SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 4 juin 2025
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 611 F-D
Pourvoi n° U 23-22.856
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 JUIN 2025
1°/ La Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT (la FTM-CGT), dont le siège est [Adresse 1],
2°/ la Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT (la FGMM-CFDT), dont le siège est [Adresse 3],
3°/ la Fédération des cadres, de la maîtrise et des techniciens de la métallurgie CFE-CGC, dont le siège est [Adresse 2],
4°/ la Fédération confédérée Force ouvrière de la métallurgie, dont le siège est [Adresse 5],
5°/ le syndicat USG, dont le siège est [Adresse 8], venant aux droits du syndicat USG-UNSA,
6°/ le comité social et économique central de la société Thales Dis France, dont le siège est [Adresse 4],
7°/ le comité social et économique d'établissement de la société Thales Dis France [Localité 9], dont le siège est [Adresse 7],
8°/ le comité social et économique d'établissement de la société Thales Dis France [Localité 10]-[Localité 14], dont le siège est [Adresse 6],
9°/ le comité social et économique d'établissement de la société Thales Dis France [Localité 15], dont le siège est [Adresse 13],
ont formé le pourvoi n° U 23-22.856 contre l'arrêt rendu le 14 septembre 2023 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige les opposant à la société Thales Dis France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT, de la Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT, de la Fédération des cadres, de la maîtrise et des techniciens de la métallurgie CFE-CGC, de la Fédération confédérée Force ouvrière de la métallurgie, du syndicat USG, venant aux droits du syndicat USG-UNSA, du comité social et économique central de la société Thales Dis France, du comité social et économique d'établissement de la société Thales Dis France [Localité 9], du comité social et économique d'établissement de la société Thales Dis France [Localité 10]-[Localité 14] et du comité social et économique d'établissement de la société Thales Dis France [Localité 15], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Thales Dis France, après débats en l'audience publique du 6 mai 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Bérard, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 14 septembre 2023), à la suite d'une offre publique d'acquisition présentée par la société Thales sur la société Gemalto NV, société mère de la société Gemalto, celle-ci a intégré le groupe Thales en 2019 et est devenue, le 19 juillet 2019, la société Thales Dis France (la société). Spécialisée dans la fabrication de puces informatiques, celle-ci a cinq établissements à [Localité 11], [Localité 9] et [Localité 10], [Localité 12] et [Localité 15].
2. En 2014, la société Gemalto devenue Thales Dis France avait conclu un accord d'entreprise relatif au télétravail pour une durée déterminée soit jusqu'au 31 mars 2016. Un deuxième accord d'entreprise relatif au télétravail a été signé le 26 avril 2016 pour une durée déterminée jusqu'au 30 juin 2019. Le 3 juin 2019, la direction de la société Gemalto (Thales Dis France) et les organisations syndicales ont conclu un nouvel accord collectif relatif au télétravail entrant en vigueur le 1er juillet 2019 pour une durée déterminée soit jusqu'au 30 septembre 2023. Aux termes de cet accord, était prévu, pour le salarié entrant dans le champ d'application du télétravail et souhaitant opter pour cette organisation, l'établissement d'un avenant au contrat de travail pour une durée de 12 mois éventuellement renouvelé à la demande du salarié.
3. Le 17 décembre 2020, la société Thales, dont la société est la filiale, a conclu avec les organisations syndicales représentatives - signé par la CFDT, la CFTC et la CGT, seule la CFE-CGC ayant refusé de signer - un accord collectif de groupe modifiant certains avantages résultant de l'accord d'entreprise et se substituant dès son entrée en vigueur à l'ensemble des accords collectifs en vigueur au sein des sociétés du groupe portant sur le télétravail, dont la société. Cet accord prévoyait que les salariés déjà en télétravail au moment de l'entrée en vigueur de l'accord pourraient continuer à exercer leur activité en télétravail selon l'organisation initialement convenue et jusqu'au terme de l'avenant contractuel.
