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14/03/2024 | FRANCE | N°21/08847

France | France, Tribunal judiciaire de Bobigny, Chambre 5/section 2, 14 mars 2024, 21/08847


TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY


JUGEMENT CONTENTIEUX DU 14 MARS 2024

Chambre 5/Section 2
AFFAIRE: N° RG 21/08847 - N° Portalis DB3S-W-B7F-VOG2
N° de MINUTE : 24/00401

DEMANDEURS

Madame [J] [X]
[Adresse 3]
[Localité 11]
représentée par Me Marie-christine CHASTANT MORAND, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0072
Mutuelle MACIF
[Adresse 4]
[Localité 12]
représentée par Me Marie-christine CHASTANT MORAND, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0072

C/

DEFENDEURS

Monsieur [G] [R]
[Adresse 8]
[Lo

calité 1]
représenté par Me Sarah IDRISSI-TAGHKI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire :

S.A. ASSURANCES DU CREDIT MUTUEL
[Adresse 5]
[...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 14 MARS 2024

Chambre 5/Section 2
AFFAIRE: N° RG 21/08847 - N° Portalis DB3S-W-B7F-VOG2
N° de MINUTE : 24/00401

DEMANDEURS

Madame [J] [X]
[Adresse 3]
[Localité 11]
représentée par Me Marie-christine CHASTANT MORAND, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0072
Mutuelle MACIF
[Adresse 4]
[Localité 12]
représentée par Me Marie-christine CHASTANT MORAND, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0072

C/

DEFENDEURS

Monsieur [G] [R]
[Adresse 8]
[Localité 1]
représenté par Me Sarah IDRISSI-TAGHKI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire :

S.A. ASSURANCES DU CREDIT MUTUEL
[Adresse 5]
[Localité 9]
représentée par Me Catherine KLINGLER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L 192

SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES DE L’IMMEUBLE SIS [Adresse 7], représenté par son syndic en exercice, le cabinet AJOA
[Adresse 2]
[Localité 13]
représentée par Me Denis BARGEAU, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1313

Compagnie d’assurance AREAS ASSURANCES
[Adresse 6]
[Localité 10]
représentée par Maître Xavier FRERING de la SELARL CAUSIDICOR, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : J133

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Mechtilde CARLIER, Juge, statuant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l article 812 du code de procédure civile, assistée aux débats de Madame Zahra AIT, greffier.

DÉBATS

Audience publique du 18 Janvier 2024.

JUGEMENT

Rendu publiquement, par mise au disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Madame Mechtilde CARLIER, Juge, assistée de Madame Zahra AIT, greffier.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [X] est propriétaire d'un appartement au sein d’un immeuble situé [Adresse 7] (93). Le 18 juillet 2016, elle a déclaré un dégât des eaux à sa compagnie d'assurances la MACIF.

Par ordonnance du 15 septembre 2017, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny a ordonné une expertise aux fins de déterminer les causes des désordres allégués par Mme [X], de déterminer les responsabilités encourues, d’évaluer les préjudices et de disposer de l’avis de l’expert sur les travaux préconisés.

Par exploits des 17 août, 18 août, 25 août et 7 septembre 2021, Mme [X] et la MACIF ont assigné la société anonyme Assurances Crédit Mutuel Iard, la compagnie Areas Assurances, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 7]) (le syndicat des copropriétaires) ainsi que M. [G] [R] devant le tribunal judiciaire de Bobigny, au visa de l’article 1242 du code civil, aux fins de voir juger M. [R] responsable des préjudices subis par la demanderesse et de le voir condamner à réparer les préjudices de Mme [X] et de la MACIF.

