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04/06/2024 | FRANCE | N°22/00064

France | France, Tribunal judiciaire de Béthune, 1ère chambre civile, 04 juin 2024, 22/00064


1ère chambre civile

[Y] [O] [B]
c/
S.E.L.A.R.L. [K] [J]























copies et grosses délivrées
le

à Me CHAMBAERT (LILLE)
à Me HARENG
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BÉTHUNE

N° RG 22/00064 - N° Portalis DBZ2-W-B7F-HKBR
Minute: /2024


JUGEMENT DU 04 JUIN 2024


DEMANDEUR

Monsieur [Y] [O] [B] [D] né le 10 Avril 1966 à [Localité 10] (NIGERIA), demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Caroline CHAMBAERT, avocat au barreau de LILLE




DEFENDERESSE

S.E.L.A.R.L. [K] [J] SELARL, dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Me Christophe HARENG, avocat au barreau de BETHUNE


COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS ET DU D...

1ère chambre civile

[Y] [O] [B]
c/
S.E.L.A.R.L. [K] [J]

copies et grosses délivrées
le

à Me CHAMBAERT (LILLE)
à Me HARENG
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BÉTHUNE

N° RG 22/00064 - N° Portalis DBZ2-W-B7F-HKBR
Minute: /2024

JUGEMENT DU 04 JUIN 2024

DEMANDEUR

Monsieur [Y] [O] [B] [D] né le 10 Avril 1966 à [Localité 10] (NIGERIA), demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Caroline CHAMBAERT, avocat au barreau de LILLE

DEFENDERESSE

S.E.L.A.R.L. [K] [J] SELARL, dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Me Christophe HARENG, avocat au barreau de BETHUNE

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Présidente : LAMBERT Sabine, Vice-présidente, siègeant en Juge Unique

Assistée lors des débats de SOUPART Luc,, greffier principal.

DÉBATS:

Vu l’ordonnance de clôture en date du 21 Février 2024 fixant l’affaire à plaider au 02 Avril 2024 à l’audience de juge unique.

A la clôture des débats, l’affaire a été mise en délibéré et les parties ont été avisées que le jugement serait mis à la disposition au Greffe au 04 Juin 2024.

La décision ayant été prononcée par jugement contradictoire et en premier ressort.

EXPOSE DU LITIGE

Par acte de maitre [N] [X], notaire associé à [Localité 4] en date du 3 juin 2020, la SELARL [J] prise en la personne de son représentant légal M. [K] [J], médecin généraliste, a vendu à M. [Y] [B] [D], médecin urgentiste au sein de la Polyclinique du [9], un immeuble à usage de maison médicale situé [Adresse 3] moyennant un prix de 300.000 euros.

Dans un second acte du même jour, les parties ont convenu d’une cession du droit de présentation de patientèle au bénéfice de M. [Y] [B] [D], moyennant la somme de 30.000 euros payable en 24 mensualités successives de 1.250 euros. Cet acte prévoyait également que pendant une période de transition d’un an, renouvelable le cas échéant, il était convenu que le cédant continue ses consultations à raison de deux jours par semaine.

Par acte sous seing privé du 4 juin 2020 et avenant du 17 janvier 2021, les parties ont convenu, à l’initiative de M. [D] que dans l’attente de l’arrivée effective du cessionnaire comme médecin au sein de la maison médicale, M. [J] assurerait seul l’activité du cabinet jusqu’au 31 décembre 2020, puis jusqu’au 30 septembre 2021.

Par acte en date du 19 octobre 2021, la SELARL [K] [J] a fait signifier à M. [D] un commandement de payer aux fins de saisie-vente portant sur la somme de 5.352,05 euros, correspondant au montant des échéances non réglées au titre du contrat de cession de patientèle du 15 mai au 15 octobre 2021, avec rappel de la clause de déchéance du terme prévue au contrat.

