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22/05/2024 | FRANCE | N°22/10625

France | France, Tribunal judiciaire de Bobigny, Chambre 5/section 1, 22 mai 2024, 22/10625


TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY


JUGEMENT CONTENTIEUX DU 22 MAI 2024


Chambre 5/Section 1
AFFAIRE: N° RG 22/10625 - N° Portalis DB3S-W-B7G-W5SZ
N° de MINUTE : 24/00788

DEMANDEUR

S.A.R.L. ELINE
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Maître Gilles HITTINGER ROUX de la SCP HB & ASSOCIES-HITTINGER-ROUX BOUILLOT & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : P0497

C/

DEFENDEUR

Etablissement public OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentée par Maître Emmanuel SOURDON de

la SELEURL SOURDON AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : P0290


COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Charlotte THINAT, Prési...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 22 MAI 2024

Chambre 5/Section 1
AFFAIRE: N° RG 22/10625 - N° Portalis DB3S-W-B7G-W5SZ
N° de MINUTE : 24/00788

DEMANDEUR

S.A.R.L. ELINE
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Maître Gilles HITTINGER ROUX de la SCP HB & ASSOCIES-HITTINGER-ROUX BOUILLOT & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : P0497

C/

DEFENDEUR

Etablissement public OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentée par Maître Emmanuel SOURDON de la SELEURL SOURDON AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : P0290

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Charlotte THINAT, Présidente, statuant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l article 812 du code de procédure civile, assistée aux débats de Madame Zahra AIT, greffier.

DÉBATS

Audience publique du 20 Mars 2024.

JUGEMENT

Rendu publiquement, par mise au disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Madame Charlotte THINAT, Présidente, assistée de Madame Zahra AIT, greffier.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Par acte sous seing privé en date du 1er juin 2015, l'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE a donné à bail à la S.A.R.L. ELINE un local commercial d'une superficie de 356 m2 ainsi qu'un parking numéroté 13 sis [Adresse 1] à [Localité 5] (93) et ce, pour une durée de 3, 6, 9 ans moyennant un loyer hors taxes hors charges annuel de 77.000,00 euros. La destination dudit local fixée au bail étant «restaurant - bar - licence IV ».

Par exploit du 11 avril 2019, l'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE a fait signifier à la société ELINE un commandement de payer visant la clause résolutoire aux fins de règlement, dans un délai d'un mois, de la somme de 251.187,03 euros, frais d'huissier inclus.

Par acte notarié du 26 novembre 2019 a été conclue une promesse de vente entre l'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE et la société ELINE portant sur le local commercial susvisé et ce, moyennant un prix de vente de 1.157.912,09 euros, sous la condition suspensive d'obtention d'un crédit avant le 30 mars 2020. Cette promesse de vente a fait l'objet d'une prorogation, par acte du 24 août 2020, au 31 décembre 2020. La société ELINE n'a néanmoins pas obtenu de prêt.

L'OPH COMMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE a signé avec la société ELINE un protocole d'accord le 13 juin 2022, prévoyant notamment le remboursement de la dette locative, la vente des murs et le paiement des loyers et charges jusqu'à aboutissement de l'opération.

Par acte authentique du 09 avril 2022, l'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE a conclu avec la société JBB Investissement une promesse de vente portant sur les locaux du [Adresse 1] à [Localité 5] (93) au prix de 840.000,00 euros et ce, sous condition suspensive d'obtention de prêts. Par lettre recommandée du 02 octobre 2023, la société JBB Investissement a informé l'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE qu'elle n'avait pas obtenu de crédit et a sollicité le remboursement de la somme séquestrée.

Par exploit en date du 10 octobre 2022, l’OPH COMMUNAUTAIRE PLAINE COMMUNE a fait signifier à la société ELINE un commandement de payer visant la clause résolutoire aux fins de s'acquitter, dans un délai d’un mois, de la somme en principal de 521.051,55 € arrêtée au 04 octobre 2021, au titre de la dette locative, outre le coût du commandement.

