CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 12 juin 2025
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 587 F-B
Pourvoi n° W 22-22.946
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 JUIN 2025
M. [B] [L], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° W 22-22.946 contre l'arrêt rendu le 14 septembre 2022 par la cour d'appel de Toulouse (2e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [T] [P], domiciliée [Adresse 4], prise en qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de M. [B] [L],
2°/ à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Savoie (CRCAM), dont le siège est [Adresse 3],
3°/ au procureur général près la cour d'appel de Toulouse, domicilié en son parquet général, [Adresse 1], 31068 Toulouse,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [L], de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Savoie, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 mai 2025 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. [L] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. le procureur général près la cour d'appel de Toulouse.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 14 septembre 2022), la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Savoie (la banque) a consenti à M. [L] un prêt immobilier libellé en francs suisses, remboursable en trois cents mensualités et garanti par une hypothèque.
3. A la suite du défaut de paiement des échéances de ce prêt, la banque a engagé une procédure de saisie immobilière.
4. Par un jugement du 4 décembre 2019, un tribunal de grande instance a déclaré irrecevables comme prescrites les demandes de M. [L] tendant à voir reconnaître le caractère abusif de certaines clauses.
5. M. [L] a été placé en liquidation judiciaire par un jugement du 4 novembre 2019 et il a relevé appel du jugement du juge commissaire ayant admis à titre privilégié la créance de la banque.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
6. M. [L] fait grief à l'arrêt de constater que ses contestations relatives au caractère abusif de la clause de remboursement des échéances en francs suisses, de la clause relative au risque de change, de celle relative aux commissions de change insérées dans le contrat de prêt litigieux se heurtaient à la chose jugée attachée au jugement du tribunal de grande instance d'Annecy du 4 décembre 2019, de confirmer l'ordonnance déférée, en ce qu'elle avait admis, à titre privilégié, la créance de la banque à concurrence de 300 844,63 euros, outre intérêts contractuels postérieurs au taux de 4,70 % l'an à compter du 16 octobre 2018, au titre du prêt n° 56518 sauf en ce qu'elle avait fait courir des intérêts au taux contractuel sur l'indemnité de recouvrement de 16 275,32 euros, et de dire que cette somme, admise au passif privilégié de la liquidation judiciaire de M. [L], ferait courir des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, alors « qu'en toute hypothèse, le juge est tenu d'examiner le caractère abusif des clauses litigieuses, au besoin d'office, sans que puisse être opposée l'autorité de la chose jugée attachée à une précédente décision n'ayant pas procédé à l'examen des clauses ; qu'en jugeant que les moyens de défense opposés par M. [L], tirés du caractère abusif des clauses litigieuses et ne tendant qu'au rejet de la prétention adverse, se heurtaient aux dispositions irrévocables du jugement du 4 décembre 2019 ayant jugé les demandes fondées sur ce caractère abusif irrecevables comme prescrites, quand elle était tenue de procéder à l'examen du caractère abusif des clauses litigieuses, auquel ne s'était livré aucune autre juridiction, nonobstant les règles internes de procédure ou de prescription, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation, ensemble l'article 7, §1 de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 7, §1 de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 et l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation :
7. Aux termes du premier de ces textes, les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.
8. Selon le second, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
9. Par un arrêt du 26 janvier 2017 (C-421/14 ECLI : EU : C : 2017 : 60 Banco Primus), la Cour de justice de l'Union Européenne a dit pour droit que l'autorité de la chose jugée ne fait pas obstacle, en soi, à ce que le juge national soit tenu d'apprécier, sur la demande des parties ou d'office, le caractère éventuellement abusif d'une clause, même au stade d'une mesure d'exécution forcée, dès lors que cet examen n'a pas déjà été effectué à l'occasion du précédent contrôle juridictionnel ayant abouti à la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée.
10. Pour constater que les contestations de M. [L] relatives au caractère abusif de plusieurs clauses du contrat de prêt litigieux se heurtent à la chose jugée attachée au jugement du tribunal de grande instance d'Annecy du 4 décembre 2019, l'arrêt retient que les moyens développés par l'appelant relatifs au caractère abusif de la clause relative au remboursement des échéances en francs suisses, de la clause relative au risque de change, de celle relative aux commissions de change insérées dans le contrat de prêt litigieux sont rigoureusement identiques à ceux qu'il avait développés dans le cadre de son action formée devant le tribunal de grande instance d'Annecy dans l'instance qui opposait les mêmes parties et que les moyens développés de ces chefs par M. [L] se heurtent, aux dispositions irrévocables de ce jugement qui a déclaré irrecevables les demandes de M. [L] tendant à voir réputer non écrites ces clauses.
11. En statuant ainsi, alors qu'elle était tenue de procéder à l'examen du caractère abusif des clauses litigieuses, auquel ne s'était livrée aucune autre juridiction, sans que l'autorité de la chose jugée d'un jugement ni son caractère irrévocable ne puissent faire obstacle à cet examen, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse autrement composée ;
Condamne la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Savoie aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Savoie et la condamne à payer à M. [L] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le douze juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.