SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 11 juin 2025
Cassation partielle
sans renvoi
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 633 F-D
Pourvoi n° G 24-10.016
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 JUIN 2025
L'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (l'ANGDM), établissement public national à caractère administratif, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 24-10.016 contre l'arrêt rendu le 31 octobre 2023 par la cour d'appel de Metz (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant à M. [F] [E], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Leperchey, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [E], après débats en l'audience publique du 13 mai 2025 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Leperchey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Degouys, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 31 octobre 2023), M. [E], mineur salarié des Houillères du bassin de Lorraine, a fait valoir ses droits à la retraite le 1er avril 1997.
2. Il avait conclu le 17 mars 1997 une convention de capitalisation des indemnités de logement auxquelles lui ouvrait droit le statut minier, par laquelle il autorisait l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (l'ANGDM) à percevoir ces indemnités en remboursement du capital versé.
3. Sollicitant la reprise du versement de ces indemnités, il a saisi la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. L'ANGDM fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande en nullité du contrat de capitalisation, de fixer la date de reprise des versements des indemnités de logement au salarié au mois de mars 2018 et de la condamner à lui verser des sommes au titre des indemnités de logement pour la période de mars 2018 au 30 juin 2021 et pour la période du 1er juillet 2021 jusqu'à la date de l'arrêt, alors « que si une demande en paiement se heurte à une clause claire et précise, le juge ne peut y faire droit qu'à condition d'avoir préalablement écarté cette clause voire le contrat qui la contient comme étant frappé d'une cause d'inefficacité juridique, peu important que cette sanction n'ait pas été expressément sollicitée par le demandeur ; que dans un tel cas, il est loisible au défendeur d'opposer à la demande en paiement la prescription de la nullité de la clause ou de la convention et, si cette fin de non-recevoir prospère, elle emportera irrecevabilité de la demande en paiement ; qu'au cas présent, M. [E], ayant souscrit un contrat de capitalisation des indemnités statutaires de logement aux termes duquel il renonçait viagèrement au versement de l'indemnité en contrepartie d'un capital, sollicitait la reprise des versements de l'indemnité à compter de la date d'amortissement du capital ; qu'ainsi, le succès de cette demande nécessitait de déclarer nulle comme contraire à l'ordre public la clause abdicative ou le contrat de capitalisation, peu important que M. [E] n'ait pas expressément sollicité cette annulation ; que, pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la nullité, la cour d'appel a retenu que M. [E] réclamait, non l'annulation de la convention mais le bénéfice de l'article 23 du décret du 14 juin 1946 portant statut du mineur en ce qu'il confère au mineur retraité un droit aux indemnités de logement et que l'action en paiement des salaires se prescrivait par trois ans ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait abstraction du caractère préalable de l'annulation de la clause abdicative ou du contrat de capitalisation sur la demande en reprise du paiement des indemnités, a violé l'article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ».
Réponse de la Cour
Vu l'article 1304, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
5. Aux termes de ce texte, dans tous les cas où l'action en nullité ou en rescision d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans.
6. Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande en nullité du contrat de capitalisation, l'arrêt relève d'abord que le salarié fait valoir avec pertinence qu'il réclame non pas l'annulation de la convention conclue avec I'employeur mais le bénéfice des dispositions de I'article 23 du décret du 14 juin 1946 relatives aux conditions d'octroi aux mineurs de l'indemnité logement en espèces et que, si l'article 4 de ladite convention mentionne que M. [E] et tout ayant droit de son chef renoncent expressément et définitivement à la prestation de logement en nature et concerne également les prestations en espèces, il n'est pas conforme à I'ordre public et peut par là-même être écarté sans qu'il y ait lieu de prononcer la nullité du contrat.
7. La cour d'appel en a déduit que l'employeur qui invoquait une demande de nullité de contrat que le salarié ne soutenait pas, ne pouvait valablement soulever l'irrecevabilité des prétentions de ce dernier.
8. En statuant ainsi, alors que la demande de reprise du versement des indemnités de logement tendait à l'annulation de la clause de renonciation stipulée dans le contrat de capitalisation et concernait l'économie générale du contrat, ce dont il se déduisait que cette demande était soumise au délai de prescription de l'action en nullité des contrats, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
9. Tel que suggéré par l'ANGDM et après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
11. La demande de l'intéressé, qui tend à l'annulation de la clause de renonciation stipulée dans le contrat de capitalisation, se prescrit par cinq ans à compter de la date de conclusion de ce contrat. Celui-ci ayant été signé le 17 mars 1997, l'action est irrecevable comme prescrite. La demande accessoire de dommages-intérêts présentée par l'intéressé doit être rejetée.
12. Les demandes des parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile sont également rejetées.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de dommages-intérêts de M. [E], l'arrêt rendu le 31 octobre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Forbach du 26 mai 2021 ;
DÉCLARE irrecevable comme prescrite l'action de M. [E] tendant à la reprise du versement des indemnités de logement et au paiement de sommes à ce titre ;
REJETTE le surplus des demandes de M. [E] ;
Condamne M. [E] aux dépens, en ce compris ceux exposés devant le conseil de prud'hommes et la cour d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées tant devant la Cour de cassation que devant les juridictions du fond ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le onze juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.