TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY
JUGEMENT CONTENTIEUX DU 11 MARS 2024
Chambre 6/Section 5
AFFAIRE: N° RG 22/07398 - N° Portalis DB3S-W-B7G-WQCR
N° de MINUTE : 24/00157
Monsieur [V] [O]
né le 21 Février 1972 à [Localité 6]
[Adresse 3]
[Localité 7]
représenté par Me François DIZIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B 606
Madame [G] [O]
née le 03 Octobre 1972 à [Localité 8]
[Adresse 3]
[Localité 7]
représentée par Me François DIZIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B 606
DEMANDEURS
C/
La société BVJLF
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Philippe YON, AARPI 107 UNIVERSITE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P 0521
La société AVENIR MENUISERIE
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Maître Dominique DEBUT de la SELARL 3DHÉMIS, avocats au barreau de l’ESSONNE
DEFENDEURS
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Monsieur David BRACQ-ARBUS, statuant en qualité de Juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du code de procédure civile, assisté aux débats de Madame Reine TCHICAYA, Greffier.
DÉBATS
Audience publique du 08 Janvier 2024, à cette date, l’affaire été mise en délibéré au 11 Mars 2024.
JUGEMENT
Rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Monsieur David BRACQ-ARBUS, assisté de Madame Reine TCHICAYA, Greffier.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Suivant acte sous seing privé du 29 juillet 2017, M. et Mme [O] ont commandé auprès de la SAS Lapeyre la fourniture et pose d'un ensemble de volets roulants, volets battants et portail pour leur domicile situé à [Localité 7] moyennant un prix total de 13 386,88 euros TTC.
La pose des menuiseries a été sous-traitée à la SARL Avenir menuiseries.
Par courrier du 27 novembre 2017, les époux [O] ont signalé diverses réserves à la SAS Lapeyre.
Des travaux de reprise ont été entrepris et la réception a été prononcée le 3 février 2018, avec réserves.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 octobre 2018, le conseil des époux [O] a mis en demeure la SAS Lapeyre d’avoir à reprendre les désordres constatés.
A la requête de la SAS BVJLF, un procès-verbal de constat d’huissier a été dressé en présence des époux [O], de la société requérante, de la SARL Avenir menuiserie et de la société Pereira EGB (en charge de la reprise des travaux).
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 avril 2019, le conseil des époux [O] a mis en demeure la SAS Lapeyre d’avoir à reprendre les désordres constatés.
Par actes d’huissier du 6 novembre 2019, M. et Mme [O] ont fait assigner la SAS BVJLF et la SARL Avenir menuiseries devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Bobigny aux fins notamment de voir ordonner une expertise.
Suivant ordonnance du 24 janvier 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny a désigné M. [J] en qualité d’expert judiciaire, lequel a déposé son rapport le 28 avril 2021.
C’est dans ces conditions que M. et Mme [O] ont, par actes d’huissier du 16 juin 2022, fait assigner la SAS BVJLF et la SARL Avenir menuiseries devant le tribunal judiciaire de Bobigny aux fins notamment de solliciter l’indemnisation de leur préjudice.
*
Par ordonnance du 21 juin 2023, le juge de la mise en état a ordonné la clôture partielle de l’instruction à l’égard de la SARL Avenir menuiseries.
Par conclusions notifiées le 3 octobre 2023, la SARL Avenir menuiseries a sollicité la révocation de l’ordonnance de clôture partielle du 21 juin 2023.
Par ordonnance du 4 octobre 2023, le juge de la mise en état a rejeté la demande de révocation de l’ordonnance de clôture partielle du 21 juin 2023 présentée par la SARL Avenir menuiseries, ordonné la clôture de l’instruction et appelé à l’affaire à l'audience de plaidoiries du 8 janvier 2024.
Le jugement a été mis en délibéré au 11 mars 2024, date de la présente décision.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 3 août 2023, M. et Mme [O] demandent au tribunal judiciaire de Bobigny de :
- dire et juger que la SAS BVJLF et la SARL Avenir menuiseries n’ont pas exécuté les obligations qui leur incombait ;
- autoriser à leurs dépens, les époux [O] à faire reprendre les désordres constatés par l’expert, par l’entreprise de leur choix ;
- condamner in solidum la SAS BVJLF et la SARL Avenir menuiseries à payer aux époux [O] la somme de 26 850 euros hors taxes au titre de l’avance des sommes nécessaires à l’exécution des travaux à leurs dépens ;
- condamner in solidum la SAS BVJLF et la SARL Avenir menuiseries à payer aux époux [O] la somme de 5 038,80 euros au titre de la réparation du portail ;
- condamner la SAS BVJLF et la SARL Avenir menuiseries à payer aux époux [O] la somme de 10 000 euros au titre des dommages et intérêts ;
- condamner la SAS BVJLF et la SARL Avenir menuiseries à payer aux époux [O] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
*
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 mars 2023, la SAS BVJLF demande au tribunal judiciaire de Bobigny de :
- prononcer la mise hors de cause de la SAS BVJLF ;
A titre subsidiaire,
- condamner les époux [O] au paiement au profit de la société BVJLF à hauteur de 2 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC ainsi qu’en tous les dépens.