Par acte en date du 16 décembre 2021, la SELARL [K] [J] a fait signifier à M. [D] un commandement de payer aux fins de saisie-vente portant sur une somme de 14.192,82 euros, correspondant, au titre du principal, aux échéances du contrat de cession de patientèle du 15 mai 2021 au 15 mai 2022.

Par jugement du 29 août 2022 confirmé par la cour d’appel de Douai le 8 juin 2023, le juge de l'exécution de tribunal judiciaire de Lille a notamment :
- rejeté la demande de nullité de l'assignation soulevée par la SELARL [J] ;
- ordonné aux frais de la créancière poursuivante, la mainlevée du commandement aux fins de saisie-vente du 16 décembre 2021 ;
- rejeté la demande de dommages et intérêts formée par la SELARL [J] ;
- condamné la SELARL [J] à payer à M. [D] une indemnité procédurale de 1.500 euros;
- condamné la SELARL [J] aux dépens.

Par acte d'huissier de justice en date du 3 janvier 2022, M. [Y] [B] [D] a assigné la SELARL [K] [J] devant le tribunal judiciaire de Béthune aux fins de voir celui-ci, au visa des articles 1217, 1219 et suivants du code civil :
-prononcer la résolution du contrat de cession de droit de présentation de clientèle du 3 juin 2021 pour inexécution de ses obligations par le docteur [J] de son obligation de présentation de sa clientèle au docteur [D] ;
-condamner la SELARL [K] [J] au paiement de la somme de 19.698 euros outre intérêts au taux légal à compter de la régularisation de la présente assignation jusqu’à parfait paiement ;
-condamner la SELARL [K] [J] au paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice matériel et moral du docteur [D] ;
-condamner la SELARL [K] [J] au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens ;
dire et juger que l’exécution provisoire est de plein droit par application des dispositions de l’article 514 du code de procédure civile.

M. [K] [J] a comparu.

L'instruction de la présente procédure a été confiée au juge de la mise en état qui a ordonné sa clôture le 21 février 2024 et qui a fixé l'affaire pour plaidoiries à l'audience des débats du 2 avril 2024 devant le juge unique. A l'issue des débats, le prononcé de la décision a été reporté pour plus ample délibéré au 4 juin 2024.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties à leurs dernières conclusions visées ci-après.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 décembre 2023, M. [D] demande au tribunal, vu les dispositions des articles 122 et suivants du code de procédure civile, 1217 et suivants, 1255 et suivants du code civil, de :

-dire et juger que la SELARL [K] [J] a manqué à son obligation de non réinstallation à moins de 50 kms à vol d'oiseau pendant 5 ans contenue dans le contrat du 3 juin 2020 ;
dire et juger que la SELARL [K] [J] n'a pas exécuté loyalement l’obligation de présentation de la patientèle contenue dans le contrat du 3 juin 2020 ;

en conséquence, à titre principal :
-dire et juger, compte tenu de l’exception d’inexécution, que le docteur [D] est fondé à solliciter le remboursement de la somme déjà réglée de 15.809,31 euros et en conséquence condamner la SELARL [K] [J] à payer au docteur [D] la somme de 15.809,31 euros augmentée des intérêts depuis la régularisation de l’assignation ;
-dire et juger que, compte tenu de l’exception d’inexécution, le docteur [D] n’est pas tenu au paiement du solde de 14.190,69 euros ;
subsidiairement,
-condamner la SELARL [K] [J] au paiement de la somme de 14.190,69 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la clause de non réinstallation et ordonner la compensation avec le solde des sommes dues par lui pour le paiement du solde de la créance de la SELARL [K] [J] ;
-condamner la SELARL [K] [J] au paiement de la somme de 15.809,31 euros à titre de dommages intérêts pour non-exécution de l’obligation de présentation à la patientèle outre intérêts au taux légal à compter de l’assignation jusqu’à parfait règlement ;

en tout état de cause :
-condamner la SELARL [K] [J] au paiement de la somme de de 10.000 euros dommages et intérêts au titre du préjudice moral ;
-condamner la SELARL [K] [J] au paiement des dépens outre 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre Ies dépens.

