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12/06/2025 | FRANCE | N°22-19.835

France | France, Cour de cassation, Première chambre civile - formation restreinte hors rnsm/na, 12 juin 2025, 22-19.835


CIV. 1

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 12 juin 2025




Rejet


Mme CHAMPALAUNE, président



Arrêt n° 421 F

Pourvoi n° Q 22-19.835







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 12 JUIN 2025


Mme [O] [N], épouse [B], domiciliée [Adresse 3] (Suis

se), a formé le pourvoi n° Q 22-19.835 contre l'arrêt rendu le 9 juin 2022 par la cour d'appel de Versailles (2e chambre, 2e section), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [L] [R], domi...

CIV. 1

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 12 juin 2025




Rejet


Mme CHAMPALAUNE, président



Arrêt n° 421 F

Pourvoi n° Q 22-19.835







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 12 JUIN 2025


Mme [O] [N], épouse [B], domiciliée [Adresse 3] (Suisse), a formé le pourvoi n° Q 22-19.835 contre l'arrêt rendu le 9 juin 2022 par la cour d'appel de Versailles (2e chambre, 2e section), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [L] [R], domicilié [Adresse 1],

2°/ au procureur général près la cour d'appel de Versailles, domicilié en son parquet général, [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Beauvois, conseiller, les observations de Me Bouthors, avocat de Mme [N], épouse [B], de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [R], et l'avis de Mme Caron-Déglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 avril 2025 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Beauvois, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 9 juin 2022), [V] [N] [R] est né le 21 janvier 2011 à Paris 13e, de Mme [N] et de M. [R], qui l'ont reconnu.

2. Un jugement du 16 décembre 2017, devenu définitif, a condamné Mme [N] à une peine d'emprisonnement, avec sursis, pour des violences suivies d'une incapacité n'excédant pas huit jours, en l'espèce six jours, commises sur [V] [N] [R] du 18 juillet 2014 au 9 août 2017, son époux, M. [B], se voyant condamné, pour les mêmes faits, à une peine mixte.

3. Par requête du 24 mai 2018, M. [R] a sollicité le retrait de l'autorité parentale de Mme [N] à l'égard de l'enfant.

4. Un premier arrêt du 15 avril 2021 a prononcé la nullité du rapport d'expertise judiciaire de M. [F], expert psychiatre, qu'elle a déclaré inopposable, et avant dire droit, ordonné une nouvelle expertise médico-psychologique, en désignant Mme [E] pour y procéder.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en sa première branche

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Mme [N] fait grief à l'arrêt de rejeter la demande d'annulation du rapport d'expertise de Mme [E], alors :

« 1°/ que, d'une part, il résulte des articles 175, 233 et 237 du code de procédure civile que doit être annulé le rapport de l'expert qui, investi de ses pouvoirs par le juge en raison de sa qualification, n'a pas rempli personnellement la mission qui lui était confiée et ne l'a pas accomplie avec conscience, objectivité et impartialité ; qu'au cas présent, il est acquis au débat que le rapport de M. [F], concluant au retrait de l'autorité parentale, toujours ardemment refusé par Mme [N], a été annulé et déclaré inopposable par l'arrêt du 15 avril 2021 de la cour d'appel de Versailles au motif que « les faits nouveaux évoqués par M. [F] et contenus dans la plainte - qui sera en réalité classée sans suite pour absence de faits nouveaux - ont eu une incidence sur le déroulement des opérations expertales et des entretiens menés » et que « cette plainte qui évoque des méthodes éducatives archaïques est une déclaration unilatérale de son auteur (M. [R]) qui a pu influencer l'homme de l'art et ébranler son impartialité subjective ; que la cour d'appel relevant que Mme [E], nouvel expert désigné, confirmait avoir pris connaissance du rapport de son prédécesseur et poursuivait ses opérations jusqu'à son terme en concluant dans le même sens que celui du rapport annulé, à savoir le retrait de l'autorité parentale à la mère qui faisait nécessairement grief à cette dernière, sans être en mesure de justifier ce positionnement portant atteinte à son impartialité, ne pouvait refuser d'annuler le rapport de Mme [E] sans violer des articles 175, 233 et 237 du code de procédure civile ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que, d'autre part, selon l'article 276 du code de procédure civile, l'expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties, et, lorsqu'elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent ; qu'au cas présent, la cour d'appel qui constate d'une part, que par dire du 10 juillet 2021, le conseil de Mme [N] demandait expressément au nouvel expert, le docteur [E], de veiller à ce que le rapport du docteur [F] ne soit pas communiqué par M. [R], et ce afin d'éviter « les dysfonctionnements survenus dans le cadre des précédentes opérations expertales », ce dire devant être annexé à son rapport et, d'autre part que l'expert, Mme [E], a confirmé avoir reçu le dire du 10 juillet 2021 mais qu'elle n'a pas annexé ces dires à son rapport et n'y a pas répondu, portant ainsi un grave préjudice à Mme [N], n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en refusant d'annuler le rapport d'expertise violant ainsi l'article susvisé, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