4. Le 24 novembre 2021, la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT (la FTM-CGT), la Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT (la FGMM-CFDT), la Fédération des cadres, de la maîtrise et des techniciens de la métallurgie CFE-CGC, la Fédération confédérée FO de la métallurgie, le syndicat USG-UNSA, aux droits duquel vient le syndicat USG, le comité social et économique (CSE) central de la société Thales Dis France, le CSE d'établissement de [Localité 9], le CSE d'établissement de [Localité 10]-[Localité 14] et le CSE d'établissement de [Localité 15] ont fait assigner la société devant le tribunal judiciaire. Ils demandaient, à titre principal, d'interdire à la société de supprimer le bénéfice des tickets restaurant aux salariés en télétravail dans les établissements de [Localité 9] et de [Localité 10] et de lui ordonner de régulariser la situation des salariés qui auraient été privés des titres-restaurant à compter du 1er avril 2021 et ce sous astreinte, et, à titre subsidiaire, de condamner la société à financer les activités sociales et culturelles des CSE de [Localité 9] et de [Localité 10] à hauteur de 2,59% de la masse salariale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, et sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La FTM-CGT, la FGMM-CFDT, la Fédération des cadres, de la maîtrise et des techniciens de la métallurgie CFE-CGC, la Fédération confédérée Force ouvrière de la métallurgie et le syndicat USG, venant aux droits du syndicat USG-UNSA, font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur demande tendant à ordonner à la société de régulariser la situation des salariés qui auraient été privés des titres-restaurant à compter du 1er avril 2021, alors « que les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice et peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ; qu'il en résulte qu'un syndicat peut agir en justice pour faire reconnaître l'existence d'une irrégularité commise par l'employeur et demander, outre l'allocation de dommages-intérêts en réparation du préjudice ainsi causé à l'intérêt collectif de la profession, qu'il soit enjoint à l'employeur de mettre fin à l'irrégularité constatée, le cas échéant sous astreinte en ordonnant la régularisation de la situation des salariés dès lors qu'elle ne tend pas à la constitution de droits déterminés au profit de salariés nommément désignés ; qu'en disant irrecevables les organisations syndicales en leur demande tendant à ordonner à la société Thales Dis France de régulariser la situation des salariés qui auraient été privés des titres-restaurant à compter du 1er avril 2021 aux motifs propres et adoptés erronés que cette demande "tendrait à l'octroi à chacun [des salariés] d'un avantage déterminé et individualisé" et qu'elle "résult[e] de l'intérêt individuel des salariés concernés", la cour d'appel a violé l'article L. 2132-3 du code du travail, ensemble l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
7. Aux termes de l'article L. 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.
8. Il en résulte que si un syndicat peut agir en justice pour faire reconnaître l'existence d'une irrégularité commise par l'employeur au regard de dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles ou au regard du principe d'égalité de traitement et demander, outre l'allocation de dommages-intérêts en réparation du préjudice ainsi causé à l'intérêt collectif de la profession, qu'il soit enjoint à l'employeur de mettre fin à l'irrégularité constatée, le cas échéant sous astreinte, il ne peut prétendre obtenir du juge qu'il condamne l'employeur à régulariser la situation individuelle des salariés concernés, une telle action relevant de la liberté personnelle de chaque salarié de conduire la défense de ses intérêts.
9. La cour d'appel, qui a constaté que les syndicats ne sollicitaient pas de dommages-intérêts pour l'atteinte à l'intérêt collectif de la profession qu'ils auraient subie du fait d'une violation du principe d'égalité entre les salariés ou d'une exécution erronée de l'accord de groupe du 17 décembre 2020 mais demandaient de régulariser a posteriori la situation des salariés qui auraient été privés des titres-restaurant à compter du 1er avril 2021, demande relevant de l'intérêt individuel des salariés concernés, en a exactement déduit que leur action était irrecevable.
10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
11. Le CSE central de la société et les CSE des établissements de [Localité 9], [Localité 10]-[Localité 14] et [Localité 15] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes tendant à interdire à la société de supprimer le bénéfice des tickets restaurant aux salariés en télétravail dans les établissements de [Localité 9] et de [Localité 10] et en paiement de dommages-intérêts, alors « que le comité social et économique a qualité et intérêt à agir en justice pour faire constater la violation par l'employeur de dispositions législatives, réglementaires et conventionnelles de nature à affecter les conditions d'emploi et de travail des salariés et obtenir, outre le paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice en résultant, qu'il soit enjoint à l'employeur de mettre fin à l'irrégularité constatée, le cas échéant sous astreinte ; qu'à ce titre, il a qualité et intérêt à agir pour voir constater un manquement de l'employeur dans l'attribution de tickets restaurant aux télétravailleurs, et demander qu'il soit faire interdiction à l'employeur de supprimer le bénéfice des tickets restaurant aux salariés concernés ainsi que le paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice en résultant ; qu'en décidant du contraire, aux motifs inopérants que le CSE n'a pas qualité à agir à l'encontre d'un accord collectif ni à revendiquer le bénéfice de tickets restaurant et par conséquence l'interdiction de leur suppression, la cour d'appel a violé les articles L. 2312-8, L. 2312-5, L. 2315-23 et L. 3262-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
12. Le comité social et économique ne tient d'aucune disposition légale le pouvoir d'exercer une action en justice au nom des salariés ou de se joindre à l'action de ces derniers, lorsque ses intérêts propres ne sont pas en cause.