Aux termes de leurs conclusions signifiées par voie électronique le 7 septembre 2023, Mme [X] et la MACIF demandent au tribunal de :

“JUGER que l’origine des désordres de l’appartement de Madame [X] est en provenance des appartements appartenant à Monsieur [R]
En conséquence,
JUGER que Monsieur [R] est responsable des préjudices subis par Madame [X].
En conséquence
CONDAMNER Monsieur [R] et son assureur, la Compagnie ASSURANCES CREDIT MUTUEL solidairement à payer à Madame [X] les sommes suivantes :
Au titre du préjudice matériel : 152 395,91 € Au titre du préjudice de jouissance : 62 076€ Au titre du préjudice moral : 10 000,00 €
Les CONDAMNER à payer à la MACIF la somme totale de : 11.788,92 €.
ORDONNER l’exécution provisoire de la décision à intervenir

CONDAMNER Monsieur [R] et la Compagnie ASSURANCES CREDIT MUTUEL au paiement d’une somme de 3.500 € au titre de l’article 700 du CPC, ainsi qu’aux entiers dépens.”

Mme [X] et la MACIF se fondent sur l’article 1240 du code civil et retiennent que l’expert judiciaire a conclu à l’existence d’une faute de la part de M. [R] en raison d’un défaut d’étanchéité des planchers des appartements appartenant à M. [R] et situé au-dessus de l’appartement de Mme [X]. Mme [X] ajoute qu’elle n’avait pas à engager de travaux de nature à limiter les dommages liés aux infiltrations qu’elle subissait et que c’était bien à M. [R] de diligenter les travaux nécessaires et d’entretenir ses appartements. Quant aux préjudices qu’elle subit, Mme [X] se fonde sur les évaluations opérées par le cabinet Eurexo sur le préjudice matériel. Elle ajoute des travaux de réfection des planchers hauts ainsi que la reconstitution de cloisons à raison des dégâts causés récemment. Elle ajoute subir un préjudice de jouissance à raison de la perte des revenus locatifs qu’elle en attendait outre un préjudice moral lié au comportement de M. [R] dans le cadre de la procédure d’expertise. Le préjudice de la MACIF correspond aux sommes que la compagnie a versées à Mme [X]. Mme [X] et la MACIF demandent à ce que M. [R] et la compagnie Assurances Crédit Mutuel, en sa qualité d’assureur de M. [R], soient condamnés solidairement.

Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 18 avril 2022, M. [R] demande au tribunal, au visa des articles 1240 et 1241 du code civil, de :

“CONSTATER que l’origine des fuites ne résultent pas d’un défaut d’entretien
CONSTATER que Monsieur [R] n’a commis aucun fait générateur ni aucune négligence ayant conduit à la survenance du dommage subi par Madame [X],
CONSTATER que Madame [X] a aggravé le dommage par son inertie,
CONSTATER que le chiffrage du préjudice matériel de Madame [X] est disproportionné et constituerait s’il lui ait fait droit un enrichissement injustifié,
DEBOUTER Madame [X] de sa demande de versement de 39 056,76 € au titre du préjudice matériel,
DEBOUTER Madame [X] de sa demande de versement de 33 168 € au titre du préjudice de jouissance,
PROCEDER à un nouveau calcul des préjudices subis par les parties plus raisonnables,
Si par extraordinaire le Tribunal de céans retient la responsabilité de Monsieur [R] concernant les dommages subis par Madame [X], ou toute personne physique ou morale affecté par le sinistre,
CONDAMNER la société d’assurance Assurances Crédit Mutuel IARD à indemniser la totalité des préjudices subis par elles,
CONDAMNER la société d’assurance Assurances Crédit Mutuel IARD à prendre en charge l’entièreté des frais liée à la réfection des lieux estimés par l’expert,
CONDAMNER toute partie succombante à verser à Monsieur [R] 2 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.”

Au visa des articles 1240 et 1241 du code civil, M. [R] soutient n’avoir commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité. Il se dit propriétaire et agent immobilier profane en matière de travaux d’étanchéité et précise avoir fait diligenter des travaux entre 2014 et 2017. Il ajoute que Mme [X] a participé à aggraver son dommage en faisant preuve d’inertie de sorte que le préjudice qu’elle allègue est déraisonnable. M. [R] ajoute qu’en vertu du principe de la réparation intégrale du préjudice, des travaux de rénovation d’ampleur auraient pour conséquence d’enrichir Mme [X] compte tenu de l’état de vétusté de l’appartement avant le sinistre. M. [R] conteste en outre le principe d’un préjudice de jouissance et du préjudice moral. Quant aux garanties assurantielles, M. [R] précise que la société Assurances Crédit Mutuel à l’obligation de garantir le sinistre au titre de la garantie dégât des eaux qu’il a souscrite.