Par exploit d'huissier délivré le 25 octobre 2022, la société ELINE a fait assigner l’OPH COMMUNAUTAIRE PLAINE COMMUNE devant le tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de :

PRONONCER l'annulation du commandement de payer visant la clause résolutoire, signifié le 10 octobre 2022 par l'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE à la SARL ELINE enseigne « HIPPOPOTAMUS » pour avoir paiement de la somme en principal de 521.051,55 € ;
ENJOINDRE l'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COIVMUNE d'avoir à régulariser avec la SARL ELINE, exploitant sous l'enseigne « HIPPOPOTAMUS » par devant la SCP YVES FRICOTEAUX XAVIER PILLEBOUT ET HUGUES VAN ELSLANDE, Notaires Associés, une promesse synallagmatique de vente des locaux situés au rez-de-chaussée de l'immeuble du [Adresse 1] à [Localité 5], cadastré section BH no[Cadastre 3], lieudit [Adresse 2], Surface o Ha 06 a 97 Ca au prix HT de 700.000 €, sous la condition suspensive de l'obtention d'un prêt dudit montant aux conditions habituelles et d'usage,
ce dans les trente (30) jours suivant la signification du jugement à intervenir, et à défaut sous astreinte journalière de 5oo € à compter du trente et unième (31è)jour.

Tout à fait subsidiairement,

SUSPENDRE les effets de la clause résolutoire et accorder, et JUGER que la SARL ELINE exploitant sous l'enseigne « HIPPOPOTAMUS » pourra s'acquitter de son arriéré locatif de 521.051,55€ en 24 mensualités égales et successives, le règlement de la première mensualité devant intervenir le 15 du mois suivant la signification du jugement à intervenir, puis ainsi de suite chaque mois jusqu'à complet paiement.
Dans tous les cas,
CONDAMNER l'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE à payer à la SARL ELINE exploitant sous l'enseigne « HIPPOPOTAMUS » une somme de 3.000 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile;
CONDAMNER l'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE aux entiers dépens d'instance.
Par acte du 15 mars 2023, l'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE la société ELINE et la société JBB Investissement ont conclu un protocole d'accord selon lequel l'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE s'engageait à vendre à la société ELINE, ou à toute société qui s'y substitue, les locaux loués au prix net vendeur de 700.000 euros hors taxes. Aux termes de ce même acte, la société ELINE s'engageait à rembourser la dette locative à hauteur de 565.103,15 euros et à payer les loyers et charges jusqu'à l'aboutissement de l'opération.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 18 décembre 2023 au tribunal, la société ELINE a demandé au tribunal judiciaire de céans de :

A titre principal,

Juger que le commandement de payer signifié le 11 avril 2019 ainsi que le commandement de payer signifié le 20 octobre 2022 sont dépourvus de toute cause ayant été délivré de mauvaise foi et ne saurait produire aucun effet,
Par conséquent

Débouter l’OPH Communautaire Plaine Commune de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire,

Ordonner aux parties de rencontrer un médiateur judiciaire ;
A titre infiniment subsidiaire,

Accorder la société Eline 24 mois de délais pour s’acquitter de toutes sommes qui pourraient être mises à sa charge aux termes du jugement à intervenir et ce à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la signification du jugement à intervenir ;
Juger que les effets de la clause résolutoire seront suspendus pendant l’échéancier de paiement ;
Juger qu’en conséquence la clause résolutoire ne jouera pas dans le cas où la société Eline s’acquitte effectivement du solde des sommes dans les conditions fixées par l’arrêt à intervenir ;
Ecarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir, manifestement incompatible avec la nature de l’affaire, s’agissant de questions de droit discutées et susceptibles d’une acception différente en fonction des juridictions ;
En tout état de cause,

Condamner l’OPH Communautaire de Plaine Commune à payer à la société Eline la somme de 5.000 euros, sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, conformément aux dispositions de l’article 696 du Code de procédure civile.
Il est expressément renvoyé à ces conclusions pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’OPH COMMUNAUTAIRE PLAINE COMMUNE a constitué avocat.
Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 04 janvier 2023, il a demandé au tribunal de :

