TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY
JUGEMENT CONTENTIEUX DU 24 AVRIL 2024
Chambre 5/Section 1
AFFAIRE: N° RG 23/04487 - N° Portalis DB3S-W-B7H-XJPT
N° de MINUTE : 24/00588
DEMANDEUR
LA VILLE DE [Localité 3], prise en la personne de son Maire en exercice
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Maître Nathalie LAGREE de la SELARL CENTAURE AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : P 500
C/
DEFENDEUR
S.A.S. ALPHA COIFFURE
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Hélène HADDAD AJUELOS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0172
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Charlotte THINAT, Présidente, statuant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l article 812 du code de procédure civile, assistée aux débats de Madame Zahra AIT, greffier.
DÉBATS
Audience publique du 07 Février 2024.
JUGEMENT
Rendu publiquement, par mise au disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Madame Charlotte THINAT, Présidente, assistée de Madame Zahra AIT, greffier.
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous-seing-privé, non daté, Madame [P] [I] veuve [C], Madame [O] [L] [K] [C], Mademoiselle [A] [M] [C] et Monsieur [B] [R] [C] ont consenti un bail commercial à Monsieur [N] [E] [F] pour une durée de 9 années entières et consécutives à compter du 1er juillet 2002, sur des locaux situés au sein d’un immeuble sis, [Adresse 2] à [Localité 3], cadastré section Z n°[Cadastre 1]. La destination du local fixée au bail était « salon de coiffures pour dames & messieurs, avec parfumerie et soins esthétiques ».
Le loyer convenu entre les parties était de 10.000€ annuel, outre paiement de la contribution sur le revenu locatif selon les dispositions légales, par paiements mensuels le 1er de chaque mois.
Par acte notarié en date du 13 septembre 2016, les consorts [C] ont vendu à la Commune de [Localité 3], représentée par son maire en exercice, l’entier immeuble sis, [Adresse 2] à [Localité 3].
Le 09 janvier 2017, le maire de la commune de [Localité 3] a autorisé la poursuite de l'activité commerciale en cours et a accepté ledit bail, dont le loyer annuel hors charges était de 15.636,96€ à compter du 3 octobre 2016.
Par acte extrajudiciaire du 26 décembre 2022, la commune de [Localité 3] a fait délivrer à la société ALPHA COIFFURE un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail et ce, aux fins de régler dans le délai d’un mois la dette locative à hauteur de la somme de 13.444,40€.
En outre, par un second exploit d’huissier également en date du 26 décembre 2022, la Commune de [Localité 3] a fait signifier à la société ALPHA COIFFURE un commandement de produire l’attestation d’assurance contre les risques portant sur les locaux objet du bail commercial et visant pareillement la clause résolutoire insérée au contrat de bail commercial.
Par acte d’huissier en date du 25 avril 2023, la commune de DRANCY a assigné la société ALPHA COIFFURE devant le tribunal judiciaire de Bobigny aux fins de :
-DIRE recevable et bien fondée la requérante en toutes ses demandes, fins et conclusions ;
L’y recevant,
- DIRE ET JUGER, au besoin constater, en conséquence, la résolution dudit bail à compter de la date d’acquisition de la clause résolutoire,
- ORDONNER, en conséquence, l’expulsion de la société ALPHA COIFFURE ainsi que celle de tout occupant de son chef des locaux situés à [Adresse 2], et plus précisément :
- Au sous-sol : totalité d’une cave sous moitié de l’immeuble à prendre à gauche de la descente de la cave,
- Au rez-de-chaussée : - une boutique à droite en façade avec une arrière-boutique, le tout d’une superficie de 35 m²,
- une boutique à gauche en façade avec une arrière-boutique, le tout d’une superficie de 35 m²,
- Au fond de la propriété, après la cour, un tiers d’un bâtiment en appentis à usage de garage,
- Usage d’un WC dans l’accès passage,
- Droit en commun avec tous autres à l’entrée de la porte charretière, au passage y faisant suite à la cour séparant les deux corps de bâtiments et aux escaliers communs conduisant aux étages et à la cave,
avec l’assistance d’un serrurier et de la force publique, s’il y a lieu.
- AUTORISER l’huissier de justice poursuivant à se faire assister en tant que de besoin, du Commissaire de Police et de la Force Publique et d’un serrurier s’il y a lieu,
- CONDAMNER la société ALPHA COIFFURE à payer à la commune de [Localité 3] à titre provisionnel :
a) la somme de 13.444,40€ au titre de l’arriéré des loyers et des charges, suivant décompte arrêté au 22 septembre 2022,
b) une indemnité d’occupation de 1.570,00€ par mois à compter du 27 janvier 2023,
- DIRE que la Commune de [Localité 3] pourra conserver le montant du dépôt de garantie en dédommagement du préjudice par elle subit résultant de la résiliation du bail litigieux,
- CONDAMNER la société ALPHA COIFFURE à payer à la Commune de [Localité 3] la somme de 2.000€ par application des dispositions de l’art. 700 du Code de Procédure Civile,
- CONDAMNER aux dépens la société ALPHA COIFFURE qui incluront le coût des deux commandements de payer et de justifier de l’assurance délivrés le 26 décembre 2022,
- ORDONNER l’exécution provisoire.
