CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 18 juin 2025
Cassation partielle sans renvoi
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 447 F-B
Pourvoi n° E 23-23.510
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 18 JUIN 2025
M. [F] [N], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 23-23.510 contre l'arrêt rendu le 14 novembre 2023 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Barclay Pharmaceuticals Limited, société de droit anglais, dont le siège est [Adresse 3] (Royaume-Uni),
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Versailles, domicilié en son parquet général, [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [N], de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Barclay Pharmaceuticals Limited, et l'avis de Mme Cazaux-Charles, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 mai 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 14 novembre 2023), le 27 avril 2012, le greffier en chef du tribunal de grande instance de Versailles a constaté la force exécutoire, sur le territoire français, d'une décision du 28 février 2012 de la Haute Cour de Justice, Division du Banc de la Reine, tribunal de commerce, ayant condamné M. [N] à payer à la société Barclay Phamarceuticals Limited la somme de 8 745 464 livres anglaises.
2. Le 1er septembre 2022, M. [N] a formé un recours en application de l'article 43 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I).
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. [N] fait grief à l'arrêt de rejeter ses moyens tirés de l'imprécision des mentions contenues dans l'acte de notification de la déclaration constatant la force exécutoire de la décision rendue le 28 février 2012 par la Haute cour de justice d'Angleterre et du Pays de Galles, de rejeter sa demande d'annulation de la notification faite par voie d'huissier de justice le 6 juin 2012 à sa personne de la déclaration du 27 avril 2012 constatant la force exécutoire de cette décision, de déclarer irrecevable son appel interjeté le 1er septembre 2022 à l'encontre de la déclaration du 27 avril 2012, de le condamner à verser à la société Barclay Pharmaceuticals Limited les sommes de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et de le condamner à une amende civile de 10 000 euros, alors « que le recours régi par les articles 43 et suivants du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (dit règlement Bruxelles I), qui tend à la révocation de la déclaration, obtenue sur requête, du greffier en chef du tribunal de grande instance constatant la force exécutoire d'une décision rendue dans un État membre de l'Union européenne ne constitue pas un appel ; qu'en déclar[ant] irrecevable l'appel de M. [N] interjeté le 1er septembre 2022 à l'encontre de la déclaration du 27 avril 2012 constatant la force exécutoire de la décision rendue le 28 février 2012 par la Haute cour de justice d'Angleterre et du Pays de Galles, division du banc de la Reine, tribunal de commerce", la cour d'appel a violé l'article 43 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. »
Réponse de la Cour
4. En application des articles 38 et 39 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 (Bruxelles I), les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée. La requête est présentée à la juridiction ou à l'autorité compétente indiquée sur la liste figurant à l'annexe II.
5. L'annexe II du règlement prévoit qu'en France, l'autorité auprès de laquelle les requêtes visées à l'article 39 sont présentées est soit le greffier en chef du tribunal de grande instance, soit, lorsque la requête vise à voir déclarer exécutoire un acte authentique notarié, le président de la chambre départementale des notaires.
6. L'article 42, § 2, du règlement Bruxelles I, dispose que la déclaration constatant la force exécutoire d'une décision rendue dans un autre Etat membre est signifiée ou notifiée à la partie contre laquelle l'exécution est demandée, accompagnée de la décision étrangère si celle-ci n'a pas encore été signifiée ou notifiée à cette partie.
7. En application de l'article 43 de ce règlement, la partie contre laquelle l'exécution d'une décision rendue dans un autre Etat membre a été demandée peut former un recours contre la déclaration constatant la force exécutoire dans un délai d'un mois à compter de la notification ou de la signification prévue à l'article 42. Ce recours est examiné selon les règles de la procédure contradictoire.
8. L'annexe III du règlement prévoit qu'en France, s'agissant des décisions accueillant une requête en déclaration de force exécutoire d'une décision rendue dans un autre Etat membre, le recours prévu à l'article 43 est porté devant la cour d'appel.
9. Enfin, l'article 542 du code de procédure civile dispose que l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.
10. Il résulte de ces dispositions que le recours, prévu à l'article 43 du règlement, formé contre la déclaration établie par le greffier en chef constatant la force exécutoire de la décision rendue dans un autre Etat membre, n'est pas un appel au sens de l'article 542 du code de procédure civile. A peine d'irrecevabilité, ce recours doit d'être formé dans un délai d'un mois à compter de la notification ou de la signification de la déclaration constatant la force exécutoire.
11. Ayant retenu que la signification de la déclaration constatant la force exécutoire du jugement anglais était régulière, de sorte que le recours avait été introduit tardivement, après l'expiration du délai d'un mois prévu à l'article 43, § 5, du règlement Bruxelles I, la cour d'appel en a exactement déduit que ce recours, même improprement qualifié d'appel, était irrecevable.
