 093,18 euros TTC.
Après plusieurs relances, la SARL Aménager et bâtir a adressé à la SCCV Valera-Vaujours IDF une lettre recommandée avec accusé de réception de mise en demeure d’avoir à lui payer cette somme.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 avril 2022, le conseil de la SARL Aménager et bâtir a mis en demeure le groupe Edouard Denis Vaujours d’avoir à payer à sa cliente cette même somme et à libérer la retenue de garantie.
C’est dans ces conditions que la SARL Aménager et bâtir a, par acte d’huissier du 4 octobre 2022, fait assigner la SCCV Valera-vaujours IDF devant le tribunal judiciaire de Bobigny aux fins notamment de solliciter l’indemnisation de son préjudice.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 2 novembre 2023 par ordonnance du même jour, et l'affaire appelée à l'audience de plaidoiries du 11 mars 2024.
Le jugement a été mis en délibéré au 23 mai 2024, date de la présente décision.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 mars 2023, la SARL Aménager et bâtir demande au tribunal judiciaire de Bobigny de :
- la déclarer recevable et bien fondée en son action ;
- condamner la SCCV Valera-Vaujours IDF à lui payer les sommes suivantes :
*41 216,78 euros au titre des factures impayées, outre intérêts au taux légal à compter du 16 juin 2021 (première mise en demeure) ;
*5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
*3 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ne pas écarter l’exécution provisoire ;
- condamner la SCCV Valera-Vaujours IDF aux dépens, avec bénéfice du droit prévu par les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
*
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 janvier 2023, la SCCV Valera-Vaujours IDF demande au tribunal judiciaire de Bobigny de :
- débouter la SARL Aménager et bâtir de sa demande au titre de la résistance abusive ;
- limiter la condamnation au titre du décompte général et définitif à la somme de 4 222,14 euros ;
- condamner la SARL Aménager et bâtir à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens avec bénéfice du droit prévu par les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- rappeler l’exécution provisoire de droit.
*
Pour un plus ample exposé des moyens développés par la ou les parties ayant conclu, il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur les demandes principales en paiement
L’article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
A défaut d’exécution du contrat, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut notamment, selon l'article 1217 du même code, agir en exécution forcée et/ou réclamer des dommages et intérêts.
Toutefois, l'article 1231-6 du même code précise que les dommages et intérêts dus en raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent ne consistent que dans l'intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure, et l'éventuel préjudice indépendant de ce retard, qui ne serait pas réparé par les seuls intérêts moratoires, ne peut être indemnisé qu'en cas de mauvaise foi du débiteur.
Conformément à l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, l’article 1353 du code civil disposant, qu’en matière contractuelle, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver, et que celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
En l’espèce, s’agissant du décompte général et définitif, le contrat stipule, en son article 33 :
« 33.1. Dans le délai de 120 jours à dater de la réception des travaux ou de 30 jours à compter de la résiliation du marché, l'Entrepreneur remet au maître d'œuvre un mémoire définitif de ce qu'il estime lui être dû en application du Marché.
Toutefois, l'Entrepreneur s'interdit d'établir ce mémoire, si ce dernier n'a pas levé l'ensemble des réserves notées à la réception et celles dénoncées après réception et si un quitus de levée de réserves n'a pas été régularisé entre les parties. En tout état de cause, dans une telle hypothèse le Maître d'ouvrage ne sera pas tenu d'examiner un quelconque projet de mémoire, ni d'en effectuer le paiement.
Sur ce mémoire devront figurer le cas échéant le montant de la révision et son mode de calcul.
33.2. Si le mémoire définitif n'a pas été remis au Maître d'œuvre dans le délai ci-dessus, le Maitre d'ouvrage peut, après une mise en demeure restée sans effet, le faire établir par le Maître d'œuvre aux frais de l'Entrepreneur.
33.3. Le Maître d'œuvre vérifie le mémoire définitif et établit le décompte définitif des sommes dues en exécution du Marché.
Ce décompte définitif ne préjuge pas du paiement de tout ou partie du solde du à l'Entrepreneur lequel reste soumis à l'accomplissement préalable des obligations mises à sa charge par les documents contractuels.