Au soutien de ses prétentions, la commune de [Localité 3] affirme que depuis le 1er avril 2021, les loyers ne sont plus régulièrement payés par la société ALPHA COIFFURE. En ce sens, un commandement de payer a donc été délivré à la preneuse le 26 décembre 2022. Toutefois, aucune régularisation n’aurait été effectuée par la société preneuse dans le délai d’un mois. De même, un commandement d’avoir à justifier d'une assurance contre les risques a été signifié le même jour à destination de la société ALPHA COIFFURE. Là encore, aucune justification n’aurait été retournée à la commune de [Localité 3] dans le délai prévu. Dès lors, la clause résolutoire se trouverait acquise depuis le 27 janvier 2023, en vertu de l’article XI du bail commercial. Or, le locataire qui se maintient dans les lieux est occupant sans droit ni titre. La commune de [Localité 3] sollicite alors l’expulsion de la société preneuse des locaux.
En outre, la société ALPHA COIFFURE serait débitrice de 13.444,40€ suivant décompte du 22 septembre 2022, au titre des loyers et charges. La commune de [Localité 3] considère qu'il y lieu de faire également application des clauses pénales comprises au sein du contrat de bail commercial la liant à la société ALPHA COIFFURE.
Enfin, elle fait valoir que le refus pour le preneur de quitter les lieux au jour de la résiliation l’oblige au profit du bailleur au paiement d’une indemnité d’occupation, qu'elle évalue en l’espèce à 1.570,00 € par mois à compter du 27 janvier 2023. Au surplus, la société ALPHA COIFFURE devrait être condamnée à verser la somme de 2.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’au règlement des entiers dépens.
Il est expressément renvoyé à ces conclusions pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
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La société ALPHA COIFFURE a constitué avocat mais n'a jamais conclu.
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L’affaire a été clôturée par ordonnance du 09 novembre 2023 et fixée à l’audience de plaidoiries (juge unique) du 07 février 2024.
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La société ALPHA COIFFURE a transmis le 07 février 2024 à 12h51 une demande de renvoi de l'audience fixée ce même jour à 14h00. Au regard de sa constitution le 02 juin 2023, soit antérieurement à l'audience d'orientation qui s'est tenue le 06 juin 2023, et de l'absence de toute notification de conclusions malgré les deux renvois ordonnés à cette fin, il n’a pas été fait droit à cette demande.
L’affaire a été plaidée le 07 février 2024 et le délibéré a été fixé au 24 avril 2024.
MOTIVATION
1/ Sur l’acquisition de la clause résolutoire au titre des loyers impayés
Selon les dispositions de l’article L.145-41 du Code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit à peine de nullité mentionner ce délai.
En l’espèce, le contrat de bail commercial conclu entre les consorts [C] et Monsieur [F] prévoit bien en son sein un article XI intitulé « clause résolutoire » qui stipule « à défaut d’exécution parfaite par le preneur de l’une quelconque, si minime soit-elle, de ses obligations issues du présent contrat, ce contrat est résilié de plein droit, si bon semble au bailleur, un mois après l’émission d’un commandement d’exécuter ou de payer, resté infructueux, reproduisant cette clause avec volonté d’en user, sans qu’il soit besoin d’autre formalité ».
Le commandement de payer signifié le 26 décembre 2022 par la commune de [Localité 3] à la société ALPHA COIFFURE mentionne expressément le délai d’un mois de même qu’il reprend l’ensemble de la clause résolutoire figurant au sein du bail commercial.
Cependant, outre le fait que ce commandement de payer vise un bail à effet du « 1er jullet 2022 », en lieu et place du 1er juillet 2002, le décompte figurant à celui-ci regroupe sous une même catégorie des actes ne relevant pas du même exercice comptable. Ainsi, dans la première catégorie du décompte, intitulée « Total 2021 – T-1673 » figure un montant de 1.427,34 euros sur la ligne « Loyer 01/04/2021-30/04/2021 » tandis que les lignes suivantes sont respectivement « Lettre de relance standard » du 17/05/2021, « Phase comminatoire facultative » du 29/06/2021, « SATD bancaire » du 21/02/2022 et « SATD bancaire » du 21/04/2022. Aucune somme n'apparaît face à ces objets, seulement le rappel répété dans une colonne « Reste dû » de la somme de 1.427,34 euros apparaissant sur la première ligne. Il s'en déduit que seraient ainsi rattachés au loyer du mois d'avril 2021 des frais de l'exercice 2022. Le rattachement d'objets relevant d'exercices comptables distincts se retrouve également au titre des catégories « Total 2021 - T2831 », « Total 2021-T5746 » et « Total 2021 – T-8018 ».
