CIV. 2
AF1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 5 juin 2025
Rejet
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 566 F-B
Pourvoi n° T 22-23.817
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 JUIN 2025
La société [2], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 22-23.817 contre l'arrêt rendu le 6 octobre 2022 par la cour d'appel d'Amiens (2e protection sociale), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) du Nord-Pas-de-Calais, dont le siège est [Adresse 4], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Labaune, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société [2], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF du Nord-Pas-de-Calais, et l'avis de Mme Pieri-Gauthier, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 avril 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Labaune, conseiller référendaire rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 6 octobre 2022) et les productions, l'URSSAF du Nord-Pas-de-Calais (l'URSSAF) a adressé à la société [2] (le donneur d'ordre) trois lettres d'observations le 1er août 2018, l'avisant, d'une part, de la mise en oeuvre à son encontre de la solidarité financière prévue par l'article L. 8222-2 du code du travail et du montant des cotisations dues pour la période allant du 6 juin 2016 au 14 novembre 2017 et, d'autre part, de l'annulation des réductions ou exonérations de cotisations sociales dont elle a bénéficié au cours de cette même période, à la suite d'un procès-verbal de travail dissimulé établi à l'encontre de son sous-traitant, la société [3], suivies de trois mises en demeure.
2. Le donneur d'ordre a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses cinquième, sixième et septième branches
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses trois premières branches
Enoncé du moyen
4. Le donneur d'ordre fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors :
« 1° / « que « lorsqu'un litige porte sur la qualification des relations de travail liant des travailleurs à une entreprise et une situation de travail dissimulé justifiant la mise en uvre de la solidarité financière du donneur d'ordre, la contestation ne peut être tranchée sans la mise en cause de ces travailleurs » ; qu'il ressort de l'arrêt, du jugement, des lettres d'observations et du procès-verbal de travail dissimulé que la solidarité financière de la société donneuse d'ordre, en sa qualité de donneur d'ordre, a été mise en uvre en raison de la situation de travail dissimulé, par dissimulation de salariés, constatée auprès de la société sous-traitante, en sa qualité de sous-traitante ; que le procès-verbal de travail dissimulé énonce que la société sous-traitante est coupable de la dissimulation des personnes mentionnées dans le procès-verbal de travail dissimulé ; qu'en validant les mises en demeure au titre de la solidarité financière de la société donneuse d'ordre en l'absence de la mise en cause des personnes mentionnées dans le procès-verbal de travail dissimulé, la cour d'appel a violé l'article 14 du code de procédure civile, ensemble l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale et les articles L. 8222-1, L. 8222-2 et D. 8222-5 du code du travail ;
2° / que le donneur d'ordre dont la solidarité financière est mise en uvre ne peut pas avoir moins de droits que le sous-traitant poursuivi pour travail dissimulé ; que, vis-à-vis de celui-ci, le bien-fondé du redressement pour travail dissimulé ne peut être apprécié sans la mise en cause des travailleurs dont la qualité de salarié aurait été dissimulée ; que – par transitivité – vis-à-vis du donneur d'ordre, le bien-fondé du redressement concernant la mise en uvre de sa solidarité financière ne peut être apprécié sans la mise en cause des travailleurs dont la qualité de salarié aurait été dissimulée ; qu'il ressort de l'arrêt, du jugement, des lettres d'observations et du procès-verbal de travail dissimulé que la solidarité financière de la société donneuse d'ordre, en sa qualité de donneur d'ordre, a été mise en uvre en raison de la situation de travail dissimulé par dissimulation de salariés constatée auprès de la société sous-traitante, en sa qualité de sous-traitante ; que le procès-verbal de travail dissimulé énonce que la société sous-traitante est coupable de la dissimulation des personnes mentionnées dans le procès-verbal de travail dissimulé ; qu'en validant les mises en demeure au titre de la solidarité financière de la société donneuse d'ordre en l'absence de la mise en cause des personnes mentionnées dans le procès-verbal de travail dissimulé, la cour d'appel a violé l'article 14 du code de procédure civile, ensemble l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale et les articles L. 8222-1, L. 8222-2 et D. 8222-5 du code du travail ;
3° / que « – le donneur d'ordre pouvant être regardé comme ayant facilité la réalisation du travail dissimulé ou ayant contribué à celle-ci – la solidarité financière qui pèse sur lui et le cocontractant, objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé, est limitée aux sommes dues aux salariés employés de façon illégale, à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession » ; qu'en conséquence, lorsqu'un litige porte sur la qualification des relations de travail liant des travailleurs à une entreprise et une éventuelle situation de travail dissimulé justifiant la mise en uvre de la solidarité financière du donneur d'ordre, la contestation ne peut être tranchée sans la mise en cause de son cocontractant ; qu'il ressort de l'arrêt, du jugement, des lettres d'observations et du procès-verbal de travail dissimulé que la solidarité financière de la société donneuse d'ordre, en sa qualité de donneur d'ordre, a été mise en uvre en raison de la situation de travail dissimulé par dissimulation de salariés constatée auprès de la société sous-traitante, en sa qualité de sous-traitante ; qu'en validant les mises en demeure au titre de la solidarité financière de la société donneuse d'ordre en l'absence de la mise en cause de la société sous-traitante, la cour d'appel a violé l'article 14 du code de procédure civile, ensemble l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale et les articles L. 8222-1, L. 8222-2, L. 8222-3 et D. 8222-5 du code du travail. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte de l'article 14 du code de procédure civile que nul ne peut être jugé sans avoir été entendu ou appelé.