DÉBOUTER la SARL ELINE de ses demandes.
À titre reconventionnel,

CONSTATER la caducité des protocoles d’accord des 13 juin 2022 et 15 mars 2023 ainsi que de la promesse de vente du 15 mars 2023.
CONSTATER, à titre principal, l’acquisition de la clause résolutoire et/ou DIRE ET JUGER acquise la clause résolutoire insérée au bail commercial à effet du 1er juin 2015 et visée aux commandements de payer des 11 avril 2019 et 10 octobre 2022 ainsi que la résolution dudit bail à compter rétroactivement du 10 mai 2019 à minuit ou du 9 novembre 2022 à minuit, en application des articles 1224 et suivants du Code civil.
PRONONCER, à titre subsidiaire, la résolution judiciaire du bail commercial à effet du 1er juin 2015 à compter rétroactivement du 10 mai 2019 à minuit ou du 9 novembre 2022 à minuit ou encore du jugement à intervenir, en application des articles 1224 et suivants du Code civil, pour non-paiement des loyers et des charges.
En toutes hypothèses,

ORDONNER l’expulsion de la SARL ELINE, ainsi que celle de tout occupant de son chef, des lieux loués situés au rez-de-chaussée de l’immeuble du [Adresse 1] à [Localité 5], en la forme habituelle, au besoin accompagné d’un serrurier et du commissaire de Police.
ORDONNER la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux loués et appartenant au locataire, dans tel garde meubles qu’il plaira au Tribunal de désigner, et ce aux frais, risques et périls des locataires.
FIXER à la somme de 8.810, 32 euros par mois l’indemnité d’occupation due par la SARL ELINE à compter rétroactivement du 10 mai 2019 à minuit jusqu’au jour effectif de l’expulsion, ladite indemnité d’occupation étant payable par mois et d’avance.
CONDAMNER la SARL ELINE au paiement de ladite indemnité d’occupation d’un montant de 8.810, 32 euros par mois, à compter rétroactivement du 10 mai 2019 à minuit jusqu’au jour effectif de l’expulsion, ladite indemnité d’occupation étant payable par mois et d’avance.
CONDAMNER la SARL ELINE à verser à l’OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE une somme de 644 917,86 euros au titre de l’arriéré de loyers, charges et d’indemnités d’occupation arrêté au 1er décembre 2023, avec intérêts au taux légal depuis le commandement de payer, sauf à condamner le preneur au versement de la dette de loyer en principal hors charges, soit 461.188, 61 euros TTC/HC.
CONDAMNER la SARL ELINE à verser à l’OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
CONDAMNER la SARL ELINE aux entiers dépens.
Il est expressément renvoyé à ces conclusions pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

*

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 janvier 2024, et l'affaire a été appelée à l'audience de plaidoiries (juge unique) du 20 mars 2024. Elle a été mise en délibéré au 22 mai 2024, date à laquelle la décision a été rendue par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, il convient de rappeler que les demandes des parties tendant à voir « dire et juger » ou « constater » ne constituent pas des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile et ne donneront pas lieu à mention au dispositif.

1 - Sur la validité des commandements de payer des 11 avril 2019 et 10 octobre 2022

La société ELINE fait valoir que l'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE ne peut se prévaloir de bonne foi du commandement de payer du 11 avril 2019, au regard des pourparlers et protocoles engagés par la suite. Elle soutient que la mauvaise foi du bailleur doit également être relevée à l'égard du commandement de payer du 10 octobre 2022, celui-ci ayant été signifié pendant les négociations engagées par les parties et alors qu'elle connaissait des difficultés du fait de la conjoncture économique et du développement insuffisant du secteur où se trouvent les locaux commerciaux concernés. Elle en déduit que ces commandements de payer sont sans effets et que la demande de constat de l'acquisition de la clause résolutoire ne pourra être que rejetée.