De même, des objets datés d'un seul et même mois sont rattachés aux termes du décompte à différentes catégories. Le même objet « SATD bancaire » du 21/04/2022 n°2022-7961695135 se retrouve ainsi rattaché au « Total 2021-T-2831 » apparaissant porté sur le loyer dû au titre du mois de juin 2021, au « Total 2021 - T-5746 » relatif au loyer dû au titre du mois d'octobre 2021 et au « Total 2021-T-808 » relatif au loyer dû au titre du mois de novembre 2021.
De surcroît, si le décompte figurant en première page du commandement est lisible, il n'en est pas de même de la suite de celui-ci figurant en deuxième et en troisième page. Seuls les montants figurant aux lignes « Total » sont déchiffrables.
En outre, ce décompte ne permet pas d'avoir une vision exacte et complète des mouvements opérés au cours de la période étudiée puisque n'y figurent que les sommes appelées au titre des mois d'avril 2021, juin 2021, septembre 2021, octobre 2021, novembre 2021, mai 2022, juillet 2022, août 2022, septembre 2022 et octobre 2022.
Enfin, ledit décompte ne permet pas de distinguer le loyer des charges au travers des sommes qui y figurent.
Il se déduit de ces éléments que ce commandement n'est ni suffisamment clair ni suffisamment précis et détaillé pour permettre à la société ALPHA COIFFURE d'identifier et de vérifier ses causes au regard notamment de la nature des sommes réclamées au titre de ces soldes globaux, des échéances qu'elles concernent et des paiements effectués.
Dans ces conditions, en ce qu'il ne permet pas à la société preneuse de régulariser sa situation locative et d'écarter ainsi le jeu de la clause résolutoire, le commandement sera déclaré nul et de nul effet. La commune de [Localité 3] sera en conséquence déboutée de ses demandes d'acquisition de la clause résolutoire, d'expulsion de la société ALPHA COIFFURE, de versement d'une indemnité d'occupation et de conservation du dépôt de garantie fondées sur ce commandement au titre des loyers impayés.
2/ Sur l’acquisition de la clause résolutoire au titre de l'absence de transmission de l'attestation d'assurance
Le 26 décembre 2022, la commune de [Localité 3] a fait également signifier à la société ALPHA COIFFURE un commandement de produire l’attestation d’assurance « contre les risques ». Cet acte comprenait pareillement la reproduction de la clause résolutoire insérée au contrat de bail commercial et reprenait valablement le délai d’un mois pour régulariser la situation.
En l'espèce, le bail à effet du 1er juillet 2002 mentionne en son article IX CHARGES ET CONDITIONS, paragraphe G « Le preneur devra justifier de l'ensemble de ses contrats ou des notes de couverture dans le mois de son entrée en jouissance ».
Or, la commune de [Localité 3] ne démontre pas que la société ALPHA COIFFURE a manqué à cette obligation et n'a pas transmis aux consorts [C] d'attestation d'assurance dans le mois de son entrée dans les locaux, le 1er juillet 2002. Cette communication étant la seule prévue au contrat de bail en matière d'assurance, il ne peut être considéré en l'état des éléments transmis que le commandement signifié le 26 décembre 2022 puisse valablement faire jouer la clause résolutoire insérée audit bail.
En conséquence, la commune de [Localité 3] sera déboutée de ses demandes d'acquisition de la clause résolutoire, d'expulsion de la société ALPHA COIFFURE, de versement d'une indemnité d'occupation et de conservation du dépôt de garantie fondées sur ce commandement au titre de l’attestation d’assurance.
3/ Sur les montants dus par la société ALPHA COIFFURE au titre des loyers et charges impayés
Le décompte signifié à la société ALPHA COIFFURE dans le cadre du commandement de payer du 26 décembre 2022, identique à celui qui lui a été adressé le 22 septembre 2022 par la commune de [Localité 3], étant, comme il a été développé ci-avant, ni clair ni précis, il ne peut valablement fondé une demande de paiement d'un arriéré de loyers et de charges.
Il y a donc lieu de débouter la commune de [Localité 3] de sa demande de condamnation de la société ALPHA COIFFURE au paiement d'un tel arriéré.
4/ Sur les demandes accessoires
Partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, la commune de [Localité 3] sera condamnée aux entiers dépens, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, et sera déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’exécution provisoire est de droit et n’a pas lieu en l’espèce d’être écartée.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
DECLARE nuls et de nul effet les commandements de payer du 26 décembre 2022 ;
DEBOUTE la commune de [Localité 3], représentée par son maire exercice, de ses demandes d'acquisition de la clause résolutoire et des demandes en découlant d'expulsion des locaux, de paiement d'une indemnité d'occupation et de conservation du dépôt de garantie ;
DEBOUTE la commune de [Localité 3], représentée par son maire exercice, de sa demande de paiement au titre des loyers et charges impayées ;
DEBOUTE la commune de [Localité 3], représentée par son maire en exercice, de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la commune de [Localité 3], représentée par son maire en exercice, aux entiers dépens, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit.
Fait au Palais de Justice, le 24 avril 2024
La minute de la présente décision a été signée par Madame Charlotte THINAT, Présidente, assistée de Madame Zahra AIT, greffière.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
Madame AIT Madame THINAT