TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE VERSAILLES
ORDONNANCE DE REFERE-RETRACTATION 05 Juin 2009
DOSSIER N° : 09 / 00196
AFFAIRE :
S. A. COLAS RAIL
C / MONSIEUR LE MINISTRE DE L'ECONOMIE REPRESENTE PAR LE DIRECTEUR DE LA DGCCRF
DEMANDERESSE
S. A. COLAS RAIL, dont le siège social est sis 38 / 44 rue Jean Mermoz-78600 MAISONS-LAFFITTE représentée par Me Loraine DONNEDIEU DE VABRE, cabinet JEANTET ET ASSOCIES du Barreau de Paris substituée par Me PICOT et substitutée lors du prononcé par Me BOMBARDIER
DEFENDEUR
MONSIEUR LE MINISTRE DE L'ECONOMIE REPRESENTE PAR LE DIRECTEUR DE LA DGCCRF, représentée par Monsieur André X..., Directeur départemental, lors de l'audience de plaidoirie, selon pouvoir régulier excipé lors de l'audience, non comparant lors du prononcé
Débats tenus à l'audience du : 28 Avril 2009
Nous, Chantal CHARRUAULT, Premier vice-président, juge des Libertés et de la détention, assistée de Jean-Christophe SOULIER, Greffier placé présent lors des débats et du prononcé avons rendu l'ordonnance suivante
FAITS ET PROCEDURE
Par ordonnance en date du 23 juin 2004, le juge des Libertés et de la détention du tribunal de grande instance de VERSAILLES a autorisé les opérations de visite et saisies sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce dans les locaux de différentes entreprises dont ceux de la société COLAS RAIL (anciennement SECO-RAIL) à LYON et à CHATOU.
Des visites et saisies ont été diligentées le 6 juillet 2004 dans les locaux de cette société.
Des pourvois ont été formés contre ladite ordonnance et rejetés par deux arrêts de la Cour de cassation en date du 3 novembre 2005.
Le Conseil de la concurrence a été saisi le 27 mai 2005 par le ministre chargé de l'économie, et la société COLAS RAIL a reçu le 17 avril 2008 une notification de griefs " relative à des pratiques anticoncurrencielles d'entreprises spécialisées dans les travaux de voies ferrées ".
En réplique, elle a notamment fait valoir qu'en l'absence d'un recours effectif au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme contre l'ordonnance d'autorisation du juge des Libertés et de la détention du tribunal de céans en date du 23 juin 2004, l'ensemble des pièces saisies qui lui étaient opposées devaient être écartées du dossier.
Selon rapport reçu le 19 janvier 2009, il n'a pas été fait droit à sa demande au motif que :- la solution dégagée par la Cour européenne des droit de l'homme en matière fiscale ne pouvait pas s'appliquer en matière de concurrence ;- le pourvoi en cassation contre l'ordonnance d'autorisation du juge des Libertés et de la détention ne contrevient pas au principe du droit au recours juridiquement efficace prévu par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;- le recours formé par les parties contre l'ordonnance du juge des Libertés et de la détention du 23 juin 2004 a été rejeté par un arrêt de la Cour de cassation du 3 novembre 2005 ;- l'article 5 de l'ordonnace n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 permet aux sociétés qui l'estiment utile de former un recours contre l'ordonnance du juge des Libertés et de la détention dans le cadre d'un recours sur le fondement de l'article L. 464-8 du Code de commerce.
Considérant que cette argumentation méconnaissait les exigences de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, la société COLAS RAIL a par assignation délivrée le 25 mars 2009, attrait Monsieur le ministre chargé de l'économie représenté par le directeur général de la DGCCRF, à l'effet au visa des articles 496 et 497 de voir retracter l'ordonnance du juge des Libertés et de la détention du tribunal de grande instance de VERSAILLES en date du 26 juin 2004 ayant autorisé les visites et saisies sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce dans ses locaux.