L'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE soutient que le bail commercial et les promesses de vente sont des actes distincts et que la cession d'un bien immobilier n'affecte pas la propriété commerciale dont il est l'objet. Elle en déduit que l'existence de promesses de vente des 16 novembre 2019 et 15 mars 2023 est sans effet sur les droits et obligations des parties au titre du bail signé le 1er juin 2015. Dès lors, la procédure en résiliation dudit bail serait parfaitement régulière. L'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE soutient également que tant les promesses de vente que les protocoles d'accord qui ont été signés sont caduques ; ni les conditions suspensives d'obtention de prêt des promesses de vente ni les conditions de chaque protocole d'accord selon lesquelles le preneur devait honorer les appels de loyers et de charges dans les huit jours de leur réception n'ayant été respectées. L'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE fait valoir qu'il a fait preuve de bonne foi à l'égard du preneur en acceptant la conclusion de promesses de vente et de protocoles d'accord compte tenu des difficultés de ce dernier. Il relève néanmoins que la société ELINE n'a jamais cessé d'exercer son activité et a ainsi dégagé un chiffre d'affaire de 917.035 euros HT en 2018, 940.465 euros HT en 2019, 633.000 euros HT en 2020, 703.000 euros HT en 2021 et 808.000 euros HT en 2022. Il sollicite au regard de ces éléments que soit constaté la validité des commandements de payer délivrés les 11 avril 2019 et 10 octobre 2022.

Selon l'article L.145-41 du code de commerce, un contrat de bail peut contenir une clause résolutoire prévoyant sa résiliation de plein droit si elle ne produit effet qu'un mois après un commandement de payer ou une sommation d'exécuter demeurés infructueux, le commandement devant, à peine de nullité, mentionner ce délai.

La loi prévoyant donc une possibilité de régularisation par le preneur des causes du commandement faisant échec au jeu de la clause résolutoire, ce commandement doit nécessairement informer clairement le locataire du montant qui lui est réclamé et être suffisamment précis pour lui permettre d'identifier les causes des sommes réclamées et de vérifier la prise en compte des paiements effectués.

En l’espèce, le contrat de bail commercial conclu le 1er juin 2015 entre l'OPH COMMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE et la société ELINE contient bien une clause résolutoire en page 5. Aux termes de cette clause « A défaut de paiement à son échéance d’un seul terme de loyer ou d'exécution de l'une quelconque des clauses du présent contrat et un mois après un simple commandement de payer ou mise en demeure adressée par un acte extrajudiciaire resté sans effet, et exprimant la volonté du Bailleur de se prévaloir de la présente clause, le bail sera résilié immédiatement et de plein droit, si bon semble au bailleur, même dans le cas de paiement ou d'exécution postérieurs à l'expiration du délai ci-dessus, sans qu’il soit besoin de remplir aucune formalité judiciaire et nonobstant toutes offres ou consignations ultérieures.
Si au mépris de cette clause, le Preneur refusait de quitter immédiatement les lieux, il y a serait contraint en exécution d'une ordonnance rendue par Monsieur le Président du Tribunal de Grande instance compétent ou par toute autre juridiction statuant en référé et exécutoire par provision nonobstant appel, qui après avoir constaté la résolution du bail, prononcerait l'expulsion du Preneur sans délai. En outre, une indemnité d'occupation mensuelle et indivisible égale à la valeur d'un quart d'une annuité du loyer alors en vigueur, sera due au Bailleur.
Les frais de procédure contentieuse visant à recouvrer les loyers ou bien à résilier le bail seront mis à la charge du preneur.
Cette disposition constitue une condition essentielle et déterminante du présent bail sans laquelle il n'aurait pas été consenti.»

Le commandement de payer délivré le 11 avril 2019 par exploit d’huissier à destination de la société ELINE vise expressément ladite clause ainsi que le délai d’un mois laissé à celle-ci afin de régler en principal la somme de 250.777,60 euros au titre de la «dette locative selon décompte joint arrêté au 01/04/2019 ». Le commandement de payer délivré le 10 octobre 2022 par exploit de commissaire de justice à destination de la société ELINE vise également ladite clause résolutoire ainsi que le délai d'un mois laissé à celle-ci afin de régler en principal la somme de 521.051,55 euros au titre de la « dette locative selon décompte joint arrêté au 04/10/2022. »

Cependant, faute de transmettre, tant à l'égard du commandement de payer du 11 avril 2019 que de celui du 10 octobre 2022, le décompte joint à chacun d'entre eux et justifiant de la somme dont il était demandé à la société ELINE le paiement dans un délai d'un mois au titre de l'arriéré locatif, l'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE ne justifie pas avoir mis la société ELINE en mesure de pouvoir identifier la nature des sommes réclamées au titre dudit arriéré locatif ainsi que l’évolution de sa dette. Dès lors, il ne peut être vérifié la validité de délivrance desdit commandements de payer.

