CIV. 2
CH10
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 19 juin 2025
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 608 F-D
Pourvoi n° C 23-23.715
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 JUIN 2025
La société Altima assurances, société anonyme à conseil d'administration, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 23-23.715 contre l'arrêt rendu le 19 octobre 2023 par la cour d'appel de Bordeaux (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [Z] [J],
2°/ à Mme [X] [E], épouse [J],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
3°/ à la société Melisa, société à responsabilité limitée à associé unique, dont le siège est [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Altima assurances, de la SCP Marc Lévis, avocat de M. et Mme [J] et de la société Melisa, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 mai 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 19 octobre 2023) et les productions, le 12 juillet 2022, un incendie s'est déclaré dans la forêt de La Teste de Buch (33), à l'origine de la destruction de milliers d'hectares de forêt et de la fermeture de nombreux établissements commerciaux auxquels l'accès était impossible ou interdit.
2. Un restaurant et une sandwicherie situés sur la plage du [Adresse 4] à [Localité 3], exploités par la société Melisa (la société) ayant pour gérants M. et Mme [J], n'ont pas été atteints par l'incendie mais ont été fermés pour toute la saison d'été 2022.
3. Soutenant que l'incendie ayant entraîné la fermeture de ces établissements avait été provoqué par un véhicule assuré par la société Altima assurances (l'assureur), la société, ainsi que M. et Mme [J], après avoir vainement mis en demeure l'assureur de les indemniser de leurs préjudices, l'ont assigné en référé en paiement d'une provision à valoir sur l'indemnisation de leurs pertes d'exploitation et de revenus.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. L'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société la somme provisionnelle de 88 688 euros à valoir sur la réparation de son préjudice, alors « que le juge des référés ne peut accorder une provision au demandeur que dans le cas où l'existence de l'obligation du défendeur n'est pas sérieusement contestable ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la garantie souscrite par la société Pierre Houé et associés s'étendait aux « conséquences pécuniaires de la responsabilité civile que l'assuré peut encourir en raison des dommages corporels, matériels et immatériels consécutifs subis par des tiers, résultant d'un accident dans lequel le véhicule assuré est impliqué à la suite d'accident, incendie ou explosions causés par le véhicule », et que les « dommages immatériels consécutifs » étaient définis comme « tout préjudice financier résultant de la privation de jouissance d'un droit, de l'interruption d'un service rendu par une personne ou par un bien meuble ou de la perte de bénéfice et consécutif à un dommage corporel ou matériel garanti » ; que l'assureur contestait que les pertes d'exploitation de la société pussent constituer un « dommage immatériel consécutif » ouvrant droit à garantie dans la mesure où « la SARL Melisa et ses gérants n'ont pas subi de préjudice matériel qui aurait entraîné un préjudice immatériel consécutif », le lien entre l'incendie et les pertes d'exploitation étant « réellement indirect puisque les établissements n'ont pas brûlé ; la raison pour laquelle les établissements auraient pu subir des pertes d'exploitation est uniquement liée à l'impossibilité d'accès sur la zone sinistrée par l'incendie, fermée au public » ; qu'en retenant, pour condamner l'assureur à payer à la société une provision de 88 688 euros à valoir sur la réparation de son préjudice, que « s'il est exact que les bâtiments d'exploitation de la SARL Melisa n'ont pas brûlé, leur fermeture est à l'évidence consécutive à l'incendie de la forêt au sein de laquelle se situent les deux établissements qu'elle exploite » et que « comme le relèvent justement les intimés, le contrat d'assurance Altima "Assurance flotte de véhicules" ne prévoit pas que, pour être indemnisables, les dommages immatériels consécutifs aux dommages matériels garantis doivent avoir été subis par la victime directe de l'accident », la cour d'appel, qui a interprété la police d'assurance, laquelle se bornait à définir le « dommage immatériel consécutif » comme « tout préjudice financier [
] consécutif à un dommage corporel ou matériel garanti » sans préciser ce que signifiait cette dernière condition, a violé l'article 835 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 835, alinéa 2, du code de procédure civile :
5. Selon ce texte, le juge des référés peut accorder une provision au créancier dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
6. Pour condamner l'assureur à payer à la société une provision de 88 688 euros, l'arrêt retient, d'abord, que le contrat couvrant le véhicule impliqué dans l'incendie garantit les conséquences pécuniaires que l'assuré peut encourir en raison des dommages corporels, matériels et immatériels consécutifs subis par des tiers, résultant d'un accident dans lequel le véhicule assuré est impliqué à la suite d'accident, incendie ou explosions causés par le véhicule.