Les moyens de la société Assurances Crédit Mutuel ne sont pas fondés : il ignorait l’origine de la fuite laquelle n’était pas due à un défaut d’entretien, il n’a commis aucune faute dolosive, y compris dans la conduite de la présente procédure et il démontre avoir diligenté les travaux de réparation nécessaires à mettre un terme au sinistre dès qu’il a eu connaissance des causes des désordres.

Aux termes de ses conclusions régularisées par voie électronique le 8 juin 2022, la société Assurances du Crédit Mutuel demande au tribunal, au visa des articles 16 et 803 du code de procédure civile, L. 113-1 du code des assurances, de :

“- S’estimer non saisi par les conclusions et demandes d’AREAS et de monsieur [G] [R] en raison de leur formulation
- débouter dans tous les cas monsieur [G] [R] et madame [X] de leurs demandes (éventuelles ou formulées) contre Assurances Crédit Mutuel en raison de l’absence de garantie
- rejeter comme irrecevables les demandes éventuelles d’AREAS contre les Assurances Crédit Mutuel comme irrecevables pour ne pas avoir été précédées de la procédure dite d’escalade et d’arbitrage
-rejeter les éventuelles demandes de la MACIF contre les Assurances Crédit Mutuel comme irrecevables pour ne pas avoir été précédées de la procédure dite d’escalade et d’arbitrage
- condamner monsieur [R] aux dépens ainsi qu’à payer aux Assurances Crédit Mutuel une somme de 4000EUR au titre de l’art.700CPC”

Au soutien de ses prétentions, la société Assurances Crédit Mutuel relève que les demandes visant à “dire et juger” ne saisissent pas le tribunal de sorte que les demandes de condamnations de Mme [X] et de la MACIF ainsi que les demandes de la société Aréas et de M. [R] qui ne constituent pas de véritables prétentions sont irrecevables. La société Assurances Crédit Mutuel ajoute que les demandes de M. [R] à son encontre doivent être rejetées compte tenu du refus de garantie qui lui a été opposé à raison d’une faute dolosive de l’assurée (article L. 113-1 du code des assurances). Les demandes des autres assureurs à son encontre sont également irrecevables en vertu de la convention CIDE-COP qui oblige les assureurs à mettre en œuvre une procédure d’arbitrage avant toute procédure judiciaire à peine d’irrecevabilité de celle-ci. Enfin, la société Assurances Crédit Mutuel estime que le préjudice moral de Mme [X] doit être exclu de la prise en charge de l’assureur car l’assurance ne prend en charge que les dommages matériels ou les dommages immatériels limités aux frais engagés à la suite du sinistre. Enfin, la société Assurances Crédit Mutuel retient que les frais de réparation allégués par M. [R] sont exclus de la garantie car l’assurance de responsabilité n’a vocation qu’à prendre en charge les conséquences d’un sinistre et non les frais afférents aux remèdes et réparations à apporter aux causes du sinistre.

Aux termes de conclusions signifiées par voie électronique le 17 juillet 2022, le syndicat des copropriétaires demande au tribunal, au visa de l’article 802 du code de procédure civile, de :

“Prononcer la révocation de l’ordonnance de clôture intervenue le 23 Novembre 2021 et renvoyer les parties à une audience de mise en état,
Dire Monsieur [R] [M] est seul responsable des désordres survenus et des préjudices afférents
Dire n’y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de la décision à intervenir
Condamner Monsieur [R] à payer au Syndicat des Copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 7], la somme de 2.500 Euros par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
Condamner Monsieur [R] aux entiers dépens”

Le syndicat des copropriétaires se fonde sur les conclusions de l’expert judiciaire pour solliciter la condamnation de M. [R] exclusivement compte tenu de la non-conformité avérée des installations situées dans les appartements de ce dernier. Le syndicat des copropriétaires sollicite de ne faire l’objet d’aucune condamnation dans la mesure où aucune demande n’est formée contre lui.