En conséquence, l'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE sera débouté de sa demande de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail du 1er juin 2015 portant sur les locaux sis [Adresse 1] à [Localité 5] (93) et visée aux commandements de payer des 11 avril 2019 et 10 octobre 2022.

2 – Sur la résolution judiciaire du bail du 1er juin 2015

L'OPH COMMUNAUTAIRE PLAINE COMMUNE sollicite, au visa des articles 1224 et 1227 du code civil, que soit prononcée la résolution judiciaire du bail la liant à la société ELINE compte tenu du non paiement par celle-ci de ses loyers et charges.

La société ELINE ne développe aucun moyen à l'égard de cette demande.

En application de l'article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut provoquer la résolution du contrat, laquelle est prononcée si le manquement de la partie défaillante présente une gravité suffisante pour compromettre la poursuite des relations contractuelles.

Conformément à l'article 1741 du même code, le contrat de louage se résout par la perte de la chose louée et par le défaut respectif du bailleur et du preneur de remplir leurs engagements, l'article 1728 du même code obligeant le preneur à user de la chose louée raisonnablement et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d'après les circonstances, à défaut de convention, et à payer le prix du bail aux termes convenus.

Aux termes du bail du 1er juin 2015, le bail a été « consenti et accepté moyennant un loyer annuel HT-HC d'un montant de 77 000 euros HT/HC/AN (soixante dix sept mille euros) Payable trimestriellement, à terme à échoir les 1er janvier, 1er avril, 1er juillet et 1er octobre, entre le 1er et le 5 de chaque trimestre de référence.
Le loyer sera soumis à la T.V.A. au taux en vigueur. Cette taxe devra lui être réglée en même temps que le loyer lui-même selon les modalités décrites ci-dessus.
Tout retard de paiement donnera lieu de plein droit à des intérêts au taux de 1% par mois, sans faire obstacle à l'application des dispositions de l'Article « clause résolutoire ».

Il est également prévu audit bail, aux termes de l'article relatif à la révision du loyer, que « la révision du loyer sera, en application de l'article L145-34 du code de commerce, effectuée tous les 3 ans à la date anniversaire du bail suivant les variations de l'indice des loyers commerciaux. »

Par une « clause particulière », les parties ont convenu que « pour permettre au preneur de faire face au démarrage de son activité, il lui est consenti les conditions de loyers suivantes :
une franchise de loyer de 6 mois à compter de la signature du bail définitif,première année de facturation : 53 400 euros HT-HC/ANdeuxième année de facturation : 64 000 euros HT-HC/ANtroisième année de facturation : 71 200 euros HT-HC/ANquatrième année de facturation : 77 000 euros HT-HC/ANLa première facturation du loyer, des taxes et charges interviendra le 1er décembre 2015. Toutes les modifications de loyer, telles que décrites ci-dessus, seront appliquées à la date anniversaire de la première facturation, soit :
le 1er décembre 2016,le 1er décembre 2017,le 1er décembre 2018. »
Enfin, le bail du 1er juin 2015 prévoit que le preneur devra également s'acquitter d'une provision au titre des charges locatives liées à l'entretien général de l'immeuble, de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, de la taxe foncière ainsi que de la location des compteurs d'eau et les consommations induites.

Il ressort de l’extrait de compte individuel de la société ELINE versé par l'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE au titre de la période du 1er juin 2015 au 19 décembre 2023 que le preneur a bien failli à ses obligations contractuelles de paiement du loyer à son échéance ou celui de certaines charges, ce que d'ailleurs il ne conteste pas puisqu'il sollicite des délais de paiement. Ainsi, il ressort dudit extrait de compte que la société ELINE n'a jamais cessé d'accroître sa dette, ayant manqué à son obligation de payer ses loyers et charges dès son entrée dans les lieux.

La société ELINE ayant manqué ainsi à une condition essentielle du bail du 1er juin 2015 et ce, de façon répétée depuis son entrée dans les lieux, ce manquement constitue une cause grave justifiant que soit prononcée la résolution judiciaire dudit contrat de bail à compter du présent jugement. Son expulsion ainsi que celle de tous occupants de son chef des locaux litigieux sera ordonnée dans les termes du dispositif.