7. Il ajoute que, selon les termes du contrat, le dommage immatériel consécutif est défini comme tout préjudice financier résultant de la privation de jouissance d'un droit, de l'interruption d'un service rendu par une personne ou par un bien meuble ou de la perte de bénéfice et consécutif à un dommage corporel ou matériel garanti.
8. Après avoir énoncé, d'une part, qu'il n'est pas sérieusement contestable que le dommage matériel subi par le propriétaire des milliers d'hectares détruits par cet incendie constitue un dommage matériel garanti au sens des dispositions contractuelles précitées, d'autre part, que si les bâtiments d'exploitation de la société n'ont pas brûlé, leur fermeture est à l'évidence consécutive à cet incendie, et retenu que le contrat d'assurance ne prévoit pas que pour être indemnisables, les dommages immatériels consécutifs aux dommages matériels garantis doivent avoir été subis par la victime directe de l'accident, l'arrêt en déduit qu'il n'est pas sérieusement contestable que la société puisse prétendre à l'indemnisation de ses pertes d'exploitation consécutives au dommage matériel garanti subi par le propriétaire des bois incendiés.
9. En statuant ainsi, alors que l'assureur soutenait que la garantie « responsabilité civile automobile », qui couvrait les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile que l'assuré peut encourir en raison de dommages corporels, matériels et immatériels consécutifs subis par des tiers résultant d'un accident dans lequel le véhicule assuré est impliqué, ne pouvait être mobilisée dès lors que la société ne pouvait se prévaloir d'un dommage matériel ou corporel, la cour d'appel, qui a tranché une contestation sérieuse portant sur une condition de la garantie de l'assureur, a violé le texte susvisé.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
10. L'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société et à M. et Mme [J] la somme de 6 000 euros à titre de provision ad litem, alors « que le juge des référés ne peut accorder une provision au demandeur que dans le cas où l'existence de l'obligation du défendeur n'est pas sérieusement contestable ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a infirmé l'ordonnance entreprise en ce qu'elle avait alloué aux époux [J] une provision de 17 500 euros et, statuant de nouveau, les a déboutés de leur demande de provision à valoir sur le préjudice résultant de leur perte de revenus après avoir retenu que « la contestation de la société Altima Assurances apparaît donc sérieuse » ; qu'en condamnant néanmoins l'assureur à payer une provision ad litem aux époux [J], la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 835 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 835, alinéa 2, du code de procédure civile :
11. Selon ce texte, le juge des référés peut accorder une provision au créancier dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
12. Pour confirmer l'ordonnance en ce qu'elle condamne l'assureur à payer à la société et à M. et Mme [J] la somme de 6 000 euros à titre de provision ad litem, l'arrêt retient que l'assureur, qui fait valoir que cette demande ne franchit pas les seuils de l'évidence requis devant le juge des référés, n'a pas développé plus en détail son moyen au soutien de sa demande de rejet.
13. En statuant ainsi, alors qu'elle avait préalablement retenu que la contestation, par l'assureur, de son obligation à réparation du préjudice de M. et Mme [J] résultant de la perte de leur rémunération en qualité de gérants de la société, était sérieuse, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
14. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt qui condamne l'assureur à payer à la société la somme provisionnelle de 88 688 euros à valoir sur la réparation de son préjudice entraîne la cassation du chef de dispositif qui condamne l'assureur à payer à la société la somme de 6 000 euros à titre de provision ad litem, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme l'ordonnance en ce qu'elle condamne la société Altima assurances à payer, d'une part, à la société Melisa la somme provisionnelle de 88 688 euros à valoir sur la réparation de son préjudice, d'autre part, à payer à la société Melisa et à M. et Mme [J] la somme de 6 000 euros à titre de provision ad litem et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 19 octobre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée ;
Condamne la société Melisa et M. et Mme [J] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le dix-neuf juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.