7. Les irrégularités affectant le déroulement des opérations d'expertise, en ce comprises celles résultant d'un manquement aux articles 237 et 276 du code de procédure civile relatifs à l'obligation d'impartialité et au principe de la contradiction, sont sanctionnées selon les dispositions de l'article 175 du même code, qui renvoient aux règles régissant la nullité des actes de procédure, et notamment aux irrégularités de forme de l'article 114 de ce code, dont l'inobservation ne peut être sanctionnée par la nullité qu'à charge de prouver un grief.

8. Après avoir constaté que les manquements reprochés au nouvel expert désigné, Mme [E], étaient établis, la cour d'appel a retenu que celle-ci avait conduit des entretiens approfondis avec chacun des parents, avec l'enfant, en présence de sa mère, que le déroulement de l'expertise démontrait qu'elle avait procédé à une analyse précise et détaillée, fondée sur ses propres observations, étayée par son approche et ses conclusions, en faisant référence à la littérature médicale consacrée au trouble de l'attachement précoce et à ses conséquences sur les dysfonctionnements parentaux, son analyse rejoignant les explications de Mme [N] sur les difficultés et les ruptures qu'elle avait connues dans sa propre enfance, de sorte qu'il ne résultait nullement de la lecture du rapport de Mme [E] qu'elle ait été influencée par la lecture ou n'ait pu s'affranchir des constats ou conclusions de M. [F] dont elle avait pris connaissance et dont elle ne partageait pas les conclusions.

9. La cour d'appel a pu en déduire, qu'en l'absence de grief établi, il n'y avait pas lieu à annulation de l'expertise de Mme [E].

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

11. Mme [N] fait grief à l'arrêt de prononcer le retrait total de son autorité parentale à l'égard de son fils, [V] [N] [R], alors :

« 2°/ qu'il résulte de l'article 378-1 du code civil que le juge ne doit se placer qu'au jour où il statue et non à la date où les faits ont été commis par le parent pour apprécier le danger couru par l'enfant et prononcer le retrait de l'autorité parentale ; qu'au cas présent, ne devait être pris en compte par la cour d'appel en son arrêt du 9 juin 2022, que le seul comportement de la mère à cette date pouvant justifier que soit prononcé le retrait de l'autorité parentale ; qu'en se fondant pourtant sur des faits de violences anciens ayant donné lieu à la condamnation de Mme [N] par le jugement correctionnel du 16 novembre 2017, la cour d'appel a violé le texte susvisé ensemble les articles 6 § 1 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ qu'en outre, il résulte de l'article 378-1 du code civil que le juge ne doit se placer qu'au jour où il statue et non à la date où les faits ont été commis par le parent pour apprécier le danger couru par l'enfant et prononcer le retrait de l'autorité parentale ; qu'au cas présent, il s'évince des propres constatations de la cour d'appel que le petit [V] a été placé à l'aide sociale à l'enfance par ordonnance du procureur de la République du 10 août 2017 puis confié à son père à partir du 13 avril 2018 et que n'ayant pas vu sa mère ou ne l'ayant rencontrée qu'au cours de visites médiatisées avant que ne statue la cour d'appel en 2022 aucun fait de violence ou de maltraitance depuis ceux jugés par le tribunal correctionnel le 16 novembre 2017 n'avait pu être commis par Mme [N] ; qu'ainsi, les faits visés dans des auditions de 2019 ou rapportés par des personnes de la famille du père relevés par la cour d'appel se rapportaient nécessairement à la période antérieure au placement de l'enfant en août 2017 et à la condamnation pénale en novembre 2017 ; qu'en retenant pourtant l'existence de faits nouveaux en fonction de la date de leur révélation, postérieurs aux poursuites pénales engagées contre la mère, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile, ensemble l'article 378-1 du code civil et les articles 6 § 1 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ que, par ailleurs, il résulte de l'article 378-1 du code civil que le retrait de l'autorité parentale ne peut être prononcé que si le comportement reproché au parent met manifestement en danger la sécurité et la santé ou la moralité de l'enfant au jour où le juge statue, la déchéance des droits parentaux étant une mesure particulièrement radicale qui doit être réservée aux situations exceptionnelles et fondée sur l'intérêt de l'enfant ; qu'au cas présent, la cour d'appel ne pouvait considérer qu'il y avait un danger actuel pour le petit [V] justifiant le retrait total de l'autorité parentale de la mère, tout en relevant que l'expert concluait « à la nécessité d'un maintien du lien mère / enfant qu'il considère comme fondamental pour que [V] puisse s'identifier à elle de manière positive pour lui permettre de surmonter un sentiment d'abandon présent chez l'enfant, restaurer son estime de lui-même et enfin pour ne pas couper le génogramme et permettre à l'enfant d'investir les relations intra-familiales notamment avec son demi-frère » le juge des enfants dans un soit transmis du 27 mars 2019, ayant de son côté estimé « que si la mère n'exerçait plus l'autorité parentale la restauration des liens y compris par la symbolique du droit pourrait être freinée voire empêchée » ; que faute d'avoir relevé un danger manifeste actuel pour l'enfant, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article susvisé ensemble les articles 6 § 1 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