13. L'arrêt relève que l'usage au sein de la société, qui a valeur d'engagement unilatéral de l'employeur, consistant à accorder le bénéfice des tickets restaurant aux salariés en télétravail dans les établissements de [Localité 9] et de [Localité 10], a été supprimé par l'article 8.2 de l'accord de groupe qui exclut expressément toute prise en charge des frais de restauration au titre du télétravail et par conséquent l'attribution de tickets restaurant aux télétravailleurs, l'accord s'appliquant à toutes les sociétés du groupe Thales dont la société.
14. La cour d'appel en a déduit à bon droit que le CSE central de la société et les CSE des établissements de [Localité 9], [Localité 10] et [Localité 15] n'avaient pas qualité à agir aux fins d'interdire à la société de supprimer le bénéfice des tickets restaurant aux salariés en télétravail dans les établissements de [Localité 9] et de [Localité 10] ainsi qu'en paiement de dommages-intérêts.
15. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
16. Le CSE central de la société et les CSE des établissements de [Localité 9], [Localité 10]-[Localité 14] et [Localité 15] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes tendant à condamner la société à financer les activités sociales et culturelles des CSE de [Localité 9] et de [Localité 10] selon le taux ajusté de l'établissement fixé à 2,59 % de la masse salariale et en paiement de dommages-intérêts, alors « qu'en vertu de l'article L. 2312-78 du code du travail, le comité social et économique assure, contrôle ou participe à la gestion de toutes les activités sociales et culturelles établies dans l'entreprise ; qu'il s'en déduit que la suppression du bénéfice aux télétravailleurs des tickets restaurant, alors que cet avantage avait été pris en compte dans la fixation du taux de financement de ces activités, porte atteinte aux prérogatives du CSE en matière de gestion des activités sociales et culturelles ; qu'en retenant le contraire, aux motifs propres et adoptés que le taux de financement a été fixé par accord collectif, quand cette seule circonstance ne saurait priver le CSE de ses qualité et intérêt à agir en matière de financement des activités sociales et culturelles, lesquelles relèvent de sa compétence propre, la cour d'appel a violé l'article L. 2312-78 du code du travail. »
Réponse de la Cour
17. Le comité social et économique n'a pas qualité pour intenter une action visant à obtenir l'exécution des engagements résultant d'un accord collectif, cette action étant réservée aux organisations ou groupements définis à l'article L. 2231-1 du code du travail qui ont le pouvoir de conclure une convention ou un accord collectif de travail.
18. L'arrêt retient, en premier lieu, que la suppression des tickets restaurants aux télétravailleurs résulte de l'accord collectif du 17 décembre 2020 négocié au niveau du groupe par les organisations syndicales représentatives.
19. L'arrêt relève, en deuxième lieu, que, s'agissant de l'atteinte aux prérogatives du CSE en matière d'activités sociales et culturelles invoquée au motif que les tickets restaurant ont été supprimés aux établissements de [Localité 9] et [Localité 10] sans que soit augmenté le taux de financement des activités sociales et culturelles, l'accord sur les dotations de l'employeur au budget du CSE du 20 juillet 2020 a été négocié avec les organisations syndicales représentatives au sein de la société, de sorte qu'il appartient à celles-ci de demander la révision des termes de l'accord sur les dotations si elles l'estiment nécessaire.
20. C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a décidé que les CSE étaient irrecevables en leurs demandes.
21. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT, la Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT, la Fédération des cadres, de la maîtrise et des techniciens de la métallurgie CFE-CGC, la Fédération confédérée FO de la métallurgie, le syndicat USG, venant aux droits du syndicat USG-UNSA, le comité social et économique central de la société Thales Dis France, le CSE d'établissement de la société Thales Dis France [Localité 9], le CSE d'établissement de la société Thales Dis France [Localité 10]-[Localité 14] et le CSE d'établissement de la société Thales Dis France [Localité 15] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.