Au soutien de ses prétentions, il invoque, notamment en se référant à la motivation de l’arrêt de la cour d’appel du 8 juin 2023, l’exception d’inexécution du contrat du 3 juin 2020 pour non-respect de l'obligation de présentation de la patientèle, en ce qu’aucun patient n’a été prévenu du départ en retraite du docteur [J] et de l’arrivée du docteur [D], qui a dû procéder par affichage, lequel a été dissimulé par le docteur [J] au moyen d’une autre affiche de nature à dissuader la patientèle de consulter le nouveau médecin. Il invoque également un courriel adressé aux patients les invitant à récupérer leurs dossiers médicaux «papier» qu’il a d’ailleurs trouvés en pile mélangés au sol, le docteur [J] ayant faussement prétexté qu’ils allaient être détruits par son successeur, alors qu’il n’a jamais eu de telles intentions. Il invoque un dol du docteur [J] en l’absence d’exécution loyale de ses obligations, alors que celui-ci avait prévu de s’installer à [Localité 7] et qu’il a fait état dans la presse de ce qu’il y avait déménagé son cabinet d’[Localité 5], ce qui implique pour la patientèle une continuation de ce même cabinet.

Il fait également valoir la violation de la clause de non-réinstallation dans un rayon de 50 km à vol d’oiseau du cabinet pendant une durée de 5 ans, en ce que le docteur [J], dont l’intention affichée a toujours été de partir à la retraite à court terme, s’est installé à 36 km à vol d’oiseau de son ancien cabinet.

Il estime que le non-respect de ces obligations est suffisamment grave pour lui permettre de ne pas respecter son obligation contractuelle de paiement de l’indemnité convenue et explique ce comportement par les tensions survenues en raison de l’attitude dénuée de bienveillance de l’épouse du docteur [J] et de la découverte de nombreux désordres qui ont perturbé son installation.

Il affirme subir un préjudice moral au regard de ces faits, considérant que le docteur [J] a tout mis en œuvre pour rendre très difficile son installation à la fois en ce qui concerne les conditions de celle-ci, mais aussi concernant le transfert de la patientèle qu’il a dû convaincre de demeurer au cabinet.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 septembre 2023 la SELARL [K] [J] demande au tribunal de :
-débouter M. [Y] [B] [D] de ses demandes ;
très subsidiairement, écarter l’exécution provisoire au titre des demandes du M. [Y] [B] [D] sur le fondement de l’article 514-1 du code de procédure civile ;
-condamner M. [Y] [B] [D] à payer à la SELARL Jean-Jacques Fay la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1217 du code civil ;
-condamner M. [Y] [B] [D] à payer à la SELARL Jean-Jacques Fay de la somme 14.190,69 euros au titre du solde du prix de cession du droit de présentation de la clientèle du 3 juin 2020, avec intérêts depuis le 19 octobre 2021;
outre celle de 437,77 euros au titre de l’abonnement orange ;
-condamner M. [Y] [B] [D] à payer à la SELARL Jean-Jacques Fay la somme de 5.000 euros à titre d’indemnité de procédure, ainsi qu’aux entiers dépens.

La SELARL [K] [J] prise en la personne de M. [J] fait valoir que le docteur [D] n’a pas exécuté les obligations résultant de l’acte de cession du bien immobilier, en ne réalisant pas dans le délai de 8 mois les travaux de connexion du compteur de l’immeuble, de sorte qu’il a fait délivrer un commandement aux fins de saisie vente le 19 octobre 2021, suivi de quatre saisies attributions, le docteur [D] ayant payé les astreintes.

Il précise que le conseil de l’ordre des médecins du Pas de Calais qui a organisé avec les deux médecins une réunion de conciliation le 22 juin 2021, s’est dessaisi du dossier à la suite de l’attitude procédurière du docteur [D].

