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11/06/2025 | FRANCE | N°23-16.734

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale - formation restreinte hors rnsm/na, 11 juin 2025, 23-16.734


SOC.

JL10



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 11 juin 2025




Cassation partielle


Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 636 F-D

Pourvoi n° Q 23-16.734

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 JUIN 2025

La société Kassbohrer engins service envi

ronnement, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], exerçant sous l'enseigne Pisten Bully, Beach Tech, a formé le pourvoi n° Q 23-16.734 contre l'a...

SOC.

JL10



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 11 juin 2025




Cassation partielle


Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 636 F-D

Pourvoi n° Q 23-16.734

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 JUIN 2025

La société Kassbohrer engins service environnement, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], exerçant sous l'enseigne Pisten Bully, Beach Tech, a formé le pourvoi n° Q 23-16.734 contre l'arrêt rendu le 25 novembre 2022 par la cour d'appel de Toulouse (4e chambre, section 1), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [N] [V], domicilié [Adresse 2],

2°/ à Pôle emploi direction régionale Occitanie, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Nirdé-Dorail, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Kassbohrer engins service environnement, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [V], après débats en l'audience publique du 13 mai 2025 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Nirdé-Dorail, conseiller rapporteur, Mme Lacquemant, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 25 novembre 2022), M. [V] a été engagé en qualité de mécanicien le 18 décembre 2000 par la société Kassbohrer engins service environnement (l'employeur).

2. Le salarié a déclaré une maladie professionnelle le 23 avril 2010 prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie, puis a été victime d'une rechute le 19 juillet 2017.

3. A l'issue d'un arrêt de travail, il a repris le travail le 27 octobre 2017 à mi-temps thérapeutique puis le 19 janvier 2018 à plein temps et a été affecté dans les Alpes.

4. Le 7 février 2018, l'employeur a convoqué le salarié à des entretiens prévus les 13 et 20 février en vue d'une rupture conventionnelle.

5. Placé en arrêt de travail pour maladie le 14 février 2018, le salarié a été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail aux termes de deux avis des 19 et 30 octobre 2018.

6. Licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 21 décembre 2018, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que l'inaptitude du salarié est d'origine professionnelle, de le condamner à lui payer des sommes à titre d'indemnité de préavis, outre les congés payés afférents à ce préavis, à titre de complément de l'indemnité spéciale de licenciement, de lui ordonner la remise au salarié d'une attestation destinée à Pôle emploi rectifiée et d'un bulletin de salaire récapitulant l'ensemble des condamnations prononcées, alors « qu'en premier lieu et à titre principal, les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que le salarié avait été licencié le 21 décembre 2018 pour inaptitude d'origine non professionnelle, à la suite d'un arrêt maladie renouvelé depuis le 14 février 2018, la cour d'appel a constaté, d'une part, que, malgré une maladie professionnelle déclarée le 23 avril 2010, le salarié a été déclaré apte à la reprise du travail à mi-temps thérapeutique le 26 octobre 2017 et a repris le travail à plein temps le 19 janvier 2018, d'autre part, que l'employeur l'a convoqué, dès le 7 février 2018, à un entretien en vue d'une rupture conventionnelle de son contrat que le salarié a refusé, enfin, qu'avant son licenciement, le salarié avait déclaré, le 15 décembre 2017, une seconde maladie professionnelle, prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie, puis le 27 avril 2018, une troisième maladie professionnelle, également prise en charge ; qu'elle en a conclu qu'il résultait de la chronologie de ces événements et de l'ensemble des pièces versées aux débats que la société avait obligatoirement connaissance de l'origine au moins en partie professionnelle de l'inaptitude de son salarié ; qu'en statuant ainsi, sans vérifier si l'inaptitude du salarié avait, au moins partiellement, une origine professionnelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1226-10, L. 1226-14 et L. 1226-15 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1226-10 et L. 1226-14 du code du travail :

9. Il résulte de ces textes que les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

10. Pour condamner l'employeur à payer au salarié diverses sommes en application de l'article L. 1226-14 du code du travail, l'arrêt relève d'abord que le salarié avait été licencié le 21 décembre 2018 pour inaptitude d'origine non professionnelle, à la suite d'un arrêt maladie renouvelé depuis le 14 février 2018 puis, il constate d'une part, que, malgré une maladie professionnelle déclarée le 23 avril 2010, le salarié a été déclaré apte à la reprise du travail à mi-temps thérapeutique le 26 octobre 2017 et a repris le travail à plein temps le 19 janvier 2018 et, d'autre part, que l'employeur l'a convoqué, dès le 7 février 2018, à un entretien en vue d'une rupture conventionnelle de son contrat que le salarié a refusé, enfin, qu'avant son licenciement, le salarié avait déclaré le 15 décembre 2017 puis le 27 avril 2018 une deuxième et troisième maladies professionnelles, toutes prises en charge.