La clôture a été prononcée le 14 septembre 2022 et l’affaire a été évoquée le 23 novembre 2022 et mise en délibéré au 2 février 2023.

Par jugement du 2 février 2023, le tribunal a ordonné la réouverture des débats et le rabat de la clôture pour permettre aux sociétés Areas Assurances et Areas Dommages de régulariser la procédure.

Par conclusions d’intervention volontaire régularisées par voie électronique le 9 mai 2023, la société d’assurances mutuelles Areas Dommages (la société Aréas), assureur du syndicat des copropriétaires demande au tribunal de :

« Recevoir l’intervention volontaire d’AREAS DOMMAGES
* Mettre hors de cause AREAS ASSURANCES
* Condamner Monsieur [R] à indemniser Madame [X] pour l’ensemble de ses dommages
* Condamner les ASSURANCES DU CREDIT MUTUELLE à garantir Monsieur [R] pour l’ensemble des condamnations prononcées à son encontre
* Rejeter toute demande dirigée contre AREAS DOMMAGES, voire contre AREAS ASSURANCES
* Condamner Madame [X] et à défaut tout succombant à 4500 €, au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL CAUSIDICOR, en application de l’article 699 du même Code »

La société Aréas se fonde sur la théorie des troubles anormaux de voisinage issue de l’article 544 du code civil pour retenir la responsabilité de M. [R]. La société Aréas rappelle que la société Assurances Crédit Mutuel doit garantir le sinistre au titre du risque dégât des eaux. La société Aréas demande à ce que soient écartées les demandes de condamnation portées contre elle par la société Assurances Crédit Mutuel.

La clôture a été prononcée le 22 septembre 2023 par ordonnance du même jour.

L’affaire a été plaidée à l’audience du 18 janvier 2024 et mise en délibéré au 14 mars 2024.

M. [R] a été invité à déposer son dossier de plaidoiries sous huitaine mais n’a pas déféré à cette demande.

MOTIFS

A titre liminaire, il est rappelé qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes de « dire/juger/constater » qui ne constituent pas des prétentions susceptibles d’entraîner des conséquences juridiques au sens de l’article 4 du code de procédure civile, mais uniquement la reprise des moyens développés dans le corps des conclusions et qui ne doivent pas, à ce titre, figurer dans le dispositif des écritures des parties.

1* Sur la demande de révocation de l’ordonnance de clôture du 23 novembre 2021

L’ordonnance de clôture du 23 novembre 2021 a été révoquée par jugement du 8 février 2022 mais le syndicat des copropriétaires n’a pas modifié ses conclusions et a maintenu sa demande de révocation de l’ordonnance de clôture précitée. Au vu du jugement du 8 février 2022, il convient de débouter le syndicat des copropriétaires.

2* Sur les responsabilités

En vertu des articles 1240 et suivants et 544 du code civil nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage.

Le propriétaire est responsable de plein droit des troubles anormaux de voisinage provenant de son fonds, que ceux-ci aient été causés par son fait ou par celui de personnes avec lesquelles il est lié par contrat, tels que des locataires ou entreprises.

En l'espèce, il résulte du rapport d’expertise judiciaire de M. [U] déposé le 23 novembre 2020 que :

- les désordres affectant l’appartement de Mme [X] proviennent des appartements de M. [R] situés à l’étage supérieur de l’appartement sinistré. L’expert relève de « nombreuses traces de moisissures et décollements de peinture au droit des murs et en sous-face des plafonds ». Il relève également dans la salle de bains « des plâtres qui tombent par gros morceaux laissant apparaitre la structure porteuse métallique du plancher haut de l’appartement de Mme [X] », « les solives métalliques sont gravement atteintes par la corrosion induite par les nombreuses infiltrations en provenance de l’étage supérieur ».

