CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 26 juin 2025
Rejet
Mme MARTINEL, présidente
Arrêt n° 719 FS-B
Pourvoi n° R 24-13.312
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 JUIN 2025
Le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 24-13.312 contre le jugement rendu le 23 janvier 2024 par le tribunal de proximité de Puteaux, dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à M. [W] [V], domicilié [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Philippart, conseillère référendaire, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Axa France IARD, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 juin 2025 où étaient présents Mme Martinel, présidente, Mme Philippart, conseillère référendaire rapporteure, Mme Isola, conseillère doyenne, Mme Cassignard, M. Martin, Mmes Chauve, Salomon, conseillers, M. Ittah, Mme Brouzes, M. Riuné, conseillers référendaires, M. Brun, avocat général, et Mme Cathala, greffière de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, de la présidente et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort (tribunal de proximité de Puteaux, 23 janvier 2024), le 19 juillet 2020, M. [X] a été victime d'un accident de la circulation impliquant un véhicule automobile conduit par M. [V] et assuré par la société Axa France IARD (l'assureur).
2. L'assureur ayant refusé sa garantie au motif qu'à la date de l'accident, le contrat d'assurance était suspendu pour non-paiement des primes par l'assuré, le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (le FGAO) a indemnisé M. [X] de ses dommages matériels.
3. Le FGAO a assigné l'assureur devant un tribunal de proximité afin d'obtenir le remboursement de la somme. L'assureur a appelé M. [V] en garantie.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le FGAO fait grief au jugement de le débouter de sa demande à l'encontre de l'assureur, alors « que l'article 3, paragraphe 1, de la directive 72/166/CEE du Conseil du 24 avril 1972 et l'article 2, paragraphe 1, de la deuxième directive 84/5/CEE du Conseil du 30 décembre 1983, devenus respectivement articles 3 et 13 de la directive n° 2009/103 du Conseil du 16 septembre 2009, tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt Fidelidade du 20 juillet 2017, s'opposent à ce qu'une compagnie d'assurance de responsabilité civile automobile puisse se prévaloir de dispositions légales ou de clauses contractuelles pour refuser d'indemniser les victimes d'un accident de la circulation causé par un véhicule assuré ; que le juge national chargé d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit européen, a l'obligation d'assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale ; qu'il en résulte que l'article R. 211-13 du code des assurances, en ce qu'il permet à l'assureur d'opposer à la victime d'un accident de la circulation la suspension, pour défaut de paiement des primes, du contrat d'assurance d'un véhicule impliqué dans cet accident, doit demeurer inappliqué en droit interne dès lors qu'il contrevient à ce principe d'inopposabilité ; qu'en retenant toutefois que la suspension du contrat pour défaut de paiement des primes demeurait opposable à la victime et à ses ayants droit aux motifs que l'article R. 211-13 du code des assurances mentionnait une telle exception au titre de celles qui leur étaient opposables, sans laisser inappliqué cette disposition contraire au droit de l'Union, le tribunal de proximité a violé ce texte par fausse application, ensemble les articles 3, paragraphe 1, de la directive 72/166/CEE du Conseil du 24 avril 1972 et 2, paragraphe 1, de la deuxième directive 84/5/CEE du Conseil du 30 décembre 1983, devenus respectivement articles 3 et 13 de la directive n° 2009/103 du Conseil du 16 septembre 2009 et le principe de primauté du droit de l'Union européenne. »
Réponse de la Cour
5. Le pourvoi pose la question de savoir si l'article R. 211-13, 2°, du code des assurances, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2023-1225 du 21 décembre 2023, est conforme au droit de l'Union européenne. En cas de réponse négative, il interroge les règles applicables à la résolution de ce conflit de normes.
6. Selon l'article R. 211-13, 2°, du code des assurances, inséré dans un titre du code des assurances relatif à l'assurance automobile obligatoire, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret du 21 décembre 2023, ne sont pas opposables aux victimes ou à leurs ayants droit les déchéances, à l'exception de la suspension régulière de la garantie pour non-paiement de prime.
7. Il résulte de l'article 3, alinéa 1er, de la directive n° 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 concernant l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l'obligation d'assurer cette responsabilité (la directive n° 2009/103/CE), qui reprend et codifie les quatre premières directives automobiles, que, sous réserve de l'application de l'article 5 de cette directive, les États membres doivent prendre toutes les mesures appropriées pour que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur leur territoire soit couverte par une assurance.