11. L'arrêt déduit de cette chronologie et de l'ensemble des pièces versées aux débats que l'employeur avait obligatoirement connaissance de l'origine au moins en partie professionnelle de l'inaptitude de son salarié.

12. En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants, sans rechercher si l'inaptitude du salarié avait, au moins partiellement, pour origine une maladie professionnelle et si l'employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

13. L'employeur fait grief à l'arrêt de juger le licenciement du salarié nul comme prononcé en raison de son état de santé, de le condamner à payer à ce dernier une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, de lui ordonner la remise au salarié d'une attestation destinée à Pôle emploi rectifiée et d'un bulletin de salaire récapitulant l'ensemble des condamnations prononcées et de lui ordonner le remboursement à Pôle emploi Occitanie des indemnités chômage éventuellement payées au salarié, dans la limite de six mois d'indemnités, alors « que constitue une discrimination directe, prohibée, la situation dans laquelle, sur le fondement de ses activités syndicales, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable, notamment en matière de sanction, de rémunération, de formation, d'affectation, de qualification, de classification ou de promotion professionnelle ; que, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que l'employeur avait connaissance de la dégradation de l'état de santé du salarié et qu'à l'issue de sa période de reprise du travail à mi-temps thérapeutique, le 19 janvier 2018, au lieu de permettre au salarié de reprendre son travail à plein temps sur le site des Pyrénées, l'employeur l'avait envoyé en mission dans les Alpes, ce qui avait provoqué chez le salarié un stress important ; qu'elle a, en outre, constaté que, dès le 7 février 2018, l'employeur a sollicité l'ouverture de pourparlers en vue d'une rupture conventionnelle, ce qui témoignerait d'une volonté de rupture du contrat de travail du salarié, en raison de son état de santé, dont la dégradation est essentiellement d'origine professionnelle ; qu'elle en a déduit que le licenciement prononcé le 21 décembre 2018 était nul ; qu'en statuant ainsi, sans vérifier si le salarié avait apporté des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination ni vérifier, dans l'affirmative, si l'employeur avait prouvé que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d'appel, qui a méconnu son office, a violé les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail, le premier dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 :

14. Selon le premier de ces textes, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison notamment de son état de santé.

15. Il résulte de ces textes que lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

16. Pour déclarer nul le licenciement comme prononcé en raison de l'état de santé, l'arrêt, après avoir rappelé que l'employeur avait connaissance de la dégradation de l'état de santé du salarié, retient, d'une part qu'à l'issue de sa période de reprise du travail à mi-temps thérapeutique, le 19 janvier 2018, au lieu de permettre au salarié de reprendre son travail à plein temps sur le site des Pyrénées, celui-ci avait été envoyé en mission dans les Alpes, provoquant chez lui un stress important, d'autre part que l'employeur avait sollicité l'ouverture de pourparlers en vue d'une rupture conventionnelle témoignant d'une volonté de rompre le contrat de travail en raison de son état de santé dont la dégradation était essentiellement d'origine professionnelle.

17. En statuant ainsi, après avoir constaté que le salarié présentait des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, sans apprécier si ceux-ci, pris dans leur ensemble, laissaient supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, si l'employeur prouvait que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et par des motifs impropres à justifier le caractère discriminatoire du licenciement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

18. La cassation des chefs de dispositif disant que l'inaptitude du salarié est d'origine professionnelle et que son licenciement est nul comme prononcé en raison de son état de santé et condamnant l'employeur au paiement de sommes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis prévue par l'article L. 1226-14 du code du travail, au titre des congés payés afférents à cette indemnité compensatrice de préavis, au titre du complément de l'indemnité spéciale de licenciement, à titre de dommages-intérêts au titre du licenciement nul n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il juge que l'inaptitude de M. [V] est d'origine professionnelle et que son licenciement est nul comme prononcé en raison de son état de santé, en ce qu'il condamne la société Kassbohrer engins service environnement à payer à M. [V] les sommes de 13 343,82 euros au titre de l'indemnité de préavis prévue par l'article L. 1226-14 du code du travail, 1 334,38 euros au titre des congés payés afférents à cette indemnité de préavis, 23 478 euros au titre du complément d'indemnité spéciale de licenciement, 49 400 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, en ce qu'il lui ordonne la remise à M. [V] d'une attestation destinée à Pôle emploi rectifiée et d'un bulletin de salaire récapitulant l'ensemble des condamnations prononcées ainsi que le remboursement à Pôle emploi Occitanie des indemnités chômage éventuellement payées à M. [V], dans la limite de six mois d'indemnités, l'arrêt rendu le 25 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le onze juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre sociale - formation restreinte hors rnsm/na
Numéro d'arrêt : 23-16.734
Date de la décision : 11/06/2025
Sens de l'arrêt : Cassation

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Toulouse 41


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc. - formation restreinte hors rnsm/na, 11 jui. 2025, pourvoi n°23-16.734


Origine de la décision
Date de l'import : 19/06/2025
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:23.16.734
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