A l'appui de sa demande en rétractation, la société COLAS RAIL fait en substance valoir tant dans son assignation que dans son mémoire en réplique en date du 27 avril 2009 :
- que l'article 496 du Code de procédure civile est d'application générale et constitue un régime de recours spécifique aux requêtes, qu'en conséquence le juge des Libertés et de la détention ayant rendu l'ordonnance litigieuse est compétent ;- que l'application de cet article ne peut être écartée faute de recours effectif alternatif et de recours ne violant pas l'article 1er du Protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, le recours transitoire institué par l'ordonnance du 13 novembre 2008 ne garantissant pas un procès équitable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et ne répondant pas davantage aux exigences de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 de la Convention ;- l'exercice d'un recours effectif en fait et en droit contre l'ordonnance d'autorisation de visite et sasies n'existait pas au moment où le juge des Libertés et de la détention a statué. Au jour où l'autorisation a été donnée, l'autorisation n'était pas régulière et n'a pu le devenir ultérieurement.
Selon mémoire en réplique transmis le 27 avril 2009, la DGCCRF a soulevé l'irrecevabilité de ce recours et subsidiairement son rejet au motif qu'il existait des voies de recours approprié ne justifiant pas la saisine en référé-rétractation.
Chacune des parties a maintenu ses prétentions lors des débats le 28 avril 2009.
Le 2 juin 2009, le délibéré était prorogé à la date du 5 juin 2009.
MOTIFS
Attendu que la société COLAS RAIL fait valoir que tant les dispositions applicables en 2004 que les nouvelles dispositions transitoires issues de la Loi du 13 novembre 2008 et ouvrant un nouveau recours, méconnaissaient les exigences de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme en ce qu'elles ne permettaient pas un recours effectif en fait et en droit ainsi qu'il a été jugé par la Cour européenne des droits de l'homme le 21 février 2008 dans l'arrêt " RAVON ET AUTRES " ;
Que dès lors doivent s'appliquer les régles de droit commun du " référé-rétractation " prévu par les articles 496 et 497 du Code de procédure civile ;
Attendu qu'il résulte des articles 496 et 497 du Code de procédure civile que lorsque le juge a fait droit à la requête, il a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance même si le juge du fond est saisi de l'affaire.
Attendu qu'il échet de relever que le référé-rétractation n'est pas une voie de recours au sens classique du terme mais plutôt un moyen procédural d'élever le contentieux, de provoquer en aval un débat contradictoire qui a été évincé en amont.
Qu'il est ainsi de jurisprudence constante que " le référé à fin de rétractation ne constitue pas une voie de recours mais s'inscrit dans le nécéssaire respect par le juge du principe du contradictoire qui commande qu'une partie à l'insu de laquelle une mesure urgente a été ordonnée puisse disposer d'un recours approprié, contre la décision qui lui a fait grief " ;
Attendu qu'il ressort de cette décision que le référé-retractation trouve en droit interne sa limite dans l'existence d'un recours approprié ;
Attendu, en tout état de cause, que les règles de droit commun procédural ne trouvent à s'appliquer qu'en l'absence de régles spéciales et dérogatoires,
Qu'il est de jurisprudence constante que les lois de portée générale ne dérogent pas aux lois spéciales,
Qu'il en est ainsi tant pour les régles de fond que pour les régles de procédure,
Qu'en l'espèce, au moment où la décision querellée a été rendue, les textes applicables (article L. 450-4 du Code de commerce) ouvraient trois recours, le pourvoi en cassation contre l'ordonnance autorisant la visite, un recours auprès du juge ayant autorisé les opérations de visite et de saisie portant sur le déroulement desdites opérations et un pourvoi en cassation contre l'ordonnance se prononçant sur ce recours,
Qu'en l'état actuel du droit, il existe le recours retroactif ouvert dans les dispositions transitoires de l'ordonnance du 13 novembre 2008 ;
Attendu que la société COLAS RAIL conteste le caractère effectif de ces recours au sens de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, que c'est la raison pour laquelle elle peut légitimement prétendre exercer ce recours de droit commun des articles 496 et 497 du Code de procédure civile,
Qu'il convient tout d'abord d'observer qu'il apparaît surprenant que la société demanderesse érige les dispositions du droit commun des articles 496 et 497 du Code deprocédure civile comme le recours adéquat à la protection de ses droits et conforme à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme alors même que le référé-rétractation n'est pas considéré comme un véritable recours en droit interne et que sous l'angle des principes édictés par le Cour européenne des droits de l'homme, un tel recours pourraît apparaître comme non conforme aux exigences du procès équitable et du principe d'impartialité dès lors que le recours est porté devant le juge même qui a rendu la décision contestée ;