Sur l’exécution de l’acte de cession du droit de présentation de la patientèle du 3 juin 2020, il rappelle que le docteur [D] ne s’est acquitté de son obligation de paiement de l’indemnité que pour sa quote-part du 15 juin 2020 au 15 avril 2021, ce qui a motivé la délivrance d’un commandement aux fins de saisie vente le 16 décembre 2021.

Il affirme que le docteur [D], installé à la polyclinique du [9] à [Localité 8], avait l’objectif de transformer la maison médicale d’[Localité 5] en centre de médecine d’urgence et qu’il s’est totalement désintéressé du cabinet en refusant de se rendre disponible avant le 1er octobre 2021 pour rencontrer les patients, qui n’ont découvert sa présence physique qu’à compter de son arrivée.

Il explique que la perspective pour lui de diminuer sensiblement son activité professionnelle en trouvant un associé qui lui succède d'ici trois à quatre ans, lorsqu'il prendrait sa retraite, le motivait lorsqu'il a cédé son établissement à un prix des plus raisonnables, et ce d'autant que le suivi des patients serait assuré dans la continuité ; qu’il a cependant déchanté en constatant que le docteur [D], qui ne pensait qu’à la mise en place de sa structure d’urgence médicale, a tout mis en oeuvre pour rendre la vie impossible à l’ensemble des professionnels présents au sein de la maison médicale, en leur manquant de respect, en leur imposant des ultimatums sans leur demander leur avis, en résiliant l’abonnement à l’électricité de la maison médicale au sein de laquelle ils exerçaient, mettant ainsi en péril leur activité professionnelle, en coupant les câbles des radiateurs, en les menaçant de faire sauter leur serrure s’ils ne laissaient pas leurs bureaux ouverts, ce qu’il a d’ailleurs fait en 2021 dans le bureau de la psychologue.

Il précise que le docteur [D] lui a ainsi fait miroiter une belle fin de carrière à ses côtés afin d’obtenir son soutien alors qu’il ne pouvait quitter immédiatement son emploi d’urgentiste et s’occuper de la patientèle d’[Localité 5], mais également pour obtenir des prix de cession attractifs ; qu’il a appris par le biais d’affiches collées dans sa salle d’attente, que son contrat de remplacement n'était pas renouvelé 8 jours avant son terme.

Il s’étonne de ce qu’il lui soit reproché d’avoir laissé l’intégralité des archives des dossiers des patients lors de son départ, alors que sa compagne lui avait demandé de se débarrasser de tous les dossiers papiers, le tout devant être informatisé, ce qu’il a refusé, les patients venant systématiquement récupérer le leur en cas de déménagement ou de changement de médecin traitant.

Il fait observer que le docteur [D] ne peut prétendre une chose et son contraire en invoquant un dol, alors qu'il a pris soin de faire inscrire dans l'acte de cession une clause de non-rétablissement, de sorte qu’il ne peut prétendre avoir été trompé sur ses intentions de prendre sa retraite, l’évolution de la situation l’ayant amené à revoir ses projets.

Il ajoute qu’il a dû organiser son déménagement en 8 jours sans pouvoir dire au revoir aux patients, ce qui explique l’affiche qu’il a collée sur les murs de la salle d’attente en non, comme le prétend le docteur [D], sur la propre affiche de ce dernier, réfutant toute invitation aux patients à le suivre dans un nouveau cabinet qui n’existait pas ; que ce n’est que par la suite que son installation à [Localité 7] a été envisagée et autorisée par le Conseil de l’Ordre des Médecins, à plus de 50 km par la route ; qu’en tout état de cause, le docteur [D] est pleinement satisfait de son nouveau cabinet ; que durant les 16 mois de remplacement, il a été confronté à de nombreux reproches de ce dernier, notamment celui d’une consommation importante d’électricité dans un climat particulièrement conflictuel alors qu’il a veillé à augmenter la patientèle qui est passée de 1562 à 1600 de juin 2020 à septembre 2021.