- les pièces humides de l’appartement appartenant à M. [R] et qui surplombent le logement de Mme [X] ne sont pas pourvues d’une étanchéité conforme aux règles de l’art et notamment aux exigences du Règlement Sanitaire Départemental qui impose aux salles d’eaux la mise en place d’une étanchéité et d’une ventilation.

Par conséquent, la responsabilité de M. [R] est engagée sur le fondement des troubles anormaux de voisinage, au titre des désordres affectant l’appartement de Mme [X] dès lors que ceux-ci trouvent leur origine dans un défaut d’étanchéité des appartements situés au-dessus du sien.

Quant au défaut de ventilation de l’appartement de Mme [X], l’expert retient que la nature et l’étendue des désordres affectant le plancher haut de l’appartement sont sans lien avec les phénomènes de condensation susceptibles de se produire en l’absence de ventilation naturelle. L’expert ajoute que les fuites récurrentes en provenance des installations litigieuses des appartements de M. [R] (pendant de nombreuses années), ont manifestement affecté les structures porteuses du plancher haut du logement de Mme [X], ce qui ne peut être le cas d’une mauvaise ventilation dont les conséquences sont limitées à l’apparition d’une condensation sur les fenêtres ou à proximité de celles-ci. Ainsi, l’expert a mis en évidence que l’absence de ventilation, fût-elle génératrice de condensation excessive, est sans lien avec le dégât des eaux.

Dès lors, ces désordres d'infiltrations constituent un trouble anormal de voisinage.

3* Sur les préjudices

Aux termes de l’article 1240 du code civil, le principe de la réparation intégrale du préjudice implique que la réparation d’un dommage ne peut excéder le montant du préjudice ni lui être inférieur.

L'indemnisation d'un préjudice doit avoir pour effet de replacer les parties dans la même situation que celle qui aurait existé si le fait dommageable ne s'était pas produit, sans enrichissement ni appauvrissement.

3.1. Sur le préjudice matériel de Mme [X]

Dans son rapport d’expertise judiciaire, M. [U] souligne que l’appartement de Mme [X] a été affecté par le dégât des eaux : dans la salle de bains, les plâtres tombent du plafond laissant apparaitre la structure porteuse du plancher haut de l’appartement ; les solives sont atteintes par la corrosion et sont structurellement dégradées. L’expert préconise la dépose de l’ensemble du plancher affecté par les désordres, s’agissant d’une corrosion des aciers.

Mme [X] estime que son préjudice matériel doit intégrer les frais de réfection du plancher suivant devis soumis à l’expert judiciaire pour un montant de 95.696,24 euros. Elle ajoute les frais de rénovation de son appartement pour un montant de 27.100 euros TTC incluant la réparation des murs et du plafond, la rénovation de l’installation électrique, la rénovation du coin cuisine et de la chambre ainsi que la rénovation de la salle de bains. Mme [X] sollicite également l’octroi de 12.422,56 euros pour les équipements de la cuisine étant précisé que ces deux derniers postes de préjudice n’ont pas été soumis à l’expert judiciaire et n’ont pas été établis contradictoirement dans le cadre de l’expertise.

M. [R], qui conteste le quantum des demandes de Mme [X] ne produit aucun élément de nature à amoindrir le montant des demandes de Mme [X].

Il ressort néanmoins des éléments du dossier que les désordres causés chez Mme [X] et établis contradictoirement aux termes du rapport d’expertise se limitent à des dégâts apparents sur les murs et le plafond de la salle de bains.

Il n’est pas établi que les dégâts des eaux auraient provoqué des dommages au sein de la cuisine de Mme [X], étant au demeurant souligné qu’aucun plan de l’appartement n’est produit, ni que les dégâts des eaux auraient affecté l’électricité de l’appartement de Mme [X] ou l’ensemble des cloisons et murs des pièces de l’appartement. Ainsi, Mme [X] ne rapporte pas la preuve d’un lien de causalité entre ces désordres et les fuites d’eaux.