Le Maitre d'œuvre dispose lui-même d'un délai de 60 jours après réception du mémoire définitif pour établir le décompte définitif et le transmettre au Maître d'ouvrage.
33.4. Dans un délai de 30 jours de la réception par le Maître d'ouvrage du mémoire définitif vérifié par le Maître d'œuvre, le Maitre d'ouvrage signifie à l'Entrepreneur ce décompte définitif.
33.5. L'Entrepreneur dispose de 20 jours à compter de la signification pour présenter par écrit ses observations éventuelles. A défaut il est réputé avoir accepté ledit décompte sans pouvoir le contester par la suite.
33.6. Aucun règlement pour solde ne peut intervenir :
- Si l'Entrepreneur n'a pas remis préalablement au Maître d'ouvrage les documents dont la remise est prévue en fin de chantier par le marché, et, notamment, ceux visés aux articles 24.2.3. du présent CCG.
- Si le rapport final du Contrôleur Technique relatif aux ouvrages réalisés par l'entreprise comporte une ou des réserves.
- En l'absence du quitus du solde de la participation au compte prorata délivré par la personne chargée de la tenue du compte.
- En l'absence du quitus des entreprises sous-traitantes bénéficiant de la délégation de paiement ;
- Si l'Entrepreneur n'est pas intervenu dans les délais prévus au présent CCG pour lever l'intégralité des réserves, qui lui ont été dénoncées, indépendamment de l'application des pénalités prévues sur ce point. »
Il résulte de la lettre claire et précise des clauses ci-dessus reproduites que le seul délai sanctionné par l’acception des comptes entre les parties est celui stipulé à l’article 33.5. : « L'Entrepreneur dispose de 20 jours à compter de la signification pour présenter par écrit ses observations éventuelles. A défaut il est réputé avoir accepté ledit décompte sans pouvoir le contester par la suite. »
S’agissant spécifiquement du délai de soixante jours à l’issu duquel le maître d’ouvrage ne pourrait plus contester le DGD, force est de constater qu’une telle sanction n’est nullement prévue.
Il s’ensuit que la SARL Aménager et bâtir ne saurait se prévaloir des délais prévus par l’article 33 du CCG pour entériner son DGD.
S’agissant du DGD proposé par la SCCV Valera-Vaujours IDF, il ne respecte nullement les stipulations convenues.
Il convient, en conséquence, d’établir le compte entre les parties, sur la base des DGD produits.
Dès lors que les sous-totaux retenus de part et d’autre sont proches, la seule différence étant le montant du prorata 2% retenu, il convient de retenir la proposition de la SARL Aménager et bâtir, inférieure à celle de la SCCV Valera-Vaujours IDF, soit la somme de 26 413,87 euros TTC, déduction faite de la retenue de garantie qui sera envisagée ultérieurement, soit la somme de 25 093,18 euros TTC.
La SCCV Valera-Vaujours IDF sollicite qu’en soient retranchées la somme de 12 583,10 euros au titre des « retenues diverses CIE » et la somme de 9 102,02 euros au titre des « pénalités TTC ».
La SCCV Valera-Vaujours IDF ne produit cependant aucun élément de preuve au soutien de l’imputation des « retenues diverses CIE », de sorte que ce poste ne sera pas retenu.
S’agissant des pénalités de retard, le contrat stipule, en son article 36 : « les pénalités ci-dessus sont applicables du seul fait du retard et sans qu’il y ait lieu, pour le Maître d’ouvrage ou le maître d’œuvre, d’adresser une mise en demeure à l’Entrepreneur. Le constat de ce retard sera fait par le Maître d’œuvre. »
Or, aucun constat du retard fait par le Maître d’œuvre n’est produit, de sorte que ce poste ne sera pas retenu.
Il convient, en conséquence, de retenir la somme de 25 093,18 euros TTC.
Sur la retenue de garantie
L'article 1er de la loi numéro 71-584 du 16 juillet 1971 « tendant à réglementer les retenues de garantie en matière de marchés de travaux définis par l'article 1779-3° du code civil » autorise le maître de l'ouvrage à opérer une retenue d'au plus 5% sur le paiement du prix des travaux, afin de garantir « contractuellement l'exécution des travaux, pour satisfaire, le cas échéant, aux réserves faites à la réception ».
