CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 12 juin 2025
Rejet
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 414 FS-B
Pourvoi n° Y 24-10.743
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 12 JUIN 2025
Mme [M] [F], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Y 24-10.743 contre l'arrêt rendu le 28 novembre 2023 par la cour d'appel de Chambéry (3e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [I] [J], domiciliée [Adresse 1],
2°/ au procureur général près de la cour d'Appel de Chambéry, domicilié en son parquet général, [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Fulchiron, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de Mme [F], de Me Occhipinti, avocat de Mme [J], et l'avis de Mme Caron-Déglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 avril 2025 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Fulchiron, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Poinseaux, Dard, Beauvois, Agostini, conseillers, M. Duval, Mme Azar, M. Buat-Ménard, Mmes Marilly, Daniel, Vanoni-Thiery, Lion, conseillers référendaires, Mme Caron-Déglise, avocat général, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 28 novembre 2023), Mme [F] et Mme [J] se sont mariées le 7 septembre 2019.
2. Le 11 février 2021, Mme [F] a donné naissance à [L] [F], après recours à une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur réalisée en Belgique.
3. Le couple s'étant séparé au cours de la grossesse, Mme [J] a, le 28 mars 2022, présenté une requête en adoption plénière de l'enfant.
Examen des moyens
Sur le second moyen pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième branches
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en sa première branche, qui est irrecevable, et sur le moyen, pris en ses deuxième à sixième branches, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Mme [F] fait grief à l'arrêt de dire recevable la demande formée par Mme [J] au titre de l'adoption plénière de [L] [F], alors « que le nouveau mode de filiation créé par la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 qu'est la reconnaissance conjointe consiste en un acte passé devant notaire, qui doit préalablement délivrer au couple un certain nombre d'informations sur la filiation, énumérées à l'article 342-10 du code civil, cette reconnaissance devant être remise à l'officier d'état civil après la naissance de l'enfant ; que ce formalisme est exigé dès lors qu'il a un impact déterminant sur la vie de l'enfant puisqu'il crée un lien de filiation qui ne pourra être remis en cause que dans des conditions très réduites ; que l'action en adoption forcée ouverte à titre exceptionnel et provisoire par la loi n° 2022-219 du 21 février 2022, prévue pour l'hypothèse où la mère inscrite dans l'acte de naissance s'oppose à l'établissement de la filiation à l'égard de la mère d'intention, n'est ouverte qu'en cas de refus de la mère de réaliser la procédure de reconnaissance conjointe a posteriori, elle-même ouverte pour une période limitée pour les procréations médicalement assistées antérieures à l'entrée en vigueur de la loi du 2 août 2021 ; qu'en raison des conséquences lourdes pour l'enfant comme pour le demandeur à l'établissement du lien de filiation et la mère ayant accouché, il doit être considéré que la tentative préalable de reconnaissance conjointe devant notaire, pour caractériser le refus de la mère inscrite dans l'acte de naissance de procéder à cette reconnaissance, est un formalisme préalable sans lequel la demande d'adoption est irrecevable ; qu'en considérant au contraire que la seule preuve de la volonté de la mère de ne pas voir naître de lien entre la demanderesse à l'adoption et l'enfant pourrait suffire à rendre recevable la demande d'adoption forcée, la cour d'appel a violé l'article 9 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022, ainsi que les articles 32 et 122 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. L'article 9 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2021 visant à réformer l'adoption dispose :
« À titre exceptionnel, pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, lorsque, sans motif légitime, la mère inscrite dans l'acte de naissance de l'enfant refuse la reconnaissance conjointe prévue au IV de l'article 6 de la loi nº 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, la femme qui n'a pas accouché peut demander à adopter l'enfant, sous réserve de rapporter la preuve du projet parental commun et de l'assistance médicale à la procréation réalisée à l'étranger avant la publication de la même loi, dans les conditions prévues par la loi étrangère, sans que puisse lui être opposée l'absence de lien conjugal ni la condition de durée d'accueil prévue au premier alinéa de l'article 345 du code civil. Le tribunal prononce l'adoption s'il estime que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l'intérêt de l'enfant et si la protection de ce dernier l'exige. Il statue par une décision spécialement motivée. L'adoption entraîne les mêmes effets, droits et obligations qu'en matière d'adoption de l'enfant du conjoint, du partenaire d'un pacte civil de solidarité ou du concubin. »
7. Il ne résulte de ce texte aucune exigence formelle relative à la mise en oeuvre d'une tentative préalable de reconnaissance conjointe devant notaire. La preuve du refus de la mère inscrite dans l'acte de naissance de procéder à cette reconnaissance peut être rapportée par tout moyen.