Il souligne que la création du cabinet de [Localité 7] a nécessité une demande d’autorisation auprès du Conseil de l’Ordre, qui a estimé improbable la concurrence entre deux cabinets aussi éloignés l’un de l’autre. Il fait observer l’absence de préjudice, d’ailleurs reconnu par le docteur [D] dans un courrier du 14 octobre 2021.
Sur le paiement de la somme due à la société Orange, il précise avoir pris les attaches nécessaires avec l’opérateur pour transférer la ligne en juin 2020, le docteur [D] devant reprendre à sa charge les abonnements en lien avec l’activité professionnelle.

MOTIFS DU JUGEMENT

Il est de jurisprudence constante que les demandes reconventionnelles, en première instance comme en appel, peuvent être formées tant par le défendeur sur la demande initiale que par le demandeur initial en défense aux prétentions reconventionnelles de son adversaire.

M. [D] a initialement assigné M. [J] en résolution du contrat de cession de présentation de patientèle en date du 3 juin 2020, puis a invoqué sur demande reconventionnelle en paiement du solde de l’indemnité de cession de présentation de clientèle, l’exception d’inexécution.

Sur les demandes en paiement et sur l’exception d’inexécution contractuelle

Selon l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à eux qui les ont faits.

L’article 1104 du code civil dispose qu’ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public

Selon l’article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :
- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;
- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;
- obtenir une réduction du prix ;
- provoquer la résolution du contrat ;
- demander réparation des conséquences de l'inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.
En application de l'article 1219 du code civil, l'interdépendance des obligations réciproques résultant d'un contrat synallagmatique permet à chaque partie de refuser d'exécuter son obligation tant qu'elle n'a pas reçu la prestation qu'il lui est due.
Pour revendiquer l'exception d'inexécution pour s'opposer à l'exécution de sa propre obligation, il est nécessaire de démontrer que l'inexécution fautive est d'une gravité suffisante.
Sur la cession de présentation de patientèle
Le contrat notarié en date du 3 juin 2020 précise qu’au terme « d’un acte sous seing privé en date du 11 octobre 2019, la SELARL [K] [J] s’est engagée à céder à M. [Y] [B] [D], qui a accepté, le droit de présentation à sa clientèle. Ceci étant exposé il est passé à la constatation de la cession du droit de présentation à la clientèle ».
L’objet de la convention et les obligations qui en découlent sont ainsi libellés :
« Le cédant cède au cessionnaire qui l’accepte, en s’obligeant à toutes les garanties ordinaires de fait ou de droit, ses droits mobiliers incorporels en sa qualité de médecin généraliste dans le cabinet qu’il exploite à [Adresse 3] l’accès aux fichiers des patients dans la limite du secret médical (…)
La présente cession est consentie et acceptée sous les charges et conditions suivantes que les parties, chacune en ce qui la concerne s’obligent à exécuter et accomplir.
« En ce qui concerne le cessionnaire, il devra se conformer à toutes les conditions d'exercice de la profession, telles qu'elles résultent de toutes les dispositions législatives et réglementaires. Il devra exécuter tous les contrats et abonnements de toute nature actuellement en cours. Il acquittera à compter du jour de l'entrée en jouissance, les impôts, contributions et autres charges de toute nature auxquelles l'exploitation peut être assujettie. Il supportera les frais, droits et honoraires évalués à 1.500 euros.
En ce qui concerne le cédant, il s'oblige à présenter le cessionnaire à ses clients comme étant son successeur et à les engager à reporter sur lui la confiance qu'ils lui accordaient. Toutefois, pour assurer la transition, les parties ont convenu d'un commun accord que le cédant continuera les consultations dans son bureau actuel, à raison de deux jours par semaine, pendant une durée d'un an, renouvelable le cas échéant, et à des conditions qu’elles détermineront directement entre elles (jours de consultation, horaires, rémunération…).

