N° Y 24-84.803 FP-B
N° 00627
RB5
18 JUIN 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 18 JUIN 2025
La procureure générale près la cour d'appel de Paris a formé un pourvoi contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre 2-4, en date du 8 juillet 2024, qui, après relaxe partielle, a condamné M. [L] [S], pour infractions à la législation sur les stupéfiants en récidive, à six ans d'emprisonnement, trois ans d'interdiction d'entrer en relation avec certaines personnes et une confiscation.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Gouton, conseiller, et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 avril 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gouton, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. de Larosière de Champfeu, Mme Labrousse, MM. Sottet, Wyon, Mme Leprieur, M. Cavalerie, Mme Piazza, M. Maziau, Mme Hairon, M. Busché, conseillers de la chambre, Mme Fouquet, M. Violeau, Mme Guerrini, M. Rouvière, conseillers référendaires, M. Aldebert, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [L] [S] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel sous la prévention de transport, détention, offre ou cession, acquisition, importation, illicites, de stupéfiants et association de malfaiteurs, en récidive.
3. Par jugement du 18 mars 2024, il a été déclaré coupable de tous ces délits et condamné.
4. M. [S] a relevé appel de cette décision. Le ministère public a formé appel incident.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen est pris de la violation des articles 132-2, 450-1 du code pénal et du principe ne bis in idem.
6. Il critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé M. [S] du chef d'association de malfaiteurs, alors que cette qualification n'était pas incompatible avec celles d'importation, détention et transport de stupéfiants, quand, d'une part, les délits ainsi qualifiés sont distincts, d'autre part, les infractions à la législation sur les stupéfiants ne sont pas un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'association de malfaiteurs et ne constituent pas une incrimination spéciale qui devrait être privilégiée, enfin, un cumul de ces qualifications, admis même si elles reposent sur des faits identiques, était d'autant plus possible que les faits caractérisant les délits en question n'étaient pas indissociables mais différents.
Réponse de la Cour
Vu le principe ne bis in idem :
7. L'interdiction de cumuler les qualifications lors de la déclaration de culpabilité doit être réservée, outre à la situation dans laquelle la caractérisation des éléments constitutifs de l'une des infractions exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs de l'autre, aux cas où un fait ou des faits identiques sont en cause et où l'on se trouve dans l'une des deux hypothèses suivantes : dans la première, l'une des qualifications, telles qu'elles résultent des textes d'incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'autre, qui, seule, doit alors être retenue ; dans la seconde, l'une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction, dite générale (Crim., 15 décembre 2021, pourvoi n° 21-81.864, publié au Bulletin).
8. L'interdiction du cumul de qualifications implique ainsi que soient remplies deux conditions qui doivent être simultanément réunies, l'une tenant à l'identité des faits matériels caractérisant les infractions en concours, l'autre tenant à leur définition légale. Le cumul est autorisé lorsqu'une seule de ces conditions n'est pas remplie.
9. S'agissant de la seconde condition, il résulte des articles 222-36, 222-37 et 450-1 du code pénal définissant les infractions à la législation sur les stupéfiants poursuivies et l'association de malfaiteurs que la caractérisation des éléments constitutifs de l'une de ces infractions n'exclut pas la caractérisation des éléments constitutifs de l'autre.
10. Par ailleurs, aucune de ces infractions n'est un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'autre.
11. En effet, au regard des textes d'incrimination susvisés, d'une part, le délit d'association de malfaiteurs, qui réprime la participation à un groupement établi en vue de la commission d'infractions, n'est pas un élément constitutif ni une circonstance aggravante des infractions à la législation sur les stupéfiants.
12. D'autre part, la consommation de l'infraction préparée par un tel groupement n'est pas un élément constitutif ni une circonstance aggravante du délit d'association de malfaiteurs.
13. Enfin, aucune de ces qualifications n'incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction.
14. Il en résulte que les délits d'association de malfaiteurs et d'infractions à la législation sur les stupéfiants peuvent être retenus à l'encontre de la même personne relativement aux mêmes faits.
15. Pour relaxer M. [S] du chef d'association de malfaiteurs, l'arrêt attaqué énonce que les faits susceptibles de caractériser ce délit sont indissociables de ceux de détention, de transport et d'importation de stupéfiants dont le prévenu est, par ailleurs, déclaré coupable et ne peuvent donner lieu à une autre déclaration de culpabilité.
16. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu la portée du principe susvisé pour les motifs qui suivent.
17. D'une part, en retenant que les faits poursuivis sous les qualifications d'association de malfaiteurs et d'infractions à la législation sur les stupéfiants étaient indissociables, elle n'a pas caractérisé qu'ils étaient identiques.
18. D'autre part, à supposer les faits identiques, le cumul des qualifications visées à la poursuite s'imposait à elle.
19. Dès lors, elle ne pouvait relaxer le prévenu du chef d'association de malfaiteurs sans constater que les éléments constitutifs de cette infraction n'étaient pas réunis.
20. La cassation est, par conséquent, encourue.
Portée et conséquences de la cassation
21. La cassation ne concerne que les dispositions relatives à la relaxe du chef d'association de malfaiteurs et aux peines. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 8 juillet 2024, mais en ses seules dispositions relatives à la relaxe de M. [S] du chef d'association de malfaiteurs et aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit juin deux mille vingt-cinq.