SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 4 juin 2025
Cassation sans renvoi
M. BARINCOU, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président
Arrêt n° 599 F-D
Pourvoi n° Z 23-23.344
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 JUIN 2025
La société Bertin, exerçant sous l'enseigne Ô Péché mignon, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 23-23.344 contre le jugement rendu le 9 octobre 2023 par le conseil de prud'hommes du Havre (section industrie), dans le litige l'opposant à Mme [I] [Z], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Redon, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Bertin, après débats en l'audience publique du 5 mai 2025 où étaient présents M. Barincou, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, M. Redon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Brinet, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (conseil de prud'hommes du Havre, 9 octobre 2023), Mme [Z] a été engagée, en qualité de vendeuse, à compter du 16 août 2012 par la société Boulangerie pâtisserie [Adresse 3] puis son contrat de travail a été transféré à la société La Normandize.
2. Une rupture conventionnelle a été conclue entre la salariée et la société La Normandize le 30 novembre 2020, à effet du 15 janvier 2021.
3. Le 1er juin 2021, la société La Normandize a cédé son fonds de commerce à la société Bertin (la société).
4. Contestant son solde de tout compte, la salariée a saisi la juridiction prud'homale d'une action dirigée contre la société Bertin.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et quatrième branches
Enoncé du moyen
5. La société fait grief au jugement de la condamner à payer à la salariée des sommes à titre de prime de rupture conventionnelle, alors :
« 1°/ qu'est irrecevable la demande formée contre une personne autre que celle à l'encontre de laquelle les prétentions peuvent effectivement être formées ; qu'est donc irrecevable la demande du salarié au titre d'une rupture conventionnelle du contrat de travail dirigée contre une personne morale autre que son ancien employeur avec lequel la convention de rupture avait été conclue ; qu'en l'espèce, il est constant que la salariée et son employeur la société La Normandize ont signé le 30 novembre 2020 une rupture conventionnelle du contrat de travail à effet du 15 janvier 2021 ; que la société Bertin, immatriculée le 25 mai 2021, a repris le 1er juin 2021 le fonds de commerce de la société La Normandize, comportant la liste des contrats de travail repris parmi lesquels ne figurait pas le contrat de travail de la salariée ; qu'en décidant pourtant que la salariée était recevable à demander à la société Bertin, qui n'avait jamais été son employeur, un complément de prime de rupture conventionnelle, le conseil de prud'hommes a violé les articles 32 et 122 du code de procédure civile ;
4°/ que l'acte de cession de fonds de commerce entre les sociétés Normandize et Bertin mentionnant que ''le cédant assumera toutes les obligations qui lui incombent envers les salariés jusqu'à la date de l'entrée en jouissance du cessionnaire savoir le 1er juin 2021 ; que les dettes salariales et sociales nées antérieurement à l'entrée en jouissance des présentes resteront donc à la charge du cédant'' ne comportait aucune stipulation transférant sur le cessionnaire l'obligation de payer à la salariée une régularisation de prime de rupture conventionnelle ; qu'en énonçant que ''la demande de la salariée est donc légitime car intégrée au contrat de cession et la SAS Bertin doit régulariser l'ancienneté'', ce qui n'était nullement prévu par l'acte de cession, la cour d'appel a violé l'article 1103 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 32 et 122 du code de procédure civile, 1103 et 1199 du code civil et L. 141-5 du code de commerce :
6. Il résulte des deux premiers de ces textes qu'est irrecevable toute prétention formée contre une partie n'ayant pas qualité à défendre.
7. Il résulte des trois derniers que la vente d'un fonds de commerce n'emporte pas de plein droit la cession à la charge de l'acquéreur du passif des obligations dont le vendeur pouvait être tenu en vertu d'engagements initialement souscrits par lui.
8. Pour condamner la société à payer à la salariée diverses sommes au titre d'un reliquat de l'indemnité de rupture conventionnelle, le jugement, après avoir rappelé qu'en cas de cession et de transfert d'entreprise, les dettes nées avant le transfert incombent en principe au cédant, retient que concernant le contrat de travail de la salariée, il ne s'agit pas d'un transfert mais d'une régularisation de salaire due par le cédant mais que l'acquéreur doit s'en acquitter car il est mentionné dans l'acte de cession que le registre unique du personnel est produit.
9. Il en déduit que la demande de la salariée est donc légitime car intégrée au contrat de cession.
10. En statuant ainsi, alors, d'une part, qu'il constatait que le contrat de travail avait été rompu avant la cession du fonds de commerce et d'autre part, que la simple mention à l'acte de cession que le registre du personnel est produit n'entraîne pas la transmission au cessionnaire des dettes salariales antérieures à la cession, le conseil de prud'hommes a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
11. Tel que suggéré par le mémoire ampliatif et après avis donné aux parties, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
13. La salariée étant dépourvue d'intérêt à l'encontre du cessionnaire, qui n'a jamais été son employeur, ses demandes doivent être déclarées irrecevables.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 9 octobre 2023, entre les parties, par le conseil de prud'hommes du Havre ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DECLARE irrecevables les demandes formées par Mme [Z] contre la société Bertin ;
CONDAMNE Mme [Z] aux dépens, en ce compris ceux exposés devant le conseil de prud'hommes du Havre ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes, en ce comprises celles présentées devant le conseil de prud'hommes du Havre ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.