L'article 2 de la loi ajoute que la retenue est levée à l'expiration du délai d'une année à compter de la date de réception – avec ou sans réserve – des travaux, même en l'absence de mainlevée, si le maître de l'ouvrage n'a pas notifié, par lettre recommandée, « son opposition motivée par l'inexécution des obligations de l'entrepreneur » ; que l'opposition abusive entraîne la condamnation de l'opposant à des dommages-intérêts.
En l’espèce, il est constant que les réserves ont été levées le 17 mars 2021. Il y a donc lieu de lever la retenue de garantie dès lors que la SCCV Valera-Vaujours IDF affirme l’avoir payée sans en apporter la preuve.
La SCCV Valera-Vaujours IDF sera ainsi condamnée à payer à la SARL Aménager et bâtir la somme de 25 093,18 + 16 123,60 = 41 216,78 euros, outre intérêts au taux légal :
- à compter du 18 juin 2021 (réception de la première mise en demeure, qui ne mentionne pas la retenue de garantie) sur la somme de 25 093,18 euros ;
- à compter du 21 avril 2022 (mise en demeure par avocat) sur la somme de 16 123,60 euros.
Sur la demande principale en paiement à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive
En l'espèce, il est de jurisprudence constante que la résistance abusive du défendeur se définit par la contrainte pour le demandeur d’intenter une action en justice pour parvenir à ses fins, supposant ainsi la démonstration d'une attitude fautive du défendeur caractérisée notamment par sa malice, sa mauvaise foi ou une erreur grossière équivalente au dol. Elle ne se traduit pas par une simple résistance au paiement.
Or, la SARL Aménager et bâtir ne démontre ni l’intention malicieuse de sa cocontractante, ni avoir subi un quelconque préjudice, le coût économique et social étant seulement allégué.
Elle sera ainsi déboutée de sa demande indemnitaire.
Sur les frais du procès et l’exécution provisoire
Sur les dépens
Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
En application de l’article 699 du code de procédure civile, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.
En l’espèce, les dépens seront mis à la charge de la SCCV Valera-Vaujours IDF, succombant à l’instance.
Autorisation sera donnée à ceux des avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre de recouvrer directement ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.
Sur les frais irrépétibles
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le tribunal condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l'autre la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Par principe, le tribunal alloue à ce titre une somme correspondant aux frais réellement engagés, à partir des justificatifs produits par les parties, ou, en l’absence de justificatif, à partir des données objectives du litige (nombre de parties, durée de la procédure, nombre d’écritures échangées, complexité de l’affaire, incidents de mise en état, mesure d’instruction, etc.).
Par exception et de manière discrétionnaire, le tribunal peut, considération prise de l’équité ou de la situation économique des parties, allouer une somme moindre, voire dire qu’il n’y a lieu à condamnation.
En l’espèce, la SCCV Valera-Vaujours IDF, condamnée aux dépens, sera condamnée à payer à la SARL Aménager et bâtir une somme qu’il est équitable de fixer à 3 600 euros.
Sur l’exécution provisoire
Il convient de rappeler qu'en application de l'article 514 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.
PAR CES MOTIFS,
Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
CONDAMNE la SCCV Valera-Vaujours IDF à payer à la SARL Aménager et bâtir la somme de 41 216,78 euros au titre du marché de travaux, outre intérêts au taux légal :
- à compter du 18 juin 2021 sur la somme de 25 093,18 euros ;
- à compter du 21 avril 2022 sur la somme de 16 123,60 euros ;
DEBOUTE la SARL Aménager et bâtir de sa demande en paiement à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né de la résistance abusive de la SCCV Valera-Vaujours IDF;
MET les dépens à la charge de la SCCV Valera-Vaujours IDF ;
ADMET les avocats qui en ont fait la demande et qui peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SCCV Valera-Vaujours IDF à payer à la SARL Aménager et bâtir la somme de 3 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE la SCCV Valera-Vaujours IDF de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
RAPPELLE que le présent jugement est assorti de l'exécution provisoire de droit.
La minute a été signée par Monsieur David BRACQ-ARBUS, Juge, et par Madame Reine TCHICAYA, Greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT