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11/06/2025 | FRANCE | N°23-18.878

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale - formation restreinte hors rnsm/na, 11 juin 2025, 23-18.878


SOC.

JL10



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 11 juin 2025




Cassation partielle
sans renvoi
(Pourvoi Y 23-18.950)
Rejet
(Pourvoi V 23-18.878)


Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 634 F-D


Pourvois n°
V 23-18.878
Y 23-18.950 JONCTION



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 JUIN 2025

I) La société Gazocéan, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 23-18.878 contre un...

SOC.

JL10



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 11 juin 2025




Cassation partielle
sans renvoi
(Pourvoi Y 23-18.950)
Rejet
(Pourvoi V 23-18.878)


Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 634 F-D


Pourvois n°
V 23-18.878
Y 23-18.950 JONCTION



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 JUIN 2025

I) La société Gazocéan, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 23-18.878 contre un arrêt rendu le 23 mai 2023 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-8), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société CMA-CGM, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à M. [I] [G], domicilié [Adresse 2],

3°/ à M. [K] [Y], domicilié [Adresse 5],

4°/ à M. [C] [B], domicilié [Adresse 6],

5°/ à M. [N] [V], domicilié [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.
II) La société CMA-CGM, société anonyme, a formé le pourvoi n° Y 23-18.950 contre le même arrêt rendu entre les mêmes parties.

La demanderesse au pourvoi n° V 23-18.878 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

La demanderesse au pourvoi n° Y 23-18.950 invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Leperchey, conseiller référendaire, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société Gazocéan, de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de la société CMA-CGM, de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de MM. [G], [Y], [B] et [V], après débats en l'audience publique du 13 mai 2025 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Leperchey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Degouys, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° V 23-18.878 et Y 23-18.950 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 23 mai 2023), MM. [G], [Y], [B] et [V] ont été engagés respectivement en qualité d'ouvrier d'entretien origine machine, d'assistant d'entretien machine, de polyvalent et de maître d'entretien machine, par la société CMA-CGM, les 27 juillet 1977, 29 juillet 1970, 17 juillet 1976 et 31 juillet 1972.

3. Leurs contrats de travail ont été transférés à la société Gazocéan le 1er janvier 2001.

4. MM. [G], [Y], [B] et [V] ont fait valoir leurs droits à la retraite, respectivement, les 31 août 2011, 31 août 2008, 31 août 2011 et 9 novembre 2007, puis ont saisi la direction départementale des territoires et de la mer des Bouches-du-Rhône afin de voir reconnaître l'existence d'un préjudice d'anxiété liée à leur exposition à l'amiante. Une tentative de conciliation a eu lieu le 23 septembre 2013 et un procès-verbal de non-conciliation a été dressé le 2 octobre 2013. Les salariés ont saisi la juridiction prud'homale le 24 septembre 2015.

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi n° V 23-18.878 et le deuxième moyen du pourvoi n° Y 23-18.950, pris en sa première branche

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi n° V 23-18.878 et le deuxième moyen du pourvoi n° Y 23-18.950, pris en sa seconde branche, réunis

Enoncé des moyens

6. Par son premier moyen, la société Gazocéan fait grief à l'arrêt de dire l'action introduite par les salariés recevable et non prescrite et de la condamner solidairement avec la société CMA-CGM à verser à chacun des salariés une somme en réparation de son préjudice d'anxiété, alors « que toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ; qu'ayant constaté l'échec de la tentative de conciliation le 23 septembre 2013 et la rédaction d'une procès-verbal dans lequel il était indiqué que, ''n'ayant pu concilier les parties, de ce que dessus, nous avons fait et dressé procès-verbal le 23 septembre 2013'', alors que les salariée n'avaient saisi le tribunal d'instance que par acte d'huissier du 24 septembre 2015 à l'encontre des sociétés CMA-CGM et Gazocéan, soit plus de deux ans après, peu important qu'elle ait aussi retenu que ce procès-verbal n'avait été établi que le 2 octobre 2013 et était ainsi daté, donc n'avait pas pu être notifié avant cette dernière date, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en retenant que, la saisine de la juridiction judiciaire ne pouvant intervenir qu'au vu de la preuve de l'exercice du recours préalable obligatoire à cette tentative de conciliation, dont le demandeur devait justifier en joignant copie du procès-verbal de non-conciliation ou de défaut de conciliation, le délai de deux ans n'aurait pu courir au plus tôt que le 2 octobre 2013, et a violé l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, ensemble l'article 11 du décret n° 2015-219 du 27 février 2015 relatif à la résolution des litiges individuels entre les marins et leurs employeurs. »

7. Par son deuxième moyen, pris en sa seconde branche, la société CMA-CGM fait grief à l'arrêt de dire l'action introduite par les salariés recevable et non prescrite et de la condamner solidairement avec la société Gazocéan à verser à chacun des salariés une somme en réparation de son préjudice d'anxiété, alors « que la tentative de conciliation devant l'administrateur des affaires maritimes exigée par l'article 2 du décret n ° 59-1337 du 20 novembre 1959 préalablement à la soumission au tribunal d'instance de tout litige concernant les contrats d'engagement régis par le code du travail maritime, entre les armateurs et les marins, à l'exception des capitaines, constitue un acte interruptif de prescription ; que la prescription est interrompue à compter de la date à laquelle l'administrateur des affaires maritimes a été saisi de la demande aux fins de conciliation préalable, soit à la date de réception de cette demande ; qu'en retenant que le délai de prescription avait été interrompu par la saisine de la délégation de la mer et du littoral des Bouches-du-Rhône par l'expédition des lettres AR le 14 juin 2013, peu important la date de leur réception, la cour d'appel a violé l'article 2 du décret n° 59-1337 du 20 novembre 1959 alors applicable et l'article 2241, alinéa 1er, du code civil. »

Réponse de la Cour

8. Il résulte de l'article L. 5542-48 du code des transports, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2013-619 du 16 juillet 2013, que la tentative de conciliation devant l'administrateur des affaires maritimes exigée par ce texte préalablement à la soumission au tribunal d'instance de tout litige concernant les contrats d'engagement régis par le code du travail maritime, entre les armateurs et les marins, à l'exception des capitaines, constitue un acte interruptif de prescription.

9. Selon l'article 4 du décret n° 59-1337 du 20 novembre 1959, applicable au litige, en cas d'échec de la tentative de conciliation, l'administrateur des affaires maritimes dresse un procès-verbal dont il est remis au demandeur une copie contenant permission de citer devant le tribunal d'instance compétent, qui peut citer devant le tribunal compétent en produisant le procès-verbal d'échec.

10. D'abord, les modalités de saisine de l'autorité compétente de l'Etat n'étant soumises à aucune forme particulière, la cour d'appel a exactement décidé que la direction départementale du territoire et de la mer avait été saisie par les courriers adressés le 14 juin 2013.

11. Ensuite, la cour d'appel, qui a constaté que la tentative de conciliation avait eu lieu le 23 septembre 2013 et que le procès-verbal de non-conciliation n'avait été établi que le 2 octobre 2013, et relevé que la saisine de la juridiction judiciaire ne pouvait intervenir qu'au vu de la preuve de l'exercice du recours préalable obligatoire à cette tentative de conciliation, dont le demandeur doit justifier en joignant copie du procès-verbal de non-conciliation ou de défaut de conciliation, en a exactement déduit que le délai biennal de prescription n'avait pu courir au plus tôt que le 2 octobre 2013.