8. Selon l'article 13, paragraphe 1, alinéas 1 et 2, de cette directive, chaque État membre prend toutes les mesures appropriées pour que soit réputée sans effet, en ce qui concerne le recours des tiers lésés à la suite d'un accident, toute disposition légale ou clause contractuelle contenue dans une police d'assurance délivrée conformément à l'article 3 qui exclut de l'assurance l'utilisation ou la conduite de véhicules par :
a) des personnes n'y étant ni expressément ni implicitement autorisées ;
b) des personnes non titulaires d'un permis leur permettant de conduire le véhicule concerné ;
c) des personnes qui ne se sont pas conformées aux obligations légales d'ordre technique concernant l'état et la sécurité du véhicule concerné.
Toutefois, la disposition ou la clause visée au point a), peut être opposée aux personnes ayant de leur plein gré pris place dans le véhicule qui a causé le dommage, lorsque l'assureur peut prouver qu'elles savaient que le véhicule était volé.
9. Par plusieurs arrêts, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que l'article 3, paragraphe 1, de la première directive automobile 72/166/CEE du Conseil du 24 avril 1972 et l'article 2, paragraphe 1, de la deuxième directive automobile 84/5/CEE du Conseil du 30 décembre 1983, repris aux articles 3, alinéa 1er, et 13 de la directive 2009/103/CE, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui aurait pour effet que soit opposable aux tiers victimes la nullité d'un contrat d'assurance de responsabilité civile automobile résultant de fausses déclarations initiales du preneur d'assurance. Elle juge que le constat de l'atteinte causée à l'effet utile des directives par l'opposabilité au tiers victime de la nullité du contrat ne saurait être remis en cause par la possibilité que soit versée une indemnisation à la victime par un Fonds de garantie automobile. En effet, l'intervention d'un tel organisme a été conçue comme une mesure de dernier recours, prévue uniquement dans le cas où les dommages ont été causés par un véhicule pour lequel il n'a pas été satisfait à l'obligation d'assurance, à savoir un véhicule pour lequel il n'existe pas de contrat d'assurance (CJUE, arrêt du 20 juillet 2017, Fidelidade-Companhia de Seguros, C-287/16, point 35 ; CJUE, arrêt du 19 septembre 2024, Matmut, C-236/23, point 48).
10. Elle juge également que le législateur de l'Union a prévu à l'article 13, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2009/103/CE une seule dérogation à l'obligation des assureurs d'indemniser les tiers victimes d'un accident de la circulation, tenant au cas dans lequel le véhicule qui a causé le dommage était utilisé ou conduit par des personnes n'y étant ni expressément ni implicitement autorisées et où les tiers victimes ont de leur plein gré pris place dans ce véhicule, sachant que celui-ci avait été volé, cette dérogation devant faire l'objet d'une interprétation stricte (CJUE, ordonnance du 13 octobre 2021, Liberty Seguros, C-375/20, points 61 à 63 ; CJUE, arrêt du 19 septembre 2024, Matmut, C-236/23, points 43 et 44).
11. Il se déduit de cette jurisprudence, sans qu'il puisse subsister un doute raisonnable, que les articles 3, alinéa 1er, et 13 de la directive n° 2009/103/CE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui a pour effet que soit opposable aux personnes lésées par un accident de la circulation la suspension du contrat d'assurance obligatoire pour non-paiement de prime par l'assuré.
12. Cette analyse est confortée, en droit interne, par la nouvelle rédaction de l'article R. 211-13 du code des assurances, issue du décret du 21 décembre 2023, qui ne mentionne plus la suspension pour non-paiement de prime comme une exception opposable aux victimes d'accidents de la circulation. Ce texte réglementaire a été édicté sur la base de l'ordonnance n° 2023-1138 du 6 décembre 2023 portant transposition de la directive n° 2021/2118 du 24 novembre 2021 modifiant la directive 2009/103/CE.
13. Or, il résulte de la jurisprudence constante de la CJUE que si une juridiction nationale, saisie d'un litige relevant du champ d'application d'une directive, est tenue, lorsqu'elle applique les dispositions du droit interne, de prendre en considération l'ensemble des règles du droit national et de les interpréter, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte ainsi que de la finalité de la directive, pour aboutir à une solution conforme à l'objectif qu'elle poursuit, ce principe d'interprétation conforme ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national (CJCE, arrêt du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C-397/01 à C-403/01, point 119 ; CJUE, arrêt du 19 avril 2016, DI, C-441/14, points 31 et 32 ; CJUE, arrêt du 7 août 2018, [K], C-122/17, points 39 et 40 ; CJUE, arrêt du 24 juin 2019, [E], C-573/17, points 73 à 76).
14. La CJUE juge encore que lorsque l'interprétation conforme de la disposition nationale n'est pas possible, il appartient au juge national, pour écarter cette norme interne contraire, d'examiner si la directive invoquée produit un effet direct, la primauté reconnue à cette dernière, même claire et inconditionnelle, étant conditionnée à son effet direct dans le litige en cause (CJCE, arrêt du 15 avril 2008, Impact, C-268/06, point 100 ; CJUE, arrêt du 24 janvier 2012, [G], C-282/10, points 25 et 32).