*
Pour un plus ample exposé des moyens développés par la ou les parties ayant conclu, il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Les responsabilités encourues par les intervenants à l'acte de construire au titre de ces désordres pouvant, selon leur nature, relever de garanties d'ordre public, exclusives du droit commun de la responsabilité civile, il importe également de les qualifier.
Ainsi, les désordres cachés au jour de la réception – qui incluent les désordres ayant fait l'objet d'une réserve à réception, mais qui ne se sont révélés que par la suite dans leur ampleur et leurs conséquences – peuvent relever :
- de la garantie décennale prévue par les articles 1792 et 1792-2 du code civil, laquelle couvre, d'une part, les dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination, et, d'autre part, les dommages affectant la solidité des éléments d'équipement de l'ouvrage faisant indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert ;
- de la garantie biennale prévue par l'article 1792-3 du code civil, laquelle renvoie au mauvais fonctionnement, dans les deux années suivant la réception, des autres éléments d'équipement de l'ouvrage ;
- de la responsabilité civile de droit commun sinon.
A l'inverse, les désordres apparents au jour de la réception peuvent :
- relever de la responsabilité civile de droit commun s'ils ont fait l'objet d'une réserve non levée par l'entrepreneur dans le cadre de la garantie de parfait achèvement ;
- ne relever, en eux-mêmes, d'aucune garantie ni responsabilité s'ils n'ont fait l'objet d'aucune réserve, sauf application de la garantie prévue par l'article 1642-1 du code civil, selon lequel le vendeur d'un immeuble à construire ne peut être déchargé, ni avant la réception des travaux, ni avant l'expiration d'un délai d'un mois après la prise de possession par l'acquéreur, des vices de construction ou des défauts de conformité alors apparents.
Les constructeurs concernés par des désordres relevant des garanties décennale ou biennale, et le vendeur d'immeuble à construire concerné par un désordre apparent relevant de l'article 1642-1 du code civil, engagent leur responsabilité de plein droit – autrement dit sans que soit exigée la démonstration d'une faute – à l'égard du maître de l'ouvrage ou de l'acquéreur, sauf s’ils établissent que les désordres proviennent d’une cause étrangère ou ne rentrent pas dans leur sphère d'intervention, étant précisé que la mission de chaque intervenant à l'acte de construire s'interprète strictement.
A ce titre, il convient de rappeler que, selon les articles 1646-1 et 1792-1 du même code, sont réputés constructeurs de l’ouvrage le vendeur d'immeuble à construire, ainsi que tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage.
La responsabilité civile de droit commun est applicable aux désordres et aux intervenants ne relevant pas des garanties légales, sur le fondement contractuel – à apprécier en fonction de la teneur de l'obligation en cause, qui peut être de résultat ou de moyens –, sinon sur le fondement délictuel – étant précisé que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.
Tout constructeur répond, à l’égard du maître de l’ouvrage, des fautes commises par son sous-traitant, lequel expose également sa responsabilité directe à l’égard du maître de l’ouvrage, pour faute prouvée, en application de l’article 1240 du code civil ; mais le sous-traitant n’est pas soumis aux garanties légales prévues aux articles 1792 et suivants du même code.
Conformément à l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, l’article 1353 du code civil disposant, qu’en matière contractuelle, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver, et que celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Sur les demandes dirigées contre la SAS BVJLF
En l’espèce, la SAS BVJLF conteste sa qualité de cocontractante des époux [O].
A cet égard, force est de constater qu’aucune des pièces versées au débat ne permet d’établir que les demandeurs ont contracté avec la SAS BVJLF.
En effet, les devis, le procès-verbal de réception et les courriers de mise en demeure font tous mention de la seule SAS Lapeyre.
La seule référence à la SAS BVJLF figure dans le procès-verbal de constat d’huissier qu’elle a requis.
Cet élément est cependant insuffisant à démontrer l’existence d’un lien contractuel entre les époux [O] et la SAS BVJLF, condition essentielle des régimes de la garantie décennale et de la responsabilité contractuelle de droit commun.