Mais sur le premier moyen du pourvoi n° Y 23-18.950

Enoncé du moyen

12. La société CMA-CGM fait grief à l'arrêt de dire l'action introduite par les salariés recevable et non prescrite et de la condamner solidairement avec la société Gazocéan à verser à chacun des salariés une somme en réparation de son préjudice d'anxiété, alors « que le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition à un risque créé par l'amiante, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque par les salariés ; qu'il naît à la date à laquelle les salariés ont eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de leur exposition à l'amiante ; que pour condamner la société CMA-CGM, solidairement avec la société Gazocéan, à payer des dommages et intérêts à chacun des salariés en réparation de leur préjudice d'anxiété, l'arrêt retient qu'il n'y a pas lieu de décharger la société CMA-CGM de toute responsabilité en référence aux effets de l'application L. 122-12 (devenu L. 1224-2) du code du travail, inopérant en l'espèce ; qu'en statuant ainsi quand le transfert des contrats de travail à la société Gazocéan est intervenu le 1er janvier 2001, soit antérieurement aux dates auxquelles chacun des salariés a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave liée à l'exposition de l'amiante, de sorte que ce préjudice ne constituait pas une créance due à la date de la modification de la situation juridique de l'employeur, la cour d'appel a violé les articles L. 122-12 et L. 122-12-1 devenus L. 1224-1 et L. 1224-2 du code du travail et l'article L. 4121-1 du même code, en sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

13. Les salariés contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent que celui-ci n'est pas compatible avec la position adoptée par la société CMA-CGM devant les juges du fond.

14. Cependant, la société CMA-CGM faisait valoir devant les juges du fond que, les contrats de travail ayant été transférés à la société Gazocéan avant la date à laquelle était né le préjudice d'anxiété des salariés, sa responsabilité ne pouvait être utilement recherchée.

15. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 122-12-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 94-475 du 10 juin 1994, et l'article L. 4121-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 :

16. Le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition à un risque créé par l'amiante, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque par les salariés. Il naît, lorsque le salarié ne bénéficie pas de l'allocation de cessation anticipée d'activité prévue par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, à la date à laquelle celui-ci a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l'amiante. Ce point de départ ne peut être antérieur à la date à laquelle cette exposition a pris fin.

17. Pour condamner la société CMA-CGM, solidairement avec la société Gazocéan, à payer à chacun des salariés des dommages-intérêts au titre du préjudice d'anxiété causé par l'exposition à l'amiante, l'arrêt retient que l'article L. 122-12 du code du travail est inopérant en l'espèce.

18. En statuant ainsi, alors qu'elle avait fait ressortir que les salariés avaient eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de leur exposition à l'amiante le 28 septembre 2010 s'agissant de MM. [G] et [Y], le 23 septembre 2009 s'agissant de M. [B] et le 1er octobre 2007 s'agissant de M. [V], et que le transfert des contrats de travail à la société Gazocéan était intervenu le 1er janvier 2001, soit antérieurement à ces dates, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

19. Tel que suggéré par la société CMA-CGM et après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

20. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

21. Le dommage subi par les salariés étant né après le transfert des contrats de travail, les demandes présentées par les salariés à l'encontre de la société CMA-CGM doivent être rejetées.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

REJETTE le pourvoi n° V 23-18.878 ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société CMA-CGM à verser à chacun des salariés la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice d'anxiété, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, et en ce qu'il condamne la société CMA-CGM aux dépens, ainsi qu'à verser à chacun des salariés la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 23 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déboute MM. [G], [Y], [B] et [V] de leurs demandes formées contre la société CMA-CGM au titre du préjudice d'anxiété et de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne MM. [G], [Y], [B] et [V] aux dépens du pourvoi n° Y 23-18.950 ;

Condamne la société Gazocéan aux dépens du pourvoi n° V 23-18.878 ;

En application de l'article 700, dans le pourvoi n° Y 23-18.950, rejette les demandes ;

En application de l'article 700, dans le pourvoi n° V 23-18.878, rejette la demande formée par la société Gazocéan et la condamne à payer à MM. [G], [Y], [B] et [V] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le onze juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre sociale - formation restreinte hors rnsm/na
Numéro d'arrêt : 23-18.878
Date de la décision : 11/06/2025
Sens de l'arrêt : Cassation

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix en Provence 14


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc. - formation restreinte hors rnsm/na, 11 jui. 2025, pourvoi n°23-18.878


Origine de la décision
Date de l'import : 19/06/2025
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:23.18.878
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