CIV. 1
CR12
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 4 juin 2025
Cassation partielle partiellement sans renvoi
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 390 F-D
Pourvoi n° W 24-10.028
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 JUIN 2025
Mme [R] [B], domiciliée [Adresse 5], a formé le pourvoi n° W 24-10.028 contre l'arrêt rendu le 7 novembre 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 13), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [O] [N], domicilié [Adresse 1],
2°/ à la société Les Mimosas, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à M. [P] [E], domicilié [Adresse 3],
4°/ à Mme [U] [N], domiciliée [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jessel, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [B], de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de M. [E], après débats en l'audience publique du 8 avril 2025 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Jessel, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tifratine, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 novembre 2023), après avoir obtenu, par jugement du 26 juillet 2011, la condamnation de M. [X], copropriétaire, au paiement d'un arriéré de charges, un syndicat de copropriétaires, représenté par Mme [B] en qualité d'administratrice provisoire et assisté de M. [E], avocat, a engagé une procédure de saisie immobilière à l'encontre de ce copropriétaire par commandement du 1er juillet 2013 publié le 6 août suivant.
2. Par jugement du 31 mars 2015, le juge de l'exécution a constaté la caducité du commandement au motif que le dépôt du cahier des conditions de vente au greffe le 25 septembre 2013 ne comportait pas le procès-verbal descriptif des biens saisis. Statuant sur l'appel du syndicat des copropriétaires, représenté par Mme [B] et assisté de M. [K], avocat, la cour d'appel a, par arrêt du 30 juin 2016, confirmé ce jugement.
3. Le 29 juin 2021, la société Les Mimosas et M. et Mme [N], copropriétaires, ont assigné Mme [B] en responsabilité et indemnisation.
4. Les 21 et 22 décembre 2021, Mme [B] a assigné en garantie MM. [E] et [K].
5. Par ordonnance du 5 janvier 2023, le juge de la mise en état a déclaré recevable l'action engagée contre Mme [B] et l'action en garantie engagée contre M. [K] mais a, sur le fondement de l'article 2225 du code civil, déclaré irrecevable le recours en garantie formé contre M. [E] comme ayant été exercé plus de cinq ans après la fin de sa mission. Mme [B] a fait appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Mme [B] fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite son action en garantie contre M. [E], alors :
« 1°/ que le point de départ d'une action récursoire en garantie est fixé au jour où le demandeur a lui-même été assigné en justice ; qu'en retenant, pour juger prescrite l'action en garantie formée par Mme [B] à l'encontre de Me [E] le 22 décembre 2021, que la prescription de cette action courait à compter du 14 avril 2015, date de fin de la mission de l'avocat, quand à cette date, Mme [B] ne connaissait pas les faits qui lui permettaient d'exercer un appel en garantie qui n'avait pas d'objet avant que sa propre condamnation soit sollicitée par l'assignation qui lui avait été délivrée par Sci Les Mimosas et les consorts [N] le 29 juin 2021, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil ;
2°/ que l'action en responsabilité délictuelle formée contre un avocat par un tiers n'est pas soumise à la prescription spéciale de l'article 2225 du code civil qui, par dérogation, fait courir la prescription de l'action en responsabilité formée par un client contre son avocat à compter de la fin de sa mission ; qu'en retenant, pour juger prescrite l'action en garantie formée par Mme [B] à l'encontre de Me [E] le 22 décembre 2021, que la prescription de cette action courait à compter du 14 avril 2015, date de fin de la mission de l'avocat, en application de l'article 2225 du code civil, quand ce texte n'était pas applicable dès lors que Mme [B] n'était pas le client de Me [E] mais un tiers, et invoquait sa responsabilité à l'appui d'une action récursoire en garantie personnelle et automne, qui n'était pas fondée sur la subrogation, la cour d'appel a violé l'article 2225 du code civil par fausse application et l'article 2224 du code civil par refus d'application. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 et 2225 du code civil :
7. Aux termes du second de ces textes, l'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission.
8. Cependant, il résulte du premier, soumettant les actions personnelles ou mobilières à une prescription de cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, que le délai de l'action récursoire tendant à obtenir la garantie d'une condamnation prononcée ou susceptible de l'être en faveur d'un tiers victime d'un préjudice unique susceptible d'être imputé à différents coresponsables a pour point de départ l'assignation en responsabilité par le tiers victime, sauf à ce que la personne assignée établisse qu'à cette date elle n'était pas en mesure d'identifier les coauteurs du dommage pour lequel sa responsabilité est recherchée (Ch. mixte.,19 juillet 2024, pourvoi n° 22-18.729, publié).
9. Il s'en déduit que l'action récursoire tendant à obtenir la garantie d'un avocat est régie par le premier de ces textes et que le délai de prescription court, en principe, à compter de l'assignation en responsabilité du demandeur à cette action.
10. Pour déclarer irrecevable l'action en garantie formée par Mme [B] contre M. [E], l'arrêt retient que cette action récursoire a été engagée plus de cinq ans après la fin de la mission de représentation confiée à l'avocat qui en a été déchargé le 14 avril 2015, lorsque M. [K] lui a succédé pour assurer la défense du syndicat des copropriétaires en appel.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
14. Il y a lieu d'infirmer l'ordonnance du 5 janvier 2023, de déclarer recevable l'action en garantie dont la prescription a pour point de départ l'assignation du 29 juin 2021 et de rejeter les demandes au titre des frais de justice relativement à cette action.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme l'ordonnance du 5 janvier 2023 déclarant irrecevable l'action récursoire en garantie engagée par Mme [B] contre M. [E] et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile relativement à cette action, l'arrêt rendu le 7 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi de ces chefs ;
Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 5 janvier 2023.
Déclare recevable l'action en garantie formée par Mme [B] contre M. [E] et rejette les demandes au titre des frais de justice relativement à cette action ;
Dit que cette instance se poursuivra devant le tribunal judiciaire de Paris ;
Condamne M. [E] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [E] et le condamne à payer à Mme [B] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.