12. Le moyen est donc inopérant.
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
13. M. [N] fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'acte de notification du jugement doit indiquer précisément la nature du recours ouvert ; qu'en jugeant suffisamment précise la mention de l'acte de signification de la déclaration du greffier en chef du tribunal de grande instance de Versailles en date du 27 avril 2012 constatant la force exécutoire de la décision anglaise du 28 février 2012 selon laquelle Vous pouvez exercer un recours contre cette déclaration constatant la force exécutoire de ce titre étranger sur le territoire français dans le délai d'un mois à compter de la date figurant en tête du présent acte. / Ce recours devra être formé par un avocat constitué devant la cour d'appel de Versailles", au motif que l'article 43 du règlement Bruxelles I utilisait le terme de recours" et que tant la déclaration de force exécutoire que son acte de signification se référaient au règlement Bruxelles I, tandis que, faute de préciser que le recours" devant être exercé était celui prévu par l'article 43 du règlement Bruxelles I et que, quoique devant être exercé devant la cour d'appel, il se distinguait d'un appel, l'acte de signification était imprécis, la cour d'appel a violé l'article 680 du code de procédure civile ensemble l'article 42 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. »
Réponse de la Cour
14. Selon l'article 680 du code de procédure civile, l'acte de notification d'un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente le délai d'opposition, d'appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l'une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé.
15. La Cour de cassation juge que cette règle constitue un principe général qui s'applique devant les juridictions judiciaires, quelle que soit la nature de la décision ou de l'acte contestés et celle des voies et délais de recours (Ass. plén., 8 mars 2024, pourvoi n° 21-21.230).
16. Par conséquent, le principe général énoncé à l'article 680 précité s'applique à l'acte de notification ou de signification, prévu à l'article 42 du règlement Bruxelles I, de la déclaration constatant la force exécutoire d'une décision rendue dans un autre Etat membre.
17. Ayant constaté que l'acte de signification de la déclaration de force exécutoire indiquait : « Vous pouvez exercer un recours contre cette déclaration constatant la force exécutoire de ce titre étranger sur le territoire français dans le délai d'un mois à compter de la date figurant en tête du présent acte. Ce recours devra être formé par un avocat constitué devant la cour d'appel de Versailles », la cour d'appel en a exactement déduit que cette mention, suffisamment précise, ne remettait pas en cause la régularité de l'acte et que le recours était, par conséquent, irrecevable comme tardif.
18. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
19. M. [N] fait grief à l'arrêt de le condamner à une amende civile de 10 000 euros, alors « que l'article 559 du code de procédure civile ne prévoit la condamnation de l'appelant à une amende civile qu' en cas d'appel principal dilatoire ou abusif" ; qu'en condamnant M. [N] sur ce fondement, tandis que le recours prévu par les articles 43 et suivants du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (dit règlement Bruxelles I), qui tend à la révocation de la déclaration constatant la force exécutoire d'une décision rendue dans un État membre de l'Union européenne, ne constitue pas un appel, la cour d'appel a violé l'article 559 du code de procédure civile par fausse application, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
20. La société Barclay Phamarceuticals Limited conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est contraire à la précédente position de M. [N] qui, ayant formalisé une déclaration d'appel, avait lui-même qualifié son recours d'appel.
21. Cependant, le moyen est né de la décision attaquée.
22. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 559 du code de procédure civile :
23. Selon ce texte, en cas d'appel principal dilatoire ou abusif, l'appelant peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages et intérêts qui lui seraient réclamés.
24. Pour condamner M. [N] à payer une amende civile en application de ces dispositions, l'arrêt retient que celui-ci, après avoir, à de nombreuses reprises, contesté les actions tendant au recouvrement de sa dette, a introduit, sans aucun moyen sérieux ni commencement d'exécution, un recours à l'encontre d'une déclaration conférant la force exécutoire au jugement étranger constatant cette dette et ce, plus de dix années après la signification de cette déclaration.
25. En statuant ainsi, alors que le recours prévu à l'article 43 du règlement Bruxelles I dont elle était saisie n'était pas un appel tendant, par la critique d'un jugement rendu par une juridiction du premier degré, à la réformation ou à l'annulation d'un tel jugement, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
26. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
27. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.
28. La cassation, par voie de retranchement, du chef de dispositif qui condamne M. [N] à une amende civile de 10 000 euros, n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt le condamnant aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, mais seulement en ce qu'il condamne M. [N] à une amende civile de 10 000 euros, l'arrêt rendu le 14 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le dix-huit juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.