6. Selon l'article L. 8222-2 du code du travail, le donneur d'ordre qui méconnaît les obligations de vigilance énoncées à l'article L. 8222-1 du même code est tenu solidairement au paiement des cotisations obligatoires, pénalités et majorations dues par son sous-traitant qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé.
7. Il résulte de l'article 1203 du code civil, devenu l'article 1313 du même code, que le créancier peut demander le paiement au débiteur solidaire de son choix, de sorte que l'organisme de recouvrement peut choisir de poursuivre seulement à l'encontre du donneur d'ordre le recouvrement des cotisations obligatoires, pénalités et majorations dues par son sous-traitant.
8. Il résulte de la combinaison de ces textes que la juridiction de sécurité sociale, qui n'est pas saisie d'un conflit d'affiliation mais de la contestation de la mise en oeuvre de la solidarité financière du donneur d'ordre, n'est pas tenue d'appeler en la cause le sous-traitant de celui-ci, ni les travailleurs présentés comme les salariés de ce dernier par le procès-verbal de travail dissimulé.
9. Le moyen, qui postule le contraire, n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
10. Le donneur d'ordre fait le même grief à l'arrêt, alors « qu' « aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ; que, selon l'article L. 8222-2 du code du travail, le donneur d'ordre qui méconnaît les obligations de vigilance énoncées au deuxième est tenu solidairement au paiement des cotisations obligatoires, pénalités et majorations dues par son sous-traitant qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé ; que, par une décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 8222-2 du code du travail, sous réserve qu'elles n'interdisent pas au donneur d'ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu ; qu'il en résulte que si la mise en uvre de la solidarité financière du donneur d'ordre n'est pas subordonnée à la communication préalable à ce dernier du procès-verbal pour délit de travail dissimulé, établi à l'encontre du cocontractant, l'organisme de recouvrement est tenu de produire ce procès-verbal devant la juridiction de sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d'ordre de l'existence ou du contenu de celui-ci » ; que, selon l'article L. 8222-3 du code du travail, la mise en uvre de la solidarité financière du donneur d'ordre est limitée à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession et elle ne saurait ainsi excéder le montant du redressement mis à la charge du sous-traitant au titre du travail dissimulé ; qu'ainsi – pour les mêmes raisons et par transposition – si la mise en uvre de la solidarité financière du donneur d'ordre n'est pas subordonnée à la communication préalable à ce dernier de la mise en demeure pour travail dissimulé notifiée à son cocontractant, l'organisme de recouvrement est tenu de produire cette mise en demeure devant la juridiction de sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d'ordre du bien-fondé de la mise en demeure qui lui a été notifiée au titre de la mise en uvre de sa solidarité financière ; qu'outre la production du procès-verbal de travail dissimulé (qui est intervenue en cause d'appel), le donneur d'ordre sollicitait également et tout aussi expressément la production de la mise en demeure notifiée à son cocontractant, la société sous-traitante, en vue d'une discussion contradictoire ; que, par motifs adoptés, la cour d'appel a estimé que « la procédure est régulière et la société donneuse d'ordre sera déboutée de sa demande de communication de la mise en demeure établis à l'encontre de la société sous-traitante » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 9 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 8222-1, L. 8222-2 et L. 8222-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
11. Selon l'article L. 8222-2, alinéa 2, du code du travail, le donneur d'ordre qui méconnaît les obligations de vigilance énoncées à l'article L. 8222-1 du même code, est tenu solidairement au paiement des cotisations obligatoires, pénalités et majorations dues par son sous-traitant qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé.
12. Par une décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 8222-2 du code du travail, sous réserve qu'elles n'interdisent pas au donneur d'ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquelles il est tenu.
13. Il en résulte que si le donneur d'ordre peut invoquer, à l'appui de sa contestation de la solidarité financière, les irrégularités entachant le redressement opéré à l'encontre de son cocontractant du chef du travail dissimulé, il ne peut, en revanche, opposer à l'organisme de recouvrement celles entachant la mise en demeure délivrée, le cas échéant, à son sous-traitant, dès lors que la mise en demeure notifiée, en application de l'article L. 244-2 du code de la sécurité sociale, par cet organisme à l'issue des opérations de contrôle et de redressement, constitue la décision de recouvrement à l'encontre de son destinataire. En conséquence, l'éventuelle irrégularité de cet acte ne constitue pas une exception commune que le donneur d'ordre peut opposer à l'URSSAF.
14. C'est donc à bon droit que la cour d'appel a décidé que l'absence de communication au donneur d'ordre par l'organisme de recouvrement de la mise en demeure adressée à son sous-traitant n'était pas de nature à entacher la régularité de la mise en oeuvre de la solidarité financière du donneur d'ordre.
15. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société [2] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [2] et la condamne à payer à l'URSSAF du Nord-Pas-de-Calais la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le cinq juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.