CIV. 1
COUR DE CASSATION
LM
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QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
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Arrêt du 12 juin 2025
NON-LIEU À RENVOI
Mme CHAMPALAUNE, présidente
Arrêt n° 538 FS-D
Pourvoi n° X 24-22.219
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 12 JUIN 2025
Par mémoire spécial présenté le 9 avril 2025, Mme [S] [P], domiciliée [Adresse 2], a formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° X 24-22.219 qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 9 octobre 2024 par la cour d'appel de Lyon (2e chambre A), dans une instance l'opposant à Mme [H] [U], domiciliée [Adresse 1].
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Duval, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de Mme [P], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de Mme [U], et l'avis de Mme Caron-Déglise, avocate générale, après débats en l'audience publique du 11 juin 2025 où étaient présents Mme Champalaune, présidente, M. Duval, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseillère doyenne, Mme Poinseaux, M. Fulchiron, Mmes Dard, Beauvois, Agostini, conseillers, Mmes Azar, Lion, Daniel, Marilly, Vanoni-Thiery, conseillères référendaires, Mme Caron-Déglise, avocate générale, et Mme Tifratine, greffière de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, de la présidente et de M. Duval, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseillère doyenne, Mme Poinseaux, M. Fulchiron, Mmes Dard, Beauvois, Agostini, conseillers, Mmes Lion, Daniel, Marilly, Vanoni-Thiery, conseillères référendaires, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Le 4 août 2006, Mme [P] et Mme [U] ont conclu un pacte civil de solidarité.
2. Le 13 novembre 2012, Mme [P] a donné naissance à [N], à la suite d'une assistance médicale à la procréation (AMP) pratiquée en Espagne.
3. Mme [P] et Mme [U] se sont mariés le 6 juillet 2013. Leur divorce a été prononcé par jugement du 13 octobre 2016.
4. Le 5 juillet 2022, Mme [U] a déposé une requête aux fins d'adoption plénière de l'enfant sur le fondement de l'article 9 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
5. À l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 9 octobre 2024 par la cour d'appel de Lyon, Mme [P] a demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« L'article 9 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l'adoption, tel qu'interprété par la Cour de cassation (Cass. 1re Civ., 23 mai 2024, pourvoi n° 22-20.069, publ. au Bull. Civ.), est-il conforme aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment aux dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, en ce qu'il prévoit un mécanisme d'adoption plénière "forcée" de l'enfant né au sein d'un couple de femmes par recours à une assistance médicale à la procréation à l'étranger antérieurement à la publication de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique et ce "lorsque, sans motif légitime, la mère inscrite dans l'acte de naissance de l'enfant refuse la reconnaissance conjointe prévue au IV de l'article 6" de la loi précitée du 2 août 2021, sous réserve que la femme qui n'a pas accouché rapporte "la preuve du projet parental commun et de l'assistance médicale à la procréation réalisée à l'étranger (
) sans que puisse lui être opposée l'absence de lien conjugal ni la condition de durée d'accueil prévue au premier alinéa de l'article 345 du code civil", ceci dès lors que le tribunal "estime que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l'intérêt de l'enfant", et ce sans considération pour la condition posée par ce texte que la protection de l'enfant exige une telle mesure ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
6. Les dispositions contestées, telle qu'interprétées, sont applicables au litige, qui concerne l'adoption d'un enfant né d'une AMP pratiquée à l'étranger avant la loi n° 2021-2017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, par l'ex-épouse de sa mère.
7. Elles n'ont pas déjà été déclarées conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
8. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation de dispositions constitutionnelles dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
9. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.
10. En effet, l'article 9 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 relative à l'adoption ne permet, à titre exceptionnel et pour une durée limitée, de déroger au principe selon lequel les parents doivent consentir à l'adoption de leur enfant, que dans des conditions strictement définies.
11. Il appartient, notamment, à la femme qui demande à adopter l'enfant de rapporter la preuve de ce que celui-ci est né à l'issue d'un projet parental construit avec la femme qui a accouché et d'une AMP réalisée à l'étranger, avant la publication de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 ouvrant cette technique médicale aux couples de femmes, dans les conditions prévues par la loi étrangère.
12. Cette procédure a seulement pour effet d'ajouter un lien de filiation maternelle à un autre lien de filiation maternelle, sans affecter le premier, et de permettre ainsi l'établissement d'un double lien de filiation conforme au projet parental commun à l'origine de la naissance de l'enfant.
13. Par ailleurs, l'adoption ne peut être prononcée en dépit du refus, sans motif légitime, de la femme qui a accouché de procéder à la reconnaissance conjointe prévue par l'article 6 de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021, que si elle est conforme à l'intérêt de l'enfant, souverainement apprécié par le juge, in concreto, à la date où il statue.
14. Si la Cour de cassation a jugé (1re Civ., 23 mai 2024, pourvoi n° 22-20.069, publié), au regard de l'objectif recherché par le législateur de ne pas priver l'enfant issu d'un projet parental commun de la protection qu'offre un second lien de filiation, du seul fait de la séparation conflictuelle de ses parents et du refus consécutif de la femme inscrite dans l'acte de naissance d'établir la reconnaissance conjointe, que l'article 9 précité ne subordonnait pas le prononcé de l'adoption à une condition autonome tenant à la protection de l'enfant qui impliquerait de démontrer concrètement que la mesure d'adoption est indispensable pour protéger l'enfant d'un danger, elle a précisé que l'intérêt de l'enfant à être adopté devait être apprécié en considération des exigences de sa protection.
15. De plus, si l'intérêt de l'enfant est souverainement apprécié par les juges du fond, la Cour de cassation est à même de contrôler l'existence d'une motivation appropriée, dès lors que la décision prononçant l'adoption sur le fondement du texte précité doit être, de manière dérogatoire au droit commun de l'adoption, spécialement motivée.
16. Il s'ensuit que les dispositions contestées, telles qu'interprétées, qui garantissent le respect des liens entre l'enfant et sa famille d'origine et supposent une appréciation au cas par cas de la situation des différentes personnes concernées, ne portent atteinte ni au droit de l'enfant et de la mère mentionnée dans l'acte de naissance de mener une vie familiale normale ni à l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant garantis par les dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
17. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le douze juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.