Attendu en toute hypothèse qu'il appartient au juge national de vérifier, à l'occasion d'un procès, la compatibilité de la législation interne avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertées fondamentales ;
Qu'en l'espèce, il convient d'examiner la compatibilité des recours prévus par la Loi nationale avec les prescriptions de l'arrêt RAVON du 21 février 2008 ;
Attendu à cet égard qu'il sera relevé que dans cette décision, la Cour européenne des droits de l'homme précise les garanties qui doivent être prévues en matière de visite domiciliaire effectuées en application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales pour répondre aux éxigences de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
Attendu que le Cour européenne des droits de l'homme énonce dans son considérant 28 que :
" Cela implique que les personnes concernées puissent obtenir un contrôle juridictionnel effectif en fait comme en droit de la régularité de la décision prescrivant la visite, ainsi que le cas échéant des mesures prises sur son fondement, le ou les recours recours disponibles doivent permettre, en cas de constat d'irrégularité, soit de prévenir la survenance de l'opération, soit, dans l'hypothèse où une opération jugée irrégulière a déjà eu lieu, de fournir à l'intéressé un redressement approprié " ;
Attendu qu'il ressort de la motivation de la Cour européenne des droits de l'homme qu'un contrôle juridictionnel et contradictoire doit pouvoir intervenir soit prélablement aux opérations de visite et sasies soit a posteriori dès lors qu'existe un redressement approprié ;
Attendu, en l'espèce, qu'il convient en premier lieu de souligner que le juge de la rétractation doit examiner le fait et le droit à la date où il statue et non au moment où il a pris la décision initiale dont la rétractation est demandée ;
Attendu à toutes fins qu'il sera relevé que les dispositions de l'article 5 II de l'ordonnance du 13 novembre 2008 qui précise que la validité des actes de poursuite, d'instruction et de sanction accomplis antérieurement à la première réunion de l'autoritié de la concurrence est appréciée au regard des textes en vigueur à la date à laquelle ils ont été pris et accomplis, ne signifient pas que le juge de la rétractation doive apprécier la situation de fait et de droit à la date à laquelle l'ordonnance initiale a été prise ;
Qu'en effet, ces dispositions ne visent qu'à énoncer l'absence de rétroactivité des nouvelles dispositions mais ne concernent pas les voies de recours, lesquelles font précisément l'objet de dispositions spécifiques transitoires et explicitement retroactives ;
Qu'en toute hypothèse, le juge de la rétractation doit se placer au moment où il statue, pour vérifier l'existence ou non d'un recours effectif au sens de l'arrêt RAVON susvisé ;
Qu'il convient de relever que selon cet arrêt, un recours a posteriori est satisfactoire dès lors qu'il lors qu'il fournit à l'intéressé " un redressement approprié " ;
Qu'en l'espèce, il y a lieu de prendre en compte les recours existant en droit interne, à la date à laquelle il est statué ;
Attendu en conséquence qu'il y a lieu de se référer au droit transitoire mis en place par l'ordonnance du 13 novembre 2008 ;
Attendu que l'article 5-IV alinéa 2 de cette ordonnance autorise une contestation des autorisations de visites et de saisies qui ont été accordées avant son entrée en vigueur dans les conditions suivantes : " si l'autorisation de visite et saisie n'a pas fait l'objet d'un pourvoi en cassation ou si cette autorisation a fait l'objet d'un pourvoi en cassation ayant donné lieu à un arrêt de rejet de la Cour de Cassation, un recours en contestation de l'autorisation est ouvert devant la Cour d'Appel de Paris, saisie dans le cadre de l'article L. 464-8 du Code de Commerce, hormis le cas des affaires ayant fait l'objet d'une décision irrévocable à la date de la publication de la présente ordonnance " ;
Attendu qu'il n'est pas contesté ni contestable que la Société COLAS-RAIL remplit les conditions pour bénéficier de ces dispositions ;
Attendu que ce droit transitoire ouvre à la société demanderesse la possibilité de faire examiner par la Cour d'Appel de Paris un recours de plein contentieux en fait et en droit de l'autorisation de visite et saisie ;
Qu'il s'agit d'un véritable recours effectif au sens de la convention européenne des droits de l'homme ;