La présente cession du droit de présentation à la clientèle est consentie et acceptée moyennant une indemnité fixée à la somme de 30.000 euros, laquelle somme le cessionnaire s’oblige à payer directement au cédant en 24 mensualités successives de 1.250 euros chacune, non productives d’intérêts, la première mensualité est fixée au 15 juin 2020 et la dernière au 15 mai 2022.

Il est expressément convenu que les mensualités seront réglées directement au cédant, que le cessionnaire aura la faculté de se libérer par anticipation, que la somme restant due deviendra immédiatement et de plein droit exigible si bon semble au cédant en cas de non-paiement à son échéance d’une seule mensualité ; dans ce cas, l’exigibilité aura lieu après un simple commandement de payer demeuré infructueux contenant déclaration par le cédant de son intention d’user de la présente clause“.

Ce contrat a un objet, la patientèle et une cause, à savoir le paiement d’une indemnité en contrepartie du droit de présentation de patientèle. Ni cet objet, ni cette cause n’ont disparu du fait de la modification des contours de la période transitoire organisant l’intervention du docteur [J], qui n’ont ni le même objet, ni la même cause.

S’agissant de rapporter la preuve d’une abstention, il convient d'examiner l'ensemble des éléments de preuve produits aux débats par chacune des parties, afin de déterminer si la SELARL [J] a bien, dans les faits, rempli son obligation de présentation de la patientèle prévue au contrat en cause.
Il est constant que le docteur [D] n’était pas présent sur le site comme il est d’usage par le biais d’un remplacement préalable ou d’une collaboration temporaire et que les modalités régissant la période transitoire dans l’attente de son arrivée au sein de la maison médicale ont été modifiées à l’initiative de celui-ci dès le lendemain de l’acte de cession de présentation de patientèle.

Contrairement à ce que le docteur [J] soutient, il n’a jamais été question dans les différentes conventions signées des deux parties d’une collaboration à moyen terme mais d’une période transitoire qui a duré jusqu’au 30 septembre 2021 et qui a été acceptée par le docteur [J].

Dès lors, même si l’échéance pouvait lui apparaître incertaine et que le procédé était atypique, le docteur [J] se devait de préparer ses patients à l’arrivée de son successeur, dans le respect du droit du libre choix du médecin traitant selon les dispositions de l’article R4127-6 du code de la santé publique.
Il lui appartenait à tout le moins de diffuser cette information par tous moyens dans les termes de l’engagement contractuel.

Or, il s’est contenté d’apposer le message suivant en salle d’attente à la fin du mois de septembre 2021 : « Nous tenons à vous informer que la gestion de notre établissement a été reprise en 2020 par le docteur [B] [D], médecin urgentiste à [Localité 8]. Bien que nous avions pu poursuivre notre activité jusqu’à présent, le docteur [B] [D] souhaite dorénavant assurer seul les consultations à compter du 1er octobre prochain. [F], le docteur [J] et le docteur [T] vont donc devoir quitter (à regret) la maison médicale pour cette date. En vous remerciant sincèrement de la confiance que vous leur avez témoignée des années durant et vous assurent qu’ils n’oublieront jamais aucun d’entre vous. »