Aux termes du devis de la société Renovationbat, la prestation liée à la rénovation de la salle de bain s’élève à 7.000 euros TTC incluant le changement de baignoire, lavabo, WC, meuble vasque et la rénovation des murs et plafond sans détailler les coûts afférents à chacun des éléments précités ce qui ne permet pas de connaitre le coût afférent à la rénovation des murs et plafond de la salle de bain.

Quant au plancher bas de l’appartement de M. [R], aucune demande d’injonction de faire les travaux de remplacement n’est formée ni par Mme [X], ni par le syndicat des copropriétaires. M. [U] estime que les travaux opérés par M. [R] en cours d’instance peuvent avoir permis d’étanchéifier les sols de sorte qu’il a été mis fin aux causes du sinistre. Les travaux de dépose et de changement de plancher ne correspondent pas à une indemnisation du préjudice de Mme [X] lequel est réparé par les travaux de réfection proposés par le devis de la société Renovationbat.

Par conséquent, le préjudice matériel de Mme [X], qui se limite au vu des pièces produites, à la réfection des murs et du plafond de la salle de bains de l’appartement selon devis de la société Renovationbat sera évalué à la somme de 3.500 euros.

M. [R] sera condamné à verser cette somme à Mme [X].

3.2. Sur le préjudice de jouissance [X]

L’expert judiciaire retient que l’évaluation du préjudice de jouissance de Mme [X] est établie en raison de l’impossibilité pour elle de louer son bien. L’expert estime que l’évaluation faite par Mme [X] est documentée et qu’il résulte d’un calcul cohérent basé sur un loyer passé de 600 euros en 2016 à 720 euros en 2020 soit un total de 33.168 euros.

Toutefois, il n’est pas établi que l’appartement serait toujours inoccupé et qu’il ne serait pas susceptible d’être loué ou habité. Aucun élément ne vient corroborer l’impossibilité de faire usage du logement. L’expert judiciaire retient dans son rapport que les infiltrations ont disparu au cours de l’expertise en raison des travaux réalisés par M. [R]. Il n’est pas établi que de nouveaux dégâts des eaux seraient apparus postérieurement à l’expertise.

Par conséquent, il convient d’indemniser le préjudice de jouissance de Mme [X] pour la période de 2016 à 2020, durée pendant laquelle l’expert judiciaire a estimé, au regard de l’état de l’appartement et de ses visites sur site, que le montant de l’indemnisation sollicité était cohérent et documenté.

M. [R] sera condamné à verser à Mme [X] la somme de 33.168 euros au titre du préjudice de jouissance.

3.3. Sur le préjudice moral [X]

Il ressort des éléments du dossier que M. [R] a fait obstruction à la bonne tenue de l’expertise judiciaire en ne permettant pas à l’expert de réaliser son travail. Mme [X] et l’expert judiciaire ont été contraints de saisir le juge chargé du contrôle des expertises à plusieurs reprises. Pendant ce temps, Mme [X] devait subir les difficultés liées aux tracas afférents à son appartement. Il en résulte un préjudice moral qui sera réparé par l’octroi de 2.000 euros de dommages-intérêts.

M. [R] sera condamné à verser à Mme [X] la somme de 2.000 euros au titre de son préjudice moral.

3.4. Sur le préjudice de la MACIF

Les montants des sommes réglées par la MACIF à Mme [X] ne sont contestés par aucune des parties de sorte qu’il sera fait droit à sa demande de condamnation de M. [R] et de la société Assurances Crédit Mutuel au paiement de 11.788,92 euros.

4* Sur les garanties assurantielles

4.1. Sur la garantie de la société Aréas Dommages

Le syndicat des copropriétaires n’ayant pas fait l’objet d’une condamnation, la garantie de la société Aréas Dommages ne sera pas mobilisée. Quant à la mise hors de cause de la société Aréas Assurances, force est de constater au vu des conclusions produites que celle-ci est dépourvue de personnalité juridique et n’a donc pas d’existence juridique de sorte qu’elle ne peut ni être condamnée ni être mise hors de cause. La demande sera rejetée.

