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04/06/2025 | FRANCE | N°24-15.145

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale - formation restreinte hors rnsm/na, 04 juin 2025, 24-15.145


SOC.

ZB1



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 4 juin 2025




Cassation partielle
sans renvoi


M. BARINCOU, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président



Arrêt n° 591 F-D

Pourvoi n° G 24-15.145



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 JUIN 2025

La société

Hafner, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Hafner entreprises, a formé le pourvoi n° G 24-15.145 contre l'arrêt rendu ...

SOC.

ZB1



COUR DE CASSATION
______________________


Arrêt du 4 juin 2025




Cassation partielle
sans renvoi


M. BARINCOU, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président



Arrêt n° 591 F-D

Pourvoi n° G 24-15.145



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 JUIN 2025

La société Hafner, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Hafner entreprises, a formé le pourvoi n° G 24-15.145 contre l'arrêt rendu le 14 mars 2024 par la cour d'appel de Lyon (chambre sociale C), dans le litige l'opposant à Mme [D] [B], épouse [C], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Hafner, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [B], après débats en l'audience publique du 5 mai 2025 où étaient présents M. Barincou, conseiller le plus ancien faisant fonction de président et rapporteur, Mme Brinet, conseiller, Mme Prieur, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 14 mars 2024), Mme [B] a été engagée, en qualité de directrice des ressources humaines multi-sites, le 3 décembre 2018 par la société Hafner entreprises, société mère du groupe Hafner.

2. Son contrat de travail a été rompu le 29 juin 2020, à l'issue du délai de réflexion dont elle disposait après son adhésion au contrat de sécurisation professionnelle qui lui avait été proposé le 5 juin 2020, le motif économique de la rupture lui ayant été notifié par lettre du 25 juin 2020.

3. Contestant la rupture de son contrat de travail, elle a saisi la juridiction prud'homale de demandes salariales et indemnitaires.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de déclarer le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de le condamner à verser à la salariée une somme à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :

« 1°/ que constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés ; qu'une baisse significative du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés, deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés, trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés et quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que la société Biscuits Hafner avait enregistré une très forte baisse de chiffre d'affaires (- 19 % entre 2019 et 2020), que la société Hafner Estillac avait connu sur la même période une contraction de son chiffre d'affaires de 67,3 %, et que le chiffre d'affaires de la société Hafner entreprises sur cette période avait baissé de 5,3 % ; qu'en se bornant par ailleurs à constater que le chiffre d'affaires de la société Hafner Savoie avait progressé de 6,8 % sur la même période et que le résultat de certaines des sociétés du groupe était bénéficiaire, motifs impropres à exclure les difficultés économiques alléguées, sans rechercher si le critère de la baisse significative du chiffre d'affaires au niveau du groupe était rempli, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail ;

2°/ que constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés ; qu'en l'espèce, la société Hafner entreprises faisait valoir, preuve à l'appui, que si elle avait obtenu un résultat bénéficiaire en 2020, c'était parce qu'elle avait été contrainte de procéder à la vente d'une participation pour 2 663 000 euros aux fins de tenter d'équilibrer ses comptes pour faire face aux 33,8 millions d'euros d'emprunt qu'elle était la seule à assumer ; que, pour considérer que la réalité des difficultés économiques alléguées n'était pas avérée, la cour d'appel a relevé que le bénéfice final de la société Hafner entreprises avait plus que doublé, "peu important (…) que ce résultat provienne d'une opération financière" ; qu'en statuant de la sorte, quand la nature spécifique de cette opération financière ponctuelle, non révélatrice de la santé globale de l'entreprise, devait être prise en compte pour statuer sur les difficultés économiques alléguées, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail ;

3°/ que l'existence de difficultés économiques constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement, peu important le contexte économique conjoncturel ; qu'en retenant, pour conclure que la réalité des difficultés économiques du groupe Hafner n'était pas démontrée, que les difficultés invoquées devaient être replacées dans le contexte économique conjoncturel de la crise sanitaire de 2020, motif inopérant à exclure les difficultés économiques alléguées, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. Ayant retenu que les difficultés économiques alléguées devaient être appréciées au niveau du groupe en son entier puis analysant les données comptables produites par l'employeur pour les années 2019 et 2020, l'arrêt constate d'abord que, durant cette période, d'une part, le chiffre d'affaires de la société Biscuits Hafner est passé de 32,03 à 25,79 millions d'euros, son bénéfice diminuant de 1,10 à 0,018 millions d'euros, d'autre part, que le chiffre d'affaires de la société Hafner Savoie est passé de 21,24 à 22,69 millions avec un bénéfice progressant de 0,56 à 1,10 millions d'euros et, enfin, que le chiffre d'affaires de la société Hafner Estillac est passé de 3,92 à 1,28 millions d'euros, avec une perte s'aggravant de 0,06 à 0,71 millions d'euros, avant sa liquidation judiciaire en avril 2020. L'arrêt ajoute que, toujours entre 2019 et 2020, la société mère Hafner entreprises a vu son chiffre d'affaires reculer de 3,39 à 3,21 millions d'euros mais son bénéfice progresser, passant de 0,95 à 2,18 millions d'euros.

6. Il retient ensuite, d'une part, que si la société Biscuits Hafner a connu des difficultés en 2020, elle n'a toutefois pas enregistré de pertes et que ces mauvais résultats sont compensés par ceux de la société Hafner Savoie qui a dégagé un bénéfice et, d'autre part, que si le chiffre d'affaires de la société Hafner entreprises a légèrement diminué, son bénéfice a plus que doublé, peu important sur ce point que ce résultat provienne d'une opération financière.

7. Il en déduit que les difficultés rencontrées, entre les exercices 2019 et 2020, par les seules sociétés Biscuits Hafner et Hafner Estillac sont insuffisantes pour caractériser des difficultés économiques sérieuses à l'échelle du groupe, a fortiori dans le contexte, défavorable mais conjoncturel, de la crise sanitaire de 2020.

8. De ces énonciations et constatations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de rechercher si le critère de la baisse significative du chiffre d'affaires au niveau du groupe était rempli dès lors que l'employeur n'avait pas invoqué cet indicateur, a pu déduire que l'existence de difficultés économiques durables n'était pas suffisamment établie.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser à la salariée la somme de 42 631 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que le barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail pour le calcul du montant des dommages-intérêts dus à un salarié licencié sans cause réelle et sérieuse fixe des limites impératives ; qu'il permet d'allouer au salarié une indemnité adéquate, au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT, sans que le juge puisse s'affranchir des limites qu'il fixe en raison de circonstances particulières ; que pour condamner la société Hafner entreprises à verser à la salariée une indemnité dont le montant atteint le triple du montant maximal prévu par la loi, la cour d'appel a retenu que l'application du barème de l'article L. 1235-3 du code du travail portait au cas d'espèce, et compte tenu des circonstances de la cause, une atteinte excessive au droit à une indemnité adéquate de la salariée au regard du but légitime poursuivi, de sorte qu'il y avait lieu d'écarter les dispositions de ce texte ; qu'en statuant ainsi alors qu'il lui appartenait seulement d'apprécier la situation de la salariée pour déterminer le montant de l'indemnité à l'intérieur des limites déterminées par la loi, la cour d'appel a violé l'article L. 1235-3 du code du travail, ensemble l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et l'article 10 de la Convention internationale du travail n° 158 concernant la cessation de la relation de travail à l'initiative de l'employeur. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 du code du travail, dans leur rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, et L. 1235-4 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et l'article 10 de la Convention internationale du travail n° 158 concernant la cessation de la relation de travail à l'initiative de l'employeur :

11. En application de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés par ce texte. Pour déterminer le montant de l'indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture, à l'exception de l'indemnité de licenciement mentionnée à l'article L. 1234-9. Cette indemnité est cumulable, le cas échéant, avec les indemnités prévues aux articles L. 1235-12, L. 1235-13 et L. 1235-15, dans la limite des montants maximaux prévus au même article.

12. Ces dispositions et celles des articles L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, qui permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur, sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT).

13. Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.

14. Pour condamner l'employeur au paiement d'une somme supérieure au montant maximal prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail, l'arrêt relève d'abord que, juste avant son embauche par le groupe Hafner, la salariée avait démissionné du poste qu'elle occupait au sein d'un autre groupe, puis que, suite à son licenciement, après avoir perçu l'allocation de retour à l'emploi de juillet 2020 à février 2021, elle a retrouvé un emploi à durée déterminée de février à avril 2021, puis, après une nouvelle période de chômage, un emploi à durée indéterminée, depuis septembre 2021, comme directrice des ressources humaines mais avec une rémunération mensuelle brute de 5 085 euros. Il ajoute qu'elle supporte, avec son conjoint, le remboursement d'un prêt immobilier et qu'elle a trois enfants à charge, dont l'un encore mineur à la date du licenciement, tous scolarisés en septembre 2020. Il fixe, au vu de ces éléments, le préjudice résultant de la perte de l'emploi à une somme correspondant à six mois de salaire.

15. Ensuite, l'arrêt retient, d'une part, que la mise en oeuvre par le juge d'un contrôle de conventionnalité in concreto au regard des stipulations de l'article 10 de la convention n° 158 de l'OIT ne méconnaît pas le principe d'égalité des citoyens devant la loi, lequel doit s'entendre au sens des normes non seulement nationales mais également conventionnelles dont l'application directe est reconnue en droit interne et, d'autre part, que le juge doit s'assurer que, concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, l'ingérence résultant de l'application du barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail est nécessaire dans une société démocratique et, en particulier, qu'elle est proportionnée au but légitime poursuivi.

16. Enfin, après avoir relevé que l'application du barème à la situation de la salariée conduirait à lui octroyer une indemnité trois fois moindre que le montant du préjudice précédemment évalué, l'arrêt en déduit que l'article L. 1235-3 du code du travail porte une atteinte excessive au droit à une indemnité adéquate de la salariée de sorte qu'il y a lieu d'écarter les dispositions de ce texte.

17. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait seulement d'apprécier la situation concrète de la salariée pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l'article L. 1235-3 du code du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

18. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

19. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

20. Conformément aux dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail et au vu des éléments du préjudice caractérisés par la cour d'appel, il convient de fixer à la somme de 14 210 euros le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Hafner à payer à Mme [B] la somme de 42 631 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 14 mars 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Condamne la société Hafner à payer à Mme [B] la somme de 14 210 euros ;

Condamne Mme [B] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre sociale - formation restreinte hors rnsm/na
Numéro d'arrêt : 24-15.145
Date de la décision : 04/06/2025
Sens de l'arrêt : Cassation

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc. - formation restreinte hors rnsm/na, 04 jui. 2025, pourvoi n°24-15.145


Origine de la décision
Date de l'import : 12/06/2025
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:24.15.145
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