Au regard de ces éléments et des démarches entreprises par l'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE aux fins de trouver une solution aux difficultés économiques de la société ELINE, tant au travers de la conclusion de promesses de vente que de protocole d'accord, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de médiation judiciaire soutenue par la société ELINE.

3 - Sur la demande de paiement d'un arriéré locatif

L'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE demande la condamnation de la société ELINE au paiement d'un arriéré locatif de 644.917,23 euros arrêté au 1er décembre 2023.

Selon l'article 1728 du code civil, le preneur est tenu de payer le prix du bail aux termes convenus.

Aux termes des résolutions du bail du 1er juin 2015 rappelées ci-avant ainsi que du décompte produit par l'OPH COMMUNAUTAIRE PLAINE COMMUNE au titre de la période du 1er juin 2015 au 19 décembre 2023, la dette de la société ELINE au titre des loyers, charges, taxes et accessoires s’élève au 1er décembre 2023, quatrième trimestre 2023 inclus, à un montant de 644.917,86 euros ; somme au paiement de laquelle il convient de la condamner et ce, avec intérêt à compter du présent jugement en application des dispositions de l'article 1231-7 du code civil.

4 – Sur la demande de suspension des effets de la clause résolutoire et d'octroi de délais de paiement

En l'absence d'acquisition de la clause résolutoire visée aux commandements de payer des 11 avril 2019 et 10 octobre 2022, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de suspension des effets de ladite clause.

La société ELINE sollicite l'octroi de délais de paiement, expliquant avoir dû faire face à une baisse d'activité résultant de l'absence de développement de la zone dans laquelle se trouvent les locaux commerciaux loués, des attentats du 13 novembre 2015 au stade de France qui ont eu selon elle un effet durable sur l'attractivité de la ville de [Localité 5], de l'importance de la clientèle locale musulmane consommant des produits halals non proposés par l'enseigne ainsi que de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine.

L'OPH COMMUNAUTAIRE PLAINE COMMUNE s'oppose à cette demande de délais de paiement, faisant valoir qu'outre l'absence de règlements dans le délai d'un mois de chacun des commandements de payer signifiés à la société ELINE, celle-ci n'a pas repris le paiement de ses échéances et la dette locative ne cesse donc de croître.

Selon l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

En l'espèce, la société ELINE ne verse aucune pièce comptable ou financière de nature à établir sa situation économique actuelle. Elle échoue de fait à démontrer sa capacité à reprendre des paiements réguliers de son loyer et de ses charges, nonobstant l'acquittement de sa dette. Le relevé de son compte individuel arrêté au 19 décembre 2023 établit ainsi l'absence de tout paiement de sa part depuis le 14 février 2022 et l’augmentation constante de la dette depuis lors, celle-ci étant d'ores et déjà d'un montant de 468.189,63 euros après le paiement de 8.810,32 euros du 14 février 2022. Il n'y a dès lors pas lieu de faire droit à la demande d'octroi de délais de paiement.

5 – Sur l’indemnité d’occupation

L'OPH COMMUNAUTAIRE PLAINE COMMUNE sollicite l'octroi d'une indemnité d'occupation dont il demande la fixation au montant du loyer en vigueur au jour de ses dernières conclusions, soit à la somme de 8.810,32 euros par mois et ce, à compter rétroactivement du 10 mai 2019 à minuit, date d'acquisition de la clause résolutoire visée au commandement de payer du 11 avril 2019.

Sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, lorsque le preneur se maintient dans le local commercial alors qu’il n’a plus aucun droit en ce sens, le bailleur doit bénéficier d’une indemnité d’occupation ayant un caractère compensatoire et indemnitaire en raison de la faute commise par l’occupant. Cette indemnité représente la valeur locative du bien concerné mais peut lui être supérieure puisqu’elle couvre l’ensemble des préjudices subis par le bailleur du fait de cette occupation indue.