12. Aux termes de l'article 378-1 du code civil, peuvent se voir retirer totalement l'autorité parentale, en dehors de toute condamnation pénale, les père et mère qui, soit par de mauvais traitements, soit par une consommation habituelle et excessive de boissons alcooliques ou un usage de stupéfiants, soit par une inconduite notoire ou des comportements délictueux, notamment lorsque l'enfant est témoin de pressions ou de violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l'un des parents sur la personne de l'autre, soit par un défaut de soins ou un manque de direction, mettent manifestement en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l'enfant.

13. La cour d'appel a relevé, d'abord, que la condamnation prononcée le 16 novembre 2017 à l'encontre de Mme [N] et son époux portaient sur des faits de violences anciennes et répétées à l'égard d'un jeune enfant, auquel elle avait porté des coups et des gifles pendant trois ans, une scène particulièrement violente ayant eu lieu le 9 août 2017, journée au cours de laquelle ils s'en étaient tous les deux pris à l'enfant.

14. Elle a ajouté que, postérieurement à ces poursuites pénales, les témoignages recueillis auprès de proches ou de professionnels avaient corroboré le récit de l'enfant sur les autres formes de maltraitance régulièrement subies et estimé que les séquelles traumatiques de l'enfant attestaient de la gravité des faits commis.

15. Enonçant, ensuite, que la persistance de la situation de danger pour l'enfant devait être analysée au regard du comportement de Mme [N] depuis les faits et jusqu'au jour où elle statuait, la cour d'appel a retenu, au regard des conclusions du rapport d'expertise judiciaire, que les troubles profonds de l'attachement dont souffrait la mère induisaient des comportements inadaptés dans la création et le maintien du lien avec son fils et que celle-ci n'avait pas démontré sa capacité à agir dans l'intérêt de celui-ci.

16. Elle en a souverainement déduit, sans dénaturer les termes du litige, qu'en raison du retentissement des violences subies et de la persistance des troubles post-traumatiques, le danger était toujours actuel sur le plan psychologique pour l'enfant, qui selon les avis concordants de l'expert judiciaire et des professionnels consultés, devait pouvoir évoluer sans être confronté aux événements traumatiques et au risque de conflit de loyauté avec sa mère, de sorte que le retrait de l'autorité parentale se justifiait dans un objectif de protection et a, ainsi, légalement justifié sa décision.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [N] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [N] et la condamne à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le douze juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Première chambre civile - formation restreinte hors rnsm/na
Numéro d'arrêt : 22-19.835
Date de la décision : 12/06/2025
Sens de l'arrêt : Rejet

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles


Publications
Proposition de citation : Cass. Première chambre civile - formation restreinte hors rnsm/na, 12 jui. 2025, pourvoi n°22-19.835


Origine de la décision
Date de l'import : 20/06/2025
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:22.19.835
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