Que l'argument selon lequel le juge ainsi saisi ne serait pas impartial au motif qu'il serait amené à porter une appréciation préalable sur tout ou partie de la question qu'il doit juger, et à se prononcer deux fois sur les mêmes questions, à deux titres différents, d'une part la régularité de l'ordonnance d'autorisation de visite et saisie, d'autre part l'incidence des éventuelles irrégularités sur la décision de cette même autorité est inopérant ;
Qu'il est en effet de principe constant tant en procédure pénale qu'en procédure civile que le juge de l'action est le juge de l'exception, que cette double compétence n'entache pas l'impartialité requise du juge, celui-ci portant une appréciation distincte sur les questions qui lui sont soumises en fonction de règles de droit, de forme ou de fond applicables ;
Que du reste, c'est également la situation de toute juridiction qui tranche une éventuelle exception de nullité alors qu'une décision sur le fond est déjà intervenue ; qu'ainsi par exemple une Cour d'appel connaît, au moment où elle statue sur une exception, toutes les pièces et preuves existant à l'encontre du prévenu qui a déjà été condamné en première instance ;
Que dès lors les décisions d'autorisation et de saisie contestées pouvant faire l'objet d'un recours effectif en fait et en droit dans des conditions strictement et spécifiquement prévus par les textes en vigueur, il n'y a pas lieu de considérer que le juge de la rétractation puisse recouvrer une compétence de droit commun ;
Qu'en outre, et selon le raisonnement soutenu par la société demanderesse, le juge du droit commun de la rétractation ne présenterait pas plus d'objectivité et d'impartialité dès lors qu'il a déjà statué dans un sens et qu'il lui est demandé de rétracter sa propre décision ;
Attendu enfin qu'il sera observé que la société demanderesse, qui soulève qu'un contrôle juridictionnel effectif doit porter sur le fait et le droit, ne présente lors de la présente demande en rétractation, que des moyens de pur droit et ne développe aucun moyen sur le fond afin de faire apprécier la pertinence ou non de l'autorisation initiale qui a été donnée à l'Administration, et ce alors même qu'il appartient au juge de la rétractation de réexaminer la requête initiale en fonction des nouveaux éléments de fait et de droit dans le cadre d'un débat contradictoire ;
Qu'il apparaît quelque peu paradoxal de saisir le juge de la rétractation pour lui conférer un rôle du juge de cassation ;
Attendu, en dernier lieu, que la société demanderesse soutient que l'existence d'un recours a posteriori devant la cour d'appel de PARIS serait tardif et contraire aux exigences de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, en ce que la décision de condamnation de l'Autorité de la Concurrence est exécutoire et prive la personne morale de ses biens sans cause d'utilité publique avérée ;
Attendu cependant que ce moyen ne saurait emporter la conviction dès lors que les textes en vigueur ouvrent la faculté de saisir Monsieur le Premier Président de la Cour d'appel de Paris en suspension d'exécution provisoire ;
Attendu, s'agissant de l'absence de mentions des nouvelles voies de recours dans l'ordonnance attaquée, que ce moyen est également inopérant dès lors que les nouveaux recours n'existaient pas à la date de l'ordonnance en cause ; qu'au surplus, celle-ci mentionnait bien les voies de recours existantes ;
Qu'enfin, la sanction de cette absence d'information sur les recours n'est pas la nullité de l'ordonnance mais l'inopposabilité des délais de recours ;
Attendu en conséquence qu'il suit de l'ensemble de ces éléments que la société COLAS-RAIL dispose de voies de recours effectives au sens de l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme et de l'arrêt dit arrêt RAVON et qu'il y a donc lieu de déclarer la demande en rétractation irrecevable.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement ;
Vu les articles 496 et 497 du Code de procédure civile, Vu l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, Vu l'arrêt RAVON de la Cour européenne des droits de l'homme en date du 21 février 2008, Vu l'article 5 § IV alinéa 2 de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence, Vu l'article 680 du Code de procédure civile,
Déclare la demande de rétractation de l'ordonnance du juge des Libertés et de la détention de Versailles en date du 23 juin 2004 irrecevable.
Condamne la société COLAS RAIL aux dépens.
Prononcé en audience publique et contradictoirement par Chantal CHARRUAULT Premier Vice-Président, juge des Libertés et de la détention, assistée de Jean-Christophe SOULIER, Greffier placé
Et Nous et le greffier d'audience avons signé la minute de la présente décision,
Fait à Versailles
Le GreffierLe Premier Vice-Président Juge des Libertés et de la détention