15. Or, selon la CJUE, une directive, même claire et inconditionnelle, ne peut pas, par elle-même, créer d'obligations pour un particulier en étant invoquée en tant que telle contre lui (CJCE, arrêt du 26 février 1986, [M], 152/84, point 48 ; CJCE, arrêt du 14 juillet 1994, [H] [O], C-91/92, point 20 ; CJCE, arrêt du 5 octobre 2004, Pfeiffer, C-397/01 à C-403/01, point 108 ; CJUE, arrêt du 7 août 2018, [K], C-122/17, point 43 ; CJUE, arrêt du 24 juin 2019, [E], C-573/17, points 65 à 68).
16. En effet, la juridiction nationale n'est tenue d'écarter la disposition nationale contraire à une directive inconditionnelle et suffisamment précise que lorsque celle-ci est invoquée à l'encontre d'un État membre, des organes de son administration, y compris des autorités décentralisées, ou des organismes et entités qui sont soumis à l'autorité ou au contrôle de l'État ou qui se sont vu confier par un État membre l'accomplissement d'une mission d'intérêt public et qui, à cette fin, détiennent des pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers (CJUE, arrêt du 24 janvier 2012, [G], C-282/10, points 40 et 41 ; CJUE, arrêt du 25 juin 2015, Ind li ir investicij draudimas et Nemani nas, C-671/13, points 59 et 60 ; CJUE, arrêt du 10 octobre 2017, [S], C-413/15, points 32 à 42 ; CJUE, arrêt du 7 août 2018, [K], C-122/17, point 45).
17. En conséquence, le FGAO, personne morale de droit privé chargée des missions d'intérêt public énoncées par l'article L. 421-1 du code des assurances et dotée, à cet effet, de pouvoirs exorbitants (2e Civ., 10 novembre 2021, pourvoi n° 19-22.949), ne peut invoquer la directive à l'encontre de l'assureur qui est, au sens de cette jurisprudence, un particulier.
18. Au surplus, si la CJUE a admis qu'un principe général du droit de l'Union, concrétisé par une directive, puisse conférer aux particuliers un droit subjectif invocable en tant que tel qui oblige les juridictions nationales, même saisies d'un litige à l'encontre d'un particulier, à écarter l'application des dispositions nationales contraires à ce principe lorsqu'elles considèrent se trouver dans l'impossibilité d'assurer une interprétation conforme de ces dispositions (CJCE, arrêt du 19 janvier 2010, Seda Kucukdeveci c. Swedex GmbH, C-555/07, points 50 et 51 ; CJUE, arrêt du 19 avril 2016, DI, C-441/14, points 35 à 37), elle a jugé que l'article 1er de la troisième directive automobile 90/232/CEE du Conseil du 14 mai 1990 ne saurait être considéré comme concrétisant un principe général du droit de l'Union (CJUE, arrêt du 7 août 2018, [K], C-122/17, point 48).
19. Les articles 3 et 13 de la directive 2009/103/CE, qui reprennent ou précisent cette disposition, ne peuvent être interprétés, sans qu'il puisse subsister un doute raisonnable, comme concrétisant un tel principe général du droit de l'Union qui serait susceptible de justifier l'invocabilité directe de cette directive à l'encontre d'un particulier.
20. Enfin, la CJUE a précisé que, pour le cas où le résultat prescrit par une directive ne pourrait être atteint par voie d'interprétation, la partie lésée par la non-conformité du droit national au droit de l'Union ou la personne subrogée dans les droits de cette partie pourrait se prévaloir de la jurisprudence issue de l'arrêt du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C-6/90 et C-9/90), pour obtenir de l'État membre, le cas échéant, réparation du dommage subi (CJCE, arrêt du 14 juillet 1994, [H] [O], C-92/91, point 27 ; CJUE, arrêt du 15 janvier 2014, Association de médiation sociale, C-176/12, point 50 ; CJUE, arrêt du 19 avril 2016, DI, C-441/14, point 42 ; CJUE, arrêt du 7 août 2018, [K], C-122/17, point 56).
21. Ayant exactement retenu qu'il n'est pas possible de faire une interprétation des dispositions claires et précises de l'article R. 211-13 du code des assurances, dans sa rédaction applicable au litige, antérieure à celle issue du décret du 21 décembre 2023, qui serait conforme au droit de l'Union, et les dispositions des directives visées par le moyen étant invoquées par le FGAO à l'encontre d'un assureur, qui est un particulier, au sens de la jurisprudence de la CJUE, c'est à bon droit que le tribunal a refusé d'écarter cette norme interne et a, en conséquence, rejeté la demande en remboursement formée par le FGAO à l'encontre de l'assureur.
22. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le vingt-six juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.