Il n’est pas davantage démontré que la SAS BVJLF soit le mandataire de la SAS Lapeyre.
Il s’ensuit que les époux [O] seront déboutés de leurs demandes dirigées contre la SAS BVJLF.
Sur les demandes dirigées contre la SARL Avenir menuiseries
En l’espèce, il est constant que la SARL Avenir menuiseries est intervenue en qualité de sous-traitante de la SAS Lapeyre pour la pose de volets battants, d’un portail, d’une clôture et d’une porte de garage enroulable.
Il résulte ainsi du rapport d’expertise de M. [J] que les travaux sont entachés des désordres suivants :
- Portail : piochage du mur, arrachage des fils du visiophone, trou sur le muret au-dessus du gyrophare, portail désaxé ;
- Clôture : cales non enlevées ;
- Volets battants : platines en appui sur le polystyrène de la rénovation et non sur le chevron prévu et posé exprès pour cette fonction (impossibilité d’ouvrir les volets sans détérioration du ravalement) ;
- Porte de garage : finitions à reprendre et fuite d’eau (du fait de la contrepente et de la défectuosité du joint) ;
- Porte d’entrée : bague en plastique de la poignée extérieure cassée.
Il résulte en outre du rapport que ces désordres sont le fait de l’intervention de la SARL Avenir menuiseries qui, en sa qualité de professionnelle, était tenue d’une obligation de résultat de livrer un ouvrage dépourvu de vices.
Il s’en s’ensuit qu’elle expose sa responsabilité à l’égard des époux [O] sur le fondement extracontractuel et sera condamnée à les indemniser à hauteur du chiffrage retenu par l’expert, non utilement contesté, soit la somme de 26 850 euros HT.
Il n’y a lieu d’autoriser les époux [O] à effectuer les travaux de reprise dès lors qu’ils sont libres de disposer de leur bien.
S’agissant du portail, force est de relever que l’expert a considéré qu’une réparation était possible à hauteur de la somme de 800 euros sans nécessité de changer l’intégralité du dispositif, si bien que la demande sera rejetée.
Il n’est enfin pas contestable que les multiples réclamations ayant dû être portées sur plusieurs années et la nécessité d’avoir recours à une procédure judiciaire soit source d’un préjudice moral qui sera réparé à hauteur de 1 500 euros, somme à laquelle la SARL Avenir menuiseries sera condamnée.
Sur les frais du procès et l’exécution provisoire
Sur les dépens
Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
En application de l’article 695, 4° du même code, les honoraires de l’expert judiciaire sont compris dans les dépens.
En l’espèce, les dépens seront mis à la charge de la SARL Avenir menuiseries, succombant à l’instance.
Sur les frais irrépétibles
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le tribunal condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l'autre la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Par principe, le tribunal alloue à ce titre une somme correspondant aux frais réellement engagés, à partir des justificatifs produits par les parties, ou, en l’absence de justificatif, à partir des données objectives du litige (nombre de parties, durée de la procédure, nombre d’écritures échangées, complexité de l’affaire, incidents de mise en état, mesure d’instruction, etc.).
Par exception et de manière discrétionnaire, le tribunal peut, considération prise de l’équité ou de la situation économique des parties, allouer une somme moindre, voire dire qu’il n’y a lieu à condamnation.
En l’espèce, la SARL Avenir menuiseries, condamnée aux dépens, sera condamnée à payer à M. et Mme [O] une somme qu’il est équitable de fixer à 3 000 euros.
La SAS BVJLF sera déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur l’exécution provisoire
Il convient de rappeler qu'en application de l'article 514 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.
PAR CES MOTIFS,
Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
DEBOUTE M. et Mme [O] de leurs demandes dirigées contre la SAS BVJLF ;
CONDAMNE la SARL Avenir menuiseries à payer à M. et Mme [O] la somme de 26 850 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice matériel (travaux de reprise);
DEBOUTE M. et Mme [O] de leur demande en paiement à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice matériel (réparation du portail) ;
CONDAMNE la SARL Avenir menuiseries à payer à M. et Mme [O] la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral ;
MET les dépens à la charge de la SARL Avenir menuiseries ;
CONDAMNE la SARL Avenir menuiseries à payer à M. et Mme [O] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE la SAS BVJLF de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
RAPPELLE que le présent jugement est assorti de l'exécution provisoire de droit.
La minute a été signée par Monsieur David BRACQ-ARBUS, Juge, et par Madame Reine TCHICAYA, Greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT