SOC.
HE1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 4 juin 2025
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 581 F-D
Pourvoi n° P 24-10.412
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 JUIN 2025
La société J.M.P, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 24-10.412 contre l'arrêt rendu le 17 novembre 2023 par la cour d'appel de Bourges (chambre sociale), dans le litige l'opposant à M. [F] [S], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, Ã l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société J.M.P, de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de M. [S], après débats en l'audience publique du 5 mai 2025 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, M. Seguy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 17 novembre 2023), M. [S] a été engagé en qualité de dessinateur projecteur, technicien méthodes, le 23 octobre 2009 par la société J.M.P (la société). Au dernier état de la relation contractuelle, il occupait les fonctions de responsable technique.
2. Convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, à l'issue duquel l'employeur lui a remis une lettre énonçant le motif économique et une proposition de contrat de sécurisation professionnelle (CSP), le salarié a été licencié pour motif économique, à titre conservatoire, par lettre recommandée du 31 mars 2021. Le salarié n'a pas adhéré au contrat de sécurisation professionnelle.
3. Contestant la rupture de son contrat de travail et réclamant le paiement de diverses sommes, il a saisi la juridiction prud'homale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première et quatrième branches
Enoncé du moyen
5. La société fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement pour motif économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse et en conséquence de la condamner à verser au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 1°/ que caractérise des difficultés économiques, une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ; que les difficultés économiques s'apprécient à la date du licenciement ; qu'il en résulte que la durée d'une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires s'apprécie en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d'affaires au cours du trimestre comptable précédant celui au cours duquel intervient la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l'année précédente à la même période ; qu'en l'espèce, la société J.M.P, qui comptait moins de 11 salariés, a notifié à M. [S] son licenciement pour motif économique le 31 mars 2021, soit au cours du premier trimestre de son exercice comptable courant du 1er mars 2021 au 28 février 2022 ; qu'en jugeant qu'il était inopérant pour l'employeur de détailler la baisse de son chiffre d'affaires en comparant les résultats de la période de décembre 2019 à février 2020 à celle de décembre 2020 à février 2021, et en exigeant de ce dernier qu'il justifie d'une baisse sur le premier trimestre civil de l'année 2021 au cours duquel le licenciement avait été notifié, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 1° du code du travail ;
4°/ qu'il n'y a pas de manquement à l'obligation de reclassement si l'employeur justifie de l'absence de poste disponible dans l'entreprise au moment du licenciement ; que la société J.M.P faisait valoir que le reclassement de M. [S] était impossible et, pour l'établir, versait aux débats un extrait de son registre d'entrées et de sorties du personnel ; qu'en affirmant, à supposer adoptés les motifs des premiers juges, que faute de preuve de reclassement, la société J.M.P n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement, sans rechercher si, comme elle le soutenait, cette dernière ne justifiait pas de l'absence de poste disponible au moyen de la production de son registre du personnel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article L. 1233-3,1°, du code du travail constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus.
7. Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le juge doit se placer à la date du licenciement pour apprécier le motif de celui-ci (Soc., 21 novembre 1990, pourvoi n° 87-44.940, Bull. 1990, V, n° 574 ; Soc., 26 février 1992, pourvoi n° 90-41.247, Bull. 1992, V, n° 130).
8. Il en résulte que la durée d'une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires, telle que définie par l'article L. 1233-3, 1°, a) à d), du code du travail, s'apprécie en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d'affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l'année précédente à la même période.
9. Si la réalité de l'indicateur économique relatif à la baisse du chiffre d'affaires ou des commandes au cours de la période de référence précédant le licenciement n'est pas établie, il appartient au juge, au vu de l'ensemble des éléments versés au dossier, de rechercher si les difficultés économiques sont caractérisées par l'évolution significative d'un autre indicateur économique ou tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
10. La cour d'appel a d'abord relevé que le salarié invoquait à juste titre la nécessité de comparer le premier trimestre de l'année 2021, dernier trimestre connu à la date de la notification du licenciement, et le premier trimestre de l'année précédente et ajoute que c'était de manière inopérante que l'employeur détaillait la baisse de son chiffre d'affaires en comparant les résultats de la période de décembre 2019 à février 2020, à celle de décembre 2020 à février 2021. Elle a ajouté que l'évolution annuelle et globalisée du montant du panier moyen n'était pas de nature à justifier d'une baisse significative des commandes sur la période de référence.
11. Elle a ensuite constaté que la réduction du chiffre d'affaires attribué à la perte du client Sétin, dont les commandes représentaient 6,49% du chiffre d'affaires global en 2019, était attestée par les éléments comptables produits pour les années 2019, 2020 et 2021 et que la réduction du chiffre d'affaires par client pour les années 2019 et 2020 résultait des éléments comptables certifiés par l'expert-comptable, mais que, cependant, le résultat de l'exercice écoulé entre mars 2020 et février 2021 s'élevait à 102 040 euros, soit un niveau qui demeurait relativement favorable compte-tenu de la crise sanitaire ayant impacté l'économie mondiale et que le résultat financier de l'exercice présentait une évolution favorable puisqu'il était de 7 470 euros, contre - 13 322 euros sur l'exercice précédent et que le résultat d'exploitation, bien qu'en baisse, demeurait à une valeur de 126 007 euros.
12. De ces constatations et énonciations, elle a pu déduire que la société n'établissait pas l'évolution significative à la baisse, du nombre des commandes ou de son chiffres d'affaires sur la période de référence définie par les dispositions de l'article L. 1233-3, 1°, du code du travail, c'est-à -dire le premier trimestre 2021 par comparaison au premier trimestre 2020, non plus que d'un autre indicateur ou de tout autre élément de nature à justifier de difficultés économiques et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société J.M.P aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société J.M.P et la condamne à payer à M. [S] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.