Le docteur [D] communique également la copie d’écran Google suivante non datée au nom de [K] [J] faisant état de la reprise de son cabinet à compter du 1er octobre. « Ayant été conduits vers la sortie, [F], le docteur [J] et le docteur [T] ont dû quitter l’établissement. Ils vous remercient sincèrement de la confiance que vous leur avez témoignée des années durant et vous accordent leurs meilleurs souvenirs. IMPORTANT vos dossiers médicaux « papier » sont restés à disposition sur place. Ne tardez pas à aller les récupérer si vous le souhaitez car la nouvelle gestion du cabinet allant être totalement informatisée ils seront détruits. »
Il en résulte que si l’obligation du cédant de présentation de patientèle était une obligation de moyens, celui-ci n’a pas mis en oeuvre les moyens à sa disposition pour permettre au cessionnaire d’être connu de la patientèle dans des conditions engageant celle-ci à reporter sur lui la confiance qu’elle accordait au cédant, les dissensions évoquées étant susceptibles de faire douter les patients de la confiance qu’ils pouvaient accorder au docteur [D].
Le docteur [J] a donc manqué à son obligation d’exécution loyale des termes du contrat au nom de la SELARL [K] [J].

Pour autant, le contrat de cession de présentation de patientèle vise également la patientèle en elle-même, notamment par la transmission des dossiers laissés à disposition du docteur [D] ainsi qu’il résulte du constat d’huissier en date du 29 septembre 2021.
Une patientèle peut certes être cédée gratuitement. En ce cas, elle correspond à une donation entre tiers impliquant des droits de mutation à titre gratuit basée sur sa valeur vénale. Tel n’est pas en l’espèce.
Le docteur [D] a admis qu’il avait fait le choix d’acquérir cet immeuble en raison de l’existence d’une patientèle constituée indissociable de l’achat de l’immeuble. Il indique d’ailleurs dès le 14 octobre 2021 que celle-ci se présentait en nombre au cabinet.

Il n’est pas non plus contesté qu’au cours de la période de transition, le docteur [J] a contribué seul à l’augmentation de la patientèle.

En conséquence, il sera fait partiellement droit à l’exception d’inexécution, à hauteur de 8.000 euros.
M. [D] ayant déjà réglé la somme de 15.809,31 euros, il sera donc condamné au paiement du solde à hauteur de 6.190,69 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 19 octobre 2021.
Sur la clause de non-réinstallation
Selon l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

Dans le cadre de la cession de présentation de clientèle, les parties ont convenu de la clause suivante : « À l'issue de cette période de transition, le cédant s'interdira formellement d'exercer directement ou indirectement la médecine générale dans un rayon de 50 km à vol d'oiseau du cabinet objet des présentes et pendant une durée de cinq ans à compter de ce jour, sous peine de tous dommages et intérêts envers le cessionnaire ou ses ayants-droit, sans préjudice de son droit à demander la fermeture du cabinet exploité au mépris de la présente convention. »
Il résulte des pièces produites que le docteur [J] s’est installé le 15 novembre 2021 à [Localité 7] pour y exercer la médecine générale et que si son nouveau lieu d’exercice se trouve à 50 km de son ancien cabinet situé à [Localité 5] par la route, il se situe dans un rayon de 36,98 km à vol d’oiseau.
Le docteur [D] considère que le docteur [J] a annoncé le déménagement de son cabinet par voie de presse en produisant trois pièces qui correspondent manifestement à un unique article de presse locale destiné aux habitants de [Localité 7] et des environs, publié le 27 novembre 2021, la journaliste indiquant que [K] [J] a déménagé son cabinet à [Localité 7], sans que ces propos puissent être considérés comme étant attribués à ce dernier.
Cet article ne constitue en rien une publicité à destination de la patientèle d’[Localité 5], ville qui comptabilise 17 médecins généralistes, devant être rappelé que le docteur [D] s’est déclaré très satisfait dans un courrier du 14 octobre 2021 de la fréquentation du cabinet depuis le départ du docteur [J], les patients étant ravis de l’offre de soins proposée.

Il est également produit une page Google non datée au nom de « [K] [J] médecin à [Localité 5]-définitivement fermé » dans laquelle il est indiqué : « chers patients, nous vous informons de la création de nos nouveaux cabinets médicaux sur la commune de [Localité 7] (…) Tout nouveau patient est le bienvenu (….).
Ce message diffusé sur internet à partir d’un compte Google forcément alimenté par le docteur [J] doit être considéré comme étant de nature à informer les patients, y compris ceux d’[Localité 5], de la possibilité de choisir le docteur [J] comme médecin traitant.
Pour autant, cette information peut être librement obtenue par une simple recherche sur internet et un appel téléphonique.

Ce faisant, la SELARL [K] [J] a commis une faute par la violation de la clause convenue par les parties. Cette faute n’est pas assimilable à un dol, le docteur [J] ayant modifié ses projets au fur et à mesure de l’évolution de la situation, tout comme cela été le cas du docteur [D].
Faute de démonstration de l’existence d’un dommage résultant de ladite faute, la demande de dommages et intérêts à ce titre sera rejetée.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral

Si la situation entre les parties a été conflictuelle pour des motifs qui leur appartiennent et qui sont en lien avec la vente du bien, le docteur [D] ne démontre pas que son installation a été difficile en raison du comportement du docteur [J] et notamment au regard des conditions du transfert de la patientèle. La demande sera donc rejetée.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
L'exercice d'une action en justice constitue en principe un droit et nécessite que soit caractérisée une faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice pour que puissent être octroyés des dommages et intérêts à titre de réparation.
L’argumentation examinée ne caractérise pas un abus de droit ou un comportement dolosif, de sorte que la SELARL [K] [J] sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
Sur la demande de paiement au titre de l’abonnement Orange
La SELARL [J] réclame la somme de 437,77 euros à ce titre, en faisant valoir que l’acte de vente prévoit la prise en charge par le nouveau propriétaire de tous les abonnements en cours, la société Orange ayant été avisée de l’arrêt d’activité le 22 juin 2020.

M. [D] n’a pas conclu sur ce point, étant relevé qu’il a déposé une plainte contre X pour escroquerie le 13 février 2022 en indiquant que l’opérateur lui avait précisé que cette ligne téléphonique a été ouverte en 2006 au nom de la maison médicale de [6] d’[Localité 5] alors qu’il ne l’a jamais utilisée, qu’il n’en a jamais eu connaissance et que le titre de paiement a été rempli avec son RIB et signé sans qu’il le sache.
L’examen des pièces produites montre que si le docteur [J] a transmis à l’opérateur un dossier de transfert des lignes téléphoniques de la maison médicale le 22 juin 2020, la ligne 03 21 49 55 93 n’est pas mentionnée sur l’exemplaire transmis par mail le 23 juin 2020 au docteur [D] et aucune régularisation n’est parvenue par la suite.
Dès lors quelle que soit l’origine de l’erreur commise, la demande en paiement ne saurait être accueillie.

Sur les frais du procès et l’exécution provisoire

Sur les dépens et sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile

En application des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une partie. Elle peut également être condamnée à payer à l'autre une somme que le juge détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. A cet égard, le juge tient compte, dans tous les cas, de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

Partie ayant succombé au sens de ces dispositions, M. [D] sera condamné aux dépens. Il sera également condamné à payer à la SELARL [J] la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur l’exécution provisoire

Il sera rappelé que la présente décision est exécutoire de plein droit par application de l’article 514 du code de procédure civile. Il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, après débats en audience publique, par jugement contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe et rendu en premier ressort ;

Fait droit à l’exception d’inexécution tirée du non-respect de l‘obligation de présentation de patientèle à hauteur de 8.000 euros ;

Condamne M. [Y] [B] [D] à payer à la SELARL Jean-Jacques Fay la somme de 6.190,69 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 19 octobre 2021;

Déboute M. [Y] [B] [D] du surplus des demandes ;

Déboute la SELARL [K] [J] de sa demande en paiement de la facture orange correspondant à la ligne 03 21 49 55 93 ;

Condamne M. [Y] [B] [D] aux dépens ;

Condamne M. [Y] [B] [D] à payer à la SELARL Jean-Jacques Fay la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Béthune
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/00064
Date de la décision : 04/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-04;22.00064 ?
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