En l'espèce, l'OPH COMMUNAUTAIRE PLAINE COMMUNE sollicite la fixation de l'indemnité au montant du loyer contractuel en cours. Cette prétention étant de droit, il sera fait droit à sa demande. Cependant, l'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE commune ayant été débouté de sa demande de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire visée au commandement de payer des 11 avril 2019 et 10 octobre 2022 et la résolution du bail du 1er juin 2015 étant prononcée à compter de la date du présent jugement, l'indemnité d'occupation ne sera due qu'à compter de cette date.

En conséquence, la société ELINE sera condamnée au paiement d'une indemnité d’occupation à compter de la présente décision à 00h00 et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, à une somme égale au montant des derniers loyers contractuels en cours, outre les taxes et les charges.

6 - Sur les demandes accessoires

- Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

La S.A.R.L. ELINE, succombant à l’instance, sera condamnée au paiement des entiers dépens.

- Sur les frais irrépétibles

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.

En l'espèce, il convient de condamner la S.A.R.L. ELINE au paiement de la somme de 3.000,00 euros au titre des frais irrépétibles exposés par l'OPH COMMUNAUTAIRE PLAINE COMMUNE.

- Sur l’exécution provisoire

Selon l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

Aux termes de l'article 514-1 du code de procédure civile, le juge peut écarter l'exécution provisoire de droit, en tout ou en partie, s'il estime qu'elle est incompatible avec la nature de l'affaire.

En l'espèce, il n'y pas lieu d’écarter l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

Déboute l'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE de sa demande de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire fixée au bail du 1er juin 2015 la liant à la S.A.R.L ELINE et visée aux commandements de payer des 11 avril 2019 et 10 octobre 2022, sur les lieux sis [Adresse 1] à [Localité 5] (93) ;

Prononce à la date du présent jugement la résolution judiciaire du bail du 1er juin 2015 liant d'une part, l'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE et, d'autre part, la S.A.R.L. ELINE et portant sur les lieux sis [Adresse 1] à [Localité 5] (93), aux torts exclusifs de la S.A.R.L. ELINE ;

Dit que la S.A.R.L. ELINE, devenue occupante sans droit ni titre, devra libérer de sa personne et de ses biens ainsi que de tous occupants de son chef les lieux occupés sis [Adresse 1] à [Localité 5] (93), à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision ;

Dit que faute pour la S.A.R.L. ELINE de quitter les lieux dans le délai indiqué et celui-ci passé, l'OPH COMMUNAUTAIRE PLAINE COMMUNE pourra faire procéder à son expulsion ainsi qu'à celle de tous occupants de son chef avec le concours de la force publique et l'assistance d'un serrurier si besoin est ;

Rappelle que le sort des meubles trouvés dans les lieux est régi par l'article L.433-1 du code des procédures civiles d'exécution ;

Déboute la S.A.R.L. ELINE de sa demande de médiation judiciaire ;

Condamne la S.A.R.L. ELINE à payer à l'OPH COMMUNAUTAIRE PLAINE COMMUNE la somme de 644.917,86 euros au titre des loyers, charges, taxes et accessoires dus au 1er décembre 2023, quatrième trimestre 2023 inclus, et ce, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;

Rejette la demande de la S.A.R.L. ELINE en octroi de délais de paiement ;

Fixe l'indemnité d'occupation due par la S.A.R.L. ELINE à l'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE à compter de la présente décision à 00h00 et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, à une somme égale au montant des derniers loyers contractuels en cours, outre les taxes, charges et accessoires, et en tant que de besoin, condamne la S.A.R.L. ELINE à la payer à l'OPH COMMUNAUTAIRE DE PLAINE COMMUNE ;

Condamne la S.A.R.L. ELINE à payer à l'OPH COMMUNAUTAIRE PLAINE COMMUNE la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne la S.A.R.L. ELINE aux entiers dépens ;

Rejette les demandes plus amples ou contraires ;

Rappelle que l'exécution provisoire est de droit.

Fait au Palais de Justice, le 22 mai 2024

La minute de la présente décision a été signée par Madame Charlotte THINAT, Présidente, assistée de Madame Zahra AIT, greffière.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

Madame AIT Madame THINAT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bobigny
Formation : Chambre 5/section 1
Numéro d'arrêt : 22/10625
Date de la décision : 22/05/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-22;22.10625 ?
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