4.2. Sur la garantie de la compagnie Assurances Crédit Mutuel

* Sur la formulation des demandes de la compagnie Areas et de M. [R]

Dans ses dernières conclusions, la compagnie Areas Dommages forme des demandes de condamnation de la compagnie Assurances Crédit Mutuel à garantir M. [R] de toute condamnation. Cette formulation est compréhensible et conforme aux dispositions du code de procédure civile. La demande de rejet de la compagnie Assurances Crédit Mutuel sera rejetée.

Dans ses dernières conclusions, M. [R] demande la condamnation de la société Assurances Crédit Mutuel à indemniser les préjudices subis par Mme [X] et par toute personne affectée par le sinistre. La demande est compréhensible et exprimée dans les formes requises, l’irrecevabilité sera écartée.

* Sur la mobilisation de la garantie

Selon l’article L. 113-1 du code des assurances, les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police. Toutefois, l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré.

En vertu de ce texte, la faute dolosive s'entend d'un acte délibéré de l'assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables.

En l’espèce, il n’est pas établi que le fait pour M. [R] de faire obstruction au déroulement de l’expertise ni que les travaux réalisés en cours d’expertise auraient aggravé les dégâts et leurs conséquences. Il n’est pas non plus établi que M. [R] avait connaissance du caractère non étanche des sols des appartements et qu’il aurait délibérément mis en location lesdits appartements en sachant que des fuites provoqueraient les désordres constatés chez Mme [X].

Ainsi, aucune faute dolosive de M. [R] n’est caractérisée et la garantie de la société Assurances Crédit Mutuel sera mobilisée.

* Sur la recevabilité des demandes de la compagnie Aréas Dommages et de la MACIF

Selon l’article 12 du code de procédure civile, Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

Selon l’article 1448 du code de procédure civile, lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable.

L’article 789 du code de procédure civile prévoit que lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les exceptions de procédure.

L’obligation contractuelle d’avoir à recourir à une procédure d’arbitrage préalablement à une instance judiciaire constitue une exception de procédure et non une fin de non-recevoir. Ces questions relèvent l’une comme l’autre de la compétence exclusive du juge de la mise en état.

En l’espèce, la convention d’arbitrage CIDE COP prévoit que « quand un litige surgit à l’occasion de l’application de la convention, un accord amiable doit toujours être recherché dans le cadre de la procédure d’escalade. En cas d’échec, le litige relève obligatoirement d’une commission d’arbitrage ».

Selon cette convention, il appartient aux assureurs signataires d’avoir recours à une recherche d’accord amiable puis à un arbitrage devant une commission dédiée.

Toutefois, faute d’avoir été soumise au juge de la mise en état avant la clôture de l’instruction, la demande désignée ainsi à tort d’irrecevabilité mais consistant en réalité en une demande d’incompétence, n’est plus recevable devant le tribunal.

* Sur l’exclusion du préjudice moral de Mme [X] de la garantie de la société Assurances Crédit Mutuel

En vertu de l’article 1382 du code civil applicable au contrat d’assurance Assurances Crédit Mutuel souscrits en avril 2014, les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

En l’espèce, les conditions générales du contrat d’assurance bailleur prévoient à l’article « 27.5 – Recours des voisins et des tiers » que « au titre de la garantie de l’habitation assurée par le présent contrat, vous bénéficiez de la garantie du recours des voisins et des tiers pour les dégâts des eaux. Nous garantissons alors les conséquences financières de la responsabilité que vous pouvez encourir à l’égard des voisins et des tiers pour les dommages matériels et immatériels résultant d’un événement garanti, survenus dans les locaux assurés par le présent contrat et dont vous êtes propriétaire. Cette garantie s’exerce en vertu des articles 1382, 1383 et 1384 du code civil et s’étend à la perte d’usage des locaux dont pourraient être victimes les voisins et les tiers. »

Cet article est applicable aux appartements de M. [R] selon les conditions particulières et établit l’obligation pour la société Assurances Crédit Mutuel de mobiliser sa garantie.

