Vu, enregistrée à son secrétariat le 10 juillet 2017, l'expédition du jugement du 5 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Lille, saisi d'une demande de la société Ryssen Alcools tendant à la condamnation solidaire de la société en nom collectif Lavalin et de la société Etudes Tuyauterie Chaudronnerie Montage (ETCM) à lui verser la somme de 2 689 597,92 euros en réparation du préjudice subi du fait des désordres affectant la conduite reliant ses installations industrielles à un appontement dans le port autonome de Dunkerque et du fait de l'indisponibilité de cet ouvrage jusqu'au 7 juillet 2011, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 32 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;
Vu l'arrêt du 23 novembre 2011 par lequel la cour d'appel de Douai s'est déclarée incompétente pour connaître de ce litige ;
Vu, enregistré le 15 septembre 2017, le mémoire présenté pour la société ETCM tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente, par le motif que le litige l'opposant à la société Ryssen Alcools concerne des dommages de travaux publics ;
Vu, enregistré le 16 octobre 2017, le mémoire présenté pour la société Ryssen Alcools tendant à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente, par le motif qu'elle est un usager d'un service public industriel et commercial ;
Vu, enregistré le 8 novembre 2017, le mémoire présenté pour la société ETCM qui tend aux mêmes fins que son précédent mémoire et reprend les même moyens ;
Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée à la SNC Lavalin et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, qui n'ont pas produit de mémoire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
Vu le code des ports maritimes ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alain Ménéménis, membre du Tribunal,
- les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin pour la société Ryssen Alcools ;
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan pour la société ETCM ;
- les conclusions de Mme Bénédicte Vassallo-Pasquet, rapporteur public ;
Considérant que, par un protocole du 7 mars 2003, le port autonome de Dunkerque, auquel a succédé le grand port maritime de Dunkerque, a autorisé la société Ryssen Alcools à occuper, contre redevance, une dépendance portuaire pour y installer une distillerie et s'est engagé à construire une conduite, mise à disposition de la société contre paiement d'un loyer, pour relier cette distillerie à une zone d'appontement ; que, pour réaliser cette conduite, le port autonome a conclu un marché de maîtrise d'oeuvre avec la société Pingat ingénierie, au droit de laquelle vient la SNC Lavalin, et un marché de travaux avec la société Etudes Tuyauterie Chaudronnerie Montage (ETCM) ; que la réception des travaux a eu lieu le 6 décembre 2005 avec réserves ; que celles-ci ont été levées en mai 2006 ; que, dès la fin de l'année 2006, la conduite s'est révélée impropre à sa destination ; que la société Ryssen Alcools a poursuivi la responsabilité des sociétés Lavalin et ETCM pour obtenir réparation du préjudice subi ; que, par un jugement du 16 mai 2011, le tribunal de commerce de Dunkerque s'est déclaré incompétent pour connaître de ce litige ; que, par un arrêt devenu définitif du 23 novembre 2011, la cour d'appel de Douai a à son tour jugé que le juge judiciaire n'était pas compétent ; que, par un jugement du 5 mai 2017, le tribunal administratif de Lille, qui a estimé que la juridiction administrative n'était pas compétente pour connaître du litige, a renvoyé au Tribunal, en application de l'article 32 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 111-1 du code des ports maritimes, applicable à la date des faits rappelés ci-dessus : " Les ports autonomes sont des établissements publics de l'Etat (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 111-2 du même code : " Le port autonome est chargé, à l'intérieur des limites de sa circonscription (...), des travaux d'extension, d'amélioration, de renouvellement et de reconstruction, ainsi que de l'exploitation, de l'entretien et de la police, au sens des dispositions du livre III du présent code, du port et de ses dépendances et de la gestion du domaine immobilier qui lui est affecté. / Il peut être autorisé, dans le cadre de la réglementation en vigueur, à se charger de la création et de l'aménagement de zones industrielles portuaires (...) " ; qu'enfin, aux termes de l'article R. 115-7 du même code : " I. - La réalisation et l'exploitation d'outillages mis à disposition du public sont assurées par le port autonome lui-même ou font l'objet d'une concession ou d'un contrat d'affermage (...) " :
Considérant que si les collectivités publiques, leurs concessionnaires ou leurs entrepreneurs doivent, quelle que soit la nature du service public qu'ils assurent, réparer les dommages causés aux tiers par les ouvrages dont ils ont la charge ou les travaux qu'ils entreprennent et si la responsabilité qu'ils encourent ainsi, même en l'absence de toute faute relevée à leur encontre, ne peut être appréciée que par la juridiction administrative, il n'appartient pas, en revanche, à ladite juridiction de connaître des dommages imputables aux ouvrages ou travaux dont s'agit et d'apprécier la responsabilité encourue à raison de vices dans leur conception, leur exécution ou leur entretien lorsque ces dommages ont été causés à l'usager d'un service industriel et commercial par une personne ayant collaboré à l'exécution de ce service et à l'occasion de la fourniture de la prestation due par le service à cet usager ; qu'en raison des liens de droit privé existant entre les services publics industriels et commerciaux et leurs usagers, les tribunaux judiciaires sont seuls compétents pour connaître de l'action formée par l'usager contre les personnes participant à l'exécution du service ;
Considérant que la réalisation et l'exploitation par le port autonome de Dunkerque, dans les conditions qui ont été rappelées ci-dessus, d'une conduite, qui constitue un outillage public, avaient le caractère d'un service public industriel et commercial, dont la société Ryssen Alcools était l'usager ; que le dommage dont celle-ci demande réparation lui a été causé à l'occasion de la fourniture de la prestation qui lui était due par le port autonome, du fait de vices dans la conception et l'exécution de la conduite dont les sociétés Lavalin et ETCM sont, selon elle, responsables ; qu'il résulte de ce qui précède que la juridiction judiciaire est seule compétente pour connaître de l'action engagée par la société Ryssen Alcools ;
D E C I D E :
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Article 1er : La juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige opposant la société Ryssen Alcools à la SNC Lavalin et à la société ETCM.
Article 2 : L'arrêt de la cour d'appel de Douai du 23 novembre 2011 est déclaré nul et non avenu. La cause et les parties sont renvoyées devant cette cour.
Article 3 : La procédure suivie devant le tribunal administratif de Lille est déclarée nulle et non avenue, à l'exception du jugement rendu par ce tribunal le 5 mai 2017.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Ryssen Alcools, à la SNC Lavalin, à la société ETCM et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.