8. Après avoir à bon droit énoncé qu'aucun formalisme particulier n'était exigé quant à la démonstration du refus opposé par la mère inscrite dans l'acte de naissance, la cour d'appel, qui a relevé qu'étaient produites aux débats différentes pièces établissant qu'avant le dépôt de la requête en adoption, Mme [F] avait exprimé à Mme [J] sa décision de ne lui laisser aucune place dans la vie de l'enfant, lui refusant même le droit de le voir, en a déduit que Mme [J] était dans l'impossibilité d'obtenir l'accord de Mme [F] en vu de l'établissement d'une reconnaissance conjointe et qu'en conséquence la preuve de son refus était établie.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen, pris en sa septième branche
Enoncé du moyen
10. Mme [F] fait grief à l'arrêt de prononcer l'adoption plénière de [L] [F] par Mme [J] et de dire que le nom de l'enfant adopté serait [L] [F] [J], alors « que dans le cas prévu à l'article 9 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022, le tribunal prononce à titre exceptionnel l'adoption à l'égard de la femme qui n'a pas accouché si la protection de l'enfant l'exige ; qu'en n'énonçant pas en quoi la protection de [L] exigeait que soit prononcée son adoption par Mme [J] malgré le refus de sa mère de voir établir ce lien de filiation adoptive, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte précité. »
Réponse de la Cour
11. Il résulte de l'article 9 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2021, qu'au regard du projet parental commun dont a procédé l'assistance médicale à la procréation réalisée, l'adoption de l'enfant peut être prononcée si, en dépit du refus, sans motif légitime, de la femme qui a accouché de procéder à la reconnaissante conjointe, elle est conforme à l'intérêt de l'enfant, souverainement apprécié par le juge en considération des exigences de sa protection (1r Civ., 23 mai 2024, pourvoi n° 22-20.069, publié), sans que ce dernier ait à rechercher en outre si la mesure d'adoption est indispensable pour protéger l'enfant d'un danger.
12. La cour d'appel, qui a d'abord relevé que le projet parental commun avait été porté par le couple durant plusieurs années, puis observé que malgré la séparation du couple, Mme [F] avait, dans un premier temps, continué à associer Mme [J] à sa grossesse, et que celle-ci, malgré ses efforts pour maintenir entre elles un lien apaisé, s'était heurtée au refus de son épouse d'assister à l'accouchement et de voir l'enfant, a retenu que Mme [F] ne justifiait pas d'un motif légitime pour s'opposer à la reconnaissance conjointe, et que ses griefs à l'encontre de son épouse ne l'autorisaient pas à mettre en échec de manière unilatérale le projet commun du couple, dès lors que Mme [J] avait montré sa capacité à dialoguer de manière constructive avec elle, et estimé qu'il était dans l'intérêt de l'enfant de pouvoir disposer d'une double filiation, conformément au projet parental initial du couple, afin, notamment, de bénéficier de l'affection et de l'attention constante de ses deux parents et de s'inscrire dans ses deux familles élargies.
13. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a prononcé l'adoption plénière de [L] [F] par Mme [J] au regard du seul critère pertinent de l'intérêt de l'enfant, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [F] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le douze juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.