Faute de justifier de l’exclusion invoquée, la société Assurances Crédit Mutuel sera déboutée de sa demande de refus de prise en charge des frais y afférents.

Quant à la « réfection des lieux », le tribunal n’ayant pas procédé à une condamnation au titre d’une remise en état des planchers mais seulement une rénovation de l’appartement de Mme [X] des suites des conséquences des dégâts des eaux, la demande d’exclusion sera écartée.

Pour l’ensemble de ces raisons, la société Assurances Crédit Mutuel sera condamnée in solidum avec M. [R] aux paiements des condamnations prononcées au titre des préjudices subis par Mme [X] et la MACIF.

5* Sur les autres demandes

5.1. Sur les dépens

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

En application de l’article 699 du code de procédure civile, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision.

En application de l’article 695, 4° du même code, les honoraires de l’expert judiciaire sont compris dans les dépens.

En l’espèce, les dépens seront mis à la charge de M. [R] et de la société Assurances Crédit Mutuel succombant à l’instance.

Autorisation sera donnée à ceux des avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre de recouvrer directement ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision.

5.2. Sur les frais irrépétibles

En application de l’article 700 du code de procédure civile, le tribunal condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l’autre la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Par principe, le tribunal alloue à ce titre une somme correspondant aux frais réellement engagés, à partir des justificatifs produits par les parties, ou, en l’absence de justificatif, à partir des données objectives du litige (nombre de parties, durée de la procédure, nombre d’écritures échangées, complexité de l’affaire, incidents de mise en état, mesure d’instruction, etc.).

Par exception et de manière discrétionnaire, le tribunal peut, considération prise de l’équité ou de la situation économique des parties, allouer une somme moindre, voire dire qu’il n’y a lieu à condamnation.

En l’espèce, M. [R] et la société Assurances Crédit Mutuel seront condamnés in solidum à payer à Mme [X] la somme de 2.500 euros, à la MACIF, la somme de 1.000 euros, au syndicat des copropriétaires la somme de 500 euros et à la société Aréas Dommages la somme de 500 euros.

5.3. Sur l’exécution provisoire

Il convient de rappeler qu’en application de l’article 514 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020, les décisions de première instance sont de droit exécutoire à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort :

Déboute le syndicat des copropriétaires de sa demande de révocation de l’ordonnance de clôture du 23 novembre 2021 ;

Condamne in solidum M. [R] et la société Assurances Crédit Mutuel à verser à Mme [X] la somme de 3.500 euros au titre de son préjudice matériel ;

Condamne in solidum M. [R] et la société Assurances Crédit Mutuel à verser à Mme [X] la somme de 33.168 euros au titre du préjudice de jouissance ;

Condamne in solidum M. [R] et la société Assurances Crédit Mutuel à verser à Mme [X] la somme 2.000 euros au titre de son préjudice moral ;

Condamne M. [R] et la société Assurances Crédit Mutuel à verser à la MACIF la somme de 11.788,92 euros ;

Condamne la société Assurances Crédit Mutuel à garantir M. [R] des condamnations prononcées à son encontre ;

Met les dépens à la charge de M. [R] et la société Assurances Crédit Mutuel en ce compris les frais d’expertise judiciaire de M. [U] ;

Admet les avocats qui en ont fait la demande et qui peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum M. [R] et la société Assurances Crédit Mutuel à payer à Mme [X] la somme de 2.500 euros, à la MACIF, la somme de 1.000 euros, au syndicat des copropriétaires la somme de 500 euros et à la société Aréas Dommages la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Fait au Palais de Justice, le 14 mars 2024

La minute de la présente décision a été signée par Madame Mechtilde CARLIER, Juge, assistée de Madame Zahra AIT, greffière.

LA GREFFIERE LA JUGE

Madame AIT Madame CARLIER


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Bobigny
Formation : Chambre 5/section 2
Numéro d'arrêt : 21/08847
Date de la décision : 14/03